Très vive critique contre une gauche trop coulante avec les islamises

Didier Daeninckx : « Qui aurait pu imaginer que la gauche se déchirerait à propos d’un délit imaginaire forgé par des assassins ? »

TRIBUNE

Didier Daeninckx

Ecrivain

Le romancier raconte dans une tribune au « Monde » comment, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, une partie de la gauche a peu à peu cédé sur les principes républicains et notamment sur la laïcité dans sa lutte contre l’islamophobie.

Publié hier à 05h30, mis à jour hier à 08h56    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/28/didier-daeninckx-qui-aurait-pu-imaginer-que-la-gauche-se-dechirerait-a-propos-d-un-delit-imaginaire-forge-par-des-assassins_6057606_3232.html

Tribune. Au début des années 1960, sans trop comprendre ce que signifiait le mot, je vendais chaque année au porte-à-porte les timbres de l’école « laïque » édités par la Ligue de l’enseignement ; je participais dans les rues de Seine-Saint-Denis aux défilés des fêtes de l’école qui se proclamait fièrement gratuite, obligatoire et laïque.

Il m’a fallu attendre l’année du bicentenaire de la Révolution, 1989, il y a plus de trente ans, pour prendre conscience qu’il s’agissait là d’un bien essentiel, quand l’Iran des mollahs a condamné à mort un écrivain laïque, Salman Rushdie, coupable d’« islamophobie » [son roman Les Versets sataniques avait provoqué l’ire de l’ayatollah Khomeyni]. Puis il y eut Taslima Nasreen que les mêmes dictateurs de conscience destinèrent à la décapitation [pour son roman La Honte, en 1994].

Lire l’analyse de Jean Birnbaum : Rushdie, Charlie, Paty, victimes d’une même offensive planétaire

Qui aurait pu imaginer que la gauche, dans son ensemble, se déchirerait à propos d’un délit imaginaire forgé par les assassins, alors même que Rushdie nous mettait en garde, dès le prononcé de la fatwa le visant, en nous expliquant que ce concept d’islamophobie était jeté en pâture aux ignorants, afin qu’ils le restent ?

La trajectoire de Merah comme déclencheur

La terreur islamiste a sidéré le monde, elle a mis les mots en actes, répandant le sang « impur » des traducteurs, des éditeurs, des cinéastes, des dessinateurs, des amateurs de rock, des enfants de maternelle, des professeurs, des prêtres, de ceux qui les protégeaient… Cet effroi planétaire a produit ses effets au plus près et j’ai pu, au fil des ans, en mesurer l’impact dans mon entourage immédiat. Les premières alertes datent du début des années 2000, quand le responsable national de l’association antiraciste dans laquelle je militais s’était rapproché de Tariq Ramadan, de Dieudonné, et qu’il évoquait la nécessité d’une loi contre le blasphème. C’était tellement loin de mes préoccupations que je n’en ai, à l’époque, pas saisi la portée.

 Lire aussi*  Raphaël Glucksmann : « L’intégrisme islamiste a bénéficié d’une myriade d’aveuglements volontaires »

La trajectoire sanglante de Mohammed Merah, en 2012, a servi de déclencheur. Dans ma ville natale, Saint-Denis, un élu communiste et « délégué à l’égalité », répond alors sur les réseaux sociaux à ceux qui lui demandent ce qu’il pense des enfants juifs tués d’une balle en pleine tête dans une cour d’école : « Suis en mode hommage, j’arrête tout ou on va me dire que je ne suis pas touché, pas ému, du coup je vais m’entraîner à pleurer. » Au cours des années suivantes, il fera de cette ironie meurtrière sa marque de fabrique, produisant des centaines de Tweet infâmes, sans que jamais les organisations auxquelles il appartenait ne lui fassent la moindre remarque. Il sera l’un des principaux organisateurs, en 2019, de la déshonorante marche contre l’islamophobie, avant de figurer en bonne place sur la liste des « insoumis » aux dernières élections municipales.

En 2014, à Aubervilliers, ma ville de résidence, la coalition Front de gauche s’est vue adoubée dans les locaux mêmes de la mosquée où un imam dispense des prêches antirépublicains, homophobes et organise la défiance envers l’école laïque. Cette coalition acceptera dans ses rangs trois maires adjoints issus de l’association locale des musulmans.

