Les maires, très critiques de l’action du gouvernement dans la crise sanitaire
Une large majorité des édiles juge défavorablement la gestion de la crise due au Covid-19, selon une enquête réalisée par l’Observatoire de la démocratie de proximité et le Cevipof, la première depuis les municipales.
Par Patrick Roger Publié hier à 16h00, mis à jour hier à 20h14
Sur la voie de la réconciliation entre l’exécutif et les maires, il reste du chemin à parcourir. Selon l’enquête 2020 sur les maires de France réalisée par l’Observatoire de la démocratie de proximité, créé par l’Association des maires de France (AMF) et le Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, publiée vendredi 20 novembre, le jugement sur l’action du gouvernement vis-à-vis des collectivités territoriales reste très critique. Interrogés sur la note qu’ils lui accorderaient, les quelque 4 714 édiles ayant répondu au questionnaire – pour 34 888 maires mentionnés dans le Répertoire national des élus (RNE) – ne lui concèdent en moyenne que 7,9 sur 20 : à peine 38 % lui donnent 10 ou plus, contre 62 % qui le notent sous la moyenne.
C’est la troisième année consécutive que l’observatoire réalise cette enquête à l’occasion du congrès annuel de l’AMF, qui devait se tenir du 24 au 26 novembre mais a été reporté pour cause d’épidémie de Covid-19. Cette question n’avait pas été posée les fois précédentes mais elle donne une indication forte du climat de défiance qui persiste, malgré les efforts déployés par Emmanuel Macron et ses gouvernements pour se concilier leurs grâces.
Depuis la crise des « gilets jaunes », le président de la République n’a cessé de souligner le rôle essentiel des maires, ces « piliers de la République ». Une loi dite « engagement et proximité » est venue gommer les aspérités de la contestée loi NOTRe mise en œuvre sous le précédent quinquennat tout en offrant aux maires des protections supplémentaires dans l’exercice de leurs fonctions. Devant le dernier congrès de l’AMF, le 19 novembre 2019, il leur avait lancé un appel à l’« unité » et au « rassemblement ». La crise due au coronavirus n’a fait qu’exacerber cet impératif : le chef de l’Etat comme l’actuel premier ministre, Jean Castex, précédemment chargé de mettre en œuvre le plan de déconfinement, ont particulièrement insisté sur l’importance du couple maire-préfet dans la gestion de la crise.
« Manque de directives claires et cohérentes »
Le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Sur la gestion de la crise du Covid-19 elle-même, le sentiment des maires reste très mitigé : 39 % estiment avoir été très bien ou bien associés à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, contre 48,2 % qui pensent l’inverse (12,8 % des maires interrogés n’étaient pas aux responsabilités à ce moment-là, le second tour des élections municipales s’étant tenu le 28 juin). En tête, très largement, des reproches adressés à l’exécutif, le« manque de directives claires et cohérentes de la part de l’Etat », que 51 % des répondants ont coché parmi les trois réponses qu’ils pouvaient donner.

« Cette crise sanitaire, ses conséquences et les conditions inédites du déroulement du processus électoral resteront un marqueur profond pour cette génération d’élus, aussi bien pour les nouveaux que pour les anciens, note le président de l’AMF, François Baroin (Les Républicains, LR). Je pense particulièrement aux nouveaux élus pour qui cette entrée en matière aura une ombre portée sur les années qui viennent et formatera leur rapport à l’exercice de leurs responsabilités. »
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C’est une donnée importante de cette enquête : elle est la première réalisée après des élections municipales qui se sont tenues dans un contexte particulier marqué, notamment, par l’abstention de près de six électeurs sur dix. Le taux de renouvellement des maires a été de 39 %, un pourcentage équivalent à celui de 2014. A noter, cependant, que le renouvellement a été beaucoup plus important dans les petites communes que dans les grandes : 56 % des maires sortants ont été reconduits dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants, contre 69,5 % dans les communes de plus de 30 000 habitants. Parmi les 4 714 répondants au questionnaire, 45 % ont été élus maires pour la première fois en 2020 – soit un niveau légèrement supérieur à la moyenne nationale. 27,1 % ont déjà exercé un mandat, 13,6 % deux mandats, 14,3 % trois mandats ou plus. Lire aussi l’éditorial : Municipales 2020 : trois séismes dans un scrutin atypique
Selon les données du RNE, mis à jour en septembre, un cinquième des maires élues en 2020 (19,8 %) sont des femmes et l’âge moyen des maires s’établit à 59 ans. L’enquête du Cevipof permet d’établir un profil plus détaillé des élus de cette nouvelle mandature. En ce qui concerne le niveau d’études, un peu plus d’un quart des répondants (27 %) ont arrêté leur scolarité avant le baccalauréat, 16 % se sont arrêtés au bac et 57 % ont poursuivi après le bac. Près de la moitié des maires exercent une activité professionnelle, à temps plein (30,3 %) ou à temps partiel (15,3 %), 45,7 % sont retraités et 4,8 % ont dû arrêter leur activité à cause de leur mandat. Parmi ceux qui exercent une activité, 57 % sont dans le secteur privé et 39 % dans le public.

