Vaccin contre le coronavirus: le chemin vers un produit efficace, sûr et accessible reste semé d’obstacles

Essais cliniques, production, acheminement… Les six défis de la course au vaccin contre le Covid-19

Les annonces encourageantes des premiers résultats du candidat vaccin de Pfizer et BioNTech suscitent beaucoup d’espoir, mais le chemin vers un produit efficace, sûr et accessible reste semé d’obstacles. 

Par Chloé Hecketsweiler et Chloé Aeberhardt  Publié aujourd’hui à 18h56, mis à jour à 20h36

https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/11/13/essais-cliniques-production-acheminement-les-six-defis-de-la-course-au-vaccin-contre-le-covid-19_6059676_1651302.html

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Dans l’usine de Catalent à Anagni, au sud-est de Rome, le 11 septembre, des techniciens de laboratoire réalisent des tests de remplissage pour la production d’un vaccin contre le Covid-19.
Dans l’usine de Catalent à Anagni, au sud-est de Rome, le 11 septembre, des techniciens de laboratoire réalisent des tests de remplissage pour la production d’un vaccin contre le Covid-19. VINCENZO PINTO / AFP

La course au vaccin contre le Covid-19 s’accélère. Le 9 novembre, le géant pharmaceutique américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech ont annoncé que leur candidat vaccin était efficace à plus de 90 %. La biotech Moderna devrait, elle aussi, communiquer ses résultats intermédiaires d’ici à quelques jours. Selon l’OMS, 48 vaccins sont actuellement en phase d’essais cliniques, dont onze en phase 3, la dernière avant la mise sur le marché. Mais il ne suffit pas d’avoir trouvé un vaccin efficace pour protéger la population. D’autres étapes restent à franchir, et elles sont semées d’embûches.

1. Trouver le vaccin

Dès le mois de janvier, quelques jours seulement après la publication par la Chine de la séquence du SARS-CoV-2, plusieurs équipes de chercheurs se sont mises en quête d’un vaccin. Des universités (Oxford au Royaume-Uni, Queensland en Australie) et des start-up se sont lancées dans la course avant d’être très vite rejointes par les géants pharmaceutiques mondiaux : les américains Pfizer, Johnson & Johnson et Merck, les britanniques AstraZeneca et GSK, le français Sanofi.

Aujourd’hui, une multitude de technologies sont en lice : des vaccins classiques fabriqués à partir d’un virus vivant atténué, des vaccins conçus à partir de virus bien connus (rougeole, adénovirus…) génétiquement modifiés pour exprimer certaines caractéristiques du SARS-CoV-2, ou encore des vaccins élaborés à partir d’un fragment du code génétique du virus (ARN ou ADN). Aucun vaccin appartenant à cette dernière catégorie n’a jamais été approuvé chez l’homme.

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Les vaccins à ARN de l’allemand BioNTech – allié à Pfizer – et de l’américain Moderna sont les plus avancés. Pour évaluer l’efficacité de leurs candidats vaccins, ces firmes ont lancé, le 27 juillet, deux essais cliniques de grande ampleur (de phase 3), avec l’objectif de vacciner plusieurs dizaines de milliers de patients. Le 9 novembre, l’alliance BioNTech-Pfizer a été la première à annoncer des résultats : selon les premières données, son vaccin serait « efficace à 90 % », ce qui signifie qu’on observe chez les personnes vaccinées, 90 % de cas de Covid-19 en moins que chez les personnes non vaccinées. Moderna n’est pas loin derrière et pourrait communiquer ses premiers résultats dès la semaine prochaine.

Il faudra patienter davantage pour avoir une idée de l’efficacité des vaccins utilisant un « vecteur viral ». AstraZeneca, allié à l’université d’Oxford, prévoit d’annoncer les résultats d’efficacité de ses phases 2/3 « plus tard cette année »,tandis que Johnson & Johnson espère disposer de résultats intermédiaires début 2021.

2. Obtenir l’autorisation de mise sur le marché

Pfizer et BioNTech entendent demander une autorisation d’utilisation d’urgence (Emergency use authorization) à la Food and Drug Administration américaine (FDA) d’ici à la fin novembre. Cette procédure permet l’utilisation anticipée de médicaments sur la base de données d’efficacité et de sécurité plus limitées que dans le cas d’une autorisation de mise sur le marché classique. Dans le cas d’un vaccin, l’agence de santé américaine exige un minimum de deux mois de recul après l’administration de la seconde dose pour au moins la moitié des participants de l’essai clinique. Ce délai permet de détecter une grande partie des effets indésirables liés à la vaccination, car ils apparaissent rarement au-delà de six à huit semaines. Les autorités américaines ont, en outre, fixé un seuil minimal de 50 % d’efficacité.