Directeurs de conscience

L’un de ces adjoints s’illustrera en engageant publiquement le dialogue avec la mouvance d’Alain Soral, qui se définit lui-même comme national-socialiste, et en déclarant à plusieurs reprises qu’en matière d’immigration les gouvernements de la République se comportent plus durement que l’ancien maire Pierre Laval à l’encontre des juifs ! Ce qui, là encore, ne l’empêchera pas de figurer sur l’une des listes de gauche en mars dernier. Pour faire bonne mesure, on embauchera également, entre autres, un trafiquant de cocaïne à la tête d’une des directions municipales, pour service rendu. Il sera arrêté pour menace de mort [en 2016], un mois après son intronisation, alors qu’il arborait les insignes de Daech.

Dans le même mouvement, des directeurs de conscience autoproclamés peuvent, sans trembler, affirmer que Charlie a déclaré la guerre à l’islam, une obscénité qui n’a heureusement pas été réitérée lorsque Samuel Paty a subi le même sort que celui des membres de la rédaction du journal dont il expliquait les dessins. On se contente de parler, dans cet espace de radicalité, de « barbarie policière » pour qualifier l’exécution, en état de légitime défense, du tueur. Ces mêmes directeurs de conscience qui s’affichent aux côtés des racistes, des homophobes, des antisémites du Parti des indigènes de la République, et qui considèrent que l’on en fait trop avec la jeune lycéenne Mila, qui vit depuis des mois sous la menace des assassins pour avoir usé de sa simple liberté.

Basculement d’électeurs

Comment dire son dégoût lorsqu’une sénatrice sensible à l’environnement pollue le sien en posant au milieu de jeunes enfants manipulés qui portent une étoile jaune où est inscrit le mot « musulman » [lors de la marche contre l’islamophobie], suggérant une fois encore que la persécution fantasmée de l’Etat à l’encontre d’une religion équivaudrait à la « solution finale » ?

Toutes ces trahisons, tous ces abandons ont désarmé la gauche dans un combat essentiel. Ils permettent à la droite la plus obscure, à l’extrême droite, de se faire les championnes de la préservation des principes républicains ! Ils creusent la défiance, ils favorisent le basculement de centaines de milliers d’électeurs vers les porteurs de solutions autoritaires. 

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Tous ces gens qui ont failli, leaders de partis gazeux, adjoint à la mairie de Paris, députées des quartiers populaires, syndicalistes éminents, chroniqueuses en vogue, devraient avoir la décence de se retirer. Aucun d’eux ne parle en notre nom.

Une couverture emblématique de Charlie [datant de 2005] représente le prophète Mahomet qui se lamente prenant sa tête entre ses mains : « C’est dur d’être aimé par des cons. » Si j’avais deux doigts de talent, je placerais Jean Jaurès dans la même position, s’adressant à ceux qui, aujourd’hui, à gauche, usurpent et sa pensée et son nom, lui qui affirmait que laïcité et démocratie sont synonymes.

Didier Daeninckx est écrivain. Dernier ouvrage paru : Municipales. Banlieue naufragée (« Tracts », Gallimard, 48 pages, 3,90 euros).

Didier Daeninckx(Ecrivain)

Raphaël Glucksmann : « L’intégrisme islamiste a bénéficié d’une myriade d’aveuglements volontaires »

TRIBUNE

Raphaël Glucksmanndéputé européen

Où avons-nous failli ? s’interroge l’eurodéputé du groupe social-démocrate dans une tribune au « Monde » relevant l’échec des deux gauches, celle qui place l’antiracisme au-dessus de tout minimisant l’intégrisme et celle qui le dénonce mais élude les ségrégations structurelles.

Publié hier à 05h30, mis à jour à 06h52    Temps de Lecture 7 min. 

Raphaël Glucksmann, à la tête de la liste Place publique aux élections européennes, le 17 mai 2019 à Marseille.
Raphaël Glucksmann, à la tête de la liste Place publique aux élections européennes, le 17 mai 2019 à Marseille. CLAUDE PARIS / AP

Tribune. Il est dans la vie des nations des moments de bascule, des nuits noires que les bougies aux fenêtres ou les hashtags compatissants n’éclairent plus. La décapitation de Samuel Paty nous plonge dans l’une de ces nuits. Le lynchage dont il fut la victime sur les réseaux sociaux et les complicités dont bénéficia son bourreau nous effraient. Sa solitude face à la haine qui préparait le crime nous fait honte. La carence de nos institutions nous fait peur. Nos manifestations post-mortem ne procurent plus ni remède, ni catharsis.

