« Le soin porté aux êtres humains n’est plus une priorité  » dans la politique du gouvernement (Jean-Claude Barbier et Johanna Dagorn sociologues, Corinne Luxembourg géographe, Laurent Berger CFDT)

« Pour une protection sociale décente et rationnelle pour ralentir l’augmentation de la pauvreté »

TRIBUNE

Jean-Claude Barbier

Face à l’effondrement des revenus d’une part croissante de Français, le sociologue Jean-Claude Barbier dénonce, dans une tribune au « Monde », les insuffisances des mesures du gouvernement, faites « de bouts de ficelles et de chimères ».

Publié le 06 novembre 2020 à 14h00    Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/06/pour-une-protection-sociale-decente-et-rationnelle-pour-ralentir-l-augmentation-de-la-pauvrete_6058790_3234.html

Tribunes. Les conséquences de la crise sanitaire ne sont pas celles d’une récession classique. Jamais, depuis la deuxième guerre mondiale, les personnes pauvres et vulnérables n’ont été autant atteintes dans leur accès à l’emploi (les « petits boulots » asséchés, l’intérim effondré et menacé pour 2021, sans parler de l’emploi « informel ») et dans leur accès à des revenus décents : près de 20 % de la population subissent constamment des pertes et des privations que les allocations ponctuelles n’ont pas contrebalancées.

Ces dégâts ont aggravé ceux des réformes de 2017, à commencer par la diminution des aides au logement. L’Insee note que la pauvreté avait déjà augmenté en 2018 (avant la pandémie), alors qu’elle stagnait depuis 2014 : 14,8 % de la population est au niveau de 60 % du revenu médian. 2019, 2020 et 2021 au moins, vont continuer d’afficher de nouvelles centaines de milliers (ou des millions) de personnes pauvres, même au cas où le calcul technique de l’indicateur ne le montrerait pas. Les jeunes sortis de l’enseignement ont perdu l’accès aux stages, d’autres cherchent en vain des employeurs pour leur alternance. La pauvreté étudiante est une réalité cruelle. Cette situation exceptionnelle découle de l’aspect sanitaire inédit de la crise, qui ne va pas disparaître avant des trimestres, voire des années.

Trois grandes réformes mises en sommeil

L’occasion est donc idéale pour réformer la protection sociale, dans son ensemble et dans tous ses secteurs, car c’est elle qui fait tenir la société française ensemble. Or, le 24 octobre, le premier ministre Jean Castex s’est contenté d’allonger un catalogue baroque (comportant notamment un « plan jeunes »). Trois grandes réformes ont été mises en sommeil : celle de l’assurance-chômage, suspendue cahin-caha désormais jusqu’en avril 2021 ; celle des retraites, suspendue sine die ;un « revenu universel d’activité » discuté avec « les grandes associations », reporté après l’élection présidentielle.

Lire aussi  Covid-19 : la crise sanitaire a fait basculer un million de Françaises et de Français dans la pauvreté

A leur place, qu’avons-nous ? Une multiplicité d’aides financières d’urgence prises au fil de l’eau, visant tel ou tel « public », d’une façon plus ou moins arbitraire, alors que le plan jeunes d’emploi-formation nécessite beaucoup de temps de mise en œuvre et se heurte à la réticence des entreprises à embaucher. Pour l’essentiel, la création d’emplois aidés a été d’ailleurs refusée, sauf au secteur de l’insertion par l’économique.

On ne peut agir structurellement sans rompre avec les préventions néolibérales qui inclinent à des solutions de « bouts de ficelles » : des allocations arbitrairement distribuées, les sanctions et obligations irréalistes imposées aux chômeurs et aux titulaires du revenu de solidarité active (RSA), ne combleront pas les besoins. C’est comme « faire entrer un éléphant dans un petit panier », selon l’expression vietnamienne. On pourrait au contraire appliquer en France la logique du minimum d’existence prévalant en Allemagne, où les tribunaux décident d’un minimum d’allocations à valeur constitutionnelle qui ne peut pas être saisi aux familles bénéficiaires. Cela serait un grand progrès.

