« Les Etats-Unis pourraient s’engager avec l’Union européenne dans la mise en place d’une coalition mondiale pour la neutralité carbone »
TRIBUNE
Simone Tagliapietra – Enseignant et chercheur en politiques climatiques
Le spécialiste des politiques climatiques Simone Tagliapietra plaide pour une coopération multilatérale autour de la taxation du carbone aux frontières, le reboisement et les technologies de capture du CO2, notamment avec la collaboration de l’administration Biden.
Publié le 04 décembre 2020 à 14h15 – Mis à jour le 04 décembre 2020 à 14h19 Temps de Lecture 4 min.
Tribune.
Après quatre ans d’absence, les Etats-Unis vont faire leur retour sur la scène de l’action climatique mondiale en 2021. Outre la pandémie, la crise économique et l’injustice raciale, elle sera l’un des quatre piliers de l’équipe de transition Biden-Harris, puis de son administration. Une fois investi, Joe Biden s’apprêtera à réintégrer l’accord de Paris et à lancer son plan pour le changement climatique et la justice environnementale.
Ce plan, qui vise à mettre les Etats-Unis sur la voie de l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050 tout en créant des millions d’emplois bien rémunérés, comprend des propositions pour une électricité 100 % sans carbone d’ici à 2035, 2 000 milliards de dollars (1 644 milliards d’euros) d’investissements verts sur quatre ans et la promesse de consacrer 40 % de ces investissements aux communautés défavorisées.
La capacité qu’aura Joe Biden à le mettre en œuvre dépend en grande partie du second tour des élections de janvier en Géorgie, décisives pour le contrôle du Sénat. Si celles-ci sont remportées par les démocrates, leur majorité au Sénat augmentera les chances d’une mise en place rapide. Dans le cas contraire, le président devra recourir à des décrets exécutifs, faire avancer certaines parties de son programme au sein d’agences fédérales tout en en négociant d’autres au Congrès avec les républicains.
Développement des énergies vertes
Parallèlement, Joe Biden devra également s’occuper de la dimension internationale de l’action climatique, et ce à un moment historique, puisque l’Union européenne (UE), la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont tous récemment prévu des objectifs de réduction à zéro des émissions nettes d’ici à 2050, ou peu après. En ajoutant les Etats-Unis, cette liste regrouperait environ les deux tiers de l’économie mondiale, et plus de la moitié des émissions mondiales.
Une manière sensée pour Joe Biden d’y parvenir pourrait être de s’engager avec l’UE dans la mise en place d’une « coalition mondiale pour des émissions nettes zéro ».
Une telle initiative, conçue comme une coalition de volontaires – et donc ouverte à toutes les nations – devrait viser à débloquer certains des principaux goulets d’étranglement auxquels le monde sera confronté sur la voie de la neutralité climatique.
Dans un monde idéal, la coalition se concentrerait sur le développement conjoint de technologies vertes nécessaires à la décarbonisation de nos économies – des énergies renouvelables à l’hydrogène vert, des voitures électriques aux batteries. Mais cette voie semble peu réaliste, tant le leadership en matière de technologies vertes restera vraisemblablement une question de souveraineté nationale aux Etats-Unis comme dans les pays de l’UE, sans parler de la Chine.
De manière plus réaliste, une tellecoalition mondiale pourrait se concentrer sur des éléments qui, tout en étant essentiels à la réalisation de la neutralité climatique d’ici au milieu du siècle, ne se concrétiseraient probablement pas en l’absence d’une coopération internationale solide.
« Les Etats-Unis et l’UE pourraient élaborer conjointement un système de tarification du carbone de sorte que l’initiative ne soit pas perçue comme unilatérale »
Deux exemples en sont l’introduction de mesures d’ajustement carbone aux frontières et le développement de technologies d’absorption des émissions carbone. Les économistes affirment depuis longtemps que le meilleur outil politique pour lutter contre le changement climatique est de fixer un prix au carbone, afin d’encourager les émetteurs à réduire leur pollution carbone et à passer au vert. L’une des principales difficultés politiques est la crainte que cette charge ne freine la compétitivité économique et n’entraîne la délocalisation d’industries dans des pays où la politique climatique est faible. Ces risques peuvent être réduits en introduisant des « mesures d’ajustement carbone aux frontières », en gros une taxe sur la teneur en carbone des biens importés.
