Les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie
Ce film diffusé en ligne promet de raconter l’histoire secrète de l’épidémie. En réalité, il s’affranchit des faits à de multiples reprises.
Par Adrien Sénécat et Assma Maad Publié le 12 novembre 2020 à 20h45, mis à jour à 12h09
Temps de Lecture 12 min.

Le Covid-19 ne serait guère plus qu’une « grippette », les mesures sanitaires prises depuis le printemps n’auraient aucun sens et les citoyens du monde entier se seraient fait berner par une élite corrompue. Voilà, à gros traits, ce que prétend dévoiler le documentaire Hold-up, retour sur un chaos (disponible en version payante en ligne depuis mercredi 11 novembre), réalisé par Pierre Barnérias. Très attendu, il a recueilli plusieurs centaines de milliers d’euros de financement participatif, sa bande-annonce a déjà été vue plus de 400 000 fois sur YouTube et il est très largement partagé sur les réseaux sociaux. Vendredi matin, le film a été retiré de la plateforme Vimeo.
Pendant un peu plus de deux heures quarante, les auteurs prétendent raconter l’histoire secrète du Covid-19. Une ribambelle d’invités y défile, dont certains noms prestigieux comme l’ancien ministre de la santé français Philippe Douste-Blazy, qui a, cependant, pris ses distances avec le contenu du film.
Ce récit prospère sur plusieurs controverses bien réelles autour de la pandémie, comme les interrogations sur l’origine du virus, qui n’est toujours pas tranchée et les discours fluctuants des autorités sanitairessur l’utilité du port du masque. Mais loin d’approfondir ces débats, Hold-up multiplie les affirmations approximatives, voire complètement fausses. Nous en avons sélectionné sept exemples.
- Une remise en cause hâtive du confinement
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur l’hydroxychloroquine et le SRAS
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
- L’exemple enjolivé de la Suède
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
- Une remise en cause hâtive du confinement
Ce que dit le documentaire
Le film remet en question l’ensemble des mesures sanitaires prises en France et ailleurs pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Notamment dans cet extrait où il est question de chiffres, graphique à l’appui :

« Ces courbes appartiennent à l’Insee. Elles correspondent au nombre de morts total en 2018, 2019 et 2020 de mars à septembre. Le virus a donc particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe. »
POURQUOI C’EST FAUX
La première période de confinement en France a débuté le 17 mars. Et il est vrai que le nombre de décès à l’hôpital a augmenté dans les trois semaines qui ont suivi, pour atteindre son niveau le plus élevé.
Mais il est simpliste d’en conclure que le confinement n’aurait eu aucune utilité sur la propagation du virus. En effet, les conséquences d’une telle mesure ne peuvent être immédiates. Les patients qui décèdent à l’hôpital à une date donnée ont été contaminés en moyenne entre trois et quatre semaines plus tôt. Le « pic » de mortalité observé du 15 mars au 15 avril correspond donc à la circulation du virus très active avant la mi-mars, que le confinement avait justement vocation à arrêter. Des études ont d’ailleurs estimé que le nombre réel de cas de Covid-19 en France au mois de mars était des dizaines de fois supérieur au nombre de cas confirmés par les tests réalisés en faible nombre à l’époque.
Le taux de reproduction du virus dans la population (c’est-à-dire le nombre d’individus qu’une personne infectée contamine) a drastiquement baissé pendant le confinement du printemps, passant d’environ 3 à 0,7, selon les spécialistes. Si l’on peut critiquer les effets du confinement sur l’économie et la société, voire interroger sa part exacte dans la décrue de l’épidémie au printemps, les affirmations de Hold-up en la matière sont bien éloignées des faits.
