Covid-19: la recherche de traitement efficace

Covid- 19 : sur la piste des futurs traitements

Par  Hervé Morin ,  Sandrine Cabut ,  Pascale Santi et  Nathaniel Herzberg

Publié le 06 octobre 2020 à 05h24 – Mis à jour le 06 octobre 2020 à 09h08

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/10/06/covid-19-sur-la-piste-des-futurs-traitements_6054880_1650684.html

ENQUÊTE

La recherche de médicaments bat son plein, à la fois pour bloquer le SARS-CoV-2et pour combattre les orages immunitaires qu’il engendre. Pour l’heure, peu d’options thérapeutiques décisives ont émergé, et une phase de plus longue haleine s’ouvre.

Neuf mois après le début de la pandémie de Covid-19, qui a déjà causé la mort de plus d’un million de personnes sur la planète, c’est toujours une course effrénée pour mettre au point vaccins et traitements. Cet engagement mené en parallèle sur deux fronts semble indispensable : même si un premier vaccin est mis sur le marché dans les prochains mois, grâce à des procédures accélérées, il est peu probable qu’il confère une protection complète, notamment chez les personnes âgées, les plus vulnérables aux formes graves de la maladie. Il reste par ailleurs de nombreuses interrogations, notamment sur la disponibilité à grande échelle, et sur l’adhésion de la population à une stratégie vaccinale.

La recherche de médicaments est foisonnante, plus encore que celle sur les vaccins. Selon le site Covid-nma.com, animé par le Centre d’épidémiologie clinique de l’Hôtel-Dieu (Paris), Cochrane France, au 2 octobre, on ne compte que 86 essais vaccinaux, sur un total de 5 798 essais cliniques enregistrés, dont 1836 randomisés. Jusqu’ici, pour l’essentiel, les recherches ont porté sur des molécules déjà disponibles pour traiter d’autres pathologies. Deux principaux mécanismes d’action sont à l’étude : des propriétés antivirales, et une modulation de la réponse immunitaire, dont l’emballement est responsable des « orages cytokiniques », une des principales complications des infections à SARS-CoV-2.

A ce stade, les progrès thérapeutiques les plus marquants sont à mettre au crédit de traitements non spécifiques, que les médecins ont appris à optimiser en cernant mieux cette nouvelle maladie : prescription plus systématique d’anticoagulants chez les patients hospitalisés, réduction des indications d’intubation.

La stratégie affinée

En France, 76 essais cliniques relatifs au Covid-19 sont inscrits sur le site de la base de données européenne EudraCT. Les autorisations ont été obtenues grâce à des procédures accélérées, mais au prix d’une certaine cacophonie et de redondances, faute de coordination. « Les essais cliniques se sont mis en place avec une rapidité inédite, mais le débat a été paralysé par l’hydroxychloroquine », constate Eric d’Ortenzio, coordinateur scientifique de REACTing – le consortium de l’Inserm-Aviesan qui coordonne la recherche française pendant les épidémies. Une coordination d’autant plus nécessaire qu’après une pause à la fin de la première vague, les études commencent à réinclure des patients avec la reprise de l’épidémie.

Ainsi l’essai Discovery, dont le nombre de participants s’élève à 1 000 au 1er octobre, avec 42 nouveaux inclus la semaine dernière, est désormais actif en France et dans plusieurs pays d’Europe.

La recherche de médicaments entre dans une phase de transition. L’enjeu est maintenant d’affiner les stratégies, par exemple en associant plusieurs produits. Il s’agit aussi de concevoir de nouvelles molécules, dédiées spécifiquement aux infections à SARS-CoV-2.

« C’est tout l’inverse de ce que l’on observe avec les vaccins : la coopération plutôt que la concurrence effrénée »

Pour éviter les couacs de la première vague, REACTing s’est vu confier la mission de mettre en place un circuit de priorisation des études évaluant des médicaments. Il travaillera avec Capnet, un comité constitué des représentants de l’ensemble des parties prenantes, qui « examine les protocoles concernant des molécules et détermine ceux devant bénéficier d’autorisations accélérées », explique l’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm). En parallèle, poursuit-elle, deux groupes de travail sont créés pour assurer davantage de coopération dans les essais hospitaliers, et dans ceux en médecine de ville.