Lorsque le surgissement du mal radical ébranle nos architectures mentales et fracture nos habitats intellectuels, seuls subsistent l’exigence de vérité et l’impératif de sincérité, la parrêsia – ou le « franc-parler » – que les Athéniens placèrent au fondement de leur démocratie et que Foucault explora dans ses derniers cours au Collège de France. La parrêsia, c’est le risque pris de la vérité, le discours qui met en péril le locuteur, l’auditeur et le lien qui les unit. Une manière d’être et de dire qu’une classe politique rentière et pavlovienne pratique peu. Et qui aujourd’hui est inévitable.

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La douloureuse vérité, donc, est que nous avons failli. Individuellement et collectivement failli. A nos principes comme à nos devoirs. La vérité est que l’intégrisme islamiste a bénéficié d’une myriade d’aveuglements volontaires et de silences gênés. La vérité est que des progressistes chevronnés ont trop souvent partagé la tribune avec d’insupportables bigots, trop longtemps toléré les intolérants. Pourquoi ? Par mauvaise conscience sociale et historique. Par crainte de n’être plus que des bourgeois parlant à des bourgeois. Par impuissance face aux relégations et aux discriminations. Par mémoire des crimes coloniaux. Par confort aussi. Et lâcheté, sans doute.

Gauche borgne

La vérité, si l’on va au bout et si l’on est prêt à se fâcher avec tout le monde, y compris avec soi, est que la gauche est divisée, mais qu’elle a en partage le fait d’être borgne. Toutes et tous borgnes, camarades ! Juste pas du même œil.

Une gauche qui place l’antiracisme au-dessus de tout a sous-estimé, minoré, voilé le danger intégriste. A accepté de traiter les Français musulmans différemment des autres, ce qui, en soi, est une forme de racisme compassionnel. En tolérant chez des imams ce qu’elle ne supporterait pas chez des curés. En refusant de défendre une jeune fille comme Mila, menacée de mort pour blasphème. En laissant entendre que Charlie Hebdo était raciste, tirant un trait d’égalité entre les caricaturistes laïcards et les éditorialistes de Valeurs actuelles. En ne disant rien quand les Juifs quittèrent le 93. En laissant sans réponse les alertes des professeurs face aux insultes des enfants ou aux récriminations des parents. En dissolvant l’idéologique dans le social.

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Face à elle, une autre gauche, dite « républicaine », a dénoncé le radicalisme islamiste. Mais elle a éludé les ségrégations et les exclusions structurelles qui sont le terreau sur lequel il prospère. Elle a mené une lutte idéologique pure, sans se soucier des discriminations et des abandons qui empêchent de la gagner. Comme si les idées s’affrontaient hors sol. Elle a zappé la question sociale. Zappé la question du racisme. Zappé que ce nom de « République » qu’elle répète rituellement finit par chanter plus qu’il ne parle quand vous vivez dans un quartier délaissé par les services publics et que vous ne trouvez pas de travail parce que vous vous appelez Saïd. Elle a choisi d’être borgne de l’autre œil.

Libres de vivre en autarcie

Or, comment mener un combat sans désigner clairement l’adversaire ou sans comprendre ce qui lui permet de grandir ? Gagner ce combat suppose de voir des deux yeux. Voir qu’une idéologie totalitaire gagne du terrain face aux Lumières qui fondent notre cité. Voir que les libertés de pensée, d’expression, de conscience sont attaquées. Et qu’il faut les défendre, en promouvant ce principe de révision logé au cœur du projet républicain laïque et qui s’énonce ainsi : il n’existe aucun système de croyances, aucune vérité religieuse, aucune pratique sociale ou culturelle que des citoyens libres ne soient en mesure de critiquer, d’abandonner ou de rejeter. Les défendre donc, en garantissant ce « droit de sortie » de l’identité héritée, de l’appartenance sociale et familiale, de toutes les déterminations qui pèsent sur nous et que l’école – d’abord, mais pas que – doit mettre à distance pour nous permettre de les quitter. Ou de les embrasser. Librement.