L’UE a l’intention d’introduire de telles mesures dans le cadre de son Green Deal ; le plan Biden pour le climat s’engage également dans une voie similaire. Il convient donc de suivre une approche multilatérale, afin de prévenir les tentations protectionnistes et les tensions commerciales. Les Etats-Unis et l’UE pourraient élaborer conjointement un système de tarification du carbone de sorte que l’initiative ne soit pas perçue comme unilatérale, soit beaucoup plus solide et mieux acceptée dans les deux blocs et au-delà.
Des solutions technologiques et naturelles
Il sera par ailleurs nécessaire d’éliminer du carbone de l’atmosphère pour atteindre un niveau d’émissions nettes zéro au milieu du siècle et même négatif par la suite. Cela peut se faire à l’aide de solutions technologiques et naturelles. Les solutions naturelles comprennent notamment le boisement et le reboisement. Les solutions technologiques comprennent la capture et le stockage du carbone et les solutions de géo-ingénierie comme la capture directe de l’air. Malgré leur importance capitale pour l’action climatique, ces solutions restent actuellement insuffisamment prises en compte, faute d’incitations à l’action individuelle. La coopération internationale est donc essentielle dans ce domaine. Les Etats-Unis et l’UE pourraient susciter un nouvel effort mondial en matière de boisement et de reboisement dans le monde entier, ainsi que de recherche et d’innovation dans le domaine des solutions technologiques.
L’année 2021 peut être une percée dans le domaine du climat. La dynamique mondiale pour atteindre un niveau d’émissions nettes zéro d’ici au milieu du siècle se développe d’une manière que personne n’aurait pu prévoir il y a un an. Le Covid-19 oblige les nations à injecter des milliards dans leur économie, et certaines se sont engagées à investir dans la transition verte. Le 12 décembre, la Conférence des Nations unies sur le climat qui se tiendra en Ecosse, à Glasgow,verra tous les pays présenter leurs nouveaux plans de réduction des émissions pour 2030. En plus d’augmenter leurs ambitions climatiques individuelles, les Etats-Unis et l’Union européenne ont une réelle opportunité d’éliminer certains des principaux goulets d’étranglement sur la voie de la neutralité climatique.2021, une percée pour le climat : une sélection de tribunes
Avec l’élection de Joe Biden, l’action climatique mondiale va connaître un nouveau souffle. Chine, Europe, Etats-Unis, Japon, partagent un objectif commun, à condition de coopérer.
- Simone Tagliapietra (spécialiste des politiques énergétiques et climatiques) : « Les Etats-Unis pourraient s’engager avec l’UE dans la mise en place d’une coalition mondiale pour la neutralité carbone »
- Dominique Finon (spécialiste de l’énergie et du climat) : « L’objectif symbolique de neutralité carbone en 2050 ne doit pas se transformer en une servitude écologique insupportable »
- Pascal Canfin (député européen) : « Pour la première fois, l’Europe déploie un réel plan de transition écologique »
- Géraud Guibert (président de La Fabrique écologique) et Christian de Perthuis (professeur à l’université Paris-Dauphine) : « Un rationnement des émissions de CO2 permettrait d’accélérer la transition bas carbone »
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Simone Tagliapietra est spécialiste des politiques énergétiques et climatiques au sein du groupe de réflexion Bruegel (Bruxelles) et enseigne à l’Université catholique de Milan.
L’objectif symbolique de neutralité carbone en 2050 ne doit pas se transformer en une servitude écologique insupportable »
TRIBUNE
Dominique Finon
Spécialiste de l’énergie et du climat
Face à l’impossibilité matérielle d’atteindre l’objectif de réduction rapide des émissions fixé par les institutions européennes, on peut s’attendre à des « conséquences sociales et industrielles désastreuses », selon Dominique Finon, spécialiste de l’énergie et du climat.
Publié le 04 décembre 2020 à 14h00 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Dans l’atmosphère particulière créée par la crise sanitaire qui justifie toutes les mobilisations, notamment économique, l’enjeu climatique s’est glissé subrepticement. Alors que l’objectif de réduction des émissions de carbone à 2030 par rapport à 1990 n’était encore que de 40 % en 2019, le Conseil européen du 17 septembre l’a poussé à 55 % et le Parlement européen a voté le 7 octobre une résolution visant à le porter à 60 %… Le tout légitimé par l’objectif de « neutralité carbone » en 2050 adopté fin 2018, qui prête lieu à tous les excès quand il est pris au pied de la lettre.