La Commission européenne, de son côté, a lancé une initiative commune public-privé réunissant seize organismes de recherche, quinze laboratoires pharmaceutiques et six biotech afin d’accélérer le développement des traitements. « C’est tout l’inverse de ce que l’on observe avec les vaccins : la coopération plutôt que la concurrence effrénée », souligne son coordinateur, le professeur Yves Lévy, de l’Inserm. Dotée d’un budget record de 80 millions d’euros sur cinq ans, l’initiative entend explorer les différentes approches (repositionnement de médicaments, développement de nouveaux produits) grâce à la mise en commun des ressources des laboratoires, notamment leurs bibliothèques de molécules, et à une coordination des plates-formes d’essais. « Du jamais-vu », assure Yves Lévy

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A l’heure où les indicateurs de l’épidémie virent de nouveau au rouge, tour d’horizon – non exhaustif – des pistes médicamenteuses.

L’espoir de la dexaméthasone

Commençons par la dexaméthasone, premier, et jusqu’ici seul médicament avec un impact sur le pronostic vital des patients atteints par le Covid-19, ainsi que l’a montré l’essai randomisé britannique Recovery. Ce corticoïde de synthèse, peu onéreux, connu pour ses effets anti-inflammatoires et immunosuppresseurs, est recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis le 2 septembre dans les formes sévères et critiques de la maladie. Le 18 septembre, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a fait un premier pas vers son autorisation dans le traitement du Covid-19. Sur le terrain, de nombreuses équipes l’utilisent déjà depuis des mois, dans le cadre ou non d’un essai clinique.

Selon des données portant sur près de 6 500 patients (dont 2 104 traités par dexaméthasone), ce corticoïde réduit d’environ 30 % la mortalité à vingt-huit jours chez ceux placés sous respirateur, et de 11 % chez ceux nécessitant de l’oxygène (New England Journal of Medicine, 17 juillet). Il n’a en revanche pas amélioré le pronostic des patients hospitalisés sans assistance respiratoire. Suite à ces signaux positifs, les autres essais randomisés de la molécule ont été interrompus. Les résultats des études les plus avancées ont fait l’objet d’une publication dans le Journal of the American Medical Association (JAMA, 2 septembre), avec une méta-analyse qui a plaidé en faveur de la dexaméthasone.

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Certains ne sont toutefois pas convaincus. « Depuis des décennies, le bénéfice potentiel des corticoïdes sur la mortalité des syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA), du sepsis et du choc septique, a fait l’objet de nombreuses études randomisées contradictoires, et ainsi le débat reste ouvert, note le docteur Jean Carlet, ancien réanimateur et infectiologue. En ce qui concerne le Covid-19, ce sont surtout les données de Recovery qui ont fait prendre les décisions favorables, mais la méthodologie de cet essai est loin d’être parfaite. Il n’y a en particulier pas de marqueurs de sévérité, ce qui pose des questions sur la comparabilité des deux groupes. » Selon lui, d’autres études randomisées seraient impératives, avant de généraliser les prescriptions de dexaméthasone.

« La méta-analyse commanditée par l’OMS a pris en compte d’autres essais que Recovery et tous montrent la même tendance, avec une taille de l’effet de même ordre, même si certaines études ne sont pas statistiquement significatives du fait de leur effectif limité », estime, de son côté, Dominique Costagliola. L’épidémiologiste souligne par ailleurs l’absence de problème de tolérance avec ce médicament.

Antiviraux en association ?

Les molécules antivirales existantes sont les premières que les laboratoires publics et privés ont tenté de « repositionner ». « C’est ce qu’on fait toujours quand survient une maladie nouvelle : c’est à la fois le plus logique et le plus rapide », explique Bruno Hoen, directeur de la recherche de l’Institut Pasteur. Logique car les virus disposent de mécanismes communs pour entrer dans les cellules et s’y répliquer. Rapide car si la production complète d’une molécule nouvelle de la paillasse à la pharmacie peut prendre dix ans, le réemploi d’un antiviral existant dispense tout à la fois de la conception et de tests de toxicité. En quelques mois, il peut être donné aux malades.