Différence notable entre réélus et nouveaux élus
A l’aune du renouvellement intervenu au printemps, il semble que la perception qu’ont les maires de leur propre mandat ait sensiblement évolué entre la précédente enquête, réalisée en fin de mandature, et celle-ci, intervenant en tout début de mandat. Ainsi, en 2019, 42,8 % des maires interrogés estimaient que leur mandat avait eu un impact négatif sur leur vie familiale et personnelle. Ils ne sont plus que 19,6 % à le penser à l’orée de cette mandature.
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Ces évolutions sont également perceptibles en réponse à d’autres affirmations portant sur leur expérience de maire. « Mon indemnité de maire est suffisante » : 56 % d’accord en 2020, contre 35,9 % en 2019. « En tant que maire, j’ai la reconnaissance des citoyens de ma commune » : 74 % d’accord, contre 69,2 % un an plus tôt. « Le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé » : 65 %, contre 77,1 %. « La politique locale n’intéresse pas mes administrés » : 35 %, contre 40,9 %.
De même, le regard des maires sur l’intercommunalité est plus positif en début de mandat. Quand 50,9 % estimaient en 2019 qu’elle fonctionnait bien, ce pourcentage monte à 57 % dans cette enquête et s’élève même à 60 % chez les nouveaux élus. Différences notables également entre maires réélus et nouveaux élus quant à la situation générale de leur commune. En effet, quelles que soient les tranches de population, on observe que, systématiquement, une majorité de maires réélus considèrent que la situation s’est améliorée au cours des cinq dernières années, alors qu’à l’inverse les nouveaux élus jugent qu’elle s’est détériorée. Ce qui laisse à penser que, sur ce point-là au moins, la perception qu’en ont les édiles ne tient pas seulement au jugement porté sur l’action du gouvernement vis-à-vis des collectivités.
S’il a été beaucoup question durant cette campagne municipale de la « démocratie participative », les élus en ont une conception assez arrêtée. Pour 62 % d’entre eux, « les citoyens devraient davantage participer à la conception des grandes décisions locales ». Toutefois, après cette période de consultation, seuls 40 % jugent « utile de vérifier par le vote s’il existe un consensus dans la population », tandis que, pour 81 % des répondants, « le rôle du maire est de savoir trancher et ne pas enfermer la décision dans de trop longues discussions ».
53 % des maires victimes d’incivilités
Enfin, il est à noter dans cette enquête une nouvelle entrée portant sur les incivilités, injures ou agressions auxquelles les élus ont pu être exposés dans leurs fonctions de maire. Plus de la moitié (53 %) dit avoir subi des incivilités (impolitesse, agressivité), 29 % des injures ou des insultes, 28 % des menaces verbales ou écrites et 20 % des attaques sur les réseaux sociaux. Ils sont 5 % à déclarer avoir été victimes d’agressions ou de violences physiques et 6 % d’atteintes à leurs biens personnels.
« Cette enquête montre que c’est vraiment le maire qui est l’objet des agressions verbales ou physiques. C’est sur lui, très majoritairement, que se concentrent toutes les formes d’animosités dans la sphère communale, constate M. Baroin. C’est aussi un marqueur fort de l’exercice des responsabilités aujourd’hui, notamment dans les communes les plus petites en taille. Je suis très attentif à cela car c’est profondément injuste pour des femmes et des hommes qui se dévouent pour les autres et la collectivité. »
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Par définition, ce sont en grande majorité des maires ayant déjà exercé ce mandat qui ont répondu à ces questions. Les primo-élus semblent moins préoccupés par cette situation. Cela se traduit par une évolution spectaculaire quand ils sont interrogés sur leur rapport aux autres. En 2019, à la question : « Diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ? », 65,8 % des maires disaient non ; les réponses positives sont aujourd’hui majoritaires (53 %). A l’inverse, quand il était demandé aux élus si « on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres », 56,8 % partageaient cet avis ; ils ne sont plus que 47 % cette année.
En début de mandat, l’enthousiasme et le volontarisme des maires n’ont pas encore été altérés. S’émousseront-ils avec le temps ? A vérifier.