« La combinaison structurelle de retraites décentes et d’une couverture maladie universelle peut ralentir de nouvelles entrées dans la pauvreté »

Il faut aussi renoncer une fois pour toutes à la chimère principale qui revient constamment, celle de l’allocation universelle ou du « revenu universel », jamais mis en œuvre nulle part, sauf en Alaska. Elle ne peut apporter des revenus décents, et même pas de prétendus « filets de sécurité ». Nos voisins italiens, si longtemps incapables de mettre en place de médiocres allocations d’assistance, ont rompu avec leur prévention catholique historique contre l’assistance. Mais l’insuffisance du « revenu de citoyenneté » qui y a été mis en place ne rompt nullement avec la situation d’un pays où les inégalités sont immenses en comparaison européenne, et la pauvreté parmi les plus élevées. En 2019, seulement 1,4 million de foyers percevaient ce revenu de citoyenneté, au montant moyen de 527 euros.

Malgré ces imperfections, seule une protection sociale reposant sur la combinaison structurelle entre retraites décentes et couverture maladie universelle peut ralentir l’augmentation de la pauvreté. Loin des chimères des ingénieurs statisticiens de Bercy et de leurs manuels économiques rétrogrades, le temps est venu en France de réévaluer tous les minima sociaux jusqu’à un niveau « décent », proposé par toutes les associations de lutte contre la pauvreté.

Revaloriser les prestations familiales

Contrairement à un enfermement dans le familialisme d’antan, le temps est aussi venu d’attribuer un droit indépendant et plein dès 18 ans à ces minima sociaux, RSA ou équivalent, comme cela existe dans les pays scandinaves, modèle indépassé, légitime et efficace.

Cela doit s’accompagner d’une revalorisation des prestations familiales et des allocations logement, qui permettent à des millions de personnes d’échapper à la pauvreté : cette stratégie est décente, faisable et solidaire, et devra prendre en compte l’aspect multidimensionnel, pas seulement monétaire, de la pauvreté (alimentation, fracture numérique, etc.).

En outre, le gouvernement doit abandonner totalement la réforme de l’assurance-chômage, mise en place à un moment où l’économie fonctionnait. Aujourd’hui, il serait indécent et incohérent économiquement de ne pas revenir à un système d’assurance-chômage réellement protecteur, géré par des partenaires sociaux légitimes. Des « filets de sécurité » comme le universal credit britannique[le crédit universel, qui fusionne en un seul versement mensuel six allocations distinctes], ne suffisent pas, ni les prétendues « aides sociales », selon l’expression fautive employée couramment par des ministres ne connaissant apparemment pas le droit social.

Lire aussi  La réforme de l’assurance-chômage reportée jusqu’en avril 2021

Le système à rénover, mais qui a fait ses preuves, s’appelle la protection sociale : il est encore en vigueur dans les pays scandinaves, en Allemagne et en France, aimé par les électeurs qui le plébiscitent de plus en plus (Baromètre Drees 2019). Last but not least, il est un puissant antidote aux invectives des partis dits « populistes ».La France face au risque d’effondrement social

Les confinements liés à l’épidémie de Covid-19 provoquent la chute des revenus des précaires et des indépendants, déjà fragilisés par la « flexibilité » du marché du travail.

