Allemagne: dans les grandes villes le laboratoires au bord de la saturation – Le mouvement antimasque freiné par le rebond et la pénétration par l’extrême droite

Covid-19 en Allemagne : « Les laboratoires sont au bord de la saturation, en particulier dans les grandes villes »

Quelle est la situation épidémique outre-Rhin ? Comment le gouvernement Merkel gère-t-il la crise sanitaire ? Comment la population réagit-elle ? Notre correspondant à Berlin, Thomas Wieder, a répondu à vos questions

Publié le 09 octobre 2020 à 13h32 – Mis à jour le 09 octobre 2020 à 13h54

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/09/covid-19-en-allemagne-les-laboratoires-sont-au-bord-de-la-saturation-en-particulier-dans-les-grandes-villes_6055427_3210.html

Un laborantin manipule des échantillons pour les tests de dépistage du Covid-19, à Berlin, en Allemagne, le 22 septembre.
Un laborantin manipule des échantillons pour les tests de dépistage du Covid-19, à Berlin, en Allemagne, le 22 septembre. HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

L’inquiétude gagne en Allemagne, alors que le pays a enregistré cette semaine plus de 4 000 nouveaux cas quotidiens confirmés de Covid-19 – une première depuis le début d’avril. « Le nombre d’infections augmente (…) avec une ampleur préoccupante », a ainsi mis en garde le ministre de la santé, Jens Spahn, jeudi 8 octobre. D’autant que ce bond intervient alors que les vacances d’automne doivent commencer dans une grande partie du pays.

Notre correspondant à Berlin, Thomas Wieder, a répondu à vos questions sur la gestion de l’épidémie outre-Rhin. Depuis l’apparition de la maladie, un peu plus de 9 500 personnes sont mortes en Allemagne, soit 115 pour un million d’habitants ; c’est largement moins qu’en France (environ 500), en Italie (600), en Espagne (700) ou encore en Belgique (870).Lire aussi le compte-rendu*** : En Allemagne, cacophonie et inquiétude face à la hausse rapide du nombre de contaminations

Valentine – Le port du masque est-il obligatoire dans les villes allemandes ?

Le port du masque est imposé dans les commerces ainsi que dans les transports depuis la fin avril. Dans les établissements scolaires, il est obligatoire généralement à partir de la « 5e classe » (l’équivalent du CM2 en France), mais pas dans les salles de cours. Dans la rue, en revanche, personne n’est obligé de porter un masque.

Mo – Qu’en est-il de l’application équivalente à StopCovid en Allemagne ?

La Corona Warn App – c’est son nom – a été téléchargée un peu plus de 18 millions de fois depuis son lancement, à la mi-juin. C’est environ six fois plus qu’en France. Mais cette différence ne doit pas faire illusion. Au début de septembre, on estimait qu’environ 3 000 utilisateurs avaient reçu le code de validation nécessaire pour s’identifier comme « malade » sur l’application après avoir reçu un test positif, ce qui est assez peu.**: En Allemagne, le succès en trompe-l’œil de l’appli Corona-Warn-App contre le Covid-19

Au sein de la population, le doute sur l’utilité du dispositif a augmenté, selon une série d’études menées par l’université technique de Munich. A la fin juin, 29 % des personnes interrogées estimaient ainsi que l’application allait aider à réduire le nombre de contaminations ; au début de septembre, elles n’étaient plus que 23 %.

Cloe – Les décisions concernant la lutte contre l’épidémie se prennent-elles au niveau fédéral ou au niveau des régions ?

La plupart des décisions sont prises par les Länder. C’est la grande différence avec la France. Depuis le début de la pandémie, on assiste à une négociation permanente entre le gouvernement fédéral et les Länder, avec des réunions de coordination, une ou deux fois par mois, pilotées par Angela Merkel, qui tente – avec plus ou moins de succès – d’harmoniser les choses afin d’éviter que les mesures ne partent dans tous les sens.