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur la chloroquine et le SRAS
Ce que dit le documentaire
La controverse sur le recours à l’hydroxychloroquine est l’un des éléments centraux de Hold-up. Le documentaire défend la thèse selon laquelle il existerait un « acharnement » contre le protocole de Didier Raoult, pourtant jugé efficace par plusieurs intervenants comme Christian Perronne ou Philippe Douste-Blazy. Parmi les responsables désignés de cette cabale supposée, destinée à favoriser l’industrie pharmaceutique, figurent des médecins français, comme Karine Lacombe, mais aussi l’Américain Anthony Fauci.
Ce dernier est un expert en maladies infectieuses et le pilier de la « task force » mise en place par le gouvernement américain pour lutter contre le Covid-19. Dans le documentaire, il est accusé d’avoir changé son fusil d’épaule sur l’hydroxychloroquine : « Hier, il faisait la promotion de l’hydroxychloroquine dans une épidémie similaire. Aujourd’hui, il la combat. Pour quelles raisons ? »
POURQUOI C’EST INFONDÉ
Aux Etats-Unis, Anthony Fauci a été la cible de multiples théories complotistes, dès lors qu’il a, depuis le mois de mars, publiquement questionné l’efficacité de la chloroquine et de son dérivé, l’hydroxychloroquine, contre le Covid-19. L’idée selon laquelle il aurait, à cette occasion, défendu une ligne inverse à celle qui était la sienne, lors l’épidémie de SRAS, a circulé sur les réseaux sociaux anglophones, avant d’être reprise en France.
D’où vient cette rumeur ? Plusieurs sites de vérification américains ont repéré au printemps des publications virales affirmant que l’immunologue américain défendait l’efficacité de la chloroquine et l’hydroxychloroquine depuis 2005. Selon eux, des internautes ont déterré une étude de 2005 qui suggère que la chloroquine est « un puissant inhibiteur de l’infection et de la propagation » du SARS-CoV, responsable de l’épidémie de SRAS qui a sévi essentiellement en Chine entre 2002 et 2004.
Cette étude a été publiée par une revue scientifique, The Virology Journal, puis indexée par la Bibliothèque nationale de médecine des Instituts nationaux de la santé aux Etats-Unis. Anthony Fauci est directeur depuis 1984 de l’un d’entre eux : l’Institut national des allergies et maladies infectieuses. A ce titre, il n’aurait pas pu ignorer cette publication scientifique, et connaissait donc les effets bénéfiques de la chloroquine sur les coronavirus, selon la rumeur.
Or, cette présentation des faits est inexacte. D’une part, l’étude en question explique que la chloroquine a des propriétés antivirales dans le cadre de tests in vitro, à l’aide de cellules en culture. Mais l’expérience n’a pas été menée sur des malades du SRAS, elle ne prouve donc pas l’efficacité de la molécule sur les humains, comme l’a rappelé l’un des coauteurs de cette étude, interrogé en août par l’Agence France-Presse (AFP). D’autre part, le Virology Journal est une revue qui appartient à l’éditeur britannique scientifique BioMed Central. Elle n’a aucun lien avec les institutions gouvernementales sanitaires américaines ou avec le docteur Fauci, qui n’a lui-même pas pris position sur le sujet, à l’époque, à notre connaissance.
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
Ce que dit le documentaire
Le 22 mai, la revue scientifique The Lancet publiait une étude soulignant des effets délétères de la prise d’hydroxychloroquine chez les patients hospitalisés pour Covid-19. Mais cette publication a été rétractée le 4 juin, le journal jugeant que les données utilisées étaient sujettes à caution. L’affaire, rebaptisée « Lancetgate », a durablement entaché l’image de la revue.
Dans Hold-up, le médecin Christian Perronne va beaucoup plus loin. Selon lui, cette étude scientifique a eu des conséquences sanitaires désastreuses en dissuadant les médecins de prescrire l’hydroxychloroquine un peu partout dans le monde, notamment en Suisse et dans d’autres pays européens, en Asie et en Amérique. Après la publication, « on a vu un pic de mortalité pendant deux-trois semaines qui était l’effet Lancet, puisque les gens avaient arrêté de prescrire », affirme le professeur Perronne, qui assure aussi que la rétractation de l’article aurait permis de faire repartir la mortalité à la baisse.
