La carte allemande commence à rougir sérieusement, surtout au sud et à l’ouest, dans les Länder de Bavière et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), mais aussi dans les grandes villes.

Covid-19: le modèle fédéral allemand mis à l’épreuve

25 OCTOBRE 2020 PAR THOMAS SCHNEE

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L’Allemagne vient de franchir la barre des 10 000 morts du Covid-19 depuis le début de la pandémie. Elle met à rude épreuve la répartition des pouvoirs entre l’État fédéral, les Länder, et les parlements. Au risque de la confusion et de l’incohérence, d’une région à l’autre.

Berlin (Allemagne).– Si l’Allemagne, souvent prise en exemple dans sa lutte contre la pandémie, doutait encore que la deuxième vague l’eût atteinte, la barre psychologique des 10 000 nouvelles contaminations journalières a été franchie depuis plusieurs jours, avec 14 714 cas enregistrés samedi 24 octobre. Un autre seuil a été dépassé : celui des 10 000 morts, avec 10 003 morts du Covid-19 répertoriés à cette même date, effaçant ainsi définitivement les illusions de ceux qui imaginaient passer un Noël presque normal.

Si le pays présente encore des taux d’incidence (nombre de cas pour 100 000 habitants sur sept jours) plus bas que les pays limitrophes, la carte allemande commence à rougir sérieusement, surtout au sud et à l’ouest, dans les Länder de Bavière et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), mais aussi dans les grandes villes. Le fait que le ministre de la santé, Jens Spahn, vienne d’être testé positif renforce encore le sentiment d’urgence.

« Je dois avouer qu’un reconfinement n’est plus exclu… Nous n’avons plus beaucoup de marge et d’options », admettait ainsi le maire de Berlin, Michael Müller, jeudi soir au journal télévisé de ZDF. Il y a deux semaines encore, le même Michael Müller se battait farouchement contre les restrictions sur le tourisme, imposées par l’État fédéral.

Les Allemands ne pouvaient séjourner dans un autre Land que le leur qu’à condition d’avoir été testés négatifs. Cette dernière mesure phare est devenue le symbole d’un prétendu « chaos fédéral ». Prise juste avant les vacances d’automne (le 12 octobre dans la majorité des régions), elle n’a pas seulement gâché les vacances de milliers d’Allemands et le chiffre d’affaires d’autant d’hôteliers, elle a aussi conduit à une brouille fédérale sans pareille : certains Länder ont décidé de l’appliquer pour se protéger, comme la Bavière ou le Mecklenburg-Vorpommern (côte baltique), quand d’autres ont refusé cette mesure « injuste et illogique », comme Berlin.

C’est en s’appuyant sur cet exemple que le ministre fédéral de l’économie, Peter Altmaier, est, lui aussi, monté au créneau cette semaine : « Face à cette situation tendue, voire dramatique, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un patchwork de règlements différents et contradictoires », a-t-il expliqué. Le ministre-président bavarois Markus Söder, patron du Land qui compte le plus de morts du coronavirus (2 734), a même proposé de transférer des compétences des Länder vers l’État fédéral, exclusivement dans le domaine sanitaire : « Je suis un fédéraliste convaincu, mais je crois que le fédéralisme arrive à ses limites », a-t-il affirmé.Un masque devant la porte de Brandebourg à Berlin, le 23 octobre 2020. © Annette Riedl / DPA / dpa Picture-Alliance via AFPUn masque devant la porte de Brandebourg à Berlin, le 23 octobre 2020. © Annette Riedl / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Outre-Rhin, la lutte contre une pandémie est réglée par la « loi contre les infections » de 2001 (Infektionsschutzgesetz). Celle-ci aborde des sujets qui dépendent tout à la fois des Länder (police, école, agences sanitaires) et de l’État fédéral (santé, prévention, droit du travail, etc.). Dans les faits, et depuis le début de la pandémie, c’est donc une conférence réunissant l’État fédéral et les représentants des Länder qui « préconise » des mesures sanitaires. Libre ensuite aux Länder de les mettre en œuvre… ou pas ! Comme ce fut le cas pour l’interdiction d’hébergement ou encore le port du masque dans les classes, une mesure encore peu suivie.

Parallèlement, le Bundestag a voté, en mars dernier, un amendement à la « loi contre les infections » permettant pour six mois au gouvernement fédéral et au ministre de la santé de prendre certaines mesures par décrets. Par exemple de réquisitionner des médicaments, des lits hospitaliers ou du personnel médical, ou de permettre l’intervention de 15 000 soldats (sans armes) sur le territoire, pour venir en aide aux agences sanitaires qui gèrent notamment le traçage des cas positifs et la mise en œuvre de la politique de tests.

« Sur le terrain, ces nombreux niveaux de décision peuvent créer de mauvaises surprises », témoigne Gundekar Fürsich, qui dirige quatorze maisons de retraite en Thuringe pour le compte de Caritas : « Nous avons environ 1 100 personnes âgées pour une équipe de 800 salariés que nous devons tous protéger au mieux mais qui se trouvent dans des arrondissements différents, c’est-à-dire dépendants d’agences sanitaires différentes. »

Exemple : « Quand la conférence État fédéral-Länder et/ou le ministre de la santé annoncent que les visites seront à nouveau possibles dans les maisons de retraite, les familles se précipitent, poursuit Fürsich. Sauf que chaque Land accepte, ou pas. Puis, selon les niveaux de contamination et leurs propres estimations, les agences sanitaires, qui dépendent du Land ou de la commune, décident en fin de chaîne si les visites seront autorisées, complètement, un peu ou pas du tout. »

Pour la politologue et juge régionale constitutionnelle Nathalie Behnke, spécialiste du fédéralisme, la structure fédérale allemande pose un problème de lisibilité plus que d’efficacité : « Un débat comme celui sur l’interdiction d’hébergement est malheureux et donne une impression de cacophonie, ou de manque de solidarité. Par exemple, quand la Bavière refuse les touristes des autres régions mais continue à autoriser ses propres citoyens à faire du tourisme intra-régional », explique-t-elle.

En revanche, un tel problème débouche tout de suite sur des discussions entre les Ländereux-mêmes et avec l’État fédéral, au sein des partis et des parlements, etc. « Ces débats mettent en lumière le doute et l’indécision de nos dirigeants. Cela n’est pas forcément bon pour l’acceptation des politiques par la population. En revanche, le débat musclé qui a suivi la mesure a abouti, quinze jours plus tard, à la disparition de cette mesure finalement inappropriée. Ce que dit cet exemple, c’est que le fédéralisme est un système pas si mauvais de sélection de la “meilleure” solution, c’est-à-dire de la solution la plus praticable. Et, dans les faits, rien ne montre que le système soit plus lent et inefficace », indique Nathalie Behnke.

Le magazine Der Spiegel s’est aussi amusé à comparer la situation et les politiques menées en Bavière et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Ces deux régions sont à la fois les plus peuplées d’Allemagne et les plus touchées par le Covid-19. Mais elles sont aussi dirigées par deux ministres-présidents conservateurs, respectivement Markus Söder (CSU) et Armin Laschet (CDU), aux styles bien différents, mais qui rêvent tous deux de succéder à Angela Merkel l’année prochaine.

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Après une comparaison de la situation, des politiques mises en œuvre et des résultats, le magazine arrive à la conclusion que les différences entre les deux Länder ne sont finalement pas si grandes : « Ce qui laisse supposer que la rivalité des deux chefs régionaux est plus motivée par des questions politiques que par des faits relatifs à la pandémie », conclut le magazine, qui éclaire ainsi d’un autre jour le fameux « cirque fédéral ».

« Un débat sur le rôle des parlements et du Bundestag dans la lutte contre la pandémie est aussi en train de monter », explique Nathalie Behnke. En cause : la prolongation à venir de l’amendement à la loi contre les infections permettant au gouvernement fédéral d’agir par décrets. « La prolongation de six mois de ces pouvoirs sera remise au vote la semaine prochaine, et le président du Bundestag, Wolfgang Schäuble, en a profité pour lancer un débat sur le renforcement du rôle du Parlement dans la lutte contre la pandémie face aux pouvoirs exécutif et judiciaire », précise la politiste.

Schäuble pense qu’un meilleur contrôle parlementaire peut au moins contribuer à contourner les pièges du « patchwork fédéraliste » et à unifier les politiques anti-Covid. « Il aura du mal à s’imposer. Mais les parlements, au niveau fédéral comme régional, ont certainement un rôle de contrôle, d’évaluation et d’exploration à jouer », estime Behnke.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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