Echanges houleux entre intensivistes et anesthésistes-réanimateurs sur fond de COVID-19
Philippe Anaton
26 octobre 2020
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France – La bataille de chapelles entre anesthésistes-réanimateurs (MAR) et médecins intensivistes-réanimateurs (MI-R) repart de plus belle. Elle avait déjà fait rage en 2017 dans le milieu médical, la voici qui s’enflamme à nouveau sur fond de crise sanitaire. Cette fois-ci, c’est le Pr Eric Maury, président de la Société de réanimation de langue française (SRLF) et éminent représentant du camp des MI-R, qui a déclenché les foudres de l’autre camp lors de son audition au sénat le 15 octobre 2020 par la commission sénatoriale sur la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19.
Propos diffamatoires
Ce dont l’accuse la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) dans un communiqué le 15 octobre dernier, est d’avoir « tenu des propos diffamatoires à l’égard des médecins anesthésistes-réanimateurs », ajoutant que « l’émotion de notre collectivité est très forte car ces propos calomnieux mettent en doute le professionnalisme et les compétences des médecins anesthésistes-réanimateurs en particulier par une interprétation fallacieuse de données biaisées ». De quoi s’agit-il ?
Invité par le Sénat à s’exprimer dans le cadre de sa commission sur la gestion de la crise Covid-19, le Pr Maury a d’abord tenu à faire un état des lieux de la réanimation en France. Au sujet du parc habituel de lits de réanimation en France, il a déploré les faibles capacités françaises : « on est sur à peu près 7 lits pour 100 000 habitants, ce qui fait un capacitaire d’environ 5000 lits de réanimation. En réalité, nous avons environ 5700 lits mais il y a 700 lits qui sont fermés faute de personnels soignants. Vous voyez que cela ne nous met pas dans le peloton de tête par rapport à certains de nos voisins », a-t-il notamment déclaré. Pour monter la capacité en lits de réa à 10000 lits au plus fort de l’épidémie, « il a donc fallu ajouter des lits de réanimation et cela a été rendu possible grâce aux anesthésistes-réanimateurs qui grâce à des déprogrammations massives ont pu se consacrer à la mise en place et la mise en fonction d’unités de réanimations ex nihilo ».
Le Pr Maury a ensuite rappelé la manière dont on devient réanimateur aujourd’hui en France, avec deux formations possibles qui semblent être le nœud du problème : « Comment devient-on réanimateur en 2020 ? La première méthode, c’est d’obtenir le DESC en médecine intensive et réanimation qui dure cinq ans, qui comporte une phase socle et une phase de consolidation, et une phase d’approfondissement d’un an. Le DESCAR est l’autre possibilité de faire de la réanimation. […] Il y a en France 900 lits de réanimation médicale, 3200 lits de réanimation polyvalente, et des lits de réanimation chirurgicales, soit 2710 MIR et 2420 MAR », a-t-il précisé.
Étude contestée
Rien de polémique et propre à déclencher la colère des MAR jusqu’à la présentation d’une étude problématique : « Je voudrais montrer un résultat qui a été publié lors de notre e-congrès de septembre dernier : la présentation de l’expérience de l’hôpital Henri-Mondor, présentée par un médecin anesthésiste et un médecin intensiviste. L’équipement d’un nouveau service a permis de monter 43 lits et de prendre en charge un bon nombre de patients à partir du 9 avril ». Cette étude, contestée par les MAR, établit que la mortalité enregistrée dans le secteur géré par les MAR a été deux fois plus importante que celle constatée dans le secteur des MIR : « Deux secteurs ont été comparés, d’une part un secteur MIR avec une extension du service de réanimation médicale existant et une section MAR disponible parce que la chirurgie a été déprogrammée et on ne peut que les en remercier. Les patients semblaient à peu près comparables en termes de gravité, autant de patients ventilés, 92% donc des patients très graves, un quart des patients sont sous ECMO et quand on regarde au final les décès, on observe que la mortalité est plus importante dans l’unité par des gens dont le métier initial n’est pas de faire de la réanimation ».