POURQUOI C’EST FAUX
Compte tenu du délai entre la contamination et un éventuel décès, cela revient à étudier s’il y a pu avoir un pic de mortalité très ponctuel dans certains pays au cours du mois de juin. Or, aucun pic de mortalité n’a pu être observé entre fin mai et fin juin dans les pays comme la France, l’Italie, l’Espagne ou la Suisse, comme l’affirme Christian Perronne.
Quant aux pays plus durement touchés par l’épidémie à cette période, comme le Brésil ou le Chili, on n’y constate pas pour autant de pic de mortalité limité à quelques semaines qui pourrait suggérer un lien avec un arrêt de l’utilisation de tel ou tel traitement. Au niveau mondial, le nombre de morts était d’environ 4 000 par jour en moyenne en juin, contre environ 5 000 en mai et en juillet.
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
Ce que dit le documentaire
Pour évoquer le sort de « nos anciens, interdits d’hospitalisation pendant le confinement », corrélé au « nombre de morts a[yant] explosé dans les Ehpad », le documentaire tend le micro au pharmacien Serge Rader. Pour lui, l’autorisation par le gouvernement de la vente en pharmacie du médicament sédatif Rivotril est la porte ouverte à une légalisation de l’euthanasie des personnes âgées : « Non seulement on ne les a pas amenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement alors qu’ils étaient déjà en détresse respiratoire. »

POURQUOI C’EST FAUX
Cette accusation a déjà été portée auparavant par Serge Rader. Il n’est pas le seul : le député UDI Meyer Habib avait dénoncé sur son compte Twitterce « permis légal d’euthanasier en France », une allégation qui avait été reprise en nombre sur les réseaux sociaux.
Pourquoi une telle polémique ? Le gouvernement a adopté un décret le 28 mars donnant droit aux pharmacies d’officine de dispenser sous « forme injectable » le Rivotril aux patients atteints du Covid-19 ou susceptibles de l’être. L’objectif est « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation, ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise », expliquait la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF).
Cette facilité de prescription s’est donc justifiée par la volonté d’améliorer le confort d’un malade en fin de vie, hors du cadre hospitalier. Il ne s’agissait pas d’une injection létale, d’une euthanasie.
Cet amalgame a été dénoncé par Olivier Véran, qui a pointé des accusations « honteuses » début novembre : « On ne pouvait plus utiliser les médicaments de confort de fin de vie pour des gens qui allaient mourir, a expliqué le ministre de la santé. Il y avait deux options : ou on laissait les gens mourir d’agonie dans les Ehpad […], ou on les accompagnait pour les soulager avec un autre médicament qu’est le Rivotril, conforme aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. »
- L’exemple enjolivé de la Suède
Ce que dit le documentaire
Le cas spécifique de la Suède, qui a adopté une stratégie sanitaire atypique, est régulièrement cité dans le documentaire comme la preuve que le Covid-19 ne serait, finalement, pas très dangereux. C’est notamment ce qu’affirme Michael Levitt, lauréat en 2013 du prix Nobel de chimie :
« Ce que nous n’avons pas compris je pense, c’est que le coronavirus ne se développait pas très rapidement. D’une certaine manière, la Suède a décidé à la mi-mars de ne pas intervenir. […] Il est devenu assez clair début avril qu’ils avaient pris la bonne décision. C’était une merveilleuse expérience. »
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
Contrairement à bon nombre de pays, la Suède n’a pas édicté de mesure contraignante de confinement de la population. Mais le pays n’a pas adopté pour autant une posture de laisser-faire total vis-à-vis de l’épidémie. Simplement, beaucoup de mesures qui étaient des obligations ailleurs (par exemple, en matière de distanciation physique ou de limitation des rassemblements) s’y sont déclinées sous forme de recommandations, en misant sur le sens des responsabilités de la population.