Djaro – Un confinement est-il possible dans toutes les grandes villes du pays ?

Le confinement n’a jamais été équivalent en Allemagne à ce qu’il a été en France, en Italie, en Espagne ou dans d’autres pays plus touchés par la pandémie. Même si, comme partout, les sorties ont été très limitées à la fin mars et en avril, avec les écoles et pratiquement tous les commerces fermés.

Aujourd’hui, il n’est pas question officiellement d’un nouveau « lockdown », comme disent les autorités. La question a encore été posée, hier, au ministre de la santé, et sa réponse a été une nouvelle fois négative : « L’épidémie ne se propage pas dans les magasins, pas chez le coiffeur et très peu dans les transports en commun », a-t-il justifié.

Emmy – Quelle est la politique de tests en Allemagne ?

Les tests sont réservés aux personnes qui ont des symptômes, qui ont été en contact avec des personnes contaminées ou reviennent d’une zone classée « à risque » par l’institut de santé publique Robert-Koch.

Cet été, le Land de Bavière avait proposé à tous les voyageurs de se faire tester, même ceux n’ayant pas passé leurs vacances dans une « zone à risque ». Mais cela s’est traduit par un engorgement, avec un certain nombre de problèmes (résultats arrivant huit ou dix jours après le test, parfois même des résultats perdus, etc.). Bref, la logistique n’a pas suivi, et cela a convaincu les autorités qu’on ne peut pas tester tout le monde.

Actuellement, un peu plus d’un million de tests sont effectués chaque semaine. Une nouvelle stratégie de dépistage doit être présentée par le gouvernement fédéral d’ici à quelques jours. Les laboratoires allemands sont aujourd’hui au bord de la saturation, en particulier dans les grandes villes.

Matthieu – Comment les Allemands expliquent leur relative réussite dans la lutte contre le coronavirus, au vu des chiffres et de la comparaison avec les autres pays d’Europe ?

Ce qui a été déterminant en Allemagne, du moins au début de l’épidémie, ce sont les tests. Le fait qu’ils aient été précoces et en nombre important, dès fin février a permis notamment que des porteurs asymptomatiques, se sachant contaminés, ne transmettent pas le virus à d’autres, et en particulier aux plus âgés.

Cela explique aussi pourquoi la mortalité a été assez basse dans le pays pendant la phase aiguë de l’épidémie. A l’époque, l’âge moyen des personnes atteintes du Covid-19 y était d’environ 45-50 ans, là où il était supérieur à 60 ans dans des pays comme la France ou l’Italie.

Nesar – On a vu en Allemagne des manifestations contre le port du masque et les mesures de distanciation. Assiste-t-on réellement à une montée de cet état d’esprit dans la population ?

Les sondages montrent que les mesures anti-Covid-19 sont largement approuvées dans le pays. Dans une enquête pour la chaîne publique ZDF, publiée ce matin, 64 % des personnes interrogées jugent ces mesures « adaptées », 23 % souhaitent des restrictions plus drastiques, mais 12 % seulement considèrent les mesures en place comme excessives.

Une fois qu’on a dit cela, il ne faut pas sous-estimer l’existence d’un mouvement antimasque bien organisé et qui sait se faire entendre, comme l’ont montré quelques grandes manifestations qui ont eu lieu essentiellement dans le Bade-Wurtemberg et à Berlin, depuis le printemps

.Lire aussi le récit* : L’Allemagne choquée par les dérives des « antimasque »

Cela dit, on constate, depuis quelque temps, que ce mouvement peine à s’étendre, et ce, à mon avis, pour deux raisons : la première, c’est la montée en flèche du nombre de contaminations depuis la rentrée, qui rend le discours antimasque moins audible et, d’une certaine façon, à contretemps ; la seconde, c’est la politisation de ce mouvement, au sein duquel l’extrême droite la plus radicale est très active.