Voir que notre cité a failli à sa promesse et s’est retirée, repliée, recroquevillée. D’elle-même, sur elle-même. Voir qu’une république ne peut fonctionner quand ses enfants nés à Trappes (Yvelines), dans le 4e arrondissement de Paris ou à Guindrecourt-sur-Blaise (Haute-Marne) ne se croisent plus, même symboliquement, à aucun moment de leur vie. Voir que, sans brassage, de gré ou de force, il n’y a plus de nation possible. Alors que régnaient en maître le mythe de la fin de l’Histoire et son corollaire immédiat, le rejet de toute contrainte publique pesant sur nos existences particulières, nous avons supprimé le service militaire sans jamais nous poser la question de le remplacer par quoi que ce soit. Nous sommes désormais libres de vivre en autarcie parmi les nôtres, captifs de nos environnements sociaux, culturels, religieux. Séparés.

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Il nous faut rompre avec la religion du laisser-faire, laisser-passer. A nouveau former des citoyens et non plus seulement laisser s’affirmer des individus. Commençons par instaurer un service civique universel et obligatoire, mixant toute une classe d’âge en la mettant au service du commun, de la transformation écologique, de la solidarité sociale. Pas quelques jours en uniforme de policier pour faire trois photos et rassurer un électorat déboussolé en quête d’autorité, non : une longue sortie de nos meubles et de nos certitudes, de nos quartiers et de nos préjugés. Réhabilitons nos services publics, pour qu’ils réinvestissent les territoires délaissés et redonnent de la substance à nos discours creux sur la République et la nation. Rebâtissons des partis politiques et des syndicats qui servaient jadis de ponts entre les Français de différentes classes sociales et communautés. En bref : pour lutter contre le séparatisme, luttons aussi contre la séparation.

Quête de transcendance

Et parlons aux jeunes là où ils sont et non là où nous voudrions qu’ils fussent. Ils s’informent sur les réseaux sociaux ? Allons-y au lieu de le déplorer sur des plateaux télés qu’ils ne regardent plus ou dans des journaux qu’ils ne lisent plus. Les algorithmes de ces réseaux sont faits pour que vous n’y croisiez que des gens qui vous ressemblent ? Ils vous enferment dans des groupes d’affinités religieuses, sexuelles ou culturelles, qui forment des maisons closes mentales peu propices à la sortie de soi ? C’est donc là qu’il faut porter nos combats politiques dépassant les identités et les communautés respectives.

Nous avons ainsi mobilisé, pour défendre les droits des Ouïgours parqués dans des camps de concentration en Chine, des centaines de milliers de jeunes français venant de tous les quartiers et de toutes les origines, pour exhorter notre pays à être fidèle à son message universalisteJ’ai vu, je vois tous les jours la quantité phénoménale d’énergie civique qui habite ces jeunes, une énergie en quête d’un récit véritablement commun. Et je vois aussi à quel point les médias traditionnels et les partis constitués ne savent plus ni l’informer, ni la canaliser. Ni même la voir.

Sans jeunesse républicaine, il n’y a pas de République. Or, aujourd’hui, on demande tout à l’école. Y compris de remplir des tâches qu’elle ne peut remplir. Lorsque les riches et les pauvres habitaient les mêmes quartiers à des étages différents, l’école pouvait un minimum brasser les classes sociales. Ce n’est plus le cas lorsque les pauvres habitent loin des riches et que les quartiers se transforment en ghettos.

Lire l’analyse de Jean Birnbaum : Rushdie, Charlie, Paty, victimes d’une même offensive planétaire

On va achever l’école à force de lui faire compenser l’ensemble des failles et des renoncements de notre société. Et on envoie nos professeurs au casse-pipe en leur demandant d’assurer une mission civique que rien ne vient seconder ailleurs. Lorsque les hussards noirs de la IIIe partaient à l’assaut de la France, la République était un projet global, un récit mobilisateur. Ils étaient l’avant-garde d’un ensemble d’institutions tirant dans le même sens et d’une idéologie de transformation du monde. Ils sont désormais les postes avancés d’un Etat en pleine retraite. C’est intenable. Soigner l’école suppose de réparer la République.