Avec quelle efficacité ? Difficile, à ce stade, d’en juger. Mais, rapporté à la population du pays, le bilan humain de l’épidémie n’est pas négligeable : il est de 600 morts pour un million d’habitants au 12 novembre, ce qui est, certes, un peu moins que la France (635), mais beaucoup plus que chez les voisins finlandais (66) et norvégien (53). Le tableau est donc, en tout cas, bien moins idyllique que ne l’indique le documentaire.Lire aussi Covid-19 : la Suède, le Danemark et la Finlande ont-ils une « recette » pour mieux lutter contre l’épidémie ?
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
Ce que dit le documentaire
Parmi les preuves des supposées dérives de la lutte contre l’épidémie, le documentaire affirme que « ce virus va jusqu’à faire construire des futurs camps d’internement au Canada ». Suit alors l’extrait d’une intervention du député canadien Randy Hillier, un membre du parlement provincial de l’Ontario sur le sujet : « Où ces camps seront-ils construits ? Combien de personnes seront-elles détenues ? Et pour quelles raisons ces personnes seraient-elles gardées dans des camps d’isolement ? »
POURQUOI C’EST FAUX
L’intervention de Randy Hillier au parlement provincial a eu lieu le 7 octobre. D’après Radio Canada International, sa remarque portait au départ sur les « centres », qui sont généralement des chambres d’hôtel mises à disposition des personnes qui entrent sur le territoire canadien et n’ont pas d’autre endroit où effectuer leur isolement obligatoire de quatorze jours à leur arrivée sur le territoire. M. Hillier a alors demandé si les citoyens canadiens « devraient se préparer à des camps d’internement ».
Mais contrairement à ce que suggère ce parlementaire, le gouvernement canadien ne porte aucun projet de créer des « camps d’internement » de Canadiens. Le premier ministre, Justin Trudeau, y a lui-même répondu, dénonçant une campagne de « désinformation ».
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
Ce que dit le documentaire
Autre thèse avancée par le documentaire : un cercle d’initiés aurait eu connaissance de l’existence du coronavirus SARS-CoV-2 bien avant 2019. Jean-Bernard Fourtillan, un ancien professeur de chimie thérapeutique (par ailleurs mis en cause dans une affaire d’essais cliniques douteux), assure qu’il a récemment « découvert que l’on avait pris un brevet sur les tests pour détecter la maladie Covid-19 le 13 octobre 2015. Donc ils connaissaient le virus… » Le supposé brevet apparaît alors à l’image, comme une preuve de son affirmation.

POURQUOI C’EST FAUX
Le brevet évoqué dans le documentaire existe bel et bien, mais son origine et ses finalités ont été déformées par M. Fourtillan.
Il s’agit au départ d’un brevet déposé par Richard A. Rothschild aux Etats-Unis le 13 octobre 2015, lequel est consultable ici. Il y est question de systèmes d’analyses de données biométriques. A cette date, on n’y trouve aucune référence au Covid-19 ou à un coronavirus.
En revanche, M. Rothschild a formulé, depuis, plusieurs ajouts à ce brevet, comme l’y autorise le système américain de propriété intellectuelle. La dernière en date remonte au 17 mai 2020, et est intitulée « System and Method for Testing for COVID-19 ». Il y a donc bien, cette fois, un lien avec la pandémie actuelle, mais largement ultérieur aux prémices de celles-ci.
Si la rumeur a prospéré, c’est en fait à cause d’une confusion, involontaire ou pas, dans les dates mentionnées sur le brevet. La « Prioriteitsdatum »(date de priorité) mise en exergue dans le documentaire, qui est bien le 13 octobre 2015, est en fait la date de dépôt du brevet initial. La date de dépôt de la version actualisée du brevet est, elle, visible sous la mention « filing date » : il s’agit du 17 mai 2020.
« Hold-Up » : « Pour démonter ce documentaire, il faudrait des heures, des jours de travail »
par France Inter publié le 12 novembre 2020 à 16h56
Vous l’avez peut-être vu passer sur Twitter, Facebook, ou un message sur WhatsApp : un documentaire intitulé « Hold-Up », à la forme très travaillée, véritable compilation de thèses complotistes, qui mise sur sa viralité pour prendre de vitesse toute vérification. Explications avec le spécialiste Tristan Mendès France.

Ce documentaire est visible depuis le 11 novembre sur différentes plateformes, et prétend vouloir apporter éclairage différent sur la pandémie de Covid que nous traversons actuellement. Financé par des cagnottes en ligne, le film de près de trois heures rassemble une galaxie de sceptiques et d’experts en tout genre, attaquant vigoureusement les mesures prises contre la crise du Covid-19, jusqu’à l’explication finale d’un complot mondial dont la pandémie serait l’objet.
« On a les ingrédients classiques de toutes les productions complotistes qui ont fait surface en ligne ces derniers mois », décrypte Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’Université de Paris, spécialiste des cultures numériques et membre de l’Observatoire du conspirationnisme. Et sa diffusion rapide joue en sa faveur, en allant plus vite que le travail à faire pour le démonter point par point.
FRANCE INTER : Qui est derrière ce documentaire et comment a-t-il été financé ?
TRISTAN MENDÈS FRANCE : « Ce qui est intéressant avec ce documentaire, c’est qu’il a été essentiellement financé via les plateformes de financement participatif. Il a réussi à lever plusieurs centaines de milliers d’euros, ce qui est quelque chose d’assez inédit. Mais je n’ai pas beaucoup d’informations sur les producteurs ou le réalisateur.
Un point notable : son financement. Il a fait appel aux plateformes de financement participatif et a levé plus de 200.000e (!?). 182.000e sur Ullule et 28.000e par mois (?!) sur Tipeee. On n’insistera jamais assez sur l’effet de levier ahurissant que permettent ces sites. pic.twitter.com/JEVwQIuee7— Tristan Mendès France (@tristanmf) November 11, 2020
Reste que c’est essentiellement un documentaire complotiste qui explique, pour faire court, qu’il y aurait une sorte de complot des élites mondiales contre le peuple français et les peuples de différents pays. Toute la tonalité du documentaire repose sur un cumul de théories complotistes (qui ont pour la plupart été démontées), qui cherchent à créer une sorte de confusion dans les esprits en cherchant à remettre en cause l’expertise, les paroles d’autorité, le consensus scientifique autour de cette séquence du coronavirus qui nous touche tous. »
Il inclut tout de même les témoignages de personnalités connues, comme d’anciens ministres, des chercheurs…
« Ce qui est assez classique avec les productions complotistes en ligne, c’est d’essayer de mélanger les genres et d’avoir des personnalités d’horizons assez différents. C’est le cas de ce documentaire, qui interpelle ou qui interroge à la fois des complotistes totalement délirants et des personnalités publiques qui, le plus souvent, se font avoir, parce qu’elles ne savent pas quel est l’objectif du documentaire dans lequel ils sont. Dont Philippe Douste-Blazy, qui s’y exprime mais qui, probablement, ne savait pas forcément quelle était la destination finale de ce documentaire. »
Je n’ai pas vu ce film et s’il y a le moindre caractère complotiste, je veux dire le plus clairement possible que je m’en désolidarise. La crise sanitaire que nous traversons est suffisamment grave pour ne pas ajouter de la confusion aux moments douloureux que nous vivons.— Philippe Douste-Blazy (@pdousteblazy) November 11, 2020
Comment peut-on lutter contre ces thèses complotistes ?
« C’est extrêmement compliqué de démonter ce genre de documentaires, qui là dure 2h45 et utilise une modalité classique dans ce type de productions : le millefeuille argumentatif. Pour démonter ce documentaire, il faudrait des heures et des jours de travail. Certains s’y attellent mais, évidemment, le résultat sera publié après que le mal soit fait, c’est-à-dire après que cette vidéo ait été vue probablement des millions de fois en France et ailleurs.