De ce point de vue, les images de quelques centaines de néonazis qui ont tenté de prendre d’assaut le Reichstag, le 29 août, en marge de la grande manifestation organisée ce jour-là à Berlin contre les mesures anti-Covid-19, ont donné une très mauvaise impression de ce mouvement et l’ont rendu difficilement fréquentable, sauf par une minorité très circonscrite.

*L’Allemagne choquée par les dérives des « antimasque »

Un défilé a réuni près de 40 000 personnes à Berlin samedi, avant que des factions d’extrême droite tentent d’entrer dans le Bundestag. Plusieurs assaillants brandissaient le drapeau du IIIe Reich. 

Par Thomas Wieder  Publié le 31 août 2020 à 11h11 – Mis à jour le 31 août 2020 à 15h48

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/31/l-allemagne-choquee-par-les-derives-des-antimasque_6050461_3210.html

Un manifestant se tient enveloppé dans un drapeau allemand impérial noir-blanc-rouge devant le bâtiment du Reichstag gardé par des policiers à la fin d’une manifestation d’opposants aux mesures mises en place contre la pandémie de Covid-19, à Berlin, le 29 août.
Un manifestant se tient enveloppé dans un drapeau allemand impérial noir-blanc-rouge devant le bâtiment du Reichstag gardé par des policiers à la fin d’une manifestation d’opposants aux mesures mises en place contre la pandémie de Covid-19, à Berlin, le 29 août. JOHN MACDOUGALL / AFP

Les services de renseignement s’en étaient inquiétés : « Les appels à la mobilisation lancés par l’extrême droite sont plus larges et plus intenses qu’avant la manifestation du 1er août à Berlin », avait fait savoir l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV), vendredi 28 août, à la veille d’un nouveau rassemblement organisé dans la capitale allemande par les opposants aux restrictions mises en œuvre par le gouvernement pour lutter contre le Covid-19.

La crainte était fondée. Samedi 29 août, un peu après 19 heures, un groupe de 200 à 300 manifestants a réussi à franchir les grilles de protection entourant le Reichstag, le siège du Parlement (Bundestag), quelques-uns parvenant même à monter les marches conduisant à l’entrée du bâtiment avant d’être arrêtés par les forces de l’ordre avec des gaz lacrymogènes. Parmi les assaillants, plusieurs brandissaient le drapeau noir-blanc-rouge qui fut celui de l’Empire allemand (1871-1918) mais aussi celui du IIIe Reich à ses débuts, de 1933 à 1935, avant son remplacement par le drapeau à croix gammée.

Failles du maintien de l’ordre

Sans précédent, ces images ont fait la « une » de tous les sites d’information allemands pendant le reste du week-end, donnant lieu à d’innombrables réactions politiques. « Les drapeaux du Reich et les racailles d’extrême droite devant le Parlement allemand constituent une attaque insupportable contre le cœur de notre démocratie », s’est indigné le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux. « La présence insupportable de néonazis devant le Reichstag ne peut pas se répéter à l’avenir », a déclaré la ministre sociale-démocrate de la justice, Christine Lambrecht (SPD). « La diversité d’opinion est le marqueur d’une société qui va bien. Mais la liberté de réunion touche à ses limites à partir du moment où les règles de l’Etat sont foulées au pied », a quant à lui affirmé le ministre de l’intérieur, le conservateur Horst Seehofer (CSU).

A côté de ces condamnations, plusieurs questions ont été soulevées, dimanche, sur le déroulement des événements de la veille. D’abord sur les failles du maintien de l’ordre. Le vice-président du syndicat de la police de Berlin, Stephan Kelm, a ainsi qualifié de « choquant » ce qui s’est passé devant le Reichstag, où il n’y avait d’abord que trois policiers face aux assaillants en haut des marches, avant l’arrivée des renforts.

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Dimanche, les groupes de la majorité parlementaire – SPD et CDU-CSU – ont décidé de convoquer le Comité des doyens du Bundestag, composé du président de celui-ci, Wolfgang Schäuble, ainsi que d’une vingtaine de députés expérimentés, afin d’engager une refonte en profondeur du dispositif de sécurité autour du Reichstag, où se trouve l’hémicycle, et des bâtiments voisins, où les élus ont leurs bureaux.