On comprend l’intérêt de définir un tel objectif symbolique pour se donner un cap, montrer un engagement climatique fort et affirmer la volonté de prendre le leadership mondial dans la lutte contre le réchauffement. Mais il ne s’agit pas que de symboles, car la Commission l’a inscrit dans la législation européenne comme objectif contraignant, le transformant en levier de toutes les surenchères politiques et technologiques possibles sur le moyen terme.
Déni des réalités
Or l’objectif de 40 % était déjà difficile à atteindre, car il impose de réduire en dix ans les émissions de 24 % environ, soit l’équivalent de la réduction de 23 % obtenue… en trente ans entre 1990 et 2020 à la faveur de l’effondrement des infrastructures industrielles très émettrices des ex-pays communistes d’Europe centrale ! La Commission et la classe politique européenne, dans le déni des réalités technologiques, économiques et sociales, veulent donc obliger les Etats membres à se lancer dans la décarbonation à marche forcée dans une course improbable, sous la pression d’un objectif juridiquement contraignant : il s’agit de réduire.
Les réalités ne pèsent pas lourd pour les politiciens verts et de gauche, pour lesquels il ne s’agit que de jouer avec des chiffres, mais aussi, ce qui est plus problématique, pour la très technocratique Commission européenne. Il est symptomatique qu’aucune analyse réaliste n’ait été débattue sur les moyens d’accélérer cette réduction des émissions.
« Un objectif de réduction rapide et trop ambitieux légitime le recours sans frein et coûteux aux réglementations, aux normes et aux subventions »
En admettant une seconde que ce soit faisable, de nombreux travaux d’économistes montrent déjà que les dépenses sont beaucoup plus importantes pour atteindre un objectif de réduction à une échéance rapprochée (d’ici à dix ans) qu’à plus long terme. Une trajectoire plus douce permet de donner plus de temps pour l’apprentissage des nouvelles techniques, pour accompagner leur changement d’échelle et pour remplacer les infrastructures technologiques et de transport. Un objectif de réduction rapide et trop ambitieux légitime le recours sans frein et coûteux aux réglementations, aux normes et aux subventions, avec le risque permanent de manipulation par divers lobbies, voire par certains Etats membres influents, comme c’est le cas actuellement avec les gaz verts et les plans hydrogène, « poudre aux yeux » figurant en bonne place dans les plans de relance. A ceci s’ajoute l’affectation de très importants investissements à des opportunités peu rentables en termes de coût par tonne de carbone évitée.
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L’expérience des efforts climatiques de ces dernières décennies montre qu’il est difficile de réduire l’intensité carbone du PIB (c’est-à-dire le niveau d’émissions par unité de richesse), notamment en matière d’efficacité énergétique dans la rénovation thermique ou de promotion à tout prix des énergies électriques renouvelables dispersées et intermittentes, comme en Allemagne, pays pourtant le plus avancé. Aucune rupture technologique majeure viable ne semble pouvoir apparaître dans les dix prochaines années pour effacer rapidement le paradigme énergétique fossile dans les transports et les industries de transformation et, pour les pays refusant le nucléaire, dans la production électrique.
Un régime d’illibéralisme vert
Il faudrait pour y parvenir non seulement des changements rapides des techniques et des modes de mobilité à grande échelle, mais aussi une évolution majeure des modes de vie : il faudrait un ensemble de mesures de « confinement climatique », pour reprendre l’expression lumineuse de l’économiste Mariana Mazzucato. Un ensemble qui inclurait la dissuasion de l’usage des véhicules individuels, l’arrêt de l’alimentation en viande rouge, les entraves au tourisme de masse, l’interdiction de la mobilité aérienne de loisirs, etc.
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Dit autrement, il faudrait mettre en place dans chaque Etat membre des moyens de coercition sur les industries, les services et les populations pour atteindre cet objectif contraignant de 55-60 %, avec des taxes environnementales très élevées, des interdictions diverses assorties de pénalités de plus en plus élevées, des limitations de consommation de biens par pénurie planifiée, des subventions dispendieuses aux projets d’énergies renouvelables thermiques, électriques et gazières financées par les consommateurs et les contribuables. Un régime d’illibéralisme vert…
Et ce n’est pas tout. Si l’on veut poursuivre d’ici à 2030 la réduction de l’intensité carbone du PIB européen observée entre 2010 et 2019, années de crise économique, il faudrait une décroissance du PIB de 27 à 33 % : il faudrait ainsi combiner innovations et investissements technologiques avec… une politique de décroissance.
