La dette due au Covid-19, son devenir ?

Thomas Piketty : « Que faire de la dette Covid-19 ? »

CHRONIQUE

Thomas PikettyDirecteur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ecole d’économie de Paris

Si les banques centrales peuvent prendre sur leur bilan une part croissante des créances, tout ne sera pas réglé pour autant, explique l’économiste dans sa chronique au « Monde ». Selon lui, les plus riches devront nécessairement être mis à contribution.

Publié le 10 octobre 2020 à 06h30   Temps de Lecture 5 min. 

Chronique. Comment les Etats vont-ils faire face à l’accumulation de dettes engendrées par la crise due au Covid-19 ? Pour beaucoup, la réponse est entendue : les banques centrales vont prendre sur leur bilan une part croissante des créances, et tout sera réglé. En réalité, les choses sont plus complexes. La monnaie fait partie de la solution mais ne suffira pas. Tôt ou tard, les plus aisés devront être mis à contribution.

Récapitulons. La création monétaire a pris en 2020 des proportions sans précédent. Le bilan de la Réserve fédérale a bondi de 4 159 milliards de dollars au 24 février à 7 056 milliards au 28 septembre, soit près de 3 000 milliards de dollars d’injection monétaire en sept mois, ce qui ne s’était jamais vu. Le bilan de l’Eurosystème (le réseau de banques centrales piloté par la Banque centrale européenne, BCE) est passé de 4 692 milliards d’euros au 28 février à 6 705 milliards au 2 octobre, soit une hausse de 2 000 milliards. Rapporté au PIB de la zone euro, le bilan de l’Eurosystème, qui était déjà passé de 10 % à 40 % du PIB entre 2008 et 2018, vient de bondir à près de 60 % entre février et octobre 2020.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Le financement du plan de relance va peser sur la dette publique

A quoi sert tout cet argent ? Par temps calme, les banques centrales se contentent de faire des prêts à court terme afin d’assurer la liquidité du système. Comme les entrées et les sorties d’argent dans les différentes banques privées ne s’équilibrent jamais exactement au jour près, les banques centrales prêtent pour quelques jours des sommes que les établissements remboursent ensuite.

Un gigantesque casino planétaire

A la suite de la crise de 2008, les banques centrales se sont mises à prêter de l’argent à des échéances de plus en plus longues (quelques semaines, puis quelques mois, voire plusieurs années) afin de rassurer les acteurs financiers, tétanisés à l’idée que leurs partenaires de jeu fassent faillite. Et il y avait fort à faire car, faute de régulation adéquate, le jeu financier est devenu un gigantesque casino planétaire au cours des dernières décennies. Chacun s’est mis à prêter et à emprunter dans des proportions inouïes, si bien que le total des actifs et passifs financiers privés détenus par les banques, les entreprises et les ménages dépasse aujourd’hui les 1 000 % du PIB dans les pays riches (sans même inclure les titres dérivés), contre 200 % dans les années 1970. Les patrimoines réels (c’est-à-dire la valeur nette de l’immobilier et des entreprises) ont eux aussi progressé, passant de 300 % à 500 % du PIB, mais beaucoup moins fortement, ce qui illustre la financiarisation de l’économie. D’une certaine façon, les bilans des banques centrales n’ont fait que suivre (avec retard) l’explosion des bilans privés, afin de préserver leur capacité d’action face aux marchés.

Le nouvel activisme des banques centrales leur a également permis de racheter une part croissante des titres de dette publique, tout en ramenant les taux d’intérêt vers zéro. La BCE détenait déjà 20 % de la dette publique de la zone euro au début de 2020, et pourrait en posséder près de 30 % d’ici à la fin de l’année. Une évolution similaire se déroule aux Etats-Unis.

Comme il est peu probable que la BCE ou la Fed décident un jour de remettre ces titres sur les marchés ou d’en exiger le remboursement, on pourrait dès à présent décider de ne plus les compter dans le total des dettes publiques. Si l’on souhaite inscrire cette garantie dans le marbre juridique, ce qui serait préférable, alors cela risque de prendre un peu plus de temps et de débats.

« L’orgie de création monétaire et d’achat de titres financiers conduit à doper les cours boursiers et immobiliers, ce qui contribue à enrichir les plus riches »

La question la plus importante est la suivante : doit-on continuer dans cette voie, et peut-on envisager que les banques centrales détiennent à l’avenir 50 % puis 100 % des dettes publiques, allégeant d’autant la charge financière des Etats ? D’un point de vue technique, cela ne poserait aucun problème. La difficulté est qu’en résolvant la question des dettes publiques d’une main cette politique crée d’autres difficultés ailleurs, notamment en matière d’accroissement des inégalités de richesses. L’orgie de création monétaire et d’achat de titres financiers conduit en effet à doper les cours boursiers et immobiliers, ce qui contribue à enrichir les plus riches. Pour les petits épargnants, les taux d’intérêt nuls ou négatifs ne sont pas forcément une bonne nouvelle. Mais pour ceux qui ont les moyens d’emprunter à bas taux et qui disposent de l’expertise financière, légale et fiscale permettant de dénicher les bons placements, il est possible d’obtenir d’excellents rendements. D’après Challenges, les 500 plus grandes fortunes françaises sont ainsi passées de 210 à 730 milliards d’euros entre 2010 et 2020 (de 10 % à 30 % du PIB). Une telle évolution est socialement et politiquement insoutenable.

Une véritable relance sociale et écologique

Il en irait différemment si la création monétaire, au lieu d’alimenter la bulle financière, était mobilisée pour financer une véritable relance sociale et écologique, c’est-à-dire en assumant de fortes créations d’emplois et augmentations de salaire dans les hôpitaux, les écoles, la rénovation thermique, les services de proximité. Cela permettrait d’alléger la dette tout en réduisant les inégalités, en investissant dans les secteurs utiles pour l’avenir et en déplaçant l’inflation des prix des actifs vers les salaires et les biens et services.

« C’est en ayant recours à des prélèvements exceptionnels sur les plus aisés que l’on a éteint les grandes dettes publiques de l’après-guerre »

Pour autant, il ne s’agirait pas d’une solution miracle. Dès lors que l’inflation redeviendrait substantielle (de 3 % à 4 % par an), il faudrait lever le pied sur la création monétaire et en venir à l’arme fiscale. Toute l’histoire des dettes publiques le montre : la monnaie seule ne peut offrir de solution apaisée à un problème de cette ampleur, car elle entraîne d’une façon ou d’une autre des conséquences distributives incontrôlées. C’est en ayant recours à des prélèvements exceptionnels sur les plus aisés que l’on a éteint les grandes dettes publiques de l’après-guerre, et que l’on a rebâti le pacte social et productif des décennies suivantes. Gageons qu’il en ira de même à l’avenir.

Thomas Piketty(Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ecole d’économie de Paris)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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