Covid-19 : le Danemark décide d’abattre 17 millions de visons
Après avoir découvert une série de mutations du virus transmis à l’humain par le vison, qui font craindre une efficacité réduite d’un potentiel vaccin contre le Covid-19, le gouvernement danois a décidé d’éradiquer l’ensemble de ses animaux d’élevage.
Par Anne-Françoise Hivert Publié le 07 novembre 2020 à 01h36, mis à jour hier à 10h50

Eviter à tout prix de devenir le prochain Wuhan, berceau de la pandémie de Covid-19. Voilà l’objectif que s’est fixé le gouvernement danois, en décidant l’abattage de l’ensemble des 17 millions de visons élevés dans le royaume, premier producteur mondial de cette fourrure de luxe. En cause : l’apparition d’un variant du SARS-CoV-2 chez ces petits mammifères, retrouvé chez l’être humain, et dont les scientifiques craignent qu’il résiste à un éventuel vaccin.
Pour justifier l’éradication de l’ensemble du cheptel danois, la première ministre sociale-démocrate, Mette Frederiksen, a estimé lors de l’annonce de la décision, le 4 novembre, que la situation était « très, très sérieuse » et rappelé que son gouvernement avait « une grande responsabilité » à l’égard de la population danoise, mais « une responsabilité encore plus grande à l’égard du reste du monde ». Sur le même ton, Kare Molbak, responsable de l’Autorité danoise de contrôle des maladies infectieuses (SSI), a, pour sa part, évoqué une « menace nationale et internationale », tout en précisant qu’il ne disait pas « que le vaccin n’allait pas fonctionner ».
Alors, pourquoi autant de précipitation, avec une décision qui va anéantir tout un secteur et devrait coûter au moins 5 milliards de couronnes (670 millions d’euros) au royaume ? Au Danemark, les premiers cas de SARS-CoV-2 chez les visons ont été observés en juin. Au même moment, les Pays-Bas décidaient d’abattre des milliers de bêtes contaminées, soupçonnant déjà des cas de transmissions à l’être humain.
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De « gigantesques réservoirs à virus »
L’hypothèse a été confirmée au Danemark, grâce à l’analyse du séquençage génétique du virus chez des personnes contaminées dans la région du Jutland du Nord, où se trouvent les fermes infectées. Les chercheurs font alors une découverte troublante : « Nous avons identifié, dans les souches du virus transmis par les visons, sept mutations au niveau de la protéine spicule par laquelle le virus infecte les cellules », explique Thomas Bruun Rasmussen, expert en virologie vétérinaire auprès du SSI.
Vendredi 6 novembre, Tyra Grove Krause, directrice du département d’épidémiologie des maladies infectieuses au SSI, a précisé que les autorités sanitaires avaient jusqu’ici procédé au séquençage génétique de 14 % des tests positifs. Au total, 53 580 Danois ont été contaminés depuis le début de la pandémie et 738 sont décédés. Les analyses ont permis de montrer que 214 personnes avaient été infectées par un variant du virus.
Une souche, en particulier, a retenu l’attention des chercheurs. Baptisée « cluster 5 », elle a été détectée dans cinq élevages et chez douze personnes contaminées, dont onze dans la province du Jutland du Nord. Ce variant du SARS-CoV-2 cumule quatre mutations. « Rien n’indique qu’il soit plus infectieux ou dangereux pour les êtres humains », précise le professeur en virologie, Anders Fomsgaard. Mais les tests en laboratoire ont montré qu’il résistait aux anticorps prélevés chez des personnes contaminées en convalescence. « Nous ne savons pas exactement si cela peut avoir une incidence sur un éventuel vaccin, mais il y a une inquiétude », résume Anders Fomsgaard.
C’est en raison de ce doute que le SSI a alerté les autorités du royaume, mardi 3 novembre, précipitant, le lendemain, l’annonce de l’abattage du cheptel danois. Anders Fomsgaard rappelle qu’il s’agit d’une « décision politique » mais estime qu’elle était « nécessaire ». Car en plus du risque pesant sur l’efficacité d’un éventuel vaccin, « une pandémie parallèle était en train de se développer de façon exponentielle chez les visons », note le virologue, transformant les fermes en « gigantesques réservoirs à virus », avec le danger d’accélérer la pandémie chez les êtres humains, en recrudescence depuis la fin de l’été.
Le Jutland du Nord mis sous cloche
Vendredi 6 novembre, 216 des 1 139 fermes étaient infectées, soit neuf de plus que la veille. Or « aucune des mesures que nous avons prises jusqu’à maintenant n’a fonctionné », constate Anders Fomsgaard, tant les campagnes de prévention que l’abattage des animaux de tous les élevages contaminés, décrété le 1er octobre et étendu à toutes les fermes situées dans un rayon de 7,8 km d’un foyer de contamination.
Sur les 300 élevages identifiés, 200 ont déjà été vidés de leurs animaux. Mais sans ralentir pour autant le rythme des contaminations, ce que les scientifiques danois ont du mal à s’expliquer. « Nous pensons que les visons sont contaminés par les êtres humains, mais nous ne pouvons pas exclure d’autres vecteurs de contamination, comme les camions qui circulent d’une ferme à l’autre, la nourriture des animaux, ou même une transmission dans l’air », avance Anette Boklund, chercheuse au département de sciences animales et vétérinaires à l’université de Copenhague.

En plus de l’abattage des visons, les sept municipalités du Jutland du Nord ont été placées sous cloche le 5 novembre. Les 280 000 habitants sont priés de ne pas sortir de la région, où les cafés et restaurants ont été fermés, les transports publics suspendus et les évènements sportifs et culturels annulés. Un dépistage massif va être organisé dans les prochains jours. Tous les échantillons positifs seront ensuite analysés pour déterminer le nombre de personnes infectées par une souche mutante du virus.
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Le risque d’« une pandémie dans la pandémie »
Face aux critiques, émanant notamment de la communauté scientifique internationale, qui s’interrogeait sur une éventuelle surréaction des autorités danoises, le ministre des affaires étrangères, Jeppe Kofod, a reconnu, le 6 novembre, que son gouvernement ne voulait prendre aucun risque : « Nous préférons faire trop que pas assez dans la lutte contre le Covid-19 », a-t-il déclaré.
Un peu plus tôt, Soumya Swaminathan, scientifique en chef à l’OMS, avait estimé qu’il n’y avait « pas de preuve pour le moment » que l’efficacité du vaccin soit affectée. « On ne sait pas encore bien les conséquences de ces mutations. Mais on ne peut pas prendre de risque. Car si elles devaient rendre le virus plus résistant, on pourrait créer une pandémie dans la pandémie », réagit le virologue belge Johan Neyts.
Dans un communiqué publié le 5 novembre, l’Académie nationale de médecine et l’Académie vétérinaire de France « approuvent la décision du gouvernement danois » et appellent à « renforcer la surveillance épidémiologique des coronaviroses animales ».
Au Danemark, Tage Pedersen, président de l’Association des producteurs de visons, estime qu’« il s’agit de facto d’une fermeture et d’une liquidation permanente de l’industrie de la fourrure », dont il affirme qu’elle emploie 6 000personnes. Le gouvernement a promis d’importantes compensations. L’Association danoise de protection animale estime de son côté que « le moment est idéal pour en finir définitivement avec l’élevage de visons ».Notre sélection d’articles sur le coronavirus
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Anne-Françoise Hivert(Malmö, Suède, correspondante régionale)