La viralité de ces productions est inquiétante parce qu’une fois qu’on y a été exposé, si quelqu’un nous l’a partagé (via les réseaux sociaux, un proche, un ami, un membre de la famille qui a dit qu’il fallait le voir), cela va générer une confusion, un doute dans les esprits, notamment du fait de la qualité visuelle de cette production. Cette circulation virale, qui va au delà des cercles traditionnels, des complotistes et des extrémistes qui peuvent le relayer, touche un public extrêmement large. »
Ces films jouent pourtant toujours sur les même ressorts ?
« On a les ingrédients classiques de toutes les productions complotistes qui ont fait surface en ligne ces derniers mois. Remise en cause, évidemment, des médias. Charge contre le gouvernement. Vision fantasmée d’une élite mondiale ou d’un « big pharma » (le lobby pharmaceutique) qui, dans l’ombre, chercheraient à nuire à la population française et internationale, notamment les pauvres.
Tous les ressorts traditionnels sont activés dans ce documentaire et c’est quelque chose d’inquiétant parce que tout le monde va pouvoir y voir ses préjugés, va pouvoir y projeter ses propres inquiétudes, ses suspicions. Dans une période particulière de fragilité de notre démocratie, ce genre de productions peut avoir un écho, une résonance auprès de beaucoup de personnes inquiètes, mécontentes ou frustrées par la situation actuelle. »
FILM « HOLD-UP » : « LE COMPLOTISME CHERCHE À INSTILLER LE DOUTE », EXPLIQUE L’HISTORIENNE MARIE PELTIER
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-13-novembre-2020
« C’est une succession de clichés assez grossiers, un remake des poncifs complotistes de ces dernières années », estime l’historienne Marie Peltier à propos du film « Hold-Up », sorti jeudi, et qui laisse entendre qu’il existe un complot mondial dont la pandémie de Covid-19 serait l’objet.

« Le conspirationnisme se répand toujours à des degrés divers », explique l’historienne Marie Peltier, spécialiste de la question et autrice de plusieurs ouvrages sur le sujet (L’ère du complotisme : La maladie d’une société fracturée, Obsession : dans les coulisses du récit complotiste) alors que sortait jeudi un documentaire controversé, « Hold up », financé par des cagnottes en ligne, qui développe des théories complotistes autour de la gestion de la crise du Covid-19 et réunit une galaxie d’experts et sceptiques en tout genre. .
« Le documentaire ne dit pas explicitement que c’est une conspiration, il distille le doute sur une série des éléments, les masques, les vaccins, les mesures sanitaires. Pratiquement aucun conspirationniste ne dit explicitement qu’il y a un complot mondial, il va chercher à instiller le doute », décrit Marie Peltier. « C’est un condensé », poursuit-elle, s’étonnant toutefois de la « piètre qualité » du film. « C’est un bout à bout de clichés assez grossiers, un remake des poncifs de ces dernières années, ce n’est pas très subtil. »
CONSTRUCTION NARRATIVE
Dans les récits complotistes, « il y a une construction narrative qui est l’idée que derrière le récit des événements, il y a une mise en scène au service d’intérêts cachés. Cette structure narrative est vraiment la trame de ces théories du complot. (…) Il y a aussi un imaginaire de la défiance à l’égard de ce qui est perçu comme la parole du système. C’est l’idée de discréditer un système qui nous oppresse et traquer les indices de la vérité cachée ».

À lire – SOCIÉTÉ« Hold-Up » : « Pour démonter ce documentaire, il faudrait des heures, des jours de travail »
Ce discours s’appuie, selon l’historienne, sur les mesures perçues comme incohérentes depuis le début de la pandémie, « liées sans doute à de l’incompétence ou un manque de courage politique » alors que le conspirationnisme interprète ça « comme un signe du mensonge ».
