A Lyon, les écologistes prennent la main sur la gestion de l’eau
Promesse de campagne, la création d’une régie publique de l’eau constitue le premier dossier d’envergure de la majorité écologiste. L’objectif de la métropole : préserver les ressources tout en mettant en place « une tarification sociale et progressive ».
Par Richard Schittly Publié hier à 01h17, mis à jour hier à 05h25

Une révolution aux contours imprécis. Après des décennies de gestion privée, la métropole de Lyon engage la création d’une régie publique de l’eau. Promesse de campagne, la reprise de la gestion de l’eau constitue le premier dossier d’envergure de la majorité écologiste, en rupture avec une tradition séculaire, et face à un puissant lobbying de Veolia, opérateur historique à Lyon.
Le nouvel exécutif de la métropole a décidé de ne pas renouveler la délégation de service publique (DSP) qui doit s’achever au 31 décembre 2022. D’ici là, il lui faut préparer la transition, technique, pour continuer à fournir 245 000 m3 d’eau par jour, nécessaires au 1,2 million d’habitants de la deuxième agglomération de France ; et sociale, avec la reprise des 280 salariés de la filiale eau de Veolia.
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« La régie publique, c’est un choix politique réfléchi, assumé, basé sur une philosophie. Pour les écologistes, la question de l’eau est fondamentale, la préservation de la ressource est notre priorité, on ne peut pas laisser l’eau au privé, on peut discuter de tout, mais pas de l’eau », explique au Monde Bruno Bernard, président (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) de la métropole de Lyon. Selon l’élu écologiste, la logique du groupe privé suppose automatiquement une recherche de bénéfices. Autant reprendre cette marge dans le budget de la collectivité.
Pour M. Bernard, l’objectif est aussi de permettre « une tarification sociale et progressive », avec « les premiers mètres cubes d’eau gratuits pour les foyers les plus défavorisés ». Le tout « sans hausse de tarif », mais avec la volonté de « limiter la surconsommation » par des mesures pas encore définies.
Tous les acteurs affichent leur fair-play
Pour Veolia, le coup est rude. C’est la fin annoncée d’un contrat de 90 millions d’euros par an, le deuxième de ce type en France. Sur les lieux mêmes de sa naissance. La Compagnie générale des eaux (CGE), son ancêtre, a vu le jour à Lyon en 1853, toute première régie nationale créée par décret impérial.
Antoine Frérot est venu en personne rencontrer Bruno Bernard, le 12 octobre. En pleine bagarre avec Suez, le PDG de Veolia est resté une heure dans le bureau du président écologiste. A sa sortie, M. Bernard a diffusé un communiqué laconique : « M. Frérot m’a rassuré sur la bonne volonté de Veolia. » Tous les acteurs affichent leur fair-play. En coulisses, le groupe industriel prend la mesure de la vague verte et place ses pions.
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Neuf jours après la visite d’Antoine Frérot, le directeur général de Veolia Eau France fait à son tour le déplacement à Lyon. « Nous sommes démocrates, nous respectons les décisions politiques », dit Frédéric Van Heems, mercredi 21 octobre, en accueillant le nouveau patron de la métropole dans le hall de l’usine de Crépieu.
Implanté en bordure de périphérique, le site ultra-protégé alimente les 4 000 kilomètres du réseau lyonnais, à partir d’une nappe alluviale du Rhône. Unique en Europe, le champ captant, situé derrière l’usine, fournit 90 % de l’eau de la métropole, avec 114 puits sur une parcelle de 375 hectares classée Natura 2000.
Le directeur général de la filiale eau de Veolia égrène alors les performances du groupe avec une imperturbable urbanité, face au leader écologiste accompagné de Florestan Groult, président de la commission environnement et agriculture, dissident de La France insoumise. Le taux de rendement du réseau est passé de 77 % à 85 % au cours de ces trois dernières années, grâce à 5 500 capteurs sonores pour repérer les fuites.
Clivages idéologiques
Durant la visite, le groupe mondial rappelle son poids dans la région lyonnaise. Employeur de 1 350 salariés dans différents secteurs, Veolia se montre prodigue auprès de multiples associations, soutenant des actions sociales et environnementales. « Notre métier, c’est la transition écologique, plaide M. Van Heems, qui insiste : le métier du cycle de l’eau va devenir de plus en plus complexe, avec de plus en plus d’investissements à engager. »
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Après le revirement hautement symbolique des nouveaux élus, les dirigeants de Veolia veulent parer un effet domino. « Le changement en régie ne va pas se multiplier en France. Nous devons inventer un nouveau modèle pour les cent ans à venir, on ne se coupe pas de la capacité technologique d’un groupe comme Veolia, on peut trouver des manières intelligentes de continuer à travailler ensemble »,confie au Monde M. Van Heems.
Au cours de la visite, Bruno Bernard a rassuré l’industriel par une brève allusion : « Une partie sera sous-traitée. » La métropole vient de lancer un double appel d’offres pour recruter un directeur de projet et demander à un cabinet d’études d’écrire le cadre juridique de la future régie publique. « Nous voulons associer les citoyens à la politique de l’eau, inciter les agriculteurs à éviter les pesticides pour préserver la ressource, c’est le cœur de notre mandat », assure Bruno Bernard.
L’eau réactive les clivages idéologiques. « Tout cela relève de l’affichage, on monte le privé contre le public », réagit Alexandre Vincendet (Les Républicains), leader du premier groupe d’opposition, avec 33 élus sur les 150 de l’assemblée métropolitaine. Le maire de Rillieux-la-Pape dénonce le tarif social de l’eau, vu comme une manière d’assistanat, et se moque « des élus socialistes qui ont voté pour la délégation à Veolia sous Gérard Collomb et qui retournent aujourd’hui leur veste avec les écologistes. » « La création de la régie publique se fait en catimini, sans la moindre discussion, par dogmatisme », dit Louis Pelaez (ex-La République en marche), ancien directeur de campagne de Gérard Collomb.
« Un grand défi social »
L’ancien ministre de l’intérieur siège désormais dans un groupe réduit à neuf élus. C’est lui qui a signé le contrat avec Veolia en 2015, puis demandé une étude sur la possibilité d’un retour en régie publique, sans conviction. Chantre du partenariat public-privé, l’ex-président de la métropole n’a jamais vraiment envisagé de retirer les délégations accordées aux grands opérateurs. En revanche, le nouveau groupe socialiste, comptant treize élus alliés aux écologistes, est favorable au projet de régie. « Un grand défi social, indissociable d’une conception écologiste », avait dit Renaud Payre (PS), choisissant l’usine des eaux de Caluire pour sa première sortie de campagne, le 4 février.
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« Après des périodes d’indifférence, les collectivités se sont réapproprié le pilotage de la production d’eau, le contrat avec Veolia a imposé 130 indicateurs à respecter », confie Christian Debiesse, chef du service eau de la métropole de Lyon, comprenant 70 agents. Quel périmètre va se donner la future régie ? Le contrôle de l’eau a toujours marqué le curseur du pouvoir dans l’ancienne Lugdunum, dont les souterrains et aqueducs de l’époque romaine impriment la géographie. Source de scandales politico-financiers à la fin du XXe siècle, fatale à l’ancien maire Michel Noir, l’eau constitue désormais un test fondateur pour les écologistes. Sur leur capacité à gérer. Et leur degré d’indépendance.