De telles évolutions politiques sont possibles mais peu probables. On peut surtout s’attendre à des manifestations de découragement et de résignation devant l’impossibilité d’atteindre un objectif aussi velléitaire, mais surtout à des jacqueries de gilets de toutes les couleurs. Les conséquences sociales et industrielles désastreuses de la poursuite de cet objectif devraient motiver sa remise en question par la majorité des gouvernements, pour ramener au moins la Commission européenne à la raison. On ne peut attendre l’apparition de conflits entre la Commission et les Etats membres autour des sanctions encourues pour non-respect de l’objectif, avant de révéler son incongruité. L’objectif symbolique de neutralité carbone en 2050 ne doit pas se transformer en une servitude écologique insupportable qui justifie tout et n’importe quoi.2021, une percée pour le climat : une sélection de tribunes
Avec l’élection de Joe Biden, l’action climatique mondiale va connaître un nouveau souffle. Chine, Europe, Etats-Unis, Japon, partagent un objectif commun, à condition de coopérer.
Dominique Finon est directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’énergie et du climat.
Pascal Canfin : « Pour la première fois, l’Europe déploie un réel plan de transition écologique »
TRIBUNE
Dans une tribune au « Monde », le député européen défend la stratégie de la Commission mêlant contrainte et incitation pour parvenir à l’objectif de transition écologique.
Publié le 04 décembre 2020 à 14h15 Temps de Lecture 5 min.
Tribune. Plus aucun esprit sérieux ne conteste la nécessité d’agir à grande échelle pour lutter contre la crise climatique. En Europe, nous sommes engagés dans un changement sans précédent de nos politiques publiques. En 2018, lorsque la France a proposé de se fixer comme objectif la neutralité climatique en 2050, seuls deux Etats européens ont répondu à l’appel. Deux ans plus tard, c’est devenu l’objectif officiel de l’Union européenne. C’est aussi celui porté maintenant par Joe Biden aux Etats-Unis, par le nouveau premier ministre japonais, et même par la Chine qui s’est officiellement dotée d’un objectif de neutralité climat en 2060.
Mais il ne suffit pas de se fixer des objectifs, encore faut-il avoir un chemin crédible pour les atteindre : crédible sur le plan industriel, sur le plan financier, et sur le plan de la justice sociale et territoriale. C’est tout l’objet du Green Deal européen.
Accélérer la sortie du charbon
Crédibilité industrielle, tout d’abord. Nous avons déjà beaucoup de solutions entre les mains, et nous accélérons pour résoudre les problèmes qui se posent encore pour, par exemple, continuer à baisser le coût du stockage de l’énergie issue des renouvelables ou trouver les moyens de fabriquer de l’hydrogène vert à grande échelle. Quelque 170 grands patrons européens ont rejoint l’« alliance pour une relance verte », initiée au printemps 2020, et ont approuvé l’augmentation des objectifs de réduction des gaz à effet de serre de 40 % à 55 % en 2030.
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Les règles des aides d’Etat aux entreprises sont également en train de changer pour faciliter les coopérations industrielles entre grandes entreprises européennes lorsqu’elles investissent dans les solutions décarbonées – à l’image de l’alliance pour la fabrication européenne de batteries destinées aux voitures électriques –, afin d’être moins dépendants des technologies coréennes ou chinoises.
Sur le plan énergétique, la réforme à venir en juin 2021 du marché européen du carbone aura comme conséquence d’accélérer la sortie du charbon en Allemagne ou en Pologne, par exemple. En revanche, le nucléaire restera une question nationale tant l’Europe est divisée sur ce sujet entre ceux qui voient d’abord dans cette industrie une source d’énergie décarbonée et ceux qui considèrent en priorité les risques et les déchets qui lui sont associés.
Premier émetteur de titres financiers verts
L’idée selon laquelle l’autonomie stratégique, la souveraineté industrielle et la transition écologique vont de pair est un fondement du Green Deal européen. C’est pourquoi la proposition, là encore largement initiée par la France, d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, pour protéger nos industries du dumping climatique potentiel de leurs concurrents, doit faire l’objet d’une loi européenne en juin 2021.