Dans la journée, plusieurs voix se sont également élevées pour critiquer la façon dont les autorités ont abordé cette manifestation, la deuxième de ce type organisée dans la capitale allemande après celle du 1er août. Rappelant que, ce jour-là, les règles d’hygiène et les gestes barrières n’avaient pas été respectés, le ministre de l’intérieur du Land de Berlin, Andreas Geisel (SPD), avait décidé, jeudi, d’interdire le rassemblement. Mais les organisateurs ont saisi le tribunal administratif qui, vendredi, a annulé l’arrêté d’interdiction.

Mouvement hétéroclite

A l’évidence, ce camouflet a contribué au succès de la mobilisation de samedi, qui a réuni environ 38 000 personnes, selon la police, soit deux fois plus que le 1er août. Il a aussi renforcé les manifestants dans leur conviction d’être des « libres penseurs » – nom d’un de leurs collectifs – voire des « résistants » victimes d’une « dictature » qui chercherait à museler les libertés de circulation ou de réunion. Au point que certains sont venus avec d’anciens drapeaux de la République démocratique allemande (RDA) et des pancartes dénonçant le « retour de la Stasi », la police politique du régime communiste, sous le couvert d’impératifs hygiénistes.

Quelle importance accorder à ce mouvement ? Dimanche, plusieurs observateurs rappelaient que les images du Bundestag entouré de néonazis ne devaient pas faire oublier deux choses. D’abord, que seuls 10 % des Allemands jugent excessives les restrictions anti-Covid-19, alors que 60 % les considèrent comme adaptées et 28 % comme insuffisantes, selon le dernier baromètre de la ZDF, publié vendredi.A

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Ensuite, que ce mouvement est profondément hétéroclite. Ce fut encore le cas ce week-end à Berlin, où il suffisait de faire quelques mètres pour passer d’un groupe de militants antivaccins en tenue de hippies à des jeunes gens distribuant des tracts contre Bill Gates, puis à des partisans de Donald Trump expliquant pourquoi le président américain a combattu le virus « comme un chef », le tout non loin d’une dizaine de vieilles dames bon chic bon genre hurlant le mot « liberté »

Une telle diversité était déjà visible le 1er août. Mais jamais, samedi, ne s’étaient mêlés à cette foule bigarrée autant de pancartes au nom du mouvement islamophobe Pegida, de tee-shirts à l’effigie de groupes de rock identitaires et de figures connues de l’ultradroite allemande. A l’instar de Rüdiger Hoffmann, ancien membre du parti néonazi NPD et proche des Reichsbürger. Ces « citoyens du Reich », qui ne reconnaissent pas les institutions de la République fédérale, sont estimés, au total, à environ 20 000 par les services de renseignement allemands. Plusieurs d’entre eux ont été interpellés, samedi soir, autour du palais du Reichstag.Lire aussi  Coronavirus : visualisez l’évolution de l’épidémie en France et dans le monde

Thomas Wieder(Berlin, correspondant)

**En Allemagne, le succès en trompe-l’œil de l’appli Corona-Warn-App contre le Covid-19

Si les 18 millions de téléchargements de l’application de suivi de cas contacts peuvent sembler être un succès, le poids réel du dispositif dans la prévention des contaminations interroge, désormais, outre-Rhin. 

Par Thomas Wieder  Publié le 15 septembre 2020 à 20h07 – Mis à jour le 16 septembre 2020 à 09h53

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/09/15/en-allemagne-le-succes-en-trompe-l-il-de-l-appli-corona-warn-app-contre-le-covid-19_6052317_4408996.html

En Allemagne, l’application Corona-Warn-App a été téléchargée 18 millions de fois.
En Allemagne, l’application Corona-Warn-App a été téléchargée 18 millions de fois. IXIMUS/PIXABAY

A première vue, c’est un succès. Trois mois après son lancement, le 16 juin, l’application allemande de suivi des cas contacts, Corona-Warn-App, a été téléchargée 18 millions de fois sur les smartphones Apple et Android des Allemands, selon les chiffres publiés le 8 septembre par l’Institut de santé publique Robert-Koch.

