Des semaines qui seront longues, mouvementées, et à hauts risques: quelles décisions Trump peut-il encore prendre pendant 2 mois 1/2 ?

« Pour plus de deux mois encore, l’administration Trump dispose de tous ses pouvoirs »

TRIBUNE

Robert Malley

Président de l’International Crisis Group

L’ancien conseiller de Barack Obama, Robert Malley, envisage, dans une tribune au « Monde », toutes les décisions que le président Donald Trump est susceptible de prendre dans la période de transition « à hauts risques » qui s’ouvre entre les élections américains et l’entrée en fonctions de Joe Biden, le 20 janvier 2021.

Publié le 10 novembre 2020 à 03h13 – Mis à jour le 10 novembre 2020 à 12h46

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/10/robert-malley-pour-plus-de-deux-mois-encore-l-administration-trump-dispose-de-tous-ses-pouvoirs_6059159_3232.html    T

Tribune. L’élection présidentielle aux Etats-Unis – si longue, anormale, angoissante, contestée – est enfin terminée. La présidence Trump, elle, continue. C’est en effet une des nombreuses anomalies du système américain que de prévoir une période de transition de plus de deux mois pendant laquelle l’administration sortante dispose de tous les pouvoirs dont elle jouissait avant le scrutin. Il n’est pas rare de voir un président, libéré des contraintes politiques, en profiter pour prendre des mesures controversées. C’est pendant cet entre-deux, par exemple, que le président Gerald Ford pardonne à Richard Nixon, son prédécesseur, contraint par le scandale à la démission ; que le président Ronald Reagan entame un dialogue avec l’Organisation de libération de la Palestine, sujet jusque-là tabou ; que George H. W. Bush intervient militairement en Somalie ; ou que Barack Obama laisse adopter par le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution déclarant illégales les colonies de peuplement israéliennes. Mais si quasi tous les ex-locataires de la Maison Blanche ont fait usage de cet intervalle, aucun de ces locataires n’était Donald Trump ni ne lui ressemblait.

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Passons sur les décisions qu’il est passible de prendre afin soit de se protéger, lui et sa famille, soit de se venger de ceux qui, à ses yeux, l’auraient trahi : pardons présidentiels à répétition ou congédiements en masse de fonctionnaires membres du soi-disant Etat profond.

Marquer de son empreinte l’ordre mondial

Pour le reste du monde, ce qui importe est que Trump demeurera pendant de longues semaines encore commandant en chef, maître d’œuvre des décisions diplomatiques, des manœuvres militaires et des opérations clandestines. Au cours de sa présidence, il aura rarement hésité à user de ses prérogatives pour des raisons douteuses : motivations financières (comme ce fut le cas, semble-il, dans ses relations avec la Turquie), politiciennes (sa procédure de destitution est provoquée, rappelons-nous, par sa demande que l’Ukraine coopère dans sa tentative de salir Joe Biden en échange d’une livraison d’armes), ou, tout simplement, vindicatives, mues par le désir de démanteler le legs de son prédécesseur (rejet de l’accord nucléaire avec l’Iran, de l’accord climatique de Paris et bien d’autres encore). On peut apprécier différemment ses récentes initiatives diplomatiques, à commencer par les accords entre Israël d’une part, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan de l’autre – saluer des normalisations longtemps poursuivies par Washington ou, au contraire, déplorer le fait qu’elles ne font rien pour avancer la paix au Moyen-Orient et tout pour enterrer davantage encore la question palestinienne. Mais nul doute que leur timing reflète un calcul électoral de la part de Trump, impatient de se prouver négociateur hors pair avant le jour du scrutin.

Les conseillers de Trump essaieront sans doute de le convaincre de tout faire dans la dernière ligne droite pour contrarier son successeur

Défait, le président Trump perdra possiblement de son appétit et délaissera la scène internationale. Tout occupé qu’il sera à nier la validité d’un résultat que même Fox News, sa chaîne de télévision favorite, accepte, il n’aura peut-être pas le temps de se consacrer aux affaires extérieures. Il serait néanmoins bien aventureux de compter là-dessus, d’autant que ses conseillers essaieront sans doute de le convaincre de tout faire dans la dernière ligne droite pour marquer de son empreinte l’ordre mondial et contrarier son successeur. Parmi les initiatives que l’on peut envisager : retrait accéléré des troupes américaines stationnées en Allemagne ; retrait total de celles en Afghanistan ; fermeture de l’ambassade américaine en Irak ; mesures punitives contre la Chine, comme l’imposition de nouveaux tarifs douaniers, la poursuite de manœuvres militaires en mer de Chine méridionale ou l’interdiction du territoire américain pour tout membre du Parti communiste ; désignation des houthistes, mouvement rebelle yéménite, en tant qu’entité terroriste ; ou encore reconnaissance de facto de la souveraineté israélienne sur les colonies de peuplement en Cisjordanie.

Des scénarios hypothétiques mais périlleux

Un scénario hypothétique, mais des plus périlleux, concerne l’Iran. L’administration républicaine cherche méthodiquement depuis 2017 à enterrer l’accord sur le nucléaire, annonçant son retrait du pacte et imposant une pléiade de sanctions, avec l’intention ouvertement affichée d’empêcher un successeur éventuel de le rejoindre. Inquiète à la perspective de voir ses efforts réduits à néant, l’équipe présidentielle cherchera éventuellement des moyens plus dramatiques pour éliminer toute perspective de renouvellement de l’accord. Elle pourrait par exemple persuader Trump d’autoriser une opération – secrète ou non – contre une installation nucléaire iranienne ou contre les alliés de Téhéran dans la région, au prétexte qu’il serait l’unique et dernier rempart contre les avancées du régime de Téhéran. Certains pays régionaux, craignant par avance ce que signifiera une présidence Biden et voulant profiter des derniers jours d’une administration américaine obsédée par la question iranienne, pourraient prêter à ces éventuelles initiatives leur soutien.

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A partir du 21 janvier, les Etats-Unis pourront se consacrer à la tâche ardue de réparer ce qu’au cours de ces dernières années ils ont contribué à défaire : redéfinir un multilatéralisme auquel ils participeraient sans le dominer ; aider les pays en voie de développement à surmonter l’épreuve économique provoquée par la pandémie ; s’attaquer de manière concertée à la crise due au changement climatique ; alléger les pressions économiques imposées aux quatre coins du monde par une administration friande de sanctions unilatérales, au mépris de leurs conséquences humanitaires ; mettre le respect des valeurs et des droits humains au centre de la diplomatie ; chercher, enfin, à résoudre les conflits qui, du Haut-Karabakh au Yémen, répandent la misère.

Plus de soixante-dix jours nous séparent cependant de cette échéance. Avec le président Trump, rien n’est sûr. Mais ces semaines seront longues, mouvementées, et à hauts risques.

Robert Malley, ancien conseiller du président Barack Obama pour le Moyen-Orient, est président-directeur général de l’International Crisis Group.Notre sélection d’articles sur l’élection présidentielle aux Etats-Unis

Retrouvez les chroniques de campagne de notre correspondant à Washington ici.

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Robert Malley(Président de l’International Crisis Group)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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