Le ressentiment du monde arabo-musulman et le scepticisme des pays anglophones face au djihadisme en France et à la liberté de caricature

La laïcité face au mur d’incompréhension

ÉDITORIAL

Le Monde – Editorial.

En accordant un entretien à Al-Jazira, M. Macron a voulu faire œuvre de pédagogie. L’effort est méritoire, mais surmonter le ressentiment du monde arabo-musulman et le scepticisme des pays anglophones requiert davantage.

Publié le 02 novembre 2020 à 11h44 – Mis à jour le 02 novembre 2020 à 12h29    Temps de Lecture 2 min

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/la-laicite-face-au-mur-d-incomprehension_6058190_3232.html. 

Manifestation devant l’ambassade de France à Djakarta, le 2 novembre.
Manifestation devant l’ambassade de France à Djakarta, le 2 novembre. Achmad Ibrahim / AP

Editorial du « Monde ». Six ans, bientôt, après la tuerie de Charlie Hebdo, deux semaines après l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, décapité pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves, et quelques jours après le massacre de trois fidèles à la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption à Nice, il est clair que la conception française de la laïcité se heurte à un mur d’incompréhension dans le monde arabo-musulman et dans les pays de culture anglophone. Loin de dissiper ces doutes, le discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme, prononcé aux Mureaux le 2 octobre, puis ses propos lors de la cérémonie d’hommage national à Samuel Paty, les ont encore accrus.

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Face à un climat de rancœur manifeste à l’égard de la France, reflété par des appels au boycottage des produits français lancés dans plusieurs pays arabes ou musulmans, il devenait urgent de faire de la pédagogie et de tenter d’apaiser les esprits. C’est l’exercice auquel s’est livré le président de la République pendant une heure d’interview, accordée, samedi 31 octobre, à la chaîne de télévision panarabe Al-Jazira, avec cet objectif, formulé d’entrée de jeu : « Redire que la France est un pays attaché à la liberté de culte et à ce que l’on appelle souvent la laïcité, ce terme si compliqué qui donne lieu à tant de malentendus. »

L’effort est méritoire, et le choix d’Al-Jazira était le bon. C’est la chaîne la plus regardée au Proche-Orient, en particulier par le courant conservateur musulman, qui représente le public le plus préoccupé – et parfois le plus mobilisé – par la question des caricatures. Le but a-t-il été atteint ? Sur la forme, si l’on en croit les premières réactions, probablement. Emmanuel Macron a dit clairement qu’il comprenait et respectait ceux qui sont « choqués » par les caricatures, et cette clarté a pu être appréciée.Article réservé à no

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Mais, sur le fond, il faudra bien plus qu’une heure d’interview pour convaincre du bien-fondé de la démarche française. Il y a, c’est vrai, la part de malentendus, de désinformation, de manipulation et d’instrumentalisation par les extrémistes. Amplifiée par les réseaux sociaux, elle est énorme. Mais les critiques des caricatures émises par des dirigeants de pays alliés, peu suspects de fondamentalisme, comme la Jordanie, montrent que le problème est plus vaste.

Une idée fausse

La question de la publication et de la republication des caricatures reste un sujet d’incompréhension profonde. Entre l’iconoclasme sunnite, qui interdit toute représentation du Prophète, et la tradition française de la caricature, doublée de son fond anticlérical, le fossé est immense. Il serait regrettable que la défense de la liberté d’expression se résume à cette question.

L’autre grand volet des critiques porte sur les propos de M. Macron sur la « crise profonde » que traverse la religion de l’islam, et l’idée très répandue que la France mène une offensive non pas contre une minorité islamiste radicale, mais contre l’islam en général, et donc contre sa propre population musulmane.

C’est cette idée fausse qu’il est crucial de combattre. Cela requiert un effort commun et le concours de tous ceux, y compris musulmans, qui sont attachés aux valeurs de liberté et d’ouverture. Cela requiert aussi un effort politique, économique et social pour mieux lutter contre les discriminations dont sont l’objet les personnes d’origine immigrée. Cela requiert enfin un effort de clarté historique, sur la colonisation, et diplomatique à l’égard des régimes dictatoriauxdu monde arabe. C’est un effort de longue haleine, mais il est essentiel.Notre sélection d’articles sur l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine

Le Monde

Le terrorisme et le séparatisme islamiste, source de tensions entre Emmanuel Macron et la presse anglo-saxonne

En répondant par une lettre au « Financial Times », le président de la République entérine ses dissensions avec les médias étrangers. 

Par Valentine Faure  Publié hier à 11h26, mis à jour hier à 17h40

https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/06/le-terrorisme-et-le-separatisme-islamiste-suscitent-des-tensions-entre-la-presse-anglo-saxonne-et-l-elysee_6058750_823448.html

Temps de Lecture 4 min. 

Le président de la République, Emmanuel Macron, en déplacement à la préfecture de Bobigny, dans le cadre de la lutte contre les séparatismes, le 20 octobre.
Le président de la République, Emmanuel Macron, en déplacement à la préfecture de Bobigny, dans le cadre de la lutte contre les séparatismes, le 20 octobre. Julien MUGUET / © Julien MUGUET pour Le Monde

Fait inhabituel, jeudi 5 novembre, le quotidien britannique Financial Times (FT) publiait une lettre ouverte d’Emmanuel Macron adressée à la rédaction du journal. En cause : une chronique écrite par la correspondante du journal à Bruxelles, qui, selon M. Macron, aurait déformé « les propos tenus publiquement par le chef d’un Etat membre de l’ONU, du G7 ». La journaliste avait fait une erreur de traduction, confondant « séparatisme islamique” – un terme que je n’ai jamais employé », relève le président françaiset « séparatisme islamiste – qui se trouve être une réalité dans mon pays ». L’erreur avait été rectifiée, mais le papier corrigé a tout de même fini par disparaître du site du prestigieux journal.

Dans un communiqué publié le même jour, le FT explique ceci : « Le 2 novembre, nous avons retiré une chronique publiée brièvement sur FT.com lorsque nous avons découvert des inexactitudes factuelles qui auraient dû être relevées lors du processus d’édition. Comme elle comportait une mauvaise traduction d’une citation d’Emmanuel Macron, nous avons bien sûr offert un droit de réponse au président français. Nous avons publié sa lettre dans le FT. »

Mais pourquoi le président de la République s’est-il donné cette peine ? A l’Elysée, on ne juge pas cette tribune « mineure »« Le moment est extrêmement sensible, estime Anne-Sophie Bradelle, la conseillère en communication internationale du président. Ça fait quatre jours que je passe mon temps avec certains médias anglais et américains à expliquer, justifier le modèle de la France. »

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Tout a commencé après l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Le New York Times avait alors étonnamment titré : « La police française tire et abat un homme après une attaque meurtrière au couteau dans la rue », laissant plutôt suggérer une bavure policière. Après de nombreuses protestations, le titre avait été changé.

« Une insulte »

Le 1er novembre, après les manifestations et appels au boycottage de produits français dans plusieurs pays musulmans, une dépêche de l’agence Associated Press se demandait : « Pourquoi la France incite-t-elle à la colère dans le monde musulman ? Son passé colonial brutal, sa politique laïque intransigeante et son président au franc-parler, considéré comme insensible à la foi musulmane, jouent tous un rôle. » La formulation avait ému et le terme « incite » avait été remplacé par « déclenche » (« spark »).

Le même jour, le site Politico publiait une tribune du sociologue rattaché à l’Ecole des hautes études en sciences sociales Farhad Khosrokhavar intitulée « La dangereuse religion française de la laïcité ». Commandée par le journal au chercheur, elle était retirée deux jours plus tard au motif qu’elle ne rencontrait pas les « standards éditoriaux du journal ».

Le 5 novembre, Stephen Brown, le rédacteur en chef du site, justifiait sa décision auprès de l’auteur dans un mail expliquant que l’article avait été commandé alors qu’il était en vacances. Sans quoi, ajoutait-il, il serait « intervenu avant sa publication pour [lui] demander des informations supplémentaires, ce qui aurait fait comprendre beaucoup plus clairement [qu’il ne croit pas que ses] arguments justifient les violences qui viennent d’avoir lieu en France. Malheureusement, c’était l’interprétation que beaucoup de lecteurs ont eue de l’article. »

Ancien correspondant du New York Times à Paris, Scott Sayare attribue le malheureux titre du quotidien new-yorkais à « l’urgence »

Entre le retrait de l’article et ce mail, Politico a publié une tribune de Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, en réaction à celle de Khosrokhavar. « Quelques jours seulement après les tragédies qui se sont déroulées à Conflans-Sainte-Honorine et à Nice, un éditorial de Farhad Khosrokhavar (…) a cherché à faire porter la responsabilité de ces événements tragiques sur la laïcité française, écrit Gabriel Attal.C’est une insulte à ceux qui sont morts et un renversement impensable des rôles entre les agresseurs et les agressés. » Tant pis pour le lecteur qui voudrait se faire une idée par lui-même : la tribune en question a disparu (elle a depuis été publiée en français sur le site Orient XXI).

Lire la tribune : « Une déroutante cécité américaine face au phénomène du djihadisme dans l’Hexagone »

Ancien correspondant du New York Times à Paris, Scott Sayare attribue le malheureux titre du quotidien new-yorkais à « l’urgence » : « Quelque part, il y a un junior editor qui a fait une erreur stupide, mais qui n’est pas révélatrice de grand-chose », dit-il, avant d’ajouter : « Le rôle du journaliste a toujours été par nature politique, mais il y a une sorte d’activisme qui commence à devenir la norme dans le journalisme américain. Cet activisme demande qu’on détourne le regard d’un certain nombre de choses, et qu’on insiste sur d’autres. C’est un cadre idéologique, qui implique un certain nombre de lieux communs et d’habitudes. Je peux imaginer qu’une personne qui lit en diagonale que la police française vient de descendre une personne issue d’une minorité ethnique ait le réflexe, aujourd’hui, de dire : encore une bavure. » 

« Un décalage »

Visiblement, l’image de lui-même que renvoie la presse anglo-saxonne ne satisfait pas Emmanuel Macron dont la fermeté est prise pour de l’acharnement, la défense du modèle français pour de la crispation. Correspondant à Paris du Washington Post, James McAuley a écrit, le 23 octobre, un long article qui, tout en admettant la réalité de « territoires perdus de la République », interrogeait l’efficacité de la réponse du gouvernement et son refus « à mesurer la discrimination systémique qui alimente tant le séparatisme qu’[il] cherche à combattre. » Sur Twitter, le 3 novembre, il commentait ainsi ce séparatisme :« Nous ne nions pas sa gravité, nous nous demandons pourquoi il est si grave en France. Mais aller chercher ne serait-ce qu’un peu des explications structurelles qui pourraient contribuer à ce problème – aucune n’est présentée comme irréfutable ! – semble être assimilé à du victim blaming ou du déni”. » 

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« Il y a un décalage entre une analyse plutôt apaisée qui vient de l’étranger parce qu’on ne se sent pas menacé, conclue Scott Sayare, et la fragilité de la République française, où tout paraît toujours être une menace existentielle. » « Quand le Washington Post ou le New York Times disent qu’on est en guerre contre l’islam, c’est extrêmement violent, juge Anne-Sophie Bradelle. Surtout venant de pays qui sont censés partager certaines valeurs avec nous. C’est comme si on était sur les ruines fumantes de Ground Zero à dire qu’ils l’avaient bien cherché. »

Valentine Faure

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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