Dans une société post-épique, ayant fait du bien-être des individus l’horizon de toute chose, la quête de transcendance n’a plus de débouché politique, mais elle n’a pas disparu pour autant. L’idéologie islamiste fournit une vision du monde totale, conciliant aventure collective et promesse de salut personnel. Face à elle, la République n’est plus qu’un faisceau d’institutions et de règles dont le sens n’est plus clair pour personne. Or, seule une vision du monde arrête une vision du monde. Seul un récit terrasse un récit. La répression policière du terrorisme est nécessaire. Elle n’est pas suffisante. Combattre l’idéologie qui le sous-tend est vital. Combler le vide qui la fait prospérer l’est aussi.

Raphaël Glucksmann est député européen (Alliance progressiste des socialistes et démocrates).

Raphaël Glucksmann(député européen)

**Clémentine Autain sur le combat contre le terrorisme : « J’alerte : la France est en passe de perdre pied »

TRIBUNE

Clémentine Autain

Députée de Seine-Saint-Denis

Pour la députée de La France insoumise, le débat public est dominé par les idées d’extrême droite et la France « ressemble chaque jour un peu plus à une société préfasciste ».

Publié hier à 06h30, mis à jour hier à 16h13  

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/28/clementine-autain-sur-le-combat-contre-le-terrorisme-j-alerte-la-france-est-en-passe-de-perdre-pied_6057616_3232.html

Tribune. La France a une nouvelle fois été touchée en son cœur. Devant l’horreur, l’abjection de l’assassinat d’un enseignant, l’hommage à Samuel Paty et la réaffirmation des principes fondateurs de notre République doivent nous rassembler. Malheureusement, ne respectant même pas ce temps de deuil, certains – Manuel Valls en tête – ont préféré les anathèmes et les insultes à la dignité et à la fraternité. C’est pourtant avec la raison et la réflexion que nous devons mener le débat sur la stratégie la mieux à même de combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam, et l’offensive de courants obscurantistes.

Lire l’analyse de Jean Birnbaum : Rushdie, Charlie, Paty, victimes d’une même offensive planétaire

La République n’est pas un concept ni une réalité figés. Elle est toujours inachevée. A chaque époque dans l’histoire, les confrontations ont fait rage entre républicains avant que ne soit dégagé un équilibre, toujours provisoire, garantissant la paix civile et un cadre pour la vie en commun. Refuser ce débat légitime, par malhonnêteté, paresse intellectuelle ou manipulation politique, c’est tourner le dos à l’esprit des Lumières que nous revendiquons haut et fort pour combattre les djihadistes et autres fondamentalistes. Nous avons besoin de confronter, honnêtement et sereinement, nos analyses et propositions. Face aux monstres, c’est dans la qualité et la rationalité de nos échanges que se situe notre force.

« La haine, la vindicte, l’empilement de lois liberticides ont pris le pas sur l’argumentation raisonnée et les mesures à même de toucher la cible »

J’alerte : la France est en passe de perdre pied. Au nom de la défense de la liberté et de la démocratie, notre pays s’enfonce dans le piétinement des libertés et de la démocratie. Le débat public est devenu un concours Lépine des idées d’extrême droite. Un jour, on nous propose d’interdire le voile dans tout l’espace public, le lendemain de n’autoriser que les prénoms contenus dans le calendrier, le surlendemain d’en finir avec les rayons halal ou casher dans les supermarchés. La haine, la vindicte, l’empilement de lois liberticides ont pris le pas sur l’argumentation raisonnée et les mesures à même de toucher la cible. Un tel climat ne nous sortira pas de l’immense difficulté dans laquelle nous nous trouvons : il ne peut conduire qu’à la guerre civile.

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D’éditos en chroniques humoristiques, de discours à l’Assemblée nationale en plateaux télévisés, j’entends qu’il faudrait que nous balayions devant notre porte. Par ce « nous » , je veux parler de cette gauche sociale, politique, intellectuelle qui se revendique Charlie, défend une laïcité d’apaisement et non d’exclusion, et combat ce racisme qui prend aujourd’hui la forme du rejet des musulmans. Comment est-il possible que cette gauche soit mise au banc des accusés qualifiés par certains comme en dehors du cadre républicain, pendant que l’extrême droite et tous ses porte-voix déroulent sans ambages leurs messages autoritaires et haineux ? Pire, c’est nous qui serions carrément « complices » voire « responsables » des meurtres commis au nom de l’islam. A nous de rendre des comptes, voire de « rendre gorge », pendant que Marine Le Pen bénéficie d’un tapis rouge et que ceux qui gouvernent ou ont gouverné se trouvent dédouanés de toute explication, de toute justification sur leurs manquements, leurs erreurs et leurs errements pourtant décisifs.

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Qui a démantelé les services de renseignements ? Qui n’a prévu que 25 personnes dans la cellule Pharos pour lutter concrètement contre la haine et le prosélytisme djihadiste sur les réseaux sociaux, quand nous n’avons cessé de dénoncer les plans d’austérité ? Qui a progressivement laminé la présence et la qualité des services publics dans les banlieues populaires, quand nous nous époumonions à dire que ce retrait de l’Etat comme du monde associatif était aussi injuste que dangereux ? Qui a fermé les yeux sur les pots-de-vin donnés par une entreprise française comme Lafarge à Daesh [l’Organisation Etat islamique], alors que nous lancions l’alerte sans que cela intéresse les grands médias ? Qui a laissé le Qatar posséder le PSG ou investir dans les quartiers populaires, quand nous l’avons dénoncé ? Ceux qui se sont affichés en photo avec les membres de le collectif Cheikh Yassine [dissous en conseil des ministres mercredi 21 octobre], ce n’est pas nous mais des figures de l’extrême droite.

Alignement sur l’agenda de l’extrême droite

Ceux qui assument de prendre gentiment le thé avec de hauts dignitaires saoudiens ou de lâcher les Kurdes pour ne pas déranger la Turquie d’Erdogan, ce n’est pas nous, ce sont des ministres sous Sarkozy, Hollande ou Macron. Et, aujourd’hui, c’est La France Insoumise ou EELV, Mediapart ou Regards, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ou le syndicat étudiant UNEF, Benoît Hamon ou Nicolas Cadène [le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité], qui sont montrés du doigt, calomniés, exclus du concert des hommages à Samuel Paty ? Ce procès est absolument scandaleux et terriblement dangereux. C’est une insulte à l’intelligence et à l’honnêteté. Et c’est l’alignement sur l’agenda de l’extrême droite.

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Notre pays ressemble chaque jour un peu plus à une société préfasciste. Le monstre grandit sans qu’aucune résistance collective ne parvienne, pour l’heure, à freiner cette ascension. La tonalité du débat politique est aussi électrique que délirante dans un moment qui devrait exiger du rassemblement et de l’intelligence collective.

« Vide de sens et outil de la diversion, l’expression “islamo-gauchistes” rappelle la chasse aux sorcières qui visait les “judéo-bolcheviques” ou les “hitléro-trotskystes”

La violence se déchaîne de façon exponentielle sur les réseaux sociaux. Les caps franchis dans la tolérance aux propos et propositions racistes sont inouïs. Vide de sens et outil de la diversion, l’expression « islamo-gauchistes », devenue courante, y compris dans la bouche d’un ministre d’Etat chargé de l’éducation, rappelle la chasse aux sorcières qui visait les « judéo-bolcheviques » ou les « hitléro-trotskystes ». C’est un désastre.

Chacune, chacun a-t-il bien conscience de ce qui se trame et de sa propre responsabilité dans ce sombre théâtre de la vie publique qui nous aspire dans une spirale de violences, d’amalgames, d’arbitraire, dans cette boue idéologique qui nous emmène tout droit vers le néant ? Je pense aux grandes voix qui se revendiquent de la gauche mais se taisent, voire attisent les confusions et excommunications. Je pense aux journalistes qui ne cessent de poser les questions venues de la droite dure, qui ne voient rien à dire ou redire quand Jean-Luc Mélenchon est qualifié de « collabo » dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale – insulte que l’on retrouve ensuite taguée au siège du PCF – , ou quand l’essayiste Pascal Bruckner accuse [la militante antiraciste et féministe] Rokhaya Diallo d’avoir « poussé à armer » les islamistes.

Le débat ne serait-il désormais qu’entre Eric Zemmour et Michel Onfray, comme le met en scène la chaîne CNews dans un duel qui n’est rien d’autre qu’un duo ? Un retour sain sur l’histoire du XXe siècle devrait inviter à sortir de la sidération et de la complicité ou notre pays basculera dans de tragiques récidives

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L’heure n’est pas à faire le dos rond en attendant que le tonnerre passe. Il existe une réponse émancipatrice et nous devons la porter avec fierté et convictions. Avec Jaurès, nous savons que la logique de guerre ne conduit pas à la paix. La fermeté n’est pas l’arbitraire. Dans l’idéal de notre République, laïque et sociale, il existe un fil protecteur contre l’obscurantisme et le fascisme. À nous de le faire vivre.

Clémentne Autain est députée La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis.

LFI, accusée de complaisance avec le communautarisme, veut clarifier sa vision de la laïcité et de la République

Les « insoumis » doivent réexpliquer leur conception alors qu’ils sont accusés, directement ou indirectement, d’être des complices de l’islam radical. 

Par Abel Mestre  Publié le 27 octobre 2020 à 01h56 – Mis à jour le 27 octobre 2020 à 10h52

https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/27/la-france-insoumise-sommee-de-clarifier-sa-vision-de-la-laicite_6057460_823448.html

Le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon s’entretient avec le député LFI Adrien Quatennens, à l’Assemblée nationale, le 13 octobre.
Le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon s’entretient avec le député LFI Adrien Quatennens, à l’Assemblée nationale, le 13 octobre. BERTRAND GUAY / AFP

Ils ont beau être des adeptes des joutes politiques, tout comme du « bruit et de la fureur », les « insoumis » n’arrivent pas à s’en remettre. Qu’après l’assassinat par un islamiste de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), on les accuse, directement ou indirectement, d’être « complices » des terroristes, des « collabos » de l’islam radical ou encore d’être des « islamo-gauchistes », les partisans de Jean-Luc Mélenchon ne l’acceptent pas.

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Le député La France insoumise (LFI) des Bouches-du-Rhône l’a encore répété lundi 26 octobre. Invité de France Inter – la présence de l’ancien sénateur socialiste sur cette station honnie est la preuve que l’heure est grave –, M. Mélenchon a interpellé le ministre de l’éducation nationale : « Jean-Michel Blanquer vient de dire que j’étais tantôt républicain, tantôt islamiste de gauche. Qu’il le prouve ! Qu’il dise, qu’il cite une phrase, un comportement ! » Il a mis au défi ses contempteurs « de trouver sur cinquante ans de ma vie politique une seule ligne qui puisse être considérée comme non laïque, non républicaine ».

Quelques jours auparavant, le même Jean-Luc Mélenchon estimait, dans une note de blog, que lui et son mouvement étaient des « boucs émissaires de confort ». Dans le même article, il faisait amende honorable en s’excusant d’avoir dit qu’il y avait « un problème avec la communauté tchétchène » en raison des origines du terroriste islamiste ayant assassiné Samuel Paty, le 16 octobre. Le député faisait également référence aux affrontements de Dijon, en juin, entre des Tchétchènes et des jeunes de la métropole bourguignonne.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Attentat de Conflans : à l’Assemblée, une réconciliation nationale éphémère

Il faut dire que, depuis l’attentat de Conflans, toute la gauche de la gauche (formations politiques, syndicats et certains médias comme le site Mediapart) est soumise à de très fortes critiques. Les principaux griefs viennent de la majorité présidentielle ; de l’ancien chef de l’Etat François Hollande ; des anciens premiers ministres socialistes Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ; du Printemps républicain (association qui défend avec véhémence une conception stricte de la laïcité) ; de la droite ou de l’extrême droite.

« Une spirale infernale »

En cause : la supposée complaisance avec les revendications communautaires de certaines associations et personnalités musulmanes. Cette famille politique est aussi accusée de renoncer à défendre le principe de laïcité.

Le siège du Parti communiste français (PCF) a ainsi été, au cours du week-end, tagué de l’inscription « collabo ». Un acte qui a été condamné par la quasi-totalité du spectre politique. Leurs camarades d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) se voient aussi reprocher une conception trop « libérale » de la laïcité. Mais, entre tous, LFI est la formation la plus particulièrement visée.

« Tout le gouvernement s’y met. C’est un moment de bascule voulu, orchestré, coordonné. Il y a une volonté de se payer LFI. Nous sommes la seule alternative, la seule opposition systémique, le grain de sable qui peut perturber le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen », veut croire Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis. Il dénonce un « climat délétère » où « l’extrême droite et les extrêmes libéraux se rejoignent dans une spirale infernale ». Il avertit : « Il faut faire attention : il y a ceux qui parlent et ceux qui appliquent dans les faits les paroles prononcées » contre des mouvements politiques ou contre les Français de confession musulmane. Les « insoumis » estiment également que le débat politique est fait sous la pression de l’extrême droite, de ses thèmes et de ses mots. « La bataille culturelle a été remportée par l’extrême droite », dit ainsi le député de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, lieutenant de Jean-Luc Mélenchon.

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Pour justifier leurs attaques, les adversaires de LFI rappellent que le mouvement de gauche a signé (comme, entre autres, le PCF, EELV et les syndicats CGT et FSU), en novembre 2019, l’appel contre l’islamophobie. Ce texte dénonçait la stigmatisation des Français de confession musulmane, notamment après l’attaque, quelques jours plus tôt, de la mosquée de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) par un ancien candidat du Rassemblement national.

Vite sortir de cette polémique

Mais cet appel condamnait également les « lois liberticides ». Si le texte ne précisait pas à quoi ce terme faisait référence, l’un des organisateurs, interrogé par Le Monde, avait alors expliqué qu’il était question des lois de 2004 et 2010 (sur les signes religieux à l’école et sur l’interdiction de la burqa), ce qui n’est d’ailleurs pas la position officielle de LFI. Autre problème : cet appel était lancé notamment par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association dont le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, dit mardi 27 octobre, dans Libération, qu’elle est « une officine islamiste ».

De plus, lors de la manifestation du 10 novembre 2019, qui avait suivi l’appel, Marwan Muhammad, l’ancien directeur du CCIF, avait harangué la foule en lançant depuis une camionnette plusieurs « Allahou Akbar ».

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« C’était une provocation isolée, faite sans concertation avec les autres organisateurs », avance aujourd’hui M. Coquerel qui avait beaucoup œuvré pour que le groupe parlementaire « insoumis » signe l’appel. Il tient à rappeler qu’une Marseillaise avait été entonnée à la fin de la marche : « Toute personne de gauche devait être dans la rue à ce moment-là », insiste-t-il. Reste que ces épisodes apparaissent aujourd’hui comme des éléments à charge contre le mouvement « insoumis ».

Une chose est sûre : il y a urgence pour LFI à sortir de cette polémique. M. Mélenchon doit déclarer sa troisième candidature à l’élection présidentielle dans les tout prochains jours. Or, il semble impossible de se lancer dans un tel climat politique.

La laïcité, un outil d’émancipation

Les « insoumis » doivent donc s’atteler à réexpliquer leur conception de la république et de la laïcité. Leur vision est déjà résumée dans le livret programmatique consacré à ce thème, où la laïcité est présentée comme un outil d’émancipation, « un pilier de la République une et indivisible ». Admirateur de la « grande Révolution » de 1789, longtemps franc-maçon, M. Mélenchon a toujours placé le combat républicain au cœur de son engagement. Et il entend bien le rappeler.

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Le 21 septembre, il a ainsi délivré un discours à la Maison de la Mutualité, où il a défendu l’idée d’une République qui redevienne un creuset où se mélangent et s’associent les citoyens aux origines et identités différentes et où les questions ethniques et l’assignation identitaire sont dépassées.

Mais cela ne suffira pas. « Il faut revenir à la raison, réfléchir à comment renforcer la laïcité. Il faut trouver une voie médiane, pour que le pays ne se casse pas, estime M. Corbière. On portera un message républicain. Ce sera une campagne longue où l’on prendra le temps d’expliquer les choses ; on réaffirmera nos positions. » Et surtout, faire œuvre de pédagogie et de patience.Notre sélection d’articles sur l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine

Abel Mestre

Voir aussi:

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/11/04/retour-sur-la-polemique-a-propos-de-lislamophobie/

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/11/03/la-gauche-francaise-et-lislam/

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/10/29/tres-vive-critique-contre-une-gauche-trop-coulante-avec-les-islamises/

https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2020/10/27/la-vision-de-la-laicite-et-de-la-republique-fait-debat-a-gauche/

https://jscheffer81.wordpress.com/2016/07/31/reformer-lislam-ou-reformer-la-relation-avec-lislam/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi