Covid-19 : la majorité des hôpitaux français en quête de soignants
En dépit des recrutements effectués cet été, la tension est forte sur les effectifs paramédicaux.

Si le pic de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 semble avoir été franchi en France, avec 32 300 patients hospitalisés selon les chiffres publiés jeudi 19 novembre, les hôpitaux n’en ont pas terminé avec leurs difficultés de recrutement de personnels soignants. Pour eux, tenir les prochains mois est un défi au moins aussi exigeant que celui posé par la brutale déferlante de mars.
« On sait qu’il va falloir tenir à un niveau très tendu jusqu’au printemps au moins, entre le Covid-19, la très forte probabilité d’une troisième vague, et aussi les infections hivernales qui arrivent… », explique Djillali Annane, chef du service réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches (Hauts-de-Seine), en se disant « résigné » sur le fait qu’« il n’y aura pas plus de renforts ».
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Des recrutements en hausse mais insuffisants
Depuis l’été, les hôpitaux se sont pourtant lancés dans de vastes opérations de recrutement. Mais, début octobre, 80 % d’entre eux se trouvaient toujours en « recherche active de renforcement de leurs effectifs », d’après l’enquête menée par la Fédération hospitalière de France (FHF) auprès de 300 structures. Une majorité se déclarait même « en difficulté » sur cette question des ressources humaines.
A l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), on reconnaît une « vraie amélioration des effectifs », dans la mesure où les emplois d’infirmiers ont progressé de 450 postes entre janvier et octobre. « Mais le Covid-19 demande deux à cinq fois plus d’effectifs par patient, ce qui nous oblige à faire appel à de nombreux renforts », souligne Pierre-Emmanuel Lecerf, directeur général adjoint du groupe.
A la mi-novembre, le CHU de Toulouse cherchait encore à recruter 150 infirmiers et aides-soignants. Et ce, malgré les quelque 1 770 recrutements intervenus depuis l’été qui, après le turnover habituel (départs, mutations, retraite), ont permis à l’établissement de tourner avec 173 agents supplémentaires par rapport à 2019.
Alors que le nombre de patients Covid-19 hospitalisés décroît doucement, « l’enjeu n’est plus seulement la réanimation, ce sont aussi les autres services de médecine conventionnelle qui accueillent de nombreux patients Covid, souligne André Weider, directeur des soins. Tout le monde est fatigué ; on a pu jusqu’ici donner leurs congés à tous les soignants, il faut préserver ceux de Noël, c’est très important ».
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Moins de mobilité interne
Lors de la première vague, le gouvernement avait pris la décision de déprogrammer, sur la France entière, l’ensemble des activités non urgentes dans tous les hôpitaux et cliniques. Ce recours à la déprogrammation massive avait permis que certains soignants, au « chômage technique », se portent volontaires ailleurs tout en redéployant des effectifs en interne.
Cet automne, la marge de manœuvre est plus étroite car la mesure n’est, cette fois, pas généralisée. La décision incombe en effet à chacune des agences régionales de santé (ARS) ; en Ile-de-France, par exemple, le pourcentage des déprogrammations s’élevait cette semaine à 34 %.
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Des renforts limités
Contrairement à la première vague, l’épidémie est, cette fois, répandue de manière plus homogène sur l’ensemble du territoire, rendant délicat le renfort de personnels en provenance d’autres départements.
« Au printemps, on avait eu la chance de voir arriver huit réanimateurs seniors : de Bretagne, de Nantes, de Bordeaux…, témoigne Yves Cohen, chef du service de réanimation à l’hôpital Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Aujourd’hui, on n’a pas cette aide, alors qu’on aurait besoin de quatre réanimateurs supplémentaires. » Durant la première vague, sur les 9 950 renforts venus soutenir l’AP-HP, 650 étaient issus d’autres régions, précise-t-on à la direction du groupe.
A l’échelle de l’Ile-de-France, plus de 30 000 renforts volontaires avaient été envoyés dans les établissements de santé et médico-sociaux, après s’être inscrits sur la plate-forme #Renforts-Covid lancée par l’ARS. Au 8 novembre, ils n’étaient que 300 à avoir été déployés, dont une majorité d’infirmiers et d’aides-soignants. Avec cette deuxième vague, la plate-forme nationale Renfort-RH du ministère de la santé a permis le recrutement de 3 500 personnes.
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Une tension accrue sur la réanimation
Dans les services de réanimation des régions les plus touchées, comme en Auvergne-Rhône-Alpes ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur, « la situation est plus tendue que lors de la première vague », témoigne Marc Leone, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Nord (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille [AP-HM]), à Marseille, dont le service est passé de 39 lits habituellement à 68. En avril, il avait pu maintenir un ratio de deux infirmiers pour quatre patients, jugé nécessaire pour ces malades du Covid-19. Cette fois-ci, il s’en tient au ratio réglementaire de « deux pour cinq ».
Ce sont encore 73 infirmiers et 22 aides-soignants que cherche à embaucher l’AP-HM, et ce malgré quelque 780 recrutements de personnels non médicaux intervenus depuis le 1er août.