Sur ce point, la différence avec la France est saisissante. Deux mois après sa mise en service, l’application StopCovid (qui permet, elle aussi, de recevoir une notification lorsqu’un utilisateur a été exposé trop longuement à un autre déclaré positif au Covid-19) n’avait été téléchargée que 2,3 millions de fois au 19 août, d’après le bilan communiqué ce jour-là par la direction générale de la santé. En Allemagne, la Corona-Warn-App avait déjà été téléchargée 6 millions de fois seulement vingt-quatre heures après son lancement.

Ce démarrage en fanfare n’était pas écrit d’avance. Quand le ministre allemand de la santé, Jens Spahn, a proposé, mi-mars, d’utiliser les données collectées par les smartphones pour lutter contre le Covid-19, l’opposition a d’abord été très vive.

Architecture « décentralisée »

Face aux inquiétudes exprimées par défenseurs des libertés publiques, dont les avis pèsent d’un poids particulier dans un pays encore marqué par le souvenir des dictatures nazie et communiste, le gouvernement a toutefois renoncé à son idée de départ, celle d’un modèle « centralisé », au profit d’une architecture « décentralisée ».

Concrètement, cela signifie que chaque téléphone ayant téléchargé l’application vérifie s’il a détecté, à proximité, l’identifiant d’une personne malade, grâce à un système d’identifiants échangés entre appareils directement. Dans le modèle dit « centralisé » – celui choisi par la France –, l’échange des données se fait au contraire au niveau d’un serveur central, où remontent les identifiants des personnes approchées par un malade, et auquel l’application se connecte pour vérifier si l’identifiant de son propriétaire se trouve ou non dans cette base.Lire sur le sujet : StopCovid : qui est pour l’application de traçage, qui est contre et pourquoi

Ce choix d’une architecture décentralisée, annoncé fin avril après un mois d’intenses discussions, a permis de rallier la plupart de ceux qui s’opposaient au projet de départ au nom de la protection des données personnelles. En particulier chez les Verts, membres de l’opposition, tel que le député Konstantin von Notz, vice-président du groupe écologiste du Bundestag. « C’est une très bonne chose que l’application ait été déjà téléchargée autant de fois », tweetait pourtant ce spécialiste des questions numériques, le 17 juin, au lendemain la mise en service de la Corona-Warn-App, tout en précisant que son groupe souhaitait l’adoption d’une loi encadrant plus strictement l’usage de celle-ci.

Lors des élections locales, à Aachen (Allemagne), le 13 septembre.
Lors des élections locales, à Aachen (Allemagne), le 13 septembre. THILO SCHMUELGEN / REUTERS

Si le consensus assez large finalement obtenu par le gouvernement peut expliquer le succès de l’application allemande lors de son lancement, l’intérêt est cependant assez vite retombé. 80 % des téléchargements ont eu lieu dans la seconde quinzaine de juin. Et moins de 15 % ont été réalisés depuis la fin juillet, malgré la remontée rapide du nombre de contaminations enregistrées depuis cette date en Allemagne.

Une récente enquête de l’Université technique de Munich donne quelques explications à ce dédain. Publiée le 3 septembre, elle montre certes que les inquiétudes suscitées par la Corona-Warn-App ont reculé, la proportion de personnes redoutant que celle-ci ne permette à l’Etat de « surveiller excessivement » les citoyens étant passée de 57 % à 44 %.

En revanche, la croyance dans l’efficacité du dispositif – déjà faible au départ – a continué à baisser. Alors que 29 % des personnes interrogées estimaient, fin juin, que l’application allait aider à réduire le nombre de contaminations, elles n’étaient plus que 23 % deux mois plus tard. Quant à l’idée selon laquelle « l’application ne va rien changer » à la situation sanitaire, 51 % des personnes interrogées étaient de cet avis, fin août, soit dix points de plus qu’en juin.

Des malades invités à s’inscrire

Deux raisons peuvent expliquer ce scepticisme croissant. La première tient à certains ratés techniques. Dès la fin juin, il a ainsi été révélé que l’application était parfois défaillante sur les iPhone équipés d’un système d’exploitation antérieur à iOS 13.7. Or, depuis, plusieurs utilisateurs possédant cette version d’iOS ont reçu des alertes signalant qu’ils se trouvaient en situation de « risque », alors que ce n’était manifestement pas le cas. Une autre limite pointée tient au fait que l’application allemande ne fonctionne pas à l’étranger, ce qui a peu contribué à la rendre nécessaire pendant la période des vacances d’été.

La seconde explication tient au peu d’informations communiquées par les autorités concernant la façon dont la Corona-Warn-App est utilisée. Contrairement à la France, l’Allemagne n’a pas donné le nombre de cas contacts notifiés par l’application depuis sa mise en service. En revanche, l’Institut Robert-Koch a indiqué, le 8 septembre, que 3 012 utilisateurs avaient reçu le code de validation nécessaire pour s’identifier comme malade sur l’application, après avoir reçu un test positif. Ceci dans un pays qui a recensé un peu plus de 263 000 cas de maladie depuis le début de l’épidémie. En France, ce même type de code avait été envoyé 1 169 fois à la date du 19 août, selon la direction générale de la santé.

Certes, comme le note l’Institut Robert-Koch, cela ne signifie pas que toutes les personnes ayant demandé ce code l’ont ensuite entré dans leur smartphone. Mais ce chiffre donne tout de même une indication assez précise de l’usage potentiel de l’application. D’autant plus qu’il correspond grosso modo aux estimations publiées quelques jours plus tôt dans une enquête du quotidien Süddeutsche Zeitung concernant l’utilisation de la Corona-Warn-App : selon le journal de Munich, 1 900 à 3 300 personnes se seraient ainsi servi de l’application pour se déclarer malades (et ainsi, potentiellement avertir des personnes qu’ils ont croisées).

Nombre de cas de Covid-19 recensés en Allemagne depuis le début de l’épidémie.
Nombre de cas de Covid-19 recensés en Allemagne depuis le début de l’épidémie. Le Monde – Les Décodeurs

Discrétion du gouvernement

Ces chiffres restent néanmoins insuffisants et lacunaires. Si l’application a été téléchargée près de 18 millions de fois en Allemagne, combien de fois a-t-elle été désinstallée ? Par ailleurs, combien d’utilisateurs activent-ils le Bluetooth de leur smartphone en permanence, nécessaire au fonctionnement de l’application ? A ces questions, nulle réponse pour l’instant. A cela s’ajoute le fait que, selon le Süddeutsche Zeitung, seuls deux tiers des laboratoires effectuant les tests de détection du Covid-19 en Allemagne seraient connectés au système permettant aux personnes testées positives de recevoir le fameux code de validation.

Ces éléments expliquent sans doute pourquoi le gouvernement allemand, après s’être félicité du succès rencontré par l’application à ses débuts, est devenu très discret sur son efficacité potentielle. Comme l’écrivait le quotidien allemand, le 3 septembre : « Même si 10 % des personnes contaminées entraient dans l’application le résultat de leur test, et que la même proportion d’Allemands utilisait cette application, une alerte ne serait envoyée que dans 1 % des rencontres avec un cas contacts. »Lire aussi  StopCovid : la CNIL constate une amélioration du fonctionnement de l’application

Thomas Wieder(Berlin, correspondant)

Covid-19 : en Allemagne, cacophonie et inquiétude face à la hausse rapide du nombre de contaminations

Les mesures de restriction prises au niveau fédéral et régional se contredisent, alors que le ministre de la santé Jens Spahn s’est dit « extrêmement préoccupé » par l’enregistrement de plus de 4 000 nouveaux cas de Covid-19 en vingt-quatre heures. 

Par Thomas Wieder  Publié le 09 octobre 2020 à 02h51 – Mis à jour le 09 octobre 2020 à 10h38

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/23/face-au-coronavirus-l-economie-allemande-limite-la-casse_6053223_3234.html

A la gare centrale de Francfort, en Allemagne, le 8 octobre.
A la gare centrale de Francfort, en Allemagne, le 8 octobre. MICHAEL PROBST / AP

La dernière fois que l’Allemagne avait enregistré plus de 4 000 nouveaux cas de Covid-19 en vingt-quatre heures, c’était le 9 avril, pendant le confinement. Le seuil a de nouveau été franchi, jeudi 8 octobre, et les autorités craignent qu’il ne soit bientôt largement dépassé. « Il est possible que nous ayons plus de 10 000 cas par jour et que le virus se propage de façon incontrôlée », a prévenu Lothar Wieler, le président de l’institut de santé Robert-Koch, jeudi, lors d’une conférence de presse.

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Présent à ses côtés, le ministre de la santé, Jens Spahn, s’est dit lui aussi « extrêmement préoccupé » par ces chiffres. « Jusqu’à présent, pratiquement aucun pays en Europe n’a réussi à traverser cette crise aussi bien que le nôtre. Il dépend de chacun de nous de ne pas gâcher ce qui a été accompli », a-t-il déclaré.

Depuis le début de l’épidémie, un peu plus de 9 500 personnes sont mortes du Covid-19 en Allemagne, soit 115 pour un million d’habitants (contre environ 500 en France, 600 en Italie, 700 en Espagne et 870 en Belgique). Quant aux malades du Covid-19 actuellement en réanimation, ils sont environ 240 outre-Rhin (contre un peu plus de 1 400 dans l’Hexagone).

De moins en moins lisible

Dans un tel contexte, caractérisé, d’un côté, par une forte hausse des contaminations mais, de l’autre, par un nombre toujours relativement bas de cas graves et de décès, la stratégie allemande de lutte contre le Covid-19 est de moins en moins lisible.

Les derniers jours l’ont montré, avec une succession d’annonces contradictoires entre le gouvernement fédéral et les Länder, donnant le sentiment d’un manque criant de coordination, le tout sur fond de rivalités politiques grandissantes à un an du départ attendu d’Angela Merkel de la chancellerie.

En début de semaine, les choses paraissaient pourtant claires. « Je ne crois pas qu’il faille sans cesse parler de nouvelles mesures de restriction. J’aimerais déjà que les règles actuellement en vigueur soient respectées », déclarait ainsi M. Spahn, lundi. Cela n’a pas empêché le Land de Berlin d’annoncer, le lendemain, que les bars, les restaurants et les magasins seraient fermés de 23 heures à 6 heures du matin à partir de samedi, et ce au moins jusqu’au 31 octobre.

Le ministre de la santé allemand Jens Spahn, à Berlin, le 8 octobre.
Le ministre de la santé allemand Jens Spahn, à Berlin, le 8 octobre. TOBIAS SCHWARZ / AFP

Parallèlement, plusieurs Länder ont également décidé d’interdire les séjours à l’hôtel et dans les résidences touristiques aux voyageurs venant de « zones à risque », autrement dit là où le nombre de contaminations pour 100 000 habitants dépasse 50 pendant sept jours d’affilée. Mais cela s’est vite transformé en cacophonie totale, chaque région profitant des prérogatives considérables que lui confère la structure fédérale de l’Allemagne pour fixer ses propres règles.

En l’espace de quelques heures, on apprenait ainsi que certains Länder souhaitaient interdire de séjour tous les voyageurs venant de Berlin, tandis que d’autres étaient prêts à accueillir ceux habitant un arrondissement de la capitale où le taux d’incidence est inférieur à 50. Autre exemple : alors que le gouvernement régional de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, au bord de la Baltique, décidait d’imposer une quarantaine incompressible de cinq jours à l’ensemble des voyageurs venant d’une « zone à risque », le Land voisin du Schleswig-Holstein annonçait, de son côté, qu’il accepterait toute personne munie d’un test négatif réalisé dans les quarante-huit heures.

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Sans la moindre coordination

Dans un souci de cohérence, une visioconférence a été organisée, mercredi après-midi, entre les responsables des Länder et le chef de la chancellerie fédérale, Helge Braun. Mais le résultat a été mitigé. Si plusieurs régions se sont mises d’accord sur des règles plus ou moins communes, d’autres refusaient toujours, jeudi, le principe même de restrictions de circulation à l’intérieur du territoire allemand, à l’instar de Berlin ou de la Thuringe…

« Interdire les séjours à l’hôtel aurait du sens si on avait la preuve qu’il s’agit d’un facteur de contamination » Karl Lauterbach, député et épidémiologiste

Inédites depuis le confinement du printemps, ces entraves à la liberté de mouvement ont déclenché de vives critiques. D’abord, parce qu’elles ont été annoncées sans la moindre coordination, prenant tout le monde de court, et ce à quelques jours des vacances d’automne, rendant celles-ci difficiles à prévoir pour beaucoup de familles.

Ensuite, parce que leur efficacité sanitaire est très discutée. « Interdire les séjours à l’hôtel aurait du sens si on avait la preuve qu’il s’agit d’un facteur de contamination. Mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui le virus se propage principalement lors de fêtes privées, de mariages, de grands rassemblements dans des endroits fermés. C’est typiquement le genre de mesure bureaucratique qui n’aura aucun effet », déclarait ainsi le député social-démocrate (SPD) Karl Lauterbach, lui-même épidémiologiste, jeudi, dans un entretien au site d’information T-Online.

Vertus et les limites du fédéralisme

Sans surprise, ces dissonances ont enfin ravivé le débat, toujours prêt à enflammer l’Allemagne, sur les vertus et les limites du fédéralisme.

Avec parfois des prises de position intéressantes à observer d’un point de vue politique à un an des élections législatives. Par exemple de la part du conservateur Markus Söder (CSU), le ministre-président de Bavière, qui se fait désormais le chantre de règles « uniformes » sur l’ensemble du territoire, alors que son Land est traditionnellement l’avocat le plus résolu des autonomies régionales. Une conversion aux atouts du centralisme analysée par certains comme la preuve que le chef de la CSU se prépare à être candidat à la succession de Mme Merkel à la chancellerie fédérale.

« La situation à Berlin m’inquiète particulièrement. J’ai peur qu’elle ne soit plus contrôlable » Markus Soder, ministre-président de Bavière

A un an des législatives, les vieilles rivalités politico-régionales sont en tout cas de retour. En témoigne l’avalanche de critiques proférées ces derniers jours par de nombreux responsables conservateurs contre la majorité de gauche à la tête du Land de Berlin, celui où le taux d’incidence est le plus élevé (50,2 pour 100 000 habitants). « La situation à Berlin m’inquiète particulièrement. J’ai peur qu’elle ne soit plus contrôlable », déclarait ainsi M. Söder, mardi, depuis la capitale bavaroise, jouant à plein l’opposition traditionnelle entre Munich la disciplinée et Berlin la libertaire.

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A gauche, la riposte n’a pas tardé. « Personne n’a instrumentalisé politiquement le nombre très élevé de contaminations en Bavière et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie », Land dirigé par un autre conservateur, Armin Laschet, lui aussi potentiel candidat à la chancellerie, a ainsi réagi Lars Klingbeil, le secrétaire général du SPD. Avant d’ajouter : « Markus Söder joue ici les mini-Trump à vouloir diviser le pays. C’est indécent. »

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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