En Suède revirement concernant l’accueil des étrangers: Stefan Löfven fait le lien entre l’« importance de l’immigration » et les « tensions » au sein de la société suédoise

En Suède, éviter à tout prix la « catastrophe » migratoire de 2015

Il y a cinq ans, le royaume scandinave avait accueilli 163 000 demandeurs d’asile. Aujourd’hui, une majorité des partis politiques veut restreindre les conditions d’accueil. 

Par Anne-Françoise Hivert  Publié le 23 novembre 2020 à 11h59

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Rinkeby-Kista, un quartier à forte population immigrée, à Stockholm,  le 28 avril 2020.
Rinkeby-Kista, un quartier à forte population immigrée, à Stockholm,  le 28 avril 2020. ANDRES KUDACKI / AP

A 21 ans, Sharif Omari ne rêve plus. Le jeune Afghan n’en a plus la force. S’il ne trouve pas un emploi avant décembre, son permis de séjour ne sera pas renouvelé. Il risque d’être renvoyé à Kaboul, où sa mère lui a fait promettre de ne jamais revenir, quand elle l’a fait partir en Iran, après la mort de son père. C’était en 2015Il avait 16 ans. « Tout à coup, les frontières se sont ouvertes, raconte le jeune homme. J’ai suivi ceux qui partaient vers l’Europe et je suis arrivé en Suède. »

Cette année-là, 163 000 demandeurs d’asile ont passé les frontières du royaume un record en Europe, pour ce petit pays de 10 millions d’habitants. Près d’un tiers des nouveaux arrivants sont syriens. Un quart vient d’Afghanistan. Parmi eux, de nombreux mineurs isolés, comme Sharif : 35 000 au total, dont deux sur trois sont d’origine afghane.

En écho au « wir schaffen das » (« nous y arriverons »), lancé par la chancelière allemande, Angela Merkel, le 31 août 2015, le premier ministre suédois, Stefan Löfven, insiste, à Stockholm : « Mon Europe ne construit pas des murs. » Des mots qui viennent le hanter aujourd’hui.

Car si, cinq ans plus tard, la chancelière allemande assure qu’elle prendrait « les mêmes décisions essentielles », Stefan Löfven veut tout faire « pour ne pas revenir à la situation de l’automne 2015 », comme il ne cesse de le répéter. Pour la première fois, le 9 septembre, le leader social-démocrate a même fait le lien entre l’« importance de l’immigration » et les « tensions » au sein de la société suédoise

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Ségrégation sociale

Dans le débat public, il n’est plus question que de l’échec de l’intégration : la ségrégation sociale, accentuée par le manque criant de logements ; le chômage des personnes nées à l’étranger trois fois supérieur à celui des Suédois d’origine ; la violence des gangs, implantés dans les quartiers à forte population immigrée…

Un des sujets politiques les plus sensibles du moment porte sur la réforme de la politique d’asile. Elle devrait pérenniser les mesures adoptées dans l’urgence, en 2016. Les titres de séjour permanents avaient alors été supprimés, l’asile humanitaire restreint et le regroupement familial limité. La droite conservatrice et l’extrême droite veulent aller encore plus loin et imposer des quotas.

« La Suède, qui était bien plus généreuse que la moyenne européenne avant 2015, est en train de s’aligner sur le niveau minimum, au point que nous soyons contents qu’il existe une législation européenne qui empêche de faire moins », constate Anna Lindblad, juriste auprès de l’ONG Asylrättscentrum. Elle dénonce une rhétorique qui « présente 2015 comme une catastrophe » et « diabolise les réfugiés ».

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Les associations s’inquiètent du sort de ceux dont la situation n’a toujours pas été régularisée. Sur les 163 000 personnes arrivées en 2015, 95 000 ont obtenu un titre de séjour. Zahra Hosseiny, son mari et leurs deux jeunes enfants ont été déboutés et auraient dû être renvoyés en Afghanistan. Ils ont fait appel : « Si nous avions su que cela prendrait aussi longtemps, nous ne serions jamais venus en Suède, souffle la jeune femme. Mais maintenant nos enfants parlent suédois et nos amis sont ici. »

Sharif Omari, lui, pensait avoir décroché une seconde chance, grâce à la « gymnasielagen », la « loi lycée » adoptée sous la pression des Verts en 2018. Elle devait permettre aux jeunes, arrivés comme mineurs isolés, de rester en Suède, à condition qu’ils suivent une formation. Ayant fait les frais des lenteurs bureaucratiques, beaucoup avaient atteint la majorité avant que leur dossier soit traité, réduisant drastiquement leurs chances de décrocher l’asile.

« J’ai l’impression d’être coincé »

Environ 7 000 lycéens ont ainsi obtenu un sursis. « Mais le dispositif est tellement compliqué que certains n’ont pas suivi la bonne formation et vont se retrouver sans aucun droit à la fin de leur parcours », se lamente Helena Wihlborg, directrice du projet Baba auprès de l’association caritative Stadsmission. Pour les autres, la pandémie de Covid-19 se dresse comme un nouvel obstacle vers l’asile. Car la loi exige de décrocher un contrat de travail de deux ans au minimum, dans les six mois suivant l’obtention du diplôme. « C’était déjà très compliqué avant la crise, remarque Helena Wihlborg. C’est désormais presque impossible. »

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Sharif Omari a terminé sa formation de soudeur en juin : « A cause de la pandémie, je n’ai pas pu faire mon stage. De toute façon, les patrons n’embauchent pas. » Il est désespéré : « Depuis que je suis arrivé en Suède, j’ai fait tout ce qu’on m’a demandé. J’ai appris la langue, je suis allé à l’école, j’ai même travaillé et payé des impôts. J’ai l’impression d’être coincé, comme en prison. C’est inhumain. »

Originaire d’Afghanistan, Rahim Ali, 21 ans, a jeté l’éponge en décembre 2019. Après quatre ans passés à Halmstad, dans le sud du pays, il est parti pour Paris. Placé en procédure Dublin, il a fait appel : « J’ai expliqué que je serais expulsé en Afghanistan si on me renvoyait en Suède. » Rahim a été autorisé à déposer une demande d’asile en France.

Comme lui, ils seraient 3 000 à avoir quitté la Suède pour tenter leur chance en France, selon Sara Brachet. Cette Suédoise, installée à Paris, a fondé l’association Les Amis des migrants suédophones en France. « Au printemps, ils ont eu du mal à voyager avec les restrictions liées au Covid, mais depuis la fin de l’été ils arrivent par dizaines », dit-elle. Preuve des incohérences du système européen : Sara Brachet assure que beaucoup d’entre eux obtiennent l’asile en France.

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En Suède, les ONG réclament une régularisation, sans y croire. Ancien vice-secrétaire général de l’ONU, Jan Eliasson les soutient. « A moins de trouver une solution, cette plaie béante va laisser de profondes marques dans la société »,affirme-t-il. Début octobre, une quinzaine de personnalités, dont l’ancien archevêque, ont porté plainte contre la Suède auprès du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, pour dénoncer le sort de ces jeunes.

Au printemps, les réfugiés ont commencé à partager leurs récits sur les réseaux sociaux, sous le hashtag « Jag är 2015 » (« je suis 2015 »). Le mouvement est né après que le parti conservateur a publié une photo de son leader, Ulf Kristersson, en tenue de chasse, sous laquelle était écrit : « La crise des réfugiés de 2015 ne doit plus jamais se reproduire. » A l’origine de la mobilisation, l’artiste iranienne Atoosa Farahmand a rassemblé 1 500 témoignages, qu’elle déposera bientôt au Parlement, à Stockholm.

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Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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