Johanna Dagorn (sociologue ) et Corinne Luxembourg (géographe ) : « Nous payons une politique où le soin porté aux êtres humains n’est plus une priorité »

Jean-Claude Barbier (sociologue) : « Pour une protection sociale décente et rationnelle pour ralentir l’augmentation de la pauvreté »

Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT) : Jeune précaires : « On ne doit pas laisser toute une frange de la population sur le bas-côté »

Philippe Askenazy (économiste) : « Les entrepreneurs précaires sont les premières victimes des restrictions sanitaires »

Anthony Streicher (Président de l’association Garantie sociale du chef d’entreprise/GSC) : Reconfinement : « Certaines victimes ont d’ores et déjà tombe ouverte dans le cimetière de la pandémie : les entrepreneurs »Voir plus

Jean-Claude Barbier est sociologue, directeur de recherche CNRS émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

« Nous payons une politique où le soin porté aux êtres humains n’est plus une priorité »

TRIBUNE

Dans une tribune au « Monde » la sociologue Johanna Dagorn et la géographe Corinne Luxembourg observent que face au choc subi par les plus fragiles et à la peur  du déclassement ressentie par une classe moyenne contrainte à demander de l’aide, le sentiment d’humiliation peut déboucher sur une crise sociale majeure.

Publié le 06 novembre 2020 à 13h45    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/06/nous-payons-une-politique-ou-le-soin-porte-aux-etres-humains-n-est-plus-une-priorite_6058788_3232.html

Tribune. Ainsi donc il aura suffi d’un organisme vivant de quelques nanomètres pour engendrer une crise économique et sociale d’une ampleur inconnue jusqu’alors en temps de paix. Il n’était cependant nul besoin d’être grand clerc pour anticiper en mars qu’une part importante de la population allait se trouver confrontée à une baisse importante des revenus. Pour autant, si la violence sociale s’ajoute à la violence de la situation sanitaire et surprend par sa fulgurance, elle n’étonne que parce qu’elle accélère les effets d’une crise systémique dont les ressorts sont ceux d’un édifice social fragilisé par des décisions politiques où l’attention et le soin portés aux êtres humains comme aux territoires ne sont plus les priorités. Précisément, c’est cette accélération qui plonge dans le désarroi des femmes et des hommes toujours plus nombreux et les institutions publiques à l’échelon local qui y sont confrontées quotidiennement.

Chômage partiel, licenciements…

Sans surprise donc, le sort des personnes les plus précaires, les plus fragiles, ne se maintient qu’à grand-peine, mais ce qui effraie tout autant c’est d’observer le glissement de celles et ceux qui, occupant jusque-là un emploi suffisamment rémunéré pour envisager concilier financement des études des enfants avec quelques loisirs et quelques menus agréments de la vie quotidienne, se trouvent brutalement contraints de solliciter de l’aide.

Ce sont les salariés de la classe moyenne subissant le chômage partiel (un quart des salariés du privé, soit 5,8 millions de personnes) ou les licenciements (plus de 800 000 prévus pour 2020), ce sont les professions indépendantes de différents secteurs – petit commerce, hébergement, construction, spectacle… –, ce sont les personnes qui ne peuvent plus travailler, mais aussi celles qui ne voient plus une clientèle elle-même trop fragilisée et trop inquiète pour s’autoriser des investissements paraissant soudain accessoires. Ainsi, tel cadre travaillant dans l’événementiel raconte : « Notre fille termine son école d’ingénieurs cette année. Elle doit partir six mois à l’étranger pour valider son année. Sans revenus actuellement, j’ai dû, à 56 ans, demander de l’argent à ma sœur pour que notre fille continue. Ça n’a pas été une démarche facile, mais nous n’avions aucune autre solution. » Ou encore telle professionnelle indépendante qui, sans trésorerie, a dû, à 52 ans, cesser son activité et « faire une demande sociale pour la première fois de [sa] vie, car personne dans [sa] famille ne pouvait [l]’aider ».

 Lire aussi  Licenciements, plans sociaux… le plus fort de la crise attendu en 2021

Le nombre de personnes inscrites pour recevoir l’aide alimentaire a augmenté de près de 50 % depuis le mois de mars, mais ce chiffre global cache des disparités géographiques : il s’est accru de 75 % en Seine-Saint-Denis, par exemple. Toutes les associations d’aide indiquent voir arriver des personnes qui ne venaient jamais jusqu’à elles. Les chiffres des premières inscriptions au RSA ne disent pas autre chose. A ceux-là s’ajoutent les personnes soutenues par leur famille, leurs amis lorsque cela est encore possible, celles qui arrivent encore à « tenir » en rognant sur le quotidien – 46 % des Français n’ont plus les moyens de payer des actes médicaux mal remboursés –, celles qui ne font pas valoir leurs droits, parfois découragées devant des procédures alambiquées.