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Des temps de formation trop courts
Emmanuel Macron a évoqué, le 28 octobre, le chiffre de 7 000 soignants formés à la réanimation depuis le printemps. Ce chiffre, qui provient d’une enquête auprès des établissements et des ARS, concerne à 80 % des paramédicaux et à 20 % des personnels médicaux, indique-t-on au ministère de la santé ; 1 500 de plus doivent l’être d’ici à la fin de l’année pour venir en soutien aux services de soins critiques.
Mais, pour des postes qui nécessitent, en temps normal, plusieurs mois de formation et une année pour être autonome, le défi reste entier. Dans la réanimation, où travaille l’infirmière Sabine Valera, à l’hôpital Nord de Marseille, de nouveaux infirmiers et aides-soignants arrivent tous les jours. Dans l’urgence, ils reçoivent une formation express : entre un et trois jours dans le service pour les aides-soignants, une à deux semaines pour les infirmiers. « Forcément, c’est insuffisant, reconnaît Mme Valera, par ailleurs présidente de la Fédération nationale des infirmiers de réanimation. Pour les nouveaux arrivants, c’est très anxiogène, mais pour les équipes en place, qui forment en permanence, c’est aussi très lourd en termes de charge mentale. »
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La réserve sanitaire toujours sollicitée
La réserve sanitaire, mise à contribution depuis la fin janvier, est toujours aussi sollicitée qu’au printemps. « Au déconfinement, le 11 mai, on dénombrait 11 853 jours de mobilisation. Au 13 novembre, nous en sommes à 41 500, précise Catherine Lemorton, responsable de la réserve au sein de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SPF). Il n’y a pas eu de creux entre la première vague et la deuxième. Quand l’épidémie dans la métropole s’est ralentie fin avril, les outre-mer ont pris le relais. »
A ce jour, 47 063 personnes sont recensées dans ce vivier de professionnels de santé (infirmiers, aides-soignants, médecins, etc.), contre 21 000 au début de la crise. Mais sur le terrain, le personnel mobilisé, comme lors de la première vague, reste relativement limité, une grande partie des inscrits étant déjà en poste par ailleurs : au 13 novembre, 177 réservistes sanitaires étaient déployés en Bourgogne-Franche-Comté, Corse, Guadeloupe, Guyane, Occitanie, Martinique, Polynésie française…
La réserve sanitaire fait aussi face à davantage de difficultés pour recruter. « Toutes professions confondues, j’ai reçu 82 réponses positives, indique Catherine Lemorton à propos de deux appels à volontaires lancés pour la semaine du 16 au 23 novembre. La première quinzaine d’avril, pour la même cible et le même type de missions, on montait facilement à 400 ou 500 réponses. »
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Des arrêts maladie en hausse
L’absentéisme fait partie des difficultés qui s’ajoutent en cette deuxième vague. D’après la FHF,, par rapport à 2019, les arrêts maladie ont crû chez les personnels non médicaux (infirmiers, aides-soignants, etc.) de 1 % en CHU et de 1,6 % en centre hospitalier, pour s’élever respectivement à 9,5 % et 10,6 %. Principalement en raison des contaminations au Covid-19, d’après la fédération.
Au CHU de Tours, ce taux est passé de 8,5 % à 9 %, soit un demi-point seulement. « Cela représente une quarantaine de postes, cela fait vite des trous dans les équipes, à un moment où nos besoins sont croissants », relève le responsable des ressources humaines du CHU de Tours, Samuel Rouget. A l’AP-HP, le taux a bondi d’un point entre janvier et aujourd’hui, où il s’élève à 9,09 %. Il atteint 13 % à l’AP-HM, contre 10 % en temps normal.
Commentaire Dr Jean Scheffer:
C’est bien sur indispensable de recruter des soignants dans les Hôpitaux et les Ehpad, mais si tel était le cas (improbable vu le manque d’attracivité dans ces établissements et la grande déception du Ségur de la santé), rien ne peut fonctionner en l’absence de médecins.
Hors, on n’ insiste pas assez sur le manque de médecins dans les hôpitaux (déserts hospitaliers avec 30 à 40% de postes vacants) et dans les Ehpad (manque de médecins coordinateurs). Une fois de plus la majorité actuelle, comme les précédentes de droite et de gauche, a refusé au parlement une régulation de l’installation des médecins. Proposition à nouveau avancée il y a peu par Jean Luc Mélenchon, avec comme d’habitude un tollé des jeunes médecins libéraux et internes en exercice.
En réalité, une simple régulation, aussi peu coercitive comme de refus de conventionnement en zone pourvue, est incapable de résoudre le manque de praticiens dans tous les secteurs: Hôpitaux (CHU, centres hospitaliers, hôpitaux psychiatriques), EHPAD, CMP, médecine scolaire et universitaire, PMI, médecine du travail…
La seule solution, c’est ce que je propose depuis au moins 5 ans, mais sans relais dans le pays, d’un « Clinicat-Assistanat pour tous », obligatoire de 3 ans en fin d’internat, que l’on peut possiblement partager entre établissements hospitaliers (CHU-CHG), mais aussi (Hôpital psychiatrique-CMP), mais aussi CHG – centres de santé ou maisons de santé, CHG et PMI ou médecine scolaire, universitaire…
Covid-19 : les ARS et Pôle emploi tentent de pallier la pénurie de personnel dans les Ehpad
Les maisons de retraite peinent à recruter des soignants alors que les besoins en personnels augmentent avec la mise en place de mesures plus strictes pour faire face à la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19.