Ce mécanisme garantira que les importations de produits industriels paieront le même prix du carbone que nos propres entreprises. Et nous devons faire de même pour nos agriculteurs : organiser le changement des pratiques en verdissant la politique agricole commune, tout en les protégeant des concurrences déloyales issues d’importations qui ne respectent pas les mêmes règles du jeu. C’est l’enjeu de la réforme en cours des accords commerciaux et du refus de l’accord avec le Mercosur par une majorité du Parlement européen, comme par les gouvernements français, irlandais et autrichien.
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Crédibilité financière ensuite. Le plan de relance européen consacrera au moins 37 % du total aux investissements verts, soit environ 250 milliards d’euros en trois ans ! C’est le plus important investissement écologique jamais décidé dans le monde. Par ailleurs, aucun investissement financé par le plan de relance européen ne devra nuire au climat et à la biodiversité. Pour financer cela, la Commission européenne va lever 250 milliards d’euros d’obligations vertes, devenant ainsi le premier émetteur au monde de titres financiers verts. Quant à la Banque centrale européenne, elle est en train de changer ses règles pour favoriser les actifs verts dans l’économie.
« L’Europe va également changer de braquet dans la lutte contre la précarité énergétique qui frappe des millions de familles pauvres »
Crédibilité sociale enfin. L’une des conditions fondamentales de réussite du Green Deal est de ne laisser personne au bord du chemin. Cela est vrai pour la quinzaine de régions encore massivement dépendantes du charbon, en Pologne ou Roumanie par exemple. Un fonds de 17 milliards d’euros y accompagnera la transition.
L’Europe va également changer de braquet dans la lutte contre la précarité énergétique qui frappe des millions de familles pauvres, locataires de passoires thermiques dont les factures d’énergie sont parfois plus élevées que les loyers ! En octobre, la Commission a pour la première fois pris l’engagement d’établir des normes de performance énergétique obligatoire sur le parc de logements existants et non plus simplement sur les nouveaux logements. Le plan de relance européen, mais aussi la Banque européenne d’investissement, devenue en 2019 la Banque du climat de l’Union, viendront en aide aux propriétaires qui n’auraient pas les moyens de financer ces travaux d’efficacité énergétique.
Silicon Valley de la transition énergétique
Le Green Deal entend faire changer les comportements des acteurs économiques, non par de simples incitations à la marge mais par des changements de normes tout en apportant, lorsque c’est nécessaire, les moyens financiers de s’adapter. Le caractère contraignant de ces changements est d’ailleurs en permanence l’objet d’une bataille politique, les Etats étant souvent les premiers à freiner lorsqu’il s’agit, par exemple, de créer des sanctions financières en cas de non-respect des nouveaux objectifs.
Pour la première fois, l’Europe déploie un réel plan de transition écologique, qui touche l’ensemble des politiques publiques de manière cohérente et globale. Distancée par les Etats-Unis et la Chine dans la révolution numérique, elle a tout en revanche pour gagner la bataille de la transition écologique.
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Continent le moins doté en ressources fossiles, il est de notre intérêt économique de remplacer les importations d’énergies fossiles par des technologies « made in Europe ». Nous disposons du plus grand nombre de brevets dans les technologies décarbonées. Si nous menons le Green Deal à son terme, la Silicon Valley de la transition écologique sera en Europe. Et nous aurons inventé un nouveau modèle de prospérité dont nous pourrons être fiers.
Pascal Canfin est député européen et président de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen.2021, une percée pour le climat : une sélection de tribunes
Avec l’élection de Joe Biden, l’action climatique mondiale va connaître un nouveau souffle. Chine, Europe, Etats-Unis, Japon, partagent un objectif commun, à condition de coopérer.
Pascal Canfin(Député européen)
Un rationnement des émissions de CO2 permettrait d’accélérer la transition bas carbone »
TRIBUNE
Christian de Perthuis universitaire
Géraud Guibert – économiste
Les économistes Géraud Guibert et Christian de Perthuis, dans une tribune au « Monde », recommandent le renforcement du système européen de quotas d’émission de CO2 et leur taxation aux frontières.
Publié le 04 décembre 2020 à 14h46 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. En mettant à l’arrêt l’économie mondiale au premier semestre, le Covid-19 a fait reculer les émissions de CO2 comme aucune politique climatique auparavant. Ce recul a été obtenu par un mécanisme de rationnement résultant du confinement de plusieurs milliards d’habitants de la planète. Pour atteindre les objectifs climatiques avec la même méthode, il faudrait prolonger le confinement pendant plusieurs décennies, une perspective tout à fait absurde. On peut en revanche tirer des leçons plus positives : un rationnement des émissions de CO2, couplé à des flexibilités assurant le bon fonctionnement de l’économie, permettrait d’accélérer la transition bas carbone.
Certains imaginent la mise en place d’un quota carbone individuel en limitant les usages polluants. La généralisation de cette méthode, similaire à la gestion des pénuries en période de guerre, est semée d’embûches : indisponibilité des informations pour fixer les quotas, acceptation sociale problématique, risques de fraudes et de développement d’un marché noir du carbone
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Cependant, un mécanisme de rationnement s’applique déjà en Europe par le biais du système de plafonnement et d’échange des quotas de CO2. Pour les grandes installations industrielles et énergétiques, soit la moitié des émissions de l’Union européenne (UE), des quotas limitent les rejets de CO2. Ils peuvent s’échanger, faisant émerger un prix du carbone que doivent payer les émetteurs de CO2, et garantissent en principe d’aboutir au résultat quantitatif recherché. Ce mécanisme a été à juste titre critiqué ces dernières années, avec l’attribution trop généreuse de quotas gratuits et des prix insuffisants du carbone. Mais il a permis, depuis 2005, de faire baisser de plus d’un quart les émissions concernées. Un tel résultat n’a été atteint, ni même approché, dans aucune autre zone du monde.
Triple réforme
Pour que l’UE atteigne son nouvel objectif climatique, celui de diminuer l’ensemble des gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990, des initiatives nouvelles s’imposent. Nous préconisons une triple réforme.
Le rationnement doit être élargi pour inclure dans le système de quotas le transport et le bâtiment. Un tel élargissement ne pose aucune difficulté technique, mais implique d’anticiper ses impacts distributifs pour les acteurs qui subiront un renchérissement des combustibles d’origine fossile.
Le système d’échange doit envoyer un signal sans ambiguïté sur la trajectoire future du prix du CO2 sur ce marché. Il faut resserrer le plafond des émissions et fixer à l’avance un corridor balisant sa trajectoire future. Une cible de l’ordre de 100 euros la tonne de CO2 (soit un triplement du prix actuel) semble adaptée.
Enfin, il est indispensable de corriger le système de distribution gratuite des quotas, qui reste aujourd’hui la méthode d’allocation majoritaire pour les installations industrielles. Cette gratuité, qui équivaut à une subvention à l’usage des énergies fossiles, contrarie l’efficacité environnementale du système. Elle a été mise en place au nom des risques, réels ou supposés, de délocalisation des productions polluantes vers des zones non soumises aux mêmes contraintes. Il est vrai que, depuis 1990, si les émissions ont reculé de 21 % sur le territoire de l’UE, le recul de l’empreinte carbone n’a été que de 15 %.
Mécanisme d’ajustement
C’est ici que prend tout son sens le fameux « mécanisme d’ajustement aux frontières ». Proposé par la Commission européenne et par le président élu américain Joe Biden, il pourrait faire l’objet d’un dispositif coordonné des deux côtés de l’Atlantique. Ce système de prélèvements et de subventions aux frontières égaliserait les conditions de concurrence et bloquerait les délocalisations potentielles. Il s’appliquerait aux pays qui ne jouent pas le jeu de l’accord de Paris sur le climat, en particulier ceux qui n’auraient pas de dispositif réglementaire ou fiscal décourageant les émissions de carbone. Il est souhaitable d’expérimenter ce dispositif, techniquement difficile à mettre en place, dans les industries les plus émettrices de CO2.
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Mais il pourrait être interprété par des pays tiers, en particulier par les pays moins avancés, comme une velléité d’ériger des formes déguisées de protectionnisme au nom du climat. C’est pourquoi nous proposons de coupler la tarification carbone aux frontières à une initiative européenne d’allégement de la dette de ces pays, par ailleurs fragilisés financièrement par la pandémie.
Géraud Guibert préside La Fabrique Ecologique, fondation qui a pour objectif de promouvoir l’écologie et le développement durable ; Christian de Perthuis est professeur à l’université Paris-Dauphine et a fondé la chaire Economie du climat2021, une percée pour le climat : une sélection de tribunes
Avec l’élection de Joe Biden, l’action climatique mondiale va connaître un nouveau souffle. Chine, Europe, Etats-Unis, Japon, partagent un objectif commun, à condition de coopérer.
Christian de Perthuis(universitaire) et Géraud Guibert(économist