La comparaison approximative de Florian Philippot entre le Covid-19 et la grippe de 2017
L’ancien bras droit de Marine Le Pen affirmait, lors d’un débat mardi, que le virus SARS-CoV-2 n’avait pas beaucoup plus tué que celui de la grippe il y a quatre ans. Il se trompe dans les chiffres.
Par William Audureau et Pierre Breteau Publié le 15 octobre 2020 à 15h27 – Mis à jour le 15 octobre 2020 à 16h17
Au cours d’un débat confus sur le plateau de CNews, mardi 13 octobre, Florian Philippot s’est lancé dans une comparaison entre le nombre de morts de l’épidémie de grippe en 2017 et celui du Covid-19 à ce jour. L’ancien bras droit de Marine Le Pen souhaitait montrer que, un mort en valant un autre, les mesures actuelles de lutte contre l’épidémie étaient disproportionnées.
« On ne doit pas mettre par terre le pays. (…) Vous savez, en 2017, la grippe a tué entre 20 000 et 30 000 personnes en France. On n’est pas très loin des chiffres du Covid, qui sont de près de 32 000 aujourd’hui. (…) Or un mort de la grippe ne vaut pas moins qu’un mort du Covid. »
Le chiffre de Florian Philipot est aussitôt contesté par les intervenants présents. Dans la confusion générale, le médecin Jean-Paul Hamon parle de 5 000 morts ; avant que l’homme politique ne cite un article du Point évoquant une surmortalité de 21 000 morts en 2017. « Quand je donne un chiffre, je donne un chiffre sourcé. M. Hamon fait semblant de savoir, ce n’est pas bien », clôt M. Philippot à la fin de cette séquence.
📺 @F_Philippot prend le Dr @HamonJeanPaul en flagrant délit de #FakeNews sur les chiffres de mortalité de la grippe… https://t.co/XH5vS8yzmT— AlertesInfosUSA (@Alertes Infos USA & Hydroxychloroquine)
POURQUOI CE CHIFFRE N’EST PAS LE BON
Qu’en est-il réellement ? Florian Philippot a raison d’affirmer que son chiffre est sourcé : le surplus de mortalité en 2017, par rapport à la moyenne des années précédentes, était bel et bien de 21 000 morts. On parle ici de décès toutes causes confondues, mais la grippe était la principale responsable de cette surmortalité, comme l’indiquait Le Point à l’époque. De ce point de vue-là, il est effectivement plus près de la bonne réponse que le médecin Jean-Paul Hamon.
Son chiffre n’est pas correct pour autant. Les 21 000 morts de plus par rapport à la moyenne n’étaient pas tous imputables à la grippe. D’autres facteurs hivernaux entraient également en jeu (risque cardo-vasculaire, autres virus), comme le rappelait Le Figaro.
La grippe n’a été responsable que des deux tiers de cette surmortalité
Dans le détail, la grippe n’a été responsable que des deux tiers de cette surmortalité, selon les chiffres consolidés de Santé publique France parus en avril 2018 :
« Au terme de l’épidémie 2016-2017, l’excès de mortalité toutes causes et tous âges confondus avait été estimé à 21 200 décès et environ 14 400 décès étaient attribuables à la grippe. »
Ce graphique représente le nombre de morts quotidiennes en France. En grisé les années 2016 et 2017 ; en rouge l’année 2020.

En outre, M. Philippot compare deux situations diamétralement opposées.
En 2017, aucune précaution particulière n’avait été prise pour limiter l’impact d’une grippe responsable de 14 000 décès. A l’inverse, en 2020, le Covid-19 a causé la mort de quelque 32 000 personnes, malgré des mesures extrêmes et particulièrement destructrices économiquement et socialement. Sans le confinement, plus de 60 000 personnes seraient décédées de la maladie au printemps, selon les calculs de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).
Cela ne signifie pas que des épidémies de grippe d’un niveau de gravité comparable n’existent pas, mais il faut remonter bien plus loin qu’à 2017 pour en trouver trace. Lors de l’épidémie de grippe de 1968, rappelle le Groupe d’expertise et d’information sur la grippe (GEIG), 1 million de personnes avaient perdu la vie dans le monde, dont 40 000 en France.
William Audureau et Pierre Breteau
Covid-19 : on ne peut pas dire que « 60 % des contaminations ont lieu au travail ou à l’école »
Jean-Luc Mélenchon a contesté, mercredi, l’instauration d’un couvre-feu dans certaines zones sur la base de chiffres peu fiables.
Par Maxime Vaudano et Adrien Sénécat Publié le 15 octobre 2020 à 15h02 – Mis à jour le 15 octobre 2020 à 15h41
Pourquoi décréter un couvre-feu si les Français continuent d’aller au travail et à l’école, où ils risquent d’être contaminés par le nouveau coronavirus ? C’est l’une des critiques récurrentes à l’encontre de la stratégie annoncée par Emmanuel Macron, mercredi 14 octobre.
Ce qu’on entend
Plusieurs personnalités, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, se sont élevées dès les minutes qui ont suivi l’intervention du chef de l’Etat pour critiquer la pertinence de ce choix du couvre-feu. Le député de La France insoumise (LFI) a affirmé sur Twitter que « 60 % des contaminations ont lieu au travail ou à l’école ou à l’université entre 8 heures et 19 heures. Mais Macron interdit les sorties au bar et au restaurant entre 20 heures et 6 heures. Bienvenue en Absurdie ».
D’autres élus ont tenu des propos similaires, comme le maire PCF de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Patrice Bessac, ou la députée européenne LFI Manon Aubry. De nombreux internautes ont également diffusé sur les réseaux sociaux un tableau donnant des statistiques sur les clusters à l’appui de cette affirmation :
Santé Publique France : 55% des clusters #Covid19 se trouvent en milieu scolaire (35,3%) et dans les entreprises (2… https://t.co/JRIMye0bOw— MarieLaureGB (@Marie-Laure GB)
CE N’EST PAS FONDÉ
Entreprises et milieu scolaire sont prépondérants dans les clusters identifiés
Il n’est pas possible de savoir, au cas par cas, où et comment chaque personne porteuse du coronavirus SARS-CoV-2 a été infectée. Les seules données chiffrées sur le sujet versées au débat public portent sur les clusters, c’est-à-dire les foyers de contamination qui comportent au moins trois cas confirmés ou probables, dans une période de sept jours.
Depuis la levée du confinement, Santé publique France (SPF) livre dans chacun de ses points hebdomadaires sur l’épidémie de Covid-19 des données sur ces clusters. La méthodologie employée est détaillée ici.
C’est ce tableau qui est régulièrement diffusé sur les réseaux sociaux, et sur lequel s’appuie vraisemblablement Jean-Luc Mélenchon. On y lit que sur les 1 070 clusters en cours d’investigation en France au 5 octobre, 20 % concernaient des entreprises privées et publiques et 35,3 % des établissements scolaires et universitaires, soit près de 60 % comme l’a déclaré le député LFI :

Toujours dans ce tableau, les événements publics ou privés ne représentaient à la même date que 7,9 % des clusters en cours d’investigation et le milieu familial élargi 0,8 %.Lire aussi : quelles restrictions dans votre ville ou département ?
Les clusters ne concernent qu’une petite minorité de cas
Les épidémiologistes interrogés par Le Monde ces dernières semaines nous ont cependant systématiquement invités à ne pas tirer de conclusions hâtives à partir de ces bilans. En effet, les clusters recensés dans les points hebdomadaires de SPF ne concernent qu’une minorité des cas confirmés.
* Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et établissements médicosociaux (EMS) pour personnes handicapées.
Source : chiffres de Santé publique France pour la période du 9 mai au 5 octobre 2020.
Ainsi, 3 207 clusters ont été recensés entre le 9 mai et le 5 octobre, incluant 34 767 cas, selon SPF. Un chiffre auquel s’ajoutent 574 clusters en Ehpad, incluant 8 120 cas. Soit un total d’environ 43 000 cas, alors que plus de 510 000 cas ont été confirmés par des tests entre le 13 mai et le 7 octobre.
Cela veut dire que dans plus de neuf cas sur dix, le patient testé positif au coronavirus n’a été relié à aucun cluster, sans qu’il soit donc possible de tirer des enseignements sur l’origine de sa contamination. Et l’application StopCovid, qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir remplacer par un nouveau dispositif baptisé « Tous anti-Covid », n’a pas apporté de données pour compléter ce tableau.
Le suivi des clusters a un intérêt pour les autorités sanitaires pour tenter de retracer la circulation du virus et pour prendre des mesures adaptées dans les lieux où plusieurs cas sont apparus dans un laps de temps restreint. Mais il n’est pas un indicateur fidèle pour savoir où et comment se transmet le virus. Les lieux de diffusion facilement identifiables y sont en effet logiquement surreprésentés.
On ne peut donc pas extrapoler à partir des chiffres des clusters pour supposer que les contaminations au travail et en milieu scolaire seraient majoritaires, comme le fait Jean-Luc Mélenchon. Aucun indicateur chiffré ne permet de le faire en France à l’heure actuelle.Analyse : les chiffres sur le Covid-19 n’expliquent pas tout
Le chef de l’Etat a affirmé que « les contacts privés (…) sont les contacts les plus dangereux », mais il ne peut pas non plus donner d’éléments statistiques pour appuyer cette affirmation, pas plus que ses opposants ne peuvent en apporter pour la contester.
En l’état, cette mesure est avant tout justifiée par la dynamique générale de l’épidémie. Compte tenu des différentes restrictions sanitaires mises en place ces derniers mois, du port du masque aux protocoles déployés au travail et ailleurs, le gouvernement estime désormais pertinent de cibler les moments supposés de « relâchement », et donc notamment les fêtes privées où la distanciation physique et le port du masque ne sont plus appliqués.
Des études ont ainsi montré que le risque de transmission est élevé dans ces conditions.Infographie : évaluez le risque de transmission du coronavirus en un coup d’œil
Le chef de l’Etat a par ailleurs revendiqué l’objectif de « continuer à avoir une vie économique, à fonctionner, à travailler, à ce que les écoles, les lycées, les universités soient ouvertes et fonctionnent ». Il fait donc le pari qu’il est possible de réduire sensiblement le nombre de contaminations en ciblant d’autres lieux de circulation du virus. Malgré la profusion de chiffres qui alimentent le débat public sur la pandémie, la prise de décision politique se fait parfois en l’absence de certitudes statistiques.