« II faut que le gouvernement commence dès maintenant à rassurer » (Antoine Bristielle – Sciences sociales)

« On ne peut pas balayer les antivaccins et les sceptiques en les réduisant au complotisme »

Pour Antoine Bristielle, professeur agrégé en sciences sociales, « il faut que le gouvernement commence dès maintenant à rassurer ». 

Propos recueillis par Lucie Soullier  Publié le 17 novembre 2020 à 03h25, mis à jour hier à 09h15

https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/17/antivaccins-on-ne-peut-pas-balayer-les-sceptiques-en-les-reduisant-au-complotisme_6059990_823448.html&xtor=EPR-33281106-%5Blettre_aux_abonnes%5D

Préparation d’un vaccin contre la grippe saisonnière à Gouzeaucourt (Nord), le 13 octobre.
Préparation d’un vaccin contre la grippe saisonnière à Gouzeaucourt (Nord), le 13 octobre. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Alors que l’hypothèse de la création d’un vaccin contre le Covid-19 semble de plus en plus se concrétiser après les annonces de Pfizer ou de Moderna, un autre défi se dessine : celui de faire accepter à la population, particulièrement en France, l’efficacité de la vaccination. Pour le professeur agrégé en sciences sociales Antoine Bristielle, « il faut que le gouvernement commence dès maintenant à rassurer ».

D’après l’enquête que vous avez menée pour la Fondation Jean-Jaurès, près d’une personne sur deux affirme qu’elle ne se ferait pas vacciner contre le Covid-19, ce qui place la France parmi les pays les plus défiants face à l’arrivée d’un potentiel vaccin…

https://jean-jaures.org/nos-productions/vaccins-la-piqure-de-defiance

En effet, 43 % de la population française n’accepterait pas de se faire vacciner contre le coronavirus, d’après notre étude. A titre de comparaison, c’est 7 points de plus qu’aux Etats-Unis, 12 de plus qu’en Allemagne ou encore 22 de plus qu’au Royaume-Uni.

Ce n’est pas nouveau, cela fait plusieurs années que la France est devenue un des pays d’Europe, voire du monde, les plus sceptiques à l’égard de la couverture vaccinale. On peut d’ailleurs dater la chute du consentement au vaccin au moment de l’épidémie de grippe H1N1. Les nombreuses polémiques lancées alors sur l’opportunité de la vaccination et la révélation de possibles conflits d’intérêts ont enrayé durablement la confiance des Français dans les vaccins.Lire l’enquête : La France et les épidémies : 2007-2010, l’apogée du principe de précaution

Quelles sont les raisons avancées par ceux qui n’iraient pas se faire vacciner ?

La majorité des « anti » évoque soit des doutes concernant l’efficacité d’un vaccin pour lequel nous n’aurions pas suffisamment de recul (63 %), soit la peur des effets secondaires de la vaccination (46 %). Deux craintes légitimes.

Si la question du vaccin est à l’évidence un terreau extrêmement fertile pour les complotistes, on ne peut pas balayer les sceptiques en les réduisant à cela. Une personne sur deux qui refuserait de se faire vacciner, c’est d’ailleurs une proportion bien supérieure à ce que les complotistes représentent dans la population. Il faut donc que le gouvernement commence dès maintenant à leur parler, à rassurer en expliquant les protocoles qui entourent les vaccins, les mécanismes de contrôle, etc. Ce n’est pas quand le vaccin sera disponible qu’il faudra faire des campagnes. C’est tout de suite.

Qui sont les plus réfractaires au vaccin, selon votre étude ?

Il y a un premier critère d’âge. Plus on est jeune, plus on est contre. Les plus défiants ont entre 25 et 34 ans : ils sont 52 % à refuser l’idée de se faire vacciner contre le Covid-19 dans cette catégorie d’âge, la seule où on dépasse les 50 %. Il y a également une différence significative de genre : les hommes se feraient vacciner à 65 % ; chez les femmes, c’est 50/50.

Sans compter une vraie polarisation chez les électeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, dont les discours sont les plus populistes – entendu comme une opposition entre un peuple considéré par essence comme vertueux et des élites jugées corrompues. Or différentes études montrent qu’il existe bel et bien un lien entre la défiance envers les institutions politiques et les institutions scientifiques, celles qui vont, en l’occurrence, promouvoir la vaccination.

Une défiance qui monte en flèche ces dernières années…

En effet, les enquêtes témoignent chaque année de la santé de plus en plus mauvaise de notre démocratie. Dans la dernière enquête « Fractures françaises » réalisée par Ipsos-Sopra Steria, pour Le Monde, le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, 29 % à peine des Français déclaraient avoir confiance dans les députés et dans les sénateurs, 36 % dans la présidence de la République et seulement 11 % dans les partis politiques.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Face à un monde en crises multiples, les Français sont en quête de protections

Pire : rien que depuis le début de l’épidémie, la confiance dans les scientifiques a baissé de 20 points, passant de près de 95 % à 75 %. La chute est vertigineuse. C’est assez inquiétant, parce qu’il est difficile de faire respecter une politique sanitaire s’il n’y a plus de confiance ni dans les politiques ni dans les scientifiques. Mon enquête montre d’ailleurs que la confiance dans les institutions a un impact énorme sur l’acceptation du vaccin.

Les réseaux sociaux sont également souvent pointés comme la caisse de résonance de cette défiance, et considérés comme responsables du développement des théories conspirationnistes associées au vaccin…

En effet, plus une personne va s’informer sur Internet et les réseaux sociaux, plus elle va avoir tendance à adhérer aux différentes théories conspirationnistes. Or la théorie complotiste à laquelle les Français adhèrent le plus est que « le gouvernement serait de mèche avec les laboratoires pharmaceutiques pour cacher la réalité sur la nocivité des vaccins » : 43 % de nos compatriotes approuvent cette croyance.

Sur les réseaux sociaux, les antivaccins sont très actifs et leurs thèses complotistes y sont amplement partagées. A titre de comparaison la principale chaîne antivaccin, celle de Thierry Casasnovas, comptabilise davantage d’abonnés que les chaînes YouTube de Mediapart, de CNews ou du Figaro… Mais je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il suffirait de réguler les réseaux sociaux pour résoudre le problème. Cela va bien au-delà.

Dans votre enquête, vous pointez justement la responsabilité des médias…

Dans une course à l’Audimat permanente, des chaînes d’information en continu et des radios se sont spécialisées dans la mise en scène de « débats » entre professionnels de la santé aux discours très clivants. Or s’il y a un impact des réseaux sociaux sur l’adhésion au complotisme, les médias classiques ont également une influence. Particulièrement la télévision. A niveau de diplôme, d’âge, de confiance dans les institutions égal, une personne qui s’informe par la télévision a tendance à davantage adhérer aux théories complotistes qu’une personne s’informant par la radio ou les journaux. C’est donc bien que quelque chose se joue sur certains plateaux.Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Retrouvez tous nos articles sur le coronavirus dans notre rubrique

Lucie SoullierContribuer

Voir aussi:

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/11/19/qui-sont-les-anti-vaccins-les-memes-que-les-anti-confinement-alors-on-est-mal-partis/

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/11/19/oppositions-au-masque-en-europe-complotistes-extremistes-ou-simples-septiques%e2%80%89/

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/11/13/lantivaccinisme-les-origines-de-cette-defiance-laurent-henri-vignaud-historien/

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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