« Nous avons besoin de renfort », a lancé Olivier Véran, le 27 septembre, appelant les soignants à venir combler les « postes ouverts, les postes financés, qui ne sont pas pourvus » dans les maisons de retraite. La pénurie chronique de personnels devient de plus en plus critique avec le rebond de l’épidémie de Covid-19. Le ministère des solidarités et de la santé cherche de nouveaux « leviers » pour pallier les manques d’effectifs. « Le recrutement de 20 000 personnes dès 2021 permettrait de soulager les effectifs sous-tensions et très éprouvés par la première vague du printemps mais aussi d’améliorer l’accompagnement des résidents », estime Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France.
« La première vague de l’épidémie a laissé des séquelles psychologiques et somatiques. Les équipes vivent un stress post-traumatique », explique Pascal Meyvaert, vice-président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendarntes (Ehpad).
Le mauvais moral des personnels se traduit par des arrêts de travail, des congés maladie, voire des démissions : « C’est inquiétant, reconnaît Romain Gizolme, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (ADPA). On a des salariés qui commencent à nous dire qu’il va falloir faire sans eux si une seconde vague épidémique arrive. » « Le sujet qui nous mobilise le plus est celui du renfort en ressources humaines », confirme Pierre Ricordeau, directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) Occitanie.
Volontaires peu nombreux
La situation est aussi tendue en raison des possibilités de renfort moindres qu’au printemps. Les nombreuses déprogrammations d’actes médicaux dans les hôpitaux avaient alors permis que des soignants disponibles viennent prêter main-forte aux Ehpad. Cette fois, les volontaires sont peu nombreux. Les bénévoles ne se manifestent guère.
Le besoin de recrutements est d’autant plus grand que les campagnes de tests de dépistage du Covid-19, les précautions d’hygiène liées au virus et les visites sur rendez-vous des familles sont chronophages dans les Ehpad. « Une dizaine de visites par jour impliquent que les équipes consacrent une heure cumulée pour prendre la température des familles, leur faire remplir la charte de bonne conduite, désinfecter les locaux après leur départ », calcule Gaëlle Guillerme, directrice d’un Ehpad appartenant au groupe Korian au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne). Une charge supplémentaire pour le personnel, sans qu’il soit « possible de recruter », dit-elle.
Outre la « réserve sanitaire » composée de professionnels volontaires mobilisables par le ministère de la santé, le gouvernement a créé au printemps une « plateforme d’intermédiation » baptisée « renfortrh » sur laquelle peuvent se connecter hôpitaux, Ehpad et professionnels de santé. Elle recense environ 4 000 personnes. Un chiffre encore insuffisant pour répondre à la demande.
Les besoins sont immenses mais les candidats ne se précipitent pas. Le ministère de la santé fait donc feu de tout bois. Le « plan de lutte contre l’épidémie » de Covid-19, diffusé jeudi 1er octobre, liste les « viviers à mobiliser au-delà des viviers habituels ». Parmi ceux-ci, figure le gisement des demandeurs d’emploi.
Directrice générale de la cohésion sociale au ministère, Virginie Lasserre a lancé un appel le 28 septembre, aux directeurs régionaux de Pôle emploi pour qu’ils travaillent en lien avec les ARS.
Image du métier abîmée
« Les métiers de la santé et du grand âge n’ont jamais été aussi prioritaires pour nous », affirme Aurélien Leroy, directeur de la stratégie à l’antenne Pôle emploi de Nouvelle-Aquitaine. Dans cette région, les offres d’emplois pour des postes d’infirmier, de « soins » ou « d’assistance auprès d’adultes » ont augmenté de 10 % par rapport à 2019.
Pour tenter de répondre à la demande, les services de Pôle emploi de Nouvelle-Aquitaine prévoient une cinquantaine de rencontres entre recruteurs et demandeurs d’emploi susceptibles d’être intéressés par les métiers du grand âge. En parallèle, les 300 aides-soignants inscrits à Pôle emploi qui ont indiqué vouloir changer de métier vont être reçus individuellement par les services de Pôle Emploi et encouragés à continuer d’exercer leur métier d’origine. L’agence régionale mise aussi sur une application en ligne, La Bonne Compétence Pro, commune à toutes les régions qui permet aux employeurs de recruter, avant la fin de leurs études, les élèves en écoles d’infirmières ou en institut de formation d’aides-soignants.
Mais le temps presse. « Nous avons des demandes du jour pour le lendemain de la part d’Ehpad touchés par le Covid », indique M. Leroy. Olivier Véran a beau vanter les hausses de salaires « historiques » promises au terme du Ségur de la santé aux salariés des Ehpad, le premier frein à l’embauche reste l’image du métier, encore abîmée par la crise sanitaire, responsable de plus de 14 800 morts en Ehpad depuis mars.
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