Le code génétique du virus est extrait d’échantillons et stocké dans de petits tubes, au laboratoire de l’université de Louvain, en Belgique, en mai.
Le code génétique du virus est extrait d’échantillons et stocké dans de petits tubes, au laboratoire de l’université de Louvain, en Belgique, en mai. LAYLA AERTS / KU LEUVEN

Tout ce que la planète compte d’antigrippaux, antihépatite, anti-VIH a donc été évalué. « Y compris des molécules dont le mode d’action, que l’on connaissait, n’avait aucune chance de fonctionner contre un coronavirus, soupire Bruno Canard, virologue et directeur de recherche CNRS (Aix-Marseille). On aurait aussi bien pu tester la verveine-menthe. » Si quelques molécules ont montré des résultats encourageants sur culture cellulaire, seul le remdesivir, développé à l’origine contre le virus Ebola, a franchi, avec un succès mitigé, l’obstacle des essais cliniques : une réduction du temps d’hospitalisation pour les patients qui guérissent mais aucun effet sur le taux de survie. Si ce médicament est approuvé en Europe et aux Etats-Unis, le laboratoire américain Gilead a temporairement retiré sa demande de remboursement en France. Un avis de la Haute Autorité de santé (HAS) indique que « le service médical rendu est jugé faible »« Il y a eu quatre essais cliniques internationaux sur le remdesivir, aucun ne nous montre vraiment que ce traitement est efficace », a indiqué Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat) au Sénat, mardi 15 septembre. L’infectiologue, membre du conseil scientifique Covid-19 et animateur de l’essai clinique européen Discovery, qui teste le remdesivir, estime cependant qu’il convient de poursuivre son évaluation, pourquoi pas en association avec d’autres molécules.

Car si pour la réutilisation pure et simple d’antiviraux existants, « la porte est fermée », selon Bruno Hoen, ils pourraient bien rentrer par la fenêtre en groupe, associés à d’autres molécules. Bruno Canard fait ainsi le parallèle avec les traitements contre le sida, restés peu efficaces jusqu’à l’arrivée des trithérapies. « Des combinaisons seront gagnantes, c’est sûr », pronostique-t-il.

L’hydroxychloroquine pas probante

L’immense terrain du repositionnement reste, lui, à arpenter. Après les quelques dizaines d’antiviraux, ce sont des milliers de médicaments – anticancéreux, antibiotiques, antiparasitaires, antihistaminiques, antipsychotiques… – qui ont été, et sont encore testés à travers le monde. Dans cette catégorie, aucun n’a suscité autant d’échos – d’espoir comme de colère – que l’hydroxychloroquine : promue en France par Didier Raoult (IHU, Marseille), en association avec un antibiotique, l’azithromycine, elle n’a toujours pas fait la démonstration de son efficacité « dans des études de phase 3 contrôlées, randomisées », les plus fiables, rappelle la HAS dans une note de veille sur les traitements contre le Covid-19.

De fait, malgré la masse d’études produites depuis le début de la pandémie sur le Plaquenil (son nom commercial), aucune n’est convaincante, que ce soit in vitro (sur des cellules humaines de poumon), en prévention ou en post-exposition au virus sur l’animal (macaque), ou chez l’homme, là aussi en prophylaxie, en tout début d’infection ou dans des formes plus tardives de la maladie. Les principaux essais cliniques randomisés sur des patients hospitalisés (Recovery, Discovery, Solidarity) ont été interrompus faute d’effet bénéfique. Une métanalyse publiée fin août dans Clinical Microbiology and Infection souligne la médiocrité des études disponibles, le plus souvent entachées de biais sévères. Sa conclusion ? Pas d’effet sur la mortalité, mais risque accru de mortalité en cas d’association avec l’azithromycine, du fait de la toxicité.

Didier Raoult conteste ces résultats, mais les études produites ou invoquées par son équipe ne présentent pas un niveau de preuve satisfaisant les critères les plus élevés, faute de groupes témoins permettant des comparaisons valides. Pour l’hydroxychloroquine aussi, la porte se referme…

Elargir les cibles sur le virus

Loin du tumulte engendré par l’hydroxychloroquine, un travail de fourmi, systématique, est à l’œuvre à travers le monde. Dans son laboratoire de l’université de Louvain (Belgique), Johan Neyts a ainsi balayé plus de 15 000 molécules, dans le cadre du consortium CARE, mais aussi pour d’autres collaborations. Son installation robotisée unique au monde, développée grâce notamment aux royalties du ténofovir (Truvada), l’anti-VIH le plus prescrit au monde qu’il a mis au point, a permis d’étudier l’effet de chacune d’elles sur des cellules infectées par SARS-CoV2. « Nous n’espérons pas forcément trouver le remède miracle, ce n’est toujours pas du sur-mesure, mais nous avons de vrais espoirs de peser sur la maladie », dit-il. Plusieurs molécules seraient « très prometteuses ». Son équipe s’apprête ainsi à publier des résultats « spectaculaires », observés en culture cellulaire mais aussi chez le hamster, « en prophylaxie et en traitement des premiers jours ».

Johan Neyts, professeur de virologie à l’université de Louvain, en Belgique, en mai.
Johan Neyts, professeur de virologie à l’université de Louvain, en Belgique, en mai. LAYLA AERTS / KU LEUVEN

La puissance de ce screening systématique comporte un défaut : il ne dit rien des mécanismes d’action, ni des cibles. D’autres équipes empruntent donc le chemin inverse. A partir de données structurelles du virus et des cellules qu’il infecte, l’université de Californie à San Francisco (UCSF) a ainsi sélectionné, par analyse bioinformatique, 70 molécules – commercialisées ou ayant passé les premiers essais cliniques – et a demandé à deux équipes de recherche, une américaine et une française, de les tester parallèlement en culture cellulaire. « Une douzaine d’entre elles ont montré des résultats encourageants, indique Marco Vignuzzi, le directeur du laboratoire Populations virales et pathogénèse de l’Institut Pasteur. UCSF va entreprendre des essais cliniques avec les quatre ou cinq plus performantes. On devrait avoir les résultats dans quatre à cinq mois. »

L’originalité de ce travail ne tient pas seulement dans la méthode, mais dans les cibles visées. « Habituellement, on attaque les protéines du virus nécessaires à son entrée dans la cellule ou à sa réplication. Ça a le défaut d’augmenter les risques de résistance, car les virus mutent. Or, un virus a aussi besoin de la machinerie des cellules qu’il infecte. Ce sont ces protéines des cellules humaines que nous visons. On évite l’écueil de la résistance. En revanche, on augmente les risques de toxicité. » L’équipe de Pasteur est même remontée un cran en amont et a sélectionné une deuxième liste de composants susceptibles d’agir sur certaines « kinases », des enzymes qui elles-mêmes vont modifier les protéines cibles du virus. La voie est en cours d’exploration.

Le laboratoire entièrement automatisé de Johan Neyts (université de Louvain, Belgique), en mai.
Le laboratoire entièrement automatisé de Johan Neyts (université de Louvain, Belgique), en mai. LAYLA AERTS / KU LEUVEN

Si le repositionnement offre les atouts du prêt-à-porter, les chercheurs jouent aussi la carte du sur-mesure. Ainsi Johan Neyts a screené 1,2 million de molécules chimiques non utilisées, souvent sorties des bibliothèques des laboratoires pharmaceutiques rassemblés dans le consortium CARE. « Un effort immense, insiste le chercheur belge. La lumière s’allume dans 1 cas sur environ 50 000. Ensuite, on transmet nos touches aux laboratoires de biologie structurale. » A charge alors pour les collègues de Bruno Canard de comprendre les mécanismes d’action. « L’avantage de ces méthodes, explique ce dernier, c’est qu’elles peuvent faire apparaître des cibles nouvelles sur le virus, plutôt que de toujours viser les mêmes », à savoir la protéine S, qui permet l’entrée du virus dans la cellule, les protéases et les polymérases, nécessaires à sa réplication. Restera aux chimistes à créer ensuite les meilleurs dérivés pour doper l’action du produit et d’en réduire la toxicité. « Un travail de longue haleine, qui aurait dû être entamé dès 2003 et l’arrivée du premier SRAS », insiste Bruno Canard. « Pour 150 millions d’euros, on aurait eu, en dix ans, un antiviral à large spectre contre les coronavirus, que l’on aurait pu donner dès janvier aux Chinois, ajoute Johan Neyts. On n’en serait pas là aujourd’hui. »

Plasma et anticorps monoclonaux

La piste du plasma de convalescent est un repositionnement d’une autre nature, non pas d’une molécule, mais d’une technique éprouvée : transférer des anticorps produits naturellement lors du combat contre une maladie à des personnes dont la réponse immunitaire serait défaillante. Fin août, Donald Trump a ainsi annoncé l’autorisation en urgence de la transfusion du plasma sanguin de patients guéris du coronavirus à des patients hospitalisés, estimant sauver « un nombre incalculable de vies ». Le 15 septembre, dans un éditorial, le British Medical Journal (BMJ) jugeait cette autorisation « prématurée », en raison de la faiblesse des études disponibles. L’infectiologue et épidémiologiste Karine Lacombe (hôpital Saint-Antoine), qui coordonne un essai clinique sur le plasma, estime qu’« il ne constituera pas une panacée ». La nécessité de surveiller les effets secondaires interdit son administration en médecine de ville. En revanche, pour des patients immunodéprimés – traités pour des cancers par exemple –, ou présentant des formes longues de Covid-19, le plasma pourrait s’avérer « très prometteur », selon une étude qu’elle a cosignée, le 21 septembre, dans le journal Blood.

Pour créer cet effet antiviral, une autre piste s’offre aux chercheurs : celle des anticorps monoclonaux, produits à partir de cellules immunitaires modifiées par génie génétique pour les diriger contre un antigène particulier. Utilisée dans la lutte contre de nombreuses maladies, dont les cancers et les maladies inflammatoires, cette approche paraît prometteuse. Le géant pharmaceutique Eli Lilly a ainsi annoncé, le 16 septembre, que dans un essai thérapeutique réalisé sur 900 personnes, le taux d’hospitalisation enregistré chez ceux qui avaient reçu sa molécule était de 1,7 %, contre 6 % pour le groupe témoin. Le 29 septembre, son concurrent Regeneron a annoncé à son tour que dans un essai randomisé, son cocktail d’anticorps avait permis de réduire la charge virale, les symptômes et le taux d’hospitalisation chez des patients. Le président américain Donald Trump, qui a demandé à recevoir ce médicament – associé à d’autres dont le remdesivir – peu après avoir annoncé sa positivité pour le SARS-CoV-2, vendredi 2 octobre, fera-t-il partie de ces bons répondeurs ?

Principal défaut de cette dernière stratégie : la lourdeur de production et le coût. « Il faut tout explorer, insiste Yves Lévy, coordinateur de CARE. Nous voudrions avoir testé, d’ici à trois ans, en phase 1 et 2, un médicament repositionné, une nouvelle molécule et un anticorps monoclonal. »

Apaiser l’emballement immunitaire

Parallèlement à la recherche d’antiviraux, les chercheurs se sont attelés à un autre défi : identifier des médicaments qui apaisent l’emballement immunitaire et l’inflammation. Car il est vite apparu que la gravité du Covid-19 n’est pas tant le fait de l’atteinte virale que d’une complication redoutable : la « tempête cytokinique ». Chez certains malades, les réponses immunitaires sont excessives, entraînant une production en quantité astronomique de cytokines – un ensemble de petites protéines normalement produites en réaction aux infections… et des dégâts sur de nombreux tissus et organes. « Le Covid-19 est associé à des réactions inflammatoires et vasculaires, c’est une pathologie de l’endothélium [la paroi des vaisseaux sanguins]. Autrement dit, des micro-infarctus sont visibles partout : dans les poumons, dans le cœur, dans le rein », souligne l’immunologiste Eric Vivier. En gros, « le virus est toxique pour l’épithélium respiratoire et l’endothélium vasculaire, mais on n’a pas de cible thérapeutique spécifique pour réparer l’endothélium ou éviter qu’il ne soit lésé », ajoute l’infectiologue Xavier Lescure (hôpital Bichat).

Pour contrer cette tempête de cytokines, de nombreuses pistes sont à l’essai, avec des molécules, bien souvent à nouveau des anticorps monoclonaux, agissant à différents niveaux.

Lancée avec enthousiasme au printemps, la recherche d’immunomodulateurs suscite des espoirs, mais les chercheurs sont encore au milieu du labyrinthe. Des résultats d’essais commencent à arriver, mais « beaucoup de travail reste à faire pour comprendre cette nouvelle maladie et reconnaître les malades susceptibles de bénéficier de tel ou tel traitement spécifique », estime le médecin et chercheur Pierre-Louis Tharaux (Inserm). « L’identification de marqueurs prédictifs de gravité (inflammation, troubles immunitaires…) devrait permettre de mettre en place pour chaque malade le bon traitement au bon moment », ajoute Yazdan Yazdanpanah.

Etudes sur le tocilizumab

Parmi les terrains les plus déblayés, celui du tocilizumab (RoActmera), un anticorps monoclonal anti-interleukine 6 (IL-6), déjà commercialisé par Roche pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Fin avril, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris avait annoncé de manière précipitée des résultats positifs de cette molécule dans l’essai français randomisé Corimuno-Toci1, sans donner de détails. Ces données, qui portent sur 130 patients souffrant de pneumonie Covid-19 ayant reçu ce produit ou des soins courants, vont enfin être publiées dans une revue internationale. « Dans le groupe tocilizumab, nous avons observé une réduction de 33 % des cas d’aggravation nécessitant le passage en réanimation dans les deux semaines suivantes, mais sans effet sur la mortalité à un mois », résume Pierre-Louis Tharaux, membre du comité de coordination de l’essai.

Deux études internationales randomisées de phase 3 conduites par le laboratