Avant la fin de la convention citoyenne pour le climat, de l’énervement, des accusations et des déceptions
Emmanuel Macron s’est emporté contre les critiques de certains activistes, comme le réalisateur Cyril Dion. Une réunion de travail aura lieu lundi avec élus et citoyens, dont certains ne cachent plus leur déception.
L’énervement monte de toutes parts alors que la rédaction du projet de loi devant reprendre les propositions de la convention citoyenne pour le climat (CCC) est quasi achevée. Tant du côté de l’Elysée et du gouvernement que chez les parlementaires et les « conventionnels ».
Vendredi 4 décembre, Emmanuel Macron, sur le média en ligne Brut, s’est emporté contre les critiques de certains des membres de la CCC sur la non-reprise ou l’édulcoration de plusieurs de leurs 150 propositions – la convention citoyenne pour le climat, mise en place par le chef de l’Etat, avait pour mandat de définir des mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport à 1990), dans un esprit de justice sociale. « Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c’est la Bible ou le Coran », a-t-il déclaré, affirmant qu’« il n’y a jamais eu dans aucun pays au monde un gouvernement, des parlementaires qui se sont autant engagés avec des citoyens ».
Emmanuel Macron s’en est aussi pris à l’un des garants de la convention, Cyril Dion, avec lequel il avait pourtant beaucoup échangé avant la mise en place de celle-ci. « Moi, je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m’ont aidé au début et qui disent maintenant, il faudrait tout prendre », a-t-il dit, alors que le réalisateur et militant écologiste a lancé, le 16 novembre, une pétition « pour sauver la convention citoyenne pour le climat », appel qui avait reçu, vendredi, 321 000 signatures.
« Je veux simplement lui rappeler ce qu’il a dit en recevant les citoyens à l’Elysée [le 29 juin, le président de la République avait rappelé son engagement de reprendre “sans filtre” les propositions “abouties et précises”]. Personne ne l’a obligé à dire qu’il reprendrait 146 des 150 propositions et qu’il les transmettrait “sans filtre”. C’est étrange : soit il est frappé d’amnésie, soit il est de très mauvaise foi et je penche pour la deuxième hypothèse », a déclaré vendredi soir au Monde Cyril Dion.
« On nous met devant le fait accompli »
Cette pétition devrait être remise au chef de l’Etat lors d’une rencontre avec les conventionnels, qui pourrait avoir lieu en fin de semaine, juste avant le sommet sur le climat convoqué par les Nations unies, le Royaume-Uni et la France, le 12 décembre, jour du cinquième anniversaire de l’accord international de Paris sur le climat.
Avant cette échéance, deux journées de réunions, lundi et mardi, sont prévues au ministère de la transition écologique, auxquelles sont conviés les citoyens et les parlementaires. Lors de ces rendez-vous, reprenant les thèmes des cinq groupes de travail – se loger, se déplacer, consommer, se nourrir, produire et travailler – mis en place par les 150 citoyens, une version quasi définitive du projet de loi, censé permettre l’application de 40 % des mesures des citoyens, devrait leur être présentée.
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Mais, là encore, le mécontentement est grand sur le processus d’élaboration de ce texte. « On s’attendait à avoir des réunions de travail avec les députés, et on va nous présenter un projet de loi déjà ficelé. On nous met devant le fait accompli », regrette Mélanie Cosnier, maire de Souvigné-sur-Sarthe (Sarthe), qui participera à ces réunions. La coprésidente de l’association Les 150 dénonce une « absence de concertation » depuis le début du processus. Lors des premières réunions de travail thématiques avec le ministère, auxquelles participaient les acteurs économiques et des ONG, mais sans les parlementaires, « on était trois ou quatre citoyens face à près de 70 lobbyistes à chaque fois. Ce n’était pas de la concertation, c’était un tribunal. On nous a accusés d’avoir proposé des mesures pas viables, liberticides », dit-elle.
Une déception partagée par Agnès Catoire, qui a décidé, elle, de boycotter les réunions de lundi et mardi. « Je ne veux pas être un faire-valoir et valider la démarche du gouvernement qui n’est pas à la hauteur de nos attentes, explique cette gestionnaire de paye, qui habite dans le Val-de-Marne. On a été prévenus quatre jours à l’avance alors que l’on a expliqué à de nombreuses reprises avoir besoin de temps pour nous organiser par rapport à notre vie professionnelle et familiale. Et nous n’avons pas reçu le projet de loi en amont pour pouvoir l’étudier. »
« Où est la coconstruction annoncée ? »
D’autres, comme Grégoire Fraty, 31 ans, cadre supérieur, l’une des figures de l’association, se rendront à l’invitation du gouvernement. « On ne connaît pas le contenu des derniers arbitrages, on nous prend à témoin et pas comme des acteurs, mais il faut aller voir ce qu’il y a dans le texte », explique-t-il. Sylvain Burquier, 46 ans, conseiller en marketing, qui avait ironisé sur Twitter sur le groupe de travail manquant, qui aurait pu se nommer, selon lui, « se faire balader », hésite encore à se rendre au ministère. « On est juste invités à découvrir le texte, mais il est vrai que ce n’est pas à nous de faire les lois. On peut encore rattraper certaines choses, mais je me pose la question d’y aller, si c’est pour se faire passer la main dans le dos », estime-t-il.
Les députés, à qui le gouvernement avait annoncé, dès la fin juillet, sa volonté de « coconstruire » la loi, se montrent aussi, pour certains, déçus. Voire en colère comme Matthieu Orphelin (Deux-Sèvres, non inscrit) : « On nous dit que le projet compte plus de 80 articles, qu’il est écrit à 95 %, où est la coconstruction annoncée ? Alors que le projet sera transmis au Conseil d’Etat dès jeudi prochain. »
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« On ne voudrait pas associer les parlementaires et les citoyens, on ne s’y prendrait pas autrement », lance aussi le député (Les Républicains) du Jura Jean-Marie Sermier, qui regrette l’organisation à la dernière minute de cette série de réunions. Son collègue socialiste de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier parle, lui, « de réunions en accéléré » mises en place « soit pour empêcher que s’installe un débat politique, soit parce que le gouvernement est débordé ».
Face à ces critiques, d’autres parlementaires mobilisés sur ce texte s’étonnent de telles invectives et veulent rappeler le rôle du Parlement dans le suivi du projet de loi. « Les citoyens de la convention citoyenne pour le climat ont leur rôle de vigie mais l’essentiel de leur travail a déjà été fait, en nous donnant un cap et des buts à atteindre. Maintenant, nous, parlementaires, nous nous trouvons comme le gouvernement devant la complexité et la nécessité de trouver un chemin entre notre objectif commun et l’élaboration d’un texte pas si simple », explique Erwan Balanant, député (MoDem) du Finistère.
Le texte doit être présenté en conseil des ministres fin janvier 2021 avant d’arriver à l’Assemblée nationale au mois de mars. « Le travail de concertation commence maintenant et pour les trois mois à venir, assure Valérie Petit, députée (Agir) du Nord. On n’a jamais eu autant de temps pour amender un texte du gouvernement. »
Audrey Garric, Rémi Barroux et Mariama Darame
*« La France n’est pas un Etat autoritaire. On n’est pas la Hongrie ou la Turquie » : Macron s’explique longuement et défend son bilan
Interrogé sur Brut, le président de la République, souvent sur la défensive, s’est efforcé de déminer les attaques, notamment sur les violences policières.

C’est une petite rupture dans la stratégie de communication d’Emmanuel Macron. Ces dernières semaines, l’Elysée théorisait le bénéfice pour le chef de l’Etat de se faire plus rare dans ses prises de parole, en se concentrant davantage sur l’international et les commémorations officielles. « Chacun est à sa place », affirmait-on, avec un président au-dessus de la mêlée et un gouvernement dans l’action au quotidien sur le front de la crise.
Mais la pression était devenue trop forte. Après deux semaines de vives polémiques autour des violences policières, qui ont engendré une grave crise au sommet de l’Etat, le président de la République a été contraint de replonger les mains dans le cambouis.Ce qu’il faut retenir de l’interview d’Emmanuel Macron sur Brut : Violences policières, discriminations, laïcité
Lors d’un entretien « sans concession », comme il l’a lui-même reconnu, Emmanuel Macron a répondu aux questions de Brut, un site de vidéos prisé par les jeunes, vendredi 4 décembre. Laïcité, Turquie d’Erdogan, crise sanitaire… Interrogé pendant plus de deux heures sur de nombreux sujets, le locataire de l’Elysée s’est efforcé de déminer les attaques contre l’exécutif, face à des journalistes mordants, n’hésitant pas à lui couper la parole et à le relancer.
Le plus souvent sur la défensive, M. Macron a manifesté une volonté insatiable de « convaincre » ses contradicteurs sur chaque thème, n’hésitant pas à détailler longuement son argumentaire. Un échange aux faux airs de « grand débat », l’exercice qui avait réussi au chef de l’Etat après la crise des « gilets jaunes ».
« On n’est pas la Hongrie ou la Turquie ! »
Ce fut en particulier le cas sur les violences policières. Emmanuel Macron a récusé les attaques de l’opposition, qui lui reproche des « dérives liberticides ». « En France, les libertés sont réduites pour faire face à l’épidémie, oui, mais sur les autres sujets, je ne peux pas laisser dire cela », a-t-il affirmé. Avant de marteler : « La France n’est pas un Etat autoritaire. On n’est pas la Hongrie ou la Turquie ! »
Face au journaliste Rémy Buisine, récemment frappé par les forces de l’ordre lors de l’évacuation violente d’un camp de migrants, à Paris, M. Macron a refusé une présentation manichéenne, qui voudrait faire de la police l’unique coupable.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Je fais le métier de ma vie » : Rémy Buisine, l’image à l’état brut
Il a préféré renvoyer dos à dos les auteurs de violences, quels qu’ils soient, jugeant qu’on ne peut « pas avoir qu’un regard ». Certes, « il y a des policiers qui sont violents » et « qu’il faut sanctionner » de manière « implacable », a-t-il estimé, faisant notamment référence à l’agression d’un producteur noir par plusieurs fonctionnaires, à Paris. Mais il a aussi dénoncé les violences commises par des « gens ensauvagés » – un terme polémique utilisé par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin – contre les forces de l’ordre.
Le président de la République s’est par exemple ému du lynchage d’une policière « attaquée par des fous », lors de la manifestation contre le texte de loi de « sécurité globale », samedi 28 novembre à Paris. Prônant l’apaisement, Emmanuel Macron a estimé qu’il devait y avoir « zéro tolérance des deux côtés ».
Pas de sanctions contre Gérald Darmanin et Didier Lallement
S’il a assuré ne « pas avoir de problème à répéter » l’expression de « violences policières », il a toutefois regretté qu’elle soit devenue « un slogan pour des gens qui ont un projet politique ». Il a, en revanche, reconnu la réalité des contrôles au faciès, en regrettant de ne pas avoir réglé « le problème des discriminations ». « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé. » Pour tenter de résorber la « fracture » entre la police et la population, il a promis le lancement d’une plate-forme nationale de signalement des discriminations, gérée par l’Etat, le Défenseur des droits et des associations, en janvier.
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Alors que 80 défilés sont encore prévus samedi 5 décembre dans toute la France pour protester contre la loi de « sécurité globale », M. Macron a également tenté de rassurer sur l’article 24 de ce texte, que la majorité s’est engagée à réécrire. « Demain, les journalistes et les citoyens pourront continuer à filmer les policiers », a-t-il promis. Pas de réforme de l’inspection générale de la police nationale, ni de sanctions prévues à l’encontre de Gérald Darmanin et du préfet de police de Paris, Didier Lallement, en revanche. « Est-ce que les choix du préfet et du ministre sont en cause ? La réponse est non », a-t-il évacué.
Il a également justifié le projet de loi sur le séparatisme, qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre, comme un moyen de « réarmer » la République face aux tenants de l’islam radical. Une idéologie, qui « prospère sur nos échecs : celui de l’intégration à la française », a-t-il encore reconnu. S’adressant directement aux jeunes Français issus de l’immigration, M. Macron a lancé : « La République vous reconnaît » et « vous êtes une chance pour elle ».
Un bilan défendu
Un ton rassembleur, qui tranchait avec son agacement manifeste sur la question écologique. Accusé de ne pas en faire assez en la matière, M. Macron s’est défendu de tout recul.
« Je n’ai pas de leçons à recevoir ! » a-t-il tonné, en tapant du poing sur la table. Alors que la mise en œuvre des propositions de la convention citoyenne sur le climat tarde, il a assumé d’en expertiser le contenu, avant de finaliser la loi. « Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c’est la Bible ou le Coran », a-t-il tranché, concédant seulement un « échec collectif » sur sa promesse de sortir du glyphosate en trois ans.
Au terme de cette opération séduction en direction des jeunes, le chef de l’Etat a annoncé une nouvelle aide exceptionnelle pour les étudiants, en janvier. Mais il a surtout rappelé les multiples mesures mises en œuvre pour soutenir ceux qui font figure de principales victimes de la crise, en citant notamment le plan de 6,5 milliards d’euros destiné à favoriser les embauches. Pour justifier son refus d’élargir le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans, il a souligné vouloir privilégier « l’insertion économique ».
Lors de cet entretien-fleuve, M. Macron s’est mué en premier défenseur de son bilan, en donnant l’impression d’avoir les yeux déjà rivés sur la présidentielle de 2022. Il a pourtant refusé de dire s’il serait candidat lors de ce scrutin. « Si je me mets dans la situation d’être un candidat, je ne prendrai plus les bonnes décisions », a-t-il évacué, allant jusqu’à affirmer qu’il « n’excluait rien », y compris d’être en situation de ne pas se présenter. Un destin qu’a connu François Hollande, qui fait figure de contre-modèle absolu pour son successeur.