Qui sont les porteurs de ce discours ? Cela va bien au-delà de quelques idéologues, insiste Marie Peltier. « On a, sur le web, une diffusion très large de cet imaginaire conspirationniste. A la fois de vrais idéologues profitent de la pandémie, mais il y a aussi le citoyen lambda qui va commencer à faire des ‘recherches’ et se construire sa propre version des événements. (…) Ça peut être vraiment tout le monde. Ce n’est pas seulement quelques personnes non éduquées, de telle ou telle origine. C’est inter-générationnel, c’est dans tous les milieux sociaux, y compris intellectuels. »
RECRUDESCENCE À CHAQUE TRAUMA
À chaque trauma collectif, il y a « une réactivation » de ce discours, dit Marie Peltier. « Presque à chaque attentat, il y a une recrudescence de cette parole. Elle vient offrir une lecture clé en main d’un événement traumatisant. Forcément beaucoup de gens peinent à comprendre ce qui arrive, or le politique a été peu cohérent face à la gravité de la situation. C’est ce qui donne naissance à ces contre-récits, qui prétendent apporter la vérité sur la situation. »
Face à ce type de discours, le plus important est « de quitter l’argumentation et la contre-argumentation pure », estime Marie Peltier. « Ça devient très vite contre-productif. Il s’agit de comprendre surtout pourquoi la personne adhère à ça, quelle est la colère, le sentiment qu’il y a derrière. C’est dans ce type de discussions fondamentales qu’on arrive à nouer un dialogue. »
COVID-19 : « LE DÉNI FACE À LA RÉALITÉ SANITAIRE, CONSÉQUENCE DIRECTE D’ANNÉES DE DÉSINFORMATION EN LIGNE »
TRIBUNE
Marie Peltier- Historienne
La frilosité des gouvernements à imposer de strictes mesures sanitaires ne tient pas seulement à leur souci pour l’économie. Elle s’explique aussi par leurs concessions au sentiment croissant de défiance envers toute parole d’autorité, juge Marie Peltier, spécialiste du complotisme, dans une tribune au « Monde ».
Publié le 04 novembre 2020 à 01h55 – Mis à jour le 04 novembre 2020 à 18h38 Temps de Lecture 4 min.

Tribune.
Le président Emmanuel Macron, le mercredi 28 octobre, puis le premier ministre, Jean Castex, le jeudi 29, ont annoncé un confinement partiel et limité dans le temps. Cette réaction timide face à la gravité du pic actuel de la pandémie de Covid-19 est à l’image de celle des gouvernements des autres pays européens. Depuis maintenant plusieurs semaines, les professionnels des soins de santé tirent la sonnette d’alarme sur le fait que nous courons collectivement à la catastrophe. Face à cela, le politique réagit par des mesures disparates et incohérentes, ce qui nourrit un sentiment d’absurdité déjà bien ancré chez les citoyens. Comment lutter contre le complotisme et la désinformation dans un contexte où le pouvoir politique lui-même est parfois hésitant devant la propagation d’arguments de moins en moins scientifiques et rationnels ?
Lire aussi : Covid-19 : la deuxième vague de l’épidémie en France pourrait être plus haute que la première
Depuis le début de la première vague de Covid-19, une évidence s’impose : la crise du récit collectif est plus que jamais palpable. Il semble que nous peinions chaque jour un peu plus à tenir un positionnement collectif et cohérent face à cette pandémie dont nous n’aurions pu imaginer, il y a quelques années encore, qu’elle pourrait nous frapper. Cette composante traumatique est essentielle à rappeler : nous oublions facilement que cette pandémie constitue un événement bouleversant, qui perturbe en profondeur notre rapport à autrui et au monde, et notre confiance en l’avenir.
Sur cette perte de repères, le conspirationnisme contemporain qui a gagné depuis vingt ans énormément de terrain au sein de nos sociétés joue pour beaucoup le rôle de « kit clés en main » : il propose des réponses préfabriquées, à la portée de tous, à des interrogations et des angoisses éminemment politiques et, plus encore, existentielles. Les phrases toutes faites qui circulent actuellement sur l’opportunité ou non du port du masque, sur la prétendue « immunité collective », sur la supposée « exagération » de la situation, sont en fait le fruit d’années de discours idéologiques qui ont progressivement fait du complotisme un réflexe mainstream, se répandant à des degrés divers et dans des milieux variés.
OPÉRATIONS DE COMMUNICATION UBUESQUES
C’est une grave erreur d’analyse de penser que le politique est immunisé contre ce type de réflexe. C’est une erreur tout aussi grossière de penser qu’il combat le conspirationnisme en faisant des « concessions » à cette sémantique et à cet imaginaire politique. Or, ce que nous observons, c’est que les frontières entre le positionnement conspirationniste et la parole qui prétend lui faire face sont de plus en plus poreuses. Aujourd’hui, la frilosité des gouvernements européens à imposer un nouveau confinement complet et d’une durée suffisante pour infléchir la courbe pandémique ne s’explique pas seulement par leur préoccupation pour les économies nationales, pour l’éducation ou pour la santé mentale de leurs concitoyens. Elle s’ancre également dans la défiance envers la parole d’autorité (dont la parole scientifique) qui a aujourd’hui gagné tout l’espace public.
Covid-19 : « L’usage à répétition de l’état d’urgence sanitaire sape la légitimité du Parlement »
On assiste ainsi à des opérations de communication de plus en plus ubuesques de la part de nos dirigeants politiques Tout se passe comme si ces responsables voulaient à tout prix ménager la chèvre et le chou : concéder certaines choses aux scientifiques et aux médecins, sans toutefois risquer de trop brusquer celles et ceux qui adhèrent en tout ou partie à des discours dits « alternatifs » remettant en question la gravité de la pandémie. Au risque d’hôpitaux saturés, de morts supplémentaires et, plus largement, de la non-protection des soignants et des personnes les plus fragiles au sein de nos sociétés.
Cette situation est consécutive à une longue séquence politique, qui s’est ouverte au début des années 2000 et qui a profité du « tout réseaux sociaux » caractéristique des années 2010. Cette séquence fut marquée par une confusion idéologique grandissante et par des postulats complotistes de plus en plus banalisés dans la sphère publique. Ces postulats, loin d’être le fait de quelques ignorants ou « égarés », sont aujourd’hui l’arrière-fond d’une sémantique largement partagée.
COMBAT POUR LES FAITS
Le déni face à la réalité sanitaire est une conséquence directe d’années de désinformation, spécialement en ligne, qui ont rendu possible un fait terriblement inquiétant : nous ne sommes plus capables de faire face collectivement à une menace directe et imminente pour la vie et la santé de nos concitoyens. Perdus dans nos postures et notre certitude de faire preuve d’« esprit critique », nous permettons en réalité à des discours de propagande hostiles à l’émancipation et à la démocratie de prendre le pas sur la santé publique et, donc, sur notre possibilité même de vivre en société à court et à long terme.
Lire aussi Covid-19 : « Le tissu social doit devenir notre allié, plus encore que lors de la première vague »
Le conspirationnisme est moins que jamais un problème de personnes non éduquées : il est aujourd’hui une arme politique qui est en train d’affaiblir durablement nos sociétés. Nous l’avons vu ailleurs dans le monde : cet imaginaire de la défiance peut aujourd’hui porter au pouvoir des dirigeants réactionnaires, égotiques, mythomanes et irresponsables. Ce combat pour les faits est aussi un combat pour la défense d’une vision et d’une certaine idée de la société : une société où nous ne laissons pas triompher des effets de posture ; une société à laquelle nous faisons suffisamment confiance pour lui permettre de nous protéger.
Marie Peltier est une historienne spécialiste du complotisme, enseignante à l’Institut supérieur de pédagogie Galilée de Bruxelles et autrice d’« Obsessions. Dans les coulisses du récit complotiste » (Inculte, 2018).
Marie Peltier(Historienne)
Un avis sur « Comment démonter « Hold-Up » »