Covid-19 : l’Argentine déplore une forte mortalité malgré son long confinement
Le pays est le septième au monde comptant le plus de morts par million d’habitants. S’il semble avoir passé le pic de la première vague, les infectiologues craignent l’arrivée d’une deuxième avant la vaccination.
Dans les rues de la capitale, officiellement déconfinée depuis début novembre, il n’est désormais plus rare de croiser des badauds sans masque ou de voir des amis s’étreindre au moment de se retrouver en terrasse de café. « Ya fue » (tant pis, c’est bon) résonne régulièrement dans les dîners qui n’ont pas toujours lieu dans un endroit bien ventilé.
« Ne vous relâchez pas » : tel est, pourtant, le message des autorités, qui a du mal à être écouté tant la patience des Argentins a été mise à rude épreuve durant ces longs mois de confinement, en particulier à Buenos Aires et dans sa grande banlieue (la région qui a enregistré le plus de cas et de décès depuis le début de l’épidémie). Mises en place le 20 mars dans tout le pays, les restrictions ont été progressivement levées à partir du mois de mai dans les provinces les moins touchées par la pandémie, et à partir de septembre dans le Grand Buenos Aires.
Neuf mois après la découverte du premier cas de Civid-19 sur le sol argentin, le pays semble avoir enfin, depuis la fin octobre, passé le pic de la première vague. « Mais le nombre de cas quotidiens reste tout de même élevé [plus de 7 000 en moyenne sur la semaine écoulée]», avertit Silvia Gonzalez Ayala, professeure d’infectiologie à l’Université nationale de La Plata. L’Argentine a dépassé, mercredi 2 décembre, le cap des 39 000 décès dus au Covid-19. Un triste bilan qui en fait le septième pays au monde à recenser le plus de morts par million d’habitants.
Le nombre de tests a été insuffisant
Les spécialistes identifient différents facteurs pour expliquer la mortalité élevée due au virus en Argentine : la crise économique qui frappe le pays depuis 2018 et qui fait que, malgré les aides de l’Etat, les travailleurs informels (40 % des emplois) ont dû sortir de chez eux pour obtenir un revenu ; la forte densité urbaine, notamment dans le Grand Buenos Aires, qui compte 15 millions d’habitants, soit un tiers de la population argentine ; l’insalubrité des bidonvilles et quartiers populaires. L’infectiologue Silvia Gonzalez Ayala pointe également l’âge des habitants du Grand Buenos Aires, zone dans laquelle la moyenne d’âge est plus élevée que dans le reste du pays (15 % de la population de la capitale a plus de 65 ans).
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« Le prolongement du confinement au compte-gouttes, toutes les deux à trois semaines, sans perspective de sortie, a été contre-productif », dénonce aussi MmeGonzalez Ayala, qui juge qu’un certain ras-le-bol a pris de l’ampleur au sein de la population à partir du mois de juin, participant au relâchement du comportement. L’infectiologue estime enfin que le nombre de tests a été insuffisant. « La traçabilité des cas contacts n’a commencé à être vraiment mise en place que deux mois après le début de l’épidémie, signale-t-elle. A quoi cela servait-il de bloquer tout un pays si tôt ? »
« Peut-être aurions-nous dû opter pour un confinement intermittent au bout du premier mois et demi d’isolement obligatoire », a admis le ministre de la santé, Gines Gonzalez Garcia, dans une interview au journal La Nacion, jeudi 3 décembre. Le confinement s’est accompagné d’un renforcement des capacités hospitalières (le nombre de lits de soins intensifs a été multiplié par deux dans la province de Buenos Aires), qui a permis au pays d’éviter la saturation de ses hôpitaux.
Vaccin russe attendu
Le personnel médical, lui, est à bout. Les soignants ont payé un lourd tribut à la pandémie : plus de 60 000 d’entre eux ont contracté le Covid-19, et au moins 450 sont décédés depuis le début de l’épidémie, selon un bilan établi fin novembre par la Fédération syndicale des professionnels de la santé. Jeudi, médecins et infirmiers ont défilé dans la capitale pour réclamer des augmentations de salaire et des congés. Leurs confrères et consœurs de la province de Buenos Aires avaient lancé un mouvement de grève de vingt-quatre heures une semaine plus tôt.
L’attention est désormais concentrée sur le développement et la distribution des vaccins contre le Covid-19. Le gouvernement s’est engagé à acheter 25 millions de doses du vaccin russe Spoutnik-V. Quelque 300 000 Argentins pourraient être vaccinés d’ici à la fin de l’année, a indiqué le chef de l’Etat Alberto Fernandez. « Je ne veux pas être rabat-joie, mais le vaccin ne résout pas le problème immédiat, a relativisé le ministre de la santé Gines Gonzalez Garcia. Le vaccin est fondamental à long terme, mais en attendant, il faut poursuivre les mesures de prévention. »
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Des mesures qui gagneraient à être mieux communiquées, selon l’infectiologue Silvia Gonzalez Ayala : « Les autorités doivent mettre en place des campagnes de communication massives et transparentes pour expliquer les mesures à adopter pour vivre avec le virus. » D’autant plus à l’approche des vacances d’été : début novembre, les frontières de l’Argentine ont été rouvertes aux touristes des pays limitrophes, et la plupart des provinces argentines autoriseront les déplacements de touristes nationaux à partir de la mi-décembre. Dans l’immédiat, le personnel soignant redoute une nouvelle hausse des cas dans les jours à venir, possible conséquence des grands rassemblements qui se sont produits à Buenos Aires en hommage à Diego Maradona, mort le 25 novembre.
Aude Villiers-Moriamé(Buenos Aires, correspondante)
L’Argentine ne parvient pas à enrayer l’avancée du coronavirus
27 Octobre 2020
Malgré des mesures d’isolement prises très tôt et le plus long confinement du monde dans Buenos Aires et sa région, le pays paie un lourd tribut à la maladie.

Par Flora GenouxPublié le 27 oct. 2020 à 9:00Mis à jour le 27 oct. 2020 à 17:25
Agir tôt et placer tout le territoire sous cloche afin d’éviter les scénarios à l’européenne. En mars, quand le gouvernement assurait la « chance » d’avoir un temps d’avance sur l’hémisphère nord, rien ne permettait d’envisager le sombre panorama que connaîtrait le pays sept mois plus tard.
L’Argentine a dépassé le seuil symbolique du million de cas et avec plus de 29.000 décès, elle distancie la France, l’Italie et la Suède en nombre de morts par million d’habitants. La Suède : pays du non-confinement auquel l’Argentine s’est largement comparée, fière de son modèle d’isolement plaçant « la vie » avant « l’économie ». L’ambassadeur du pays nordique répondait au mois de mai, subtilement, que les comptes seraient faits plus tard. Des comptes d’ailleurs bien difficiles à suivre. L’université d’Oxford a décidé de retirer l’Argentine de sa base de données face au manque de fiabilité.
L’Argentine sous le joug d’un interminable confinement
Point limite
« On observe que dans toutes les provinces il existe différents endroits où la saturation atteint un point limite », a admis le président Alberto Fernández (centre gauche), vendredi, en prolongeant les mesures d’isolement de façon différenciée selon les régions jusqu’au 8 novembre. Dans Buenos Aires et sa grande banlieue, où s’est étiré le confinement plus long du monde , les restrictions ont largement été assouplies mais une série d’interdictions pèsent toujours : il est illégal de se rendre chez des proches et les déplacements entre régions relèvent quasiment de l’impossible. A l’échelle nationale, seule une poignée d’élèves a renoué avec l’école après plus de sept mois sans cours présentiel laissant présager le coût pédagogique dans un pays où les plus jeunes payent déjà un lourd tribut à la crise. Six enfants sur dix pourraient vivre dans la pauvreté d’ici à la fin de l’année.
Ce qui se passe est honteux. On ne teste pas assez.
« Ce qui se passe est honteux », fustige Silvia González Ayala, infectiologue à l’Université de La Plata. « On ne teste pas assez, on ne cerne pas assez les cas contacts des personnes infectées », relève-t-elle. Longtemps encerclé dans Buenos Aires et sa grande banlieue, le virus avance maintenant presque partout notamment dans des régions à l’infrastructure sanitaire encore plus vacillante que celle de la capitale. « Les premières semaines du confinement ont servi à équiper les hôpitaux, mais ce sont maintenant les moyens humains qui manquent et on ne peut pas rattraper ce qui n’a pas été fait pendant des décennies », remarque l’infectiologue. Deux années de récession et les conditions budgétaires d’un pays émergent ont mécaniquement limité la riposte sanitaire. « La communication du gouvernement a toujours été inadéquate : au lieu d’utiliser la peur, il aurait dû apprendre à la population à être responsable », poursuit la spécialiste.
Des ratages
En première phase de pandémie, deux mesures clefs ont été ratées pointent l’ensemble des experts : l’isolement des voyageurs revenant de l’hémisphère nord et la prévention dans les bidonvilles où le virus s’est largement engouffré. Le pays a aussi dû composer avec des conditions de base défavorables : un habitant sur dix vit dans des quartiers précaires, 40 % des travailleurs évoluent dans l’économie informelle et dépendent de leurs sorties quotidiennes pour subsister.
L’Amérique latine, le plus désespéré des continents
Des traits communs à l’Amérique latine qui, en dépit de stratégies diverses selon les pays, affiche le bilan le plus mortel au monde. Dans la région, l’Argentine limite – encore – la mortalité en proportion de sa population, en comparaison du Pérou, du Brésil ou de la Bolivie qui figurent tout en haut de ce funeste tableau mondial.
Flora Genoux (Correspondante à Buenos-Aires)
L’Argentine assouplit le confinement sans avoir atteint le pic de l’épidémie
Les terrasses des bars et des restaurants ont pu rouvrir à Buenos Aires, alors que le pays enregistre près de 11 000 cas par jour depuis le début du mois de septembre.
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Un doux soleil d’hiver balaie l’avenue Honduras, où Maria, Graciela et Cristina se sont assises à la terrasse d’un café, pour la première fois en quasi six mois. Les trois amies retraitées ne se sont pas vues depuis le début de l’épidémie en Argentine, et profitent de la réouverture des restaurants, bars et cafés de Buenos Aires, autorisés à servir en extérieur depuis le 31 août. « Tous ces mois sans voir mes proches, ç’a été très difficile, explique Cristina, qui remet son masque à peine son café terminé. Je n’osais pas ressortir, mais je crois qu’en prenant nos précautions ça va. »
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Le plaisir des petites habitudes retrouvées est modéré par l’inquiétude qui reste de mise, alors que l’Argentine, pourtant confinée depuis le 20 mars, traverse le pire moment de l’épidémie. Au 9 septembre, le pays avait recensé 10 658 morts du Covid-19 et plus de 512 000 cas. L’Argentine enregistre depuis le début du mois près de 11 000 cas par jour, et l’épidémie progresse dangereusement dans certaines provinces qui s’étaient déconfinées ces derniers mois.
« Ce n’est pas du tout le moment de lever les restrictions, alerte Javier Farina, infectiologue et membre du comité sanitaire consultatif du gouvernement, toutes les grandes villes enregistrent une hausse du nombre de cas. » C’est notamment le cas dans le Grand Buenos Aires (15 millions d’habitants, un tiers de la population argentine), la zone la plus touchée du pays par le coronavirus. Dans la province de Jujuy (nord-ouest), l’occupation des lits de soins intensifs frôle les 100 %. « Cela risque d’être le cas dans d’autres provinces si l’on continue d’avoir plus de 10 000 cas quotidiens », avertit le docteur Farina. Le personnel médical, à bout, implore les Argentins de ne sortir qu’en cas d’absolue nécessité.
Grave crise économique
Pourquoi, six mois après l’arrivée du virus dans le pays, l’Argentine n’a-t-elle toujours pas passé le pic de l’épidémie ? Les explications sont multiples, mais certains experts estiment notamment que l’occasion de contrôler l’épidémie au travers de tests et d’une traçabilité systématique – donnée par l’isolement obligatoire décrété dès le début de la pandémie avec seulement une centaine de cas positifs recensés – n’a pas été saisie.
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« La traçabilité mise en place dans les quartiers populaires, où il était impossible de respecter la distanciation sociale, a eu une certaine efficacité. Mais elle n’a pas été bien faite dans les autres secteurs de la société », critique le sociologue Daniel Feierstein, chercheur au Conseil national de recherche scientifique et technique. Le docteur Farina estime pour sa part que « les mesures de restriction prises tôt étaient nécessaires pour permettre à notre système de santé de mieux s’équiper », mais reconnaît que le nombre de tests réalisés (32 000 par million d’habitants contre 130 000 en France) est bas : « Ce n’est pas parce qu’il manque des tests. Les personnes qui ont des symptômes les minimisent souvent et ne consultent pas. »
« Le problème est commun à l’Amérique latine : il est difficile de faire face à une pandémie dans des sociétés présentant ce niveau d’inégalités », Daniel Feierstein, sociologue
Régulièrement qualifié de « plus long au monde », le confinement argentin a été assoupli à partir de juin dans les zones les plus touchées par le virus, et levé dans certaines provinces épargnées par l’épidémie. « Le confinement comme principale mesure de lutte contre l’épidémie n’était pas soutenable tant de temps, et la pression sociale et économique pour l’assouplir est devenue de plus en plus forte », indique Daniel Feierstein.
La pandémie est, de fait, un cauchemar supplémentaire pour ce pays qui traversait déjà une grave crise économique depuis deux ans. Les Argentins travaillant dans le secteur informel (40 % de la population active) ont été incités à limiter leurs déplacements par le gouvernement, qui a débloqué une aide d’urgence à leur intention, de 10 000 pesos (110 euros), versée à trois reprises. « Cela n’a pas suffi à les dissuader de sortir travailler, constate M. Feierstein. Le problème est commun à l’Amérique latine : il est difficile de faire face à une pandémie dans des sociétés présentant ce niveau d’inégalités. » Quatre Argentins sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, une proportion qui pourrait avoisiner les 50 % de la population à la fin de l’année, selon les estimations d’instituts privés.
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« Je ne sais pas quel avenir nous attend, je préfère ne pas y penser », lâche Mercedes, étudiante de 25 ans. Dimanche 6 septembre, elle s’était assise avec ses amies sur la pelouse d’un parc du centre de Buenos Aires pour boire un maté, infusion qui a pour tradition de se partager à travers le même récipient et la même paille. « Chacune a apporté son maté, bien sûr, même si ça nous fait bizarre. » Les réunions de moins de 10 personnes à l’air libre et dans les espaces publics sont de nouveau autorisées depuis le 31 août à Buenos Aires, pas dans sa banlieue.
Appel à un changement de communication
Dans un pays où la famille et le contact social sont importants, de nombreux Argentins avaient déjà commencé à se revoir clandestinement depuis des semaines. « C’est mieux d’offrir un cadre légal à ces réunions pour éviter que les gens le fassent à l’intérieur d’appartements », estime Carolina, étudiante.
Ces autorisations peuvent être annulées à tout moment si la situation devient hors de contrôle, a prévenu le président de centre gauche, Alberto Fernandez, dont la popularité, immense au début de la crise sanitaire, a nettement baissé. Sa bonne entente avec le maire de la capitale, Horacio Rodriguez Larreta, issu de l’opposition, achoppe justement sur ce sujet : la ville de Buenos Aires veut continuer d’avancer vers le déconfinement, le gouvernement y est réticent.
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Le sociologue Daniel Feierstein appelle les autorités à opérer un changement de communication :
« Devant le succès initial de la réponse à la crise sanitaire, le discours officiel a présenté l’Argentine comme un exemple dans le monde. Cette tranquillité apparente a entraîné un relâchement de la population. Voir au contraire un président préoccupé, qui explique la gravité de la situation, peut être utile pour que les gens sortent du déni. »
Aude Villiers-Moriamé(Buenos Aires, correspondante)
Voir aussi:
Covid-19: les mesures dans les différents pays (Argentine, Espagne, Suède) doivent être appréciées en fonction du contexte, mais pas toujours suivant la mortalité induite (Les décodeurs du Monde)
https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/12/01/4827/