« La lecture néolibérale invite les individus à être entrepreneurs de leur propre vie, elle stigmatise et culpabilise le chômage »

Dans ce contexte où maintenir un toit, un avenir pour ses enfants devient un enjeu majeur, l’appel répété à tous les Français à dépenser le peu d’économies qu’ils ont pu réaliser fait fi d’une chose : 70 % de ce bas de laine est détenu par seulement 20 % de la population française dont le revenu est supérieur à 3 125 euros net par mois par personne, soit 6 250 euros pour un couple.

Pour autant, ne dater ce glissement que de la crise sanitaire serait une erreur de perspective. Les données récemment publiées par l’Insee montrent que 2018 est déjà un moment d’amplification de la paupérisation du plus grand nombre.

Depuis plus de quinze ans, les collectivités locales voient leurs dotations sociales attribuées par l’Etat diminuer dans le même temps que se sont opérés de nombreux transferts de compétences. La crise actuelle met douloureusement en lumière que les solidarités sont d’abord portées par les échelons locaux des territoires, qui doivent pallier les désengagements de l’échelon national, et en particulier les diminutions ou disparitions des soutiens nationaux au logement (aide à la pierre, allocations logement).

Lire aussi  « Mon secteur d’activité est mort » : le difficile combat des personnes licenciées en pleine pandémie de Covid-19

En même temps qu’une analyse profonde du temps long des décisions politiques et de leurs effets est nécessaire, il est indispensable, au-delà de ces chiffres et de ces constats, d’entendre ce que cette situation produit dans un contexte plus ancien. La lecture néolibérale invite les individus à être entrepreneurs de leur propre vie, elle stigmatise et culpabilise le chômage. Elle enjoint à faire des efforts individuellement, à être responsable, à n’être pas assisté quand la crise est systémique. L’injonction à contraindre les gens à devenir des quémandeurs blesse la dignité d’être humain. Depuis plusieurs années, les sondages se sont multipliés indiquant que la plus grande peur devenait celle de ne plus pourvoir au lendemain, ni maintenir l’essentiel à la survie.

La crainte de la classe moyenne du déclassement s’accompagne de sentiments d’humiliation et de mépris que le mouvement des « gilets jaunes » avait déjà exprimés. C’est, pour une grande part, ce peuple des ronds-points qui depuis plus deux ans dit qu’il est devenu difficile de vivre, que l’on retrouve dans ce glissement massif vers une incertitude économique et sociale. La crise sanitaire, puis économique, révèle que tous les mécanismes de solidarité, à toutes les échelles, tiennent encore, mais aussi les tensions qui les épuisent.

Que reste-t-il alors, après la peur, après l’humiliation de n’être pas entendu ? Que reste-t-il si la dignité est entamée : peut-on encore parler ? Quelle forme d’expression est encore audible ?La France face au risque d’effondrement social

Les confinements liés à l’épidémie de Covid-19 provoquent la chute des revenus des précaires et des indépendants, déjà fragilisés par la « flexibilité » du marché du travail.

Johanna Dagorn (sociologue ) et Corinne Luxembourg (géographe ) : « Nous payons une politique où le soin porté aux êtres humains n’est plus une priorité »

Jean-Claude Barbier (sociologue) : « Pour une protection sociale décente et rationnelle pour ralentir l’augmentation de la pauvreté »

Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT) : Jeune précaires : « On ne doit pas laisser toute une frange de la population sur le bas-côté »

Philippe Askenazy (économiste) : « Les entrepreneurs précaires sont les premières victimes des restrictions sanitaires »

Anthony Streicher (Président de l’association Garantie sociale du chef d’entreprise/GSC) : Reconfinement : « Certaines victimes ont d’ores et déjà tombe ouverte dans le cimetière de la pandémie : les entrepreneurs »Voir plus

Johanna Dagorn est chercheuse en sociologie au Laboratoire cultures, éducation, sociétés (Laces, université de Bordeaux) ;Corinne Luxembourg est maîtresse de conférence en géographie à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette.

