Arnaud Chiche, l’anesthésiste de Tourcoing en réveille le monde des soignants
Fort de ses 193 000 abonnés sur Facebook, le créateur du collectif Santé en danger se veut le porte-voix des personnels hospitaliers en colère. Mais son hypermédiatisation et son intransigeance lui attirent des critiques.
Par Laurie Moniez Publié aujourd’hui à 14h06, mis à jour à 16h24

Il parle fort, les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, et dénonce avec un débit mitraillette l’état calamiteux des hôpitaaux français et la détresse des soignants. Dans son bureau de la polyclinique d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Arnaud Chiche, médecin anésthésiste-réanimateur enchaîne les visioconférences avec des députés, les « live » avec ses 193 000 abonnés sur Facebook et les interviews avec CNews ou « Les Grandes Gueules », sur RMC.
Son smartphone a remplacé son stéthoscope. Arnaud Chiche ne dort plus que trois heures par jour. Et ça se voit. « Je mets ma vie familiale de côté depuis trois mois pour pouvoir vous aider à trouver des solutions et nous faire entendre, lance-t-il à deux députés du Cher, en “conf call” avec lui ce vendredi soir. L’hôpital ne va plus pouvoir faire face. On a déjà deux soignants décédés du Covid pendant cette deuxième vague ! »
« C’est un garçon assez sympathique, mais il est allumé. » Mathias Wargon, médecin urgentiste
Le médecin multiplie les interventions publiques pour défendre la parole des soignants, tout en continuant son métier d’anesthésiste dans un établissement privé à but non lucratif mais aussi des gardes en service mobile d’urgence et de réanimation et aux urgences du centre hospitalier de Tourcoing, où il a exercé pendant douze ans.
A 45 ans, ce père de trois enfants, jamais syndiqué, jamais engagé politiquement, se sent investi d’une « mission ». L’homme a beaucoup d’humour, mais, là, il ne rit pas. « Je sais ce qu’il faut faire pour sauver l’hôpital et je suis sûr de moi », confie-t-il. « C’est un garçon assez sympathique, mais il est allumé, tacle Mathias Wargon, médecin urgentiste, devenu adepte des prises de becs sur Twitter avec Arnaud Chiche. Il se prend pour le messie, mais ça va se finir à l’hôpital. »
Le sens de la formule
La vie d’Arnaud Chiche a basculé le 27 juillet. Quelques jours avant cette date, il poste un coup de gueule sur Facebook. Un message viral dans lequel il dénonce le Ségur de la santé, « qui a accouché d’une souris ». Aîné de quatre enfants, ce fils d’un anesthésiste et d’une enseignante de l’Oise a toujours eu le sens de la formule. C’est toujours lui qui est sollicité par les copains pour les discours aux mariages.
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Le 27 juillet, son coup de gueule se transforme en combat. Après l’annonce des conclusions du Ségur, Arnaud Chiche, entouré de sept professionnels de santé de toute la France, crée le collectif Santé en danger (SED). Il accepte d’en être le porte-parole. Des milliers d’infirmières, sages-femmes, médecins ou personnels des Ehpad confient leur quotidien et leur désarroi sur la page Facebook du SED animée par « Arnaud et les 7 ».
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« On était comme des gosses quand on a atteint les 50 000 abonnés, se souvient Julie, anesthésiste réanimatrice au CHU de Bordeaux. On faisait tout ça bénévolement pour défendre une cause. » Car, derrière ce collectif né sur les réseaux sociaux, il y a surtout la volonté de venir en aide au système de santé en commençant par mettre en place un Ségur 2. Le SED veut effacer les barrières historiques public-privé-libéral pour réclamer « une meilleure reconnaissance des professionnels de santé pour une médecine de meilleure qualité ».
« A la différence des “gilets jaunes”, il y a un chef identifié, pas de violence, et on ne manifeste pas. » Arnaud Chiche
Les syndicats, nombreux et divisés, regardent de loin et d’un œil circonspect le collectif grossir à la vitesse grand V. « Le SED part d’une frustration réelle des soignants et ça devient les “gilets jaunes” de la santé, avec à leur tête un type qui emmène les foules en leur faisant miroiter n’importe quoi », dénonce Mathias Wargon. Arnaud Chiche se défend : « A la différence des “gilets jaunes”, il y a un chef identifié, pas de violence, et on ne manifeste pas. » Fier d’avoir su utiliser les réseaux sociaux pour en faire le porte-voix des personnels de santé, il revendique son côté « antisystème » et veut prouver qu’il peut emmener toutes les catégories de soignants et tous les syndicats dans le même bateau.
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« Sa présentation est frapadingue, mais son efficacité sur les réseaux sociaux a permis de toucher des collègues qui n’étaient pas marqués par ce que l’on faisait depuis un an, reconnaît Anne Gervais, médecin au service d’hépato-gastro-entérologie de l’hôpital Louis-Mourier à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, et membre fondatrice du collectif Inter Hopitaux (CIH). Mais 150 000 followers ne constituent pas un groupe de gens qui peuvent s’asseoir autour d’une table et réfléchir. » Faux, répond le SED.
« Je suis très inquiet pour lui car il est au bout du rouleau. Il est en train de tout sacrifier pour le collectif. » Serge Alfandari, infectiologue
« En trois mois, on a réuni 190 000 personnes, c’est peut-être que notre place est légitime, insiste Eloi Goullieux, médecin réanimateur à Laon et membre des 7. Dans une société où l’on a tendance à mettre les gens dos à dos, on propose que les différences deviennent des richesses. » « C’est pas la faute de Macron ou des Français s’il y a le Covid, tonne Arnaud Chiche, mais on gagnerait du temps si j’avais l’oreille du président pour lui dire ce qu’il faut faire. »
Mégalomane, l’anesthésiste du Nord ? « Je suis très inquiet pour lui car il est au bout du rouleau, confie Serge Alfandari, infectiologue à l’hôpital de Tourcoing, ami et ancien collègue d’Arnaud Chiche. Il est en train de tout sacrifier pour le collectif. » L’ancien enfant de chœur revendique la bienveillance et la charité chrétienne, mais la course aux clics et son hypermédiatisation lui attirent désormais des critiques qui le poussent à évincer avec autorité ses détracteurs au SED.
Quel que soit l’avenir du collectif, Chiche et sa bande auront vécu une incroyable aventure humaine, disent-ils unanimement : « On aura essayé. » Chiche, lui, ne lâchera pas son combat tant qu’un Ségur 2 ne sera pas annoncé. Quitte à y laisser sa santé.