En Europe, les laboratoires peuvent soumettre une demande d’autorisation conditionnelle, fondée sur des données moins complètes que pour une autorisation classique. Ils sont ensuite tenus de compléter leur dossier et de collecter un certain nombre de données de surveillance. L’Europe a indiqué qu’elle accepterait d’examiner des vaccins dont l’efficacité serait inférieure à 50 %. « Même s’il n’est efficace qu’à 40 %, un vaccin peut contribuer à ralentir l’épidémie et à sauver des vies », souligne Stéphane Bancel, le PDG de Moderna. « Après, deux questions éthiques se posent : s’il existe un vaccin efficace à 90 %, est-il acceptable d’utiliser aussi des vaccins moins bons ? Et ne risque-t-on pas de donner un faux sentiment de sécurité aux personnes vaccinées ? », interroge le dirigeant, selon qui les autorités, de part et d’autre de l’Atlantique, pourraient modifier leurs exigences à partir du moment où plusieurs vaccins à l’efficacité élevée seraient disponibles.

Si certains s’inquiètent qu’on aille « trop vite », de nombreux experts estiment qu’il n’est pas possible d’attendre davantage. « Plus nous attendons, plus l’épidémie s’aggrave », estime Amesh Adalja, spécialiste des maladies infectieuses émergentes à l’université Johns Hopkins aux Etats-Unis. « Ces autorisations d’urgence ont déjà été utilisées dans d’autres situations d’urgence, comme la grippe H1N1 ou l’épidémie d’Ebola », rappelle-t-il.

3. Produire le vaccin

Pfizer et son partenaire BioNTech se sont engagés à fabriquer 1,3 milliard de doses l’année prochaine, Moderna entre 500 millions et 1 milliard, le tandem Sanofi-GSK 1 milliard… Comment produire à si grande échelle et en si peu de temps ? Les laboratoires les plus avancés ont tous choisi de produire « à risque », c’est-à-dire de fabriquer leur vaccin avant même de savoir s’il était efficace.

Pfizer a sélectionné quatre sites de production maison – trois aux Etats-Unis et un à Puurs, en Belgique –, auxquels est venu s’ajouter un site allemand de BioNTech. Sanofi aussi mobilise son réseau – « pas seulement les sites qui produisent habituellement des vaccins »« On utilise l’espace disponible dans certains sites et on investit en outillage pour équiper les lignes existantes. » Certaines activités du site de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où s’effectuera la fabrication de l’antigène, seront suspendues pour assurer une production maximale. Des plans d’embauche sont à l’étude, ainsi que des changements d’affectation.

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La tâche est plus ardue pour les start-up ou certains laboratoires moins présents sur le marché du vaccin. Moderna a signé, en mai, un contrat avec le façonnier suisse Lonza pour la production d’un milliard de doses. Pour tenir sa promesse d’un milliard de doses par an, l’américain Johnson & Johnson a, de son côté, dû développer de nouvelles capacités de production aux Etats-Unis, et s’est associé à plusieurs sous-traitants à travers le monde, comme Vibalogics, en Allemagne, ou Catalent, en Italie et aux Etats-Unis. A chacun sa stratégie et ses astuces : pour limiter les volumes, et pallier d’éventuelles tensions d’approvisionnement en verre, certains fabricants optent pour des flacons multidoses (dix, pour Moderna) plutôt que pour des flacons individuels.

4. Le vendre

La communauté internationale a beau considérer le futur vaccin comme « un bien public mondial », chaque fabricant est libre de fixer le prix de son produit. Certains assument des tarifs élevés : le montant actuellement discuté par Pfizer-BioNTech avec le gouvernement américain est établi à 16,50 euros la dose, soit 33 euros le vaccin. Moderna a fixé plusieurs paliers de prix selon le nombre de doses commandées, avec une fourchette comprise entre 21 et 31 euros. D’autres comme AstraZeneca et Johnson & Johnson s’engagent à vendre leur vaccin à prix coûtant – environ 2,50 euros la dose pour celui d’AstraZeneca (5 euros le vaccin).

Les fabricants passent des contrats de précommandes soit directement avec des gouvernements nationaux, soit avec des groupements d’Etats, comme la Commission européenne, qui procède à des achats mutualisés de doses, qui seront ensuite réparties entre les différents pays de l’Union. A ce jour, la Commission a finalisé des accords avec Pfizer-BioNTech, AstraZeneca, Johnson & Johnson et Sanofi-GSK (dont la phase 3 devrait commencer en décembre) pour un total de 1,4 milliard de doses, et est en train d’en conclure avec Moderna et l’allemand CureVac (en essais de phase 2).

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En septembre déjà, l’ONG Oxfam estimait que les pays riches, représentant seulement 13 % de la population mondiale, avaient mis la main sur plus de la moitié (51 %) des doses des principaux vaccins à l’étude. C’est pour éviter cette monopolisation que l’OMS a lancé, en avril, un dispositif, « l’Accélérateur ACT », censé faciliter l’accès de tous aux outils de lutte contre le Covid-19 (vaccins, traitements, diagnostics). Pilier de ce dispositif, la plate-forme de financement Covax pilotée par l’OMS est chargée d’acheter et de répartir équitablement 2 milliards de doses de vaccin d’ici à fin 2021. A l’occasion du Forum de Paris sur la paix, le 12 novembre, une enveloppe de plus de 500 millions de dollars a été mise sur la table, notamment par la France, l’Espagne et la Commission européenne. La fondation Bill et Melinda Gates a annoncé un nouvel engagement de 70 millions de dollars. Mais 28,5 milliards de dollars manquent encore à l’appel, dont « un besoin immédiat d’urgence de 4,5 milliards si l’on veut maintenir la dynamique », a souligné le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

5. L’acheminer

Comme si mettre à disposition des milliards de doses à des milliards d’individus en même temps, et aux quatre coins de la planète, ne représentait pas un défi logistique assez grand, les vaccins à ARN-messager, qui sont parmi les plus avancés, imposent des contraintes supplémentaires en termes de respect de la chaîne du froid. Celui de Pfizer-BioNTech, en particulier, se conserve à -70 °C, dans des congélateurs spécifiques dont le prix à l’unité se situe autour de 10 000 euros. « Le médecin de ville n’a pas ce type de congélateur, la pharmacie du coin non plus, précise le directeur scientifique de l’Institut Pasteur, Christophe d’Enfert. C’est déjà un problème logistique pour les pays développés, alors pour les pays en développement… » Pour maintenir les conditions de stockage requises pendant le transport, Pfizer a conçu un contenant thermique utilisant de la glace sèche, et pouvant contenir entre 1 000 et 5 000 doses. Une fois livrées sur le site de vaccination, les doses pourront être stockées quinze jours dans leur contenant d’origine (qu’il faudra recharger en glace au bout de dix jours), six mois dans un congélateur à très basse température, ou cinq jours dans un réfrigérateur ordinaire, de 2 °C à 8 °C. Dans ces conditions, les structures de santé ont-elles plutôt intérêt à investir dans des super-congélateurs, à gérer la logistique sans, ou à parier sur d’autres vaccins ?A

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Moderna a, de ce point de vue, un avantage sur son principal concurrent : son vaccin se conserve dans des congélateurs « standards » à -20 °C, voire dans un réfrigérateur à condition d’être utilisé dans les deux semaines qui suivent. Les vaccins traditionnels devraient être encore plus simples à acheminer. Produit pour l’Europe sur différents sites français, allemands et italiens, le vaccin recombinant de Sanofi-GSK pourra par exemple être stocké entre 2 °C et 8 °C.

6. Vacciner la population

Même avec un calendrier très accéléré, les vaccins pourraient ne pas être disponibles pour l’ensemble de la population « avant au moins un an, dans le meilleur des cas », selon Amesh Adalja, spécialiste des maladies infectieuses émergentes à l’université Johns Hopkins, aux Etats-Unis. « Même pour les personnes à risques et les soignants, il faudra attendre des mois. » « Il va falloir du temps avant que ce vaccin ait un impact, et d’ici là, nous devons rester très vigilants afin que les hôpitaux ne craquent pas », insiste-t-il.

Qui, en France, se fera vacciner ? Quand, où, et par qui ? Le gouvernement n’a pas encore communiqué de calendrier sur la campagne de vaccination, mais la Haute Autorité de santé (HAS) a déjà proposé plusieurs scénarios et émis des premières recommandations. Selon elle, le vaccin ne devrait pas être rendu obligatoire, au moins dans un premier temps. Le 9 novembre, elle a lancé une consultation publique sur ses premières recommandations, afin de recueillir des opinions et des avis complémentaires.

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Selon un sondage Ipsos publié le 5 novembre, les Français interrogés ne seraient que 54 % à accepter de se faire vacciner si un vaccin était disponible. Une défiance bien connue, sans doute amplifiée par l’interruption des essais cliniques d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson après l’apparition de maladies inexpliquées parmi certains participants (les essais ont repris depuis). « Je trouve pourtant ces interruptions rassurantes », estime Christophe d’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur. « Cela montre qu’il existe une surveillance très forte des protocoles. On ne joue pas avec les volontaires, et on ne jouera pas avec la santé des personnes une fois lancée la vaccination. » Plus sceptique, Els Torreele, chercheuse en santé publique et ancienne directrice de la campagne Accès aux médicaments de Médecins sans frontières, craint que la qualité de ces vaccins développés dans l’urgence ne soit pas assez bonne pour restaurer la confiance. « Les vaccins aujourd’hui les plus avancés diminuent les symptômes, mais n’empêchent pas forcément la transmission du virus. Que va-t-on dire aux gens vaccinés qui tomberont malades quand même ? Seront-ils prêts à entendre que le virus circulant toujours, ils devront continuer à porter un masque ? J’ai peur qu’à vouloir aller trop vite, les laboratoires développent des vaccins médiocres. » Et précipitent la rupture avec le public.

Chloé Hecketsweiler et  Chloé Aeberhardt

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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