Johanna Dagorn(Sociologue) et  Corinne Luxembourg(Géographe)

Laurent Berger : « On ne doit pas laisser toute une frange de la population sur le bas-côté »

TRIBUNE

Laurent Berger

Secrétaire général de la CFDT

Pour répondre aux attentes des salariés touchés par la crise, et notamment les plus jeunes, les organisations syndicales doivent revoir leur organisation et leurs modes d’action, estime le secrétaire général de la CFDT dans une tribune au « Monde ».

Publié le 06 novembre 2020 à 14h00 – Mis à jour le 07 novembre 2020 à 07h29    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/06/laurent-berger-on-ne-doit-pas-laisser-toute-une-frange-de-la-population-sur-le-bas-cote_6058791_3232.html

Tribune. Plongé dans le bain du révélateur de la crise sanitaire, le monde du travail dévoile une photographie minée par les inégalités. Les salariés qui enchaînent les « petits boulots » pour s’en sortir, les indépendants fragilisés par un statut qui les protège moins que les autres, les jeunes bloqués aux portes du marché de l’emploi par une explosion du nombre de chômeurs, les salariés des petites entreprises peu représentés…

Tous ces travailleurs sont aujourd’hui en grande difficulté. Nombre d’entre eux sont susceptibles de tomber d’un instant à l’autre du fil sur lequel ils se tenaient tant bien que mal. Pour d’autres, la chute s’est déjà produite ces derniers mois. Dix millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont touchés par la pauvreté.

Ce sombre tableau nous interroge. Les travailleurs les plus précaires sont souvent les plus éloignés des combats qui ont fondé le syndicalisme et transformé la valeur créée en bien-être collectif. Les institutions et protections construites tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier ne sont pas toujours adaptées à leur réalité. Elles doivent évoluer dans leurs principes pour réduire la fracture qui se creuse entre des travailleurs protégés qui ont des emplois stables, et ceux qui se sentent relégués… et qui malheureusement le sont. Partir du réel pour améliorer le présent : c’est la voie dans laquelle le syndicalisme doit s’engager pour faire la preuve de son utilité.

« Une taxation des contrats courts responsabiliserait les employeurs et dégagerait l’horizon de millions de salariés, en particulier les plus jeunes »

Par exemple, avant la crise, les contrats à durée déterminée représentaient 80 % des embauches. Un quart d’entre eux ne dépassait pas un jour de travail. Difficile dans ces conditions de croire en l’action collective pour améliorer sa situation. Notre avenir passe par un dialogue social exigeant qui articule critique sociale, propositions, engagement et responsabilité. Depuis des années, nous réclamons justement qu’une action soit menée dans les branches pour éviter des abus qui ne donnent aucune perspective d’avenir pour les travailleurs et plombent les comptes de l’assurance-chômage.

Le patronat n’a jamais été au rendez-vous. Nous n’acceptons pas une situation qui touche en temps de crise les travailleurs les plus fragiles. Nous sommes favorables à une taxation des contrats courts qui responsabiliserait les employeurs et dégagerait l’horizon de millions de salariés, en particulier les plus jeunes d’entre eux. Ces jeunes ont du mal à se retrouver dans le syndicalisme quand le marché du travail ne leur fait pas de cadeau. Ils en sont pourtant l’avenir. Leur implication est indispensable afin de mieux comprendre les changements du monde et imaginer un modèle de développement.

Lire aussi  L’insuffisant retour à la normale des embauches de plus d’un mois

Le syndicalisme doit porter une attention toute particulière aux nouvelles formes d’emploi. Pas un seul travailleur ne doit se sentir exclu des combats menés par les organisations syndicales à cause de son statut. 90 % des trois millions d’autoentrepreneurs recensés en France dégagent des revenus qui avoisinent le smic. Beaucoup ont souffert de la baisse d’activité de ces derniers mois. En particulier ceux qui ne dépendent que de quelques clients et qui ont vu leurs rétributions fondre comme neige au soleil.

Une assurance perte d’activité pour tous

Imaginer une protection sociale solidaire à laquelle tous ces travailleurs pourront prétendre est un défi énorme pour ne pas donner le sentiment à toute une frange de la population d’être abandonnée sur le bas-côté. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire que les indépendants, dans leur diversité, soient mieux représentés. La négociation collective est le principal levier d’action. Elle seule pourrait leur permettre d’obtenir une assurance perte d’activité pour tous, le strict respect des délais de paiement légaux, la régulation des plates-formes d’emploi ou le droit de se syndiquer sans risque.

Lire aussi  Les jeunes sont les premiers et les plus touchés par les effets de la récession

Au cœur de la crise du Covid-19, ces revendications ont conduit à la création d’une plate-forme pour les indépendants baptisée Union, dans le droit fil de l’évolution de la CFDT. Il s’agit de passer d’une logique du « venez vers nous » à celle du « allons vers vous ». Quand nous imaginons en 2013 un compte personnel d’activité fait de droits attachés à la personne et non à son statut, quand nous revendiquons aujourd’hui la création d’une « banque des temps » pour permettre à chacun d’articuler vie professionnelle et vie personnelle, nous sommes en prise directe avec ce que les salariés disent de la transformation du monde du travail et comment ils la vivent.

Rééquilibrer les forces

Au-delà des slogans, il est grand temps de redonner au travail la place qui lui est due et de rééquilibrer les forces au sein de l’entreprise. Le syndicalisme de responsabilité se renforcera s’il prend plus de poids dans les organes de gouvernance (conseils d’administration ou de surveillance) et donne davantage de latitude aux élus du personnel. Conditionner l’attribution d’aides publiques à un avis conforme du Comité social et économique (CSE) aurait deux vertus : montrer l’utilité de la représentation syndicale et éviter d’arroser le sable en exigeant des contreparties, comme l’embauche de jeunes en CDI ou la création « d’emplois innovation » pour préparer la transition écologique.

Lire aussi  Le Covid-19 entraîne des pertes importantes d’emploi et de revenus

La crise sanitaire et économique invite les organisations syndicales à faire preuve d’imagination pour répondre aux attentes des salariés. Elle les encourage aussi à bousculer leurs organisations internes et leurs modalités d’action. Le syndicalisme doit prendre ce virage rapidement, sous peine d’une sortie de piste qui serait préjudiciable à la vitalité de notre démocratie.La France face au risque d’effondrement social

Les confinements liés à l’épidémie de Covid-19 provoquent la chute des revenus des précaires et des indépendants, déjà fragilisés par la « flexibilité » du marché du travail.

Johanna Dagorn (sociologue ) et Corinne Luxembourg (géographe ) : « Nous payons une politique où le soin porté aux êtres humains n’est plus une priorité »

Jean-Claude Barbier (sociologue) : « Pour une protection sociale décente et rationnelle pour ralentir l’augmentation de la pauvreté »

Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT) : Jeune précaires : « On ne doit pas laisser toute une frange de la population sur le bas-côté »

Philippe Askenazy (économiste) : « Les entrepreneurs précaires sont les premières victimes des restrictions sanitaires »

Anthony Streicher (Président de l’association Garantie sociale du chef d’entreprise/GSC) : Reconfinement : « Certaines victimes ont d’ores et déjà tombe ouverte dans le cimetière de la pandémie : les entrepreneurs »Voir plus

Laurent Berger est secrétaire général de la CFDT.

Laurent Berger(Secrétaire général de la CFDT)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire