Betterave et néonicotinoïdes:  » Une agriculture qui contribue significativement à une marche accélérée vers une planète inhospitalière » ( Claude Henry Professeur honoraire à l’Ecole polytechnique et à Columbia University)

« Le recours aux néonicotinoïdes sous prétexte de sauver la betterave est une erreur fondamentale »

TRIBUNE

Claude Henry

Professeur honoraire à l’Ecole polytechnique et à Columbia University

Après l’adoption par les députés, début octobre, de la loi réautorisant l’utilisation des néonicotinoïdes pour protéger la culture de la betterave, Claude Henry, spécialiste du développement durable, dénonce, dans une tribune au « Monde », une agriculture qui contribue significativement à une marche accélérée vers une planète inhospitalière.

Publié le 26 octobre 2020 à 14h30   Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/26/le-recours-aux-neonicotinoides-sous-pretexte-de-sauver-la-betterave-est-une-erreur-fondamentale_6057417_3232.html

Tribune. « La question qui est face à nous, c’est une question de souveraineté. » Il ne s’agit pas de la souveraineté sur des médicaments essentiels, mais de la souveraineté sur la betterave sucrière. Et cette proclamation, dans une interview le 7 octobre sur Europe 1, n’était pas de Marine Le Pen, mais de Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, issu du parti du président de la République. Elle s’inscrivait dans la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes pour sauver la filière betterave [qui doit être examiné par le Sénat le 27 octobre en première lecture].

Il s’agit donc de sauver une filière qui produit, plutôt médiocrement, un aliment dont notre consommation excessive, celle des enfants en particulier, est un problème sérieux de santé publique. Et pour y parvenir, il serait indispensable de remettre en service une famille de pesticides qui a été interdite parce qu’elle est particulièrement nocive pour la santé publique et la biodiversité, c’est-à-dire la diversité et l’abondance d’êtres vivants, animaux et végétaux.

Deuxième pollueur au monde

En vérité, le recours aux néonicotinoïdes est une manifestation extrême de la dérive d’une forme d’agriculture qui a substitué la chimie à la fertilité des sols, à l’alliance avec la biodiversité et à la variété des compétences des agriculteurs. Cette agriculture, deuxième pollueur au monde – les sols, l’eau, la biodiversité, le climat – derrière la production et la consommation de combustibles fossiles, contribue significativement à une marche accélérée vers une planète inhospitalière.

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De tout cela, quelle vision peut avoir le président de la République ? Il a manifestement une intelligence pénétrante des rouages de l’économie dans laquelle nous vivons depuis un demi-siècle. Il en assure la sauvegarde dans des conditions difficiles à travers la crise que nous vivons actuellement. C’est de très grande importance, mais ce n’est pas l’essentiel.

Le recours aux néonicotinoïdes est une manifestation extrême de la dérive d’une agriculture qui a substitué la chimie à la fertilité des sols, à l’alliance avec la biodiversité et à la variété des compétences des agriculteurs

L’essentiel, c’est de conduire, avec une vision claire, opérationnelle et déterminée, la transition économique, sociale et écologique qui nous donnerait une chance d’infléchir la marche vers une planète inhospitalière. A-t-il cette vision ? Je n’arrive plus à m’en persuader.

Il n’est pas question ici de nostalgie passéiste ni de contestation aveugle de ce qu’on appelle le progrès. Les avancées scientifiques et techniques ont été prodigieuses depuis que Galilée (1564-1642) et Newton (1643-1727) ont établi les bases de la méthode scientifique et en ont révélé le potentiel d’innovations techniques. Cela a radicalement changé les conditions de vie, au moins dans les pays riches. Cependant, c’est aussi le facteur principal dans la destruction du capital naturel que la planète nous offre et sans lequel nous ne pouvons pas survivre.

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En dépit de cette tendance de fond, on ne peut s’en passer pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, à condition de ne pas nous limiter au scientifique et technique mais d’inclure dans nos décisions le social, l’économique et l’organisationnel. Ce n’est pas être indûment optimiste que de constater que les moyens d’une transition vers une société et une économie plus durables sont pour l’essentiel disponibles : énergie et mobilité, matériaux, agriculture et alimentation, gestion de l’eau et des sols, correction des systèmes de prix par la fiscalité, instruments et marchés financiers réorientés…

Pas de quartier

Mais ce sont de jeunes pousses qui, aussi prometteuses et pour beaucoup vigoureuses qu’elles soient, sont en danger d’être étouffées par des plantes nuisibles solidement installées.

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Au cours de la discussion à l’Assemblée nationale, Julien Denormandie a dit aussi : « Nous sommes tous favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes, nous sommes tous favorables à la transition agroécologique. Cela ne peut pas être au prix de tuer une filière française. » Erreur fondamentale ! On ne peut pas être pour une chose et son contraire.

Il y a des filières létales pour la vie sur la planète. Non seulement la destruction directe d’écosystèmes essentiels comme les océans ou les forêts (comme l’écrit Stéphen Rostain à propos de l’Amazonie, dans une tribune publiée en août par Le Monde), mais aussi la production et la consommation de combustibles fossiles, de matériaux indestructibles dans l’environnement jetés après usage, de polluants chimiques particulièrement agressifs comme certaines classes de pesticides et toute la famille des perturbateurs endocriniens…

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Elles ne font pas de quartier, tout y passe : air, eau, sol, biodiversité, climat et santé publique. Au point où nous en sommes, plus aucune coexistence n’est possible : ou bien elles sont maîtrisées à brève échéance, ou bien ce sont les conditions de la vie sur terre qui sont sapées. Il serait bon que le président de la République ne se laisse pas enivrer par le chant de la betterave…

Claude Henry est président du Conseil scientifique de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)/Sciences Po.

Claude Henyr (Professeur honoraire à l’Ecole polytechnique et à Columbia University)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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