Une vaste étude confirme les risques de cancer encourus par les agriculteurs français
De nouveaux résultats du suivi de 180 000 éleveurs et cultivateurs dénombrent une proportion accrue de lymphomes, leucémies ou cancers de la prostate, notamment chez ceux exposés aux pesticides.
Par Stéphane Foucart Publié hier à 12h43, mis à jour à 11h41
Temps de Lecture 5 min.

Lymphomes, leucémies, mélanomes, tumeurs du système nerveux central ou cancers de la prostate : une grande part des activités agricoles comportent des risques accrus de développer certaines maladies chroniques. C’est le constat saillant du dernier bulletin de la cohorte Agrican, adressé mercredi 25 novembre aux 180 000 adhérents de la Mutuelle sociale agricole (MSA) enrôlés dans cette étude épidémiologique, la plus importante sur le sujet conduite dans le monde.
Plus d’une décennie après le lancement de ce travail de longue haleine, c’est le troisième bulletin publié par les chercheurs chargés du projet, et le premier à pouvoir associer finement des pathologies cancéreuses à certaines tâches et activités remplies par les agriculteurs, en production animale et végétale. Il se fonde sur plus d’une dizaine d’articles de recherche publiés au cours des dernières années dans la littérature scientifique internationale. Plus d’un million de personnes en activité en France, exploitants ou salariés d’exploitations, sont concernées.
Lire aussi * Pesticides : « On ne s’intéresse aux effets chroniques des expositions de long terme que depuis peu de temps »
Le premier constat est néanmoins que les membres de la cohorte ont un taux de mortalité plus faible de 25 % environ à la population générale. Un chiffre que les chercheurs invitent à considérer avec précaution, en raison du biais dit du « travailleur en bonne santé », bien connu des épidémiologistes. En effet, les cohortes de travailleurs comme Agrican rassemblent par construction des populations en situation de travailler, donc ne souffrant pas d’un certain nombre d’affections.
Autre constat, qui semble au premier abord contre-intuitif : celui d’une incidence légèrement moindre des cancers chez les agriculteurs par rapport à la population générale : respectivement 7 % et 5 % de cancers en moins chez les hommes et les femmes de la cohorte. « Attention : s’appuyer sur ces chiffres pour prétendre que les activités agricoles ne présentent aucun risque cancérogène est facile mais trompeur, car cela occulte le fait que les agriculteurs forment une population dont les habitudes et les conditions de vie sont différentes de la population générale, avec certains facteurs de risque moins fréquents, prévient l’épidémiologiste Pierre Lebailly, chercheur au Centre François-Baclesse (université de Caen, Inserm), initiateur et principal investigateur d’Agrican. En particulier, les agriculteurs ont une alimentation différente, ils sont moins sédentaires et fument moins que le reste de la population. » De même, ils ne sont pas exposés au même type de pollution atmosphérique que celle des grandes concentrations urbaines.
Six cancers plus fréquents
Sans surprise, ces caractéristiques sont illustrées par la sous-représentation de plusieurs cancers chez les agriculteurs : poumon, larynx, œsophage, foie, vessie, etc., dont une grande part sont liés au tabac ou à la sédentarité.
A l’inverse, plusieurs cancers du sang (lymphomes, myélomes), les cancers de la prostate, de la peau et des lèvres sont plus fréquents chez les agriculteurs. Au total, six cancers sont retrouvés en excès dans la cohorte, par rapport à la population générale, et quatorze y sont moins fréquents.
Lire aussi** Embarras autour d’un rapport explosif sur la nocivité des pesticides
Pour déterminer les risques liés à certaines activités ou à l’utilisation de pesticides, explique M. Lebailly, « il faut faire les comparaisons au sein de la cohorte, c’est-à-dire estimer les différences de probabilité de développer telle ou telle maladie entre les membres de la cohorte qui réalisent telle ou telle tâche, et ceux qui ne la réalisent pas ».
« Nous avons examiné treize cultures et cinq types d’élevages, résume l’épidémiologiste Isabelle Baldi (université de Bordeaux), co-investigatrice de la cohorte. Toutes sont associées à un surrisque d’au moins un cancer. » Parmi les maladies les plus représentatives du milieu agricole, les lymphomes non hodgkiniens, myélomes et certaines leucémies sont associées à un grand nombre d’activités : l’application d’antiparasitaires sur le bétail, l’enrobage des semences avant le semis, la pulvérisation de pesticides en champ et en arboriculture, ou encore la désinfection des bâtiments d’élevage. Ces résultats renforcent les éléments de preuve de l’impact sanitaire des pesticides sur leurs utilisateurs, les liens entre pesticides et hémopathies malignes étant déjà solidement établis. Plusieurs types de lymphomes sont considérés depuis 2015 comme maladies professionnelles pour les travailleurs au contact des pesticides et peuvent ainsi conduire à l’indemnisation des malades.
Lire aussi Glyphosate : le gouvernement renvoie la question de l’interdiction au niveau européen
L’application de pesticides en plein champ ou sur les arbres fruitiers, l’utilisation de produits antiparasitaires sur les bovins et les porcins sont également associées à un risque accru de cancer de la prostate. « Les arboriculteurs réalisant des traitements pesticides ou des récoltes sur plus de 25 hectares ont un doublement de risque » de voir survenir cette maladie, écrivent les chercheurs. Un point particulièrement préoccupant : le cancer de la prostate étant le plus fréquent chez l’homme, une telle élévation de risque produit un grand nombre de cas supplémentaires. Il n’est pas considéré comme une maladie professionnelle, bien que l’association mise en évidence par Agrican soit « cohérente avec le résultat de nombreuses autres études », écrivent les chercheurs.
Maladie de Parkinson
Bien moins banales, les tumeurs du cerveau et système nerveux central (gliomes et méningiomes) ne font pas partie des maladies surreprésentées en moyenne chez les agriculteurs par rapport à la population générale. Ils n’en restent pas moins associés à certaines activités. « Les analyses ont permis de montrer une association entre les tumeurs du système nerveux central et le travail au contact des porcs ou de certaines cultures, telles que le tournesol, les betteraves et les pommes de terre pour les méningiomes, et les prairies pour les gliomes, lit-on dans le bulletin. Elles ont également mis en évidence que les utilisateurs de pesticides avaient en moyenne deux fois plus de risque de développer une tumeur du système nerveux central que les autres participants de la cohorte. »
Lire aussi Agriculture : « Comprendre pourquoi l’usage de produits chimiques ne baisse pas » Ce n’est pas une surprise. Une vingtaine d’autres études épidémiologiques indiquent des associations entre pesticides et ces tumeurs, notent les chercheurs. La cohorte Agrican a permis d’affiner cette connaissance en isolant une famille de molécules utilisées depuis plusieurs décennies comme pesticides : les carbamates, qu’ils soient insecticides, fongicides ou herbicides, et dont l’un des principaux représentants, le mancozèbe, vient de perdre son autorisation en Europe. Les données d’Agrican suggèrent également que certains de ces produits sont aussi associés, de même que le diquat, le paraquat et la roténone, à la maladie de Parkinson. Celle-ci a d’ailleurs été classée, en 2012, comme maladie professionnelle des travailleurs au contact de pesticides.
Ces données permettent-elles d’estimer le fardeau des maladies attribuables au travail agricole ? Les chercheurs n’ont pas fait cet exercice délicat. Mais en janvier 2018, une mission de l’inspection générale des affaires sociales avait « librement extrapolé » les données d’Agrican à l’ensemble des personnes affiliées à la MSA. Elle avait conclu qu’au sein de cette population, 2 300 lymphomes non hodgkiniens et myélomes étaient imputables à une exposition aux pesticides. A partir d’autres données, la mission avait estimé que 9 000 à 10 000 cas de Parkinson, dans cette population, étaient également attribuables aux « phytos ».
*Pesticides : « On ne s’intéresse aux effets chroniques des expositions de long terme que depuis peu de temps »
Pour Jean-Noël Jouzel, chercheur au CNRS, l’étude des effets sanitaires des pesticides « n’a longtemps porté que sur les accidents de manipulation ou les effets liés à des intoxications aiguës ».
Propos recueillis par Stéphane Foucart Publié hier à 12h38
Jean-Noël Jouzel, chercheur (CNRS) au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po), est spécialiste des controverses sur la santé et l’environnement. Il a notamment travaillé sur les effets des pesticides sur la santé des travailleurs et des exploitants agricoles, et a participé à une mission d’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Il est l’auteur d’un récent ouvrage sur le sujet, Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait (Presses de Sciences Po, 2019).
Depuis quand s’intéresse-t-on aux effets sanitaires des pesticides sur les travailleurs agricoles ?
Depuis longtemps. Au milieu du XIXe siècle, en 1846, une ordonnance est publiée pour interdire l’utilisation de l’arsenic sur les cultures pour des raisons de santé. C’est donc une préoccupation ancienne, mais elle n’a longtemps porté que sur les accidents de manipulation ou les effets liés à des intoxications aiguës. On ne s’intéresse aux effets chroniques des expositions de long terme que depuis peu de temps. L’épidémiologie n’a vraiment commencé à se pencher sur la question que vers les années 1980, et le temps que les données arrivent et que les premiers résultats soient publiés, on peut dire que la connaissance ne remonte qu’aux années 1990, voire au début du XXIe siècle. Avec, dès ces premiers résultats, deux grands types de pathologies qui apparaissent liées à la manipulation de ces substances : la maladie de Parkinson et certaines hémopathies malignes.
Lire aussi Une vaste étude confirme les risques de cancer encourus par les agriculteurs français
Pourquoi la recherche a-t-elle tant tardé à se mettre en place sur cette thématique ?
D’abord, parce que les travailleurs agricoles ont toujours été considérés comme une population plutôt en bonne santé, avec moins de cancers que la population générale et une meilleure condition physique : pourquoi aller chercher là où il ne semble en apparence y avoir aucun problème ? On le voit d’ailleurs avec les derniers résultats d’Agrican : lorsqu’on en reste à des moyennes et des considérations générales sur l’exposition professionnelle aux pesticides, on ne voit que des élévations de risque assez modérées. Il faut affiner les analyses au niveau de chaque activité pour voir les effets plus nets apparaître, même si ceux-ci demeurent la plupart du temps inférieurs à ce que l’on peut voir en milieu industriel l’amiante étant le premier exemple qui vient à l’esprit.
Ensuite, les pesticides sont des produits réglementés, soumis à des procédures très codifiées d’autorisation de mise sur le marché. Cela laisse penser a priori que l’on maîtrise parfaitement les risques. Puisqu’un produit a été expertisé et autorisé, il est présumé ne pas représenter de risques particuliers : là encore, pourquoi aller chercher des problèmes là où il est censé ne pas y en avoir ! Les épidémiologistes français qui se sont lancés, dans les années 1990, dans l’étude des liens entre pesticides et santé des agriculteurs ont d’ailleurs parfois peiné à trouver des financements auprès des institutions concernées.
Lire aussi Glyphosate : le gouvernement renvoie la question de l’interdiction au niveau européen
Comment réagissent les autorités sanitaires à ce genre d’études qui, en quelque sorte, viennent les prendre en défaut ?
Pendant longtemps, il y a eu la tentation d’en relativiser la portée au motif que les mesures d’exposition utilisées par les épidémiologistes étaient peu précises. Il est matériellement impossible d’évaluer précisément l’exposition de dizaines de milliers de personnes, au cours du temps, à plusieurs centaines de produits différents ! On doit souvent se contenter de questionnaires, ou d’estimations approximatives, en fonction des activités réalisées. Jusqu’à un passé proche, les autorités sanitaires avaient beau jeu de disqualifier ce type d’études.
Mais depuis le milieu des années 2000 environ, leur discours a changé. D’abord, parce que les données s’accumulent, qu’elles sont cohérentes et qu’il n’est donc plus possible de les contester. Ensuite, parce que l’épidémiologie devient de plus en plus précise et capable de pointer du doigt, non plus « les pesticides » au sens large mais des molécules ou des familles de molécules. Du coup, cette connaissance accumulée devient utilisable par les autorités, qui peuvent éventuellement prendre des mesures ciblées de restriction ou d’interdiction de telle ou telle substance. Pour autant, cela pose aussi question : pour identifier ces effets au moyen de données épidémiologiques, il faut par définition attendre de nombreuses années que les dégâts commencent à apparaître.
Les études comme Agrican prennent-elles en compte les travailleurs les plus vulnérables, les saisonniers, les précaires, etc. ?
Avec ce type d’études, en milieu agricole comme dans l’industrie du nucléaire par exemple, il y a en effet le risque que la situation de certains personnels parmi les plus fragiles, qui sont exposés de manière intermittente ou brève, soit « invisibilisée ». Mais en l’occurrence, avec 180 000 personnes dans la cohorte, on peut raisonnablement penser qu’Agrican recouvre une très grande variété de situations. En outre, il faut reconnaître aux responsables d’Agrican d’avoir réussi, dès le milieu des années 2000, à caractériser l’exposition des travailleurs du secteur viticole qui entrent sur les parcelles après les épandages pour y accomplir un certain nombre de tâches. Ils ont montré que l’exposition de ces salariés, cumulée sur l’année, pouvait dépasser celles des opérateurs qui épandent les produits, et ce sans jamais avoir touché un bidon de pesticides.
**Embarras autour d’un rapport explosif sur la nocivité des pesticides
La publication d’une vaste expertise sur l’exposition des agriculteurs aux pesticides a suscité des tensions entre l’autorité sanitaire et les experts à l’origine du rapport.
Par Stéphane Foucart Publié le 27 juillet 2016 à 06h30 – Mis à jour le 27 juillet 2016 à 11h33

Ni communiqué ni conférence de presse. C’est pourtant un rapport singulièrement explosif que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié, lundi 25 juillet au soir, sur son site.
En sept volumes et près de 1 000 pages, il rassemble les connaissances disponibles sur l’exposition des travailleurs agricoles aux pesticides et montre notamment que les risques encourus par cette population de plus d’un million de personnes sont insuffisamment documentés et pris en compte dans le processus d’autorisation des insecticides, fongicides et autres herbicides. « Il est plausible que les informations colligées dans le texte permettent à des victimes d’attaquer l’Etat pour carence », dit un familier du dossier.
Les modalités de la publication ne sont donc pas allées de soi. Elles ont même suscité de vives tensions entre la direction de l’Anses et les experts mandatés pour établir le rapport, au point que l’arbitrage du Comité de déontologie de l’agence a été nécessaire. Courant juin, même si les grandes lignes du rapport avaient fuité (Le Monde du 23 juin), les organisations non gouvernementales (ONG) redoutaient que le texte ne soit jamais publié.
« L’Anses se lançait un défi à elle-même »
Que s’est-il passé ? En 2011, l’Anses s’autosaisit de la question brûlante de l’exposition des travailleurs agricoles aux pesticides. Ce faisant, décrypte un fin connaisseur de l’agence de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), « l’Anses se lançait un défi à elle-même, car il était clair que se pencher sur ce sujet conduirait inévitablement à interroger la manière dont les propres experts de l’Anses évaluent les risques de ces produits, avant qu’ils soient mis sur le marché ».
Quinze chercheurs de plusieurs disciplines (toxicologues, médecins, sociologues…), presque tous extérieurs à l’agence, sont alors sélectionnés. Et ils planchent, quatre années durant, sur le sujet.
Le rapport est finalisé début 2016 et officiellement présenté le 15 avril aux ministères de tutelles – santé, environnement, agriculture – de l’Anses, la publication officielle étant prévue pour le 1er juin. Jusqu’ici, tout va bien. Mais, quelques jours avant la date dite, les parties prenantes (ONG, industriels, etc.) sont informées que la restitution n’aura pas lieu et qu’elle est remise au 22 du même mois. Mais là encore, la réunion est annulée au dernier moment.
En cause, la brusque désolidarisation de deux des quinze experts du groupe. Le 13 juin, un bref texte d’une page, exprimant une opinion divergente, est adressé par Sonia Grimbuhler (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, Irstea) et Guy Milhaud (Ecole vétérinaire d’Alfort) à la direction de l’Anses.
Volte-face
Trait particulier des deux sécessionnistes : tous deux sont membres du comité d’experts spécialisé (CES) de l’Anses chargé d’évaluer les risques des pesticides préalablement à leur homologation… dont la pratique est précisément interrogée par le groupe d’experts.
La volte-face des deux scientifiques choque leurs pairs. « Tous les membres du groupe ont eu une totale liberté d’expression au cours des discussions et chacun a eu la possibilité d’exprimer d’éventuelles positions divergentes, témoigne Onil Samuel, toxicologue à l’Institut national de santé publique du Québec et seul membre du groupe à avoir accepté de s’exprimer. J’ai été très surpris, comme d’autres, de voir une opinion divergente surgir après la finalisation du rapport. »L’événement est inédit.
La direction de l’Anses envisage alors d’annexer la fameuse opinion minoritaire au document le plus important du processus d’expertise : l’avis de l’agence, texte d’une vingtaine de pages synthétisant le volumineux rapport.
Mais la présidente du groupe, Catherine Laurent (Institut national de la recherche agronomique, INRA), et la vice-présidente, Isabelle Baldi (université Bordeaux-II), s’y opposent et saisissent le comité de déontologie de l’agence. L’Anses fait de même, sollicitant à son tour le même comité… dont l’avis est publié au côté de celui de l’agence et du rapport proprement dit.
L’efficacité des équipements remise en cause
Les déontologues notent en substance que Mme Grimbuhler et M. Milhaud ont pu se sentir ostracisés au sein du collectif, mais ils valident les protestations du reste du groupe. « Nous estimons qu’annexer la position divergente à l’avis de l’agence lui aurait donné trop d’importance, dit le philosophe Pierre Le Coz, président du comité d’éthique de l’Anses. En revanche, sans juger de sa pertinence scientifique, nous estimons important qu’il en soit tenu compte, en l’annexant au rapport lui-même. On a vu dans le passé des scandales sanitaires rendus possibles par le fait que des avis minoritaires ne pouvaient pas s’exprimer au sein de collectifs d’experts : il faut donc trouver le moyen de les faire exister. »
Ce n’est pas tout : Mme Grimbuhler n’a pas consigné dans sa déclaration d’intérêts tous ses liens avec l’industrie des pesticides. L’une de ses collaborations avec l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) y est bel et bien mentionnée, mais, contactée par Le Monde, la chercheuse reconnaît avoir « omis d’indiquer le projet pédagogique Educ’risk », un logiciel développé en collaboration avec la société agrochimique BASF Agro, réalisé « dans le cadre de [s]es fonctions à l’Irstea ». Mardi 26 juillet, Mme Grimbuhler disait avoir rectifié sa déclaration d’intérêts, mais que celle-ci « ne sera disponible que dans quelques jours ».
Non missionné pour éplucher les déclarations d’intérêts, le comité de déontologie ne s’est pas précisément exprimé sur ce point. « Mais si cette omission est avérée, cela pose la question de la participation de l’experte au groupe de travail », dit M. Le Coz.
La question se pose d’autant plus que le fameux rapport et l’avis associé ne sont pas seuls en cause. Car pour compliquer encore l’affaire, l’Anses publiait le 13 juin, soit le jour même de l’envoi de l’opinion divergente, un autre avis sur le port d’équipements de protection lors de la « réentrée » des travailleurs agricoles dans les vignobles ou les vergers. Précisément l’un des aspects les plus embarrassants du rapport, qui remet en cause l’efficacité de ces équipements…
ONG en colère
Or cet avis du 13 juin, commandé en février par le ministère de l’agriculture, a été en partie rédigé par le comité ad hoc de l’Anses, dont sont membres MmeGrimbuhler et M. Milhaud, les deux scientifiques ayant soumis l’opinion divergente qui a retardé la publication du rapport.
L’avis précise aussi qu’« aucun lien ou conflit d’intérêts n’a été mis en évidence »parmi les experts : l’affirmation est démentie par la déclaration d’intérêts, même incomplète, de Mme Grimbuhler.
L’affaire n’est donc pas finie et certaines ONG parties prenantes sont furieuses. « Nous avons été invités le 1er septembre par l’Anses à une “réunion d’information” sur son avis et non à une restitution du rapport en présence des auteurs, fulmine Nadine Lauverjat, de l’association Générations futures. Or l’avis nous semble refléter assez mal certains points cruciaux du rapport… Tout cela, et ce qui a précédé, semble indiquer une volonté d’enterrer coûte que coûte ce texte. »
Lire aussi Agriculture : et si on produisait plus avec moins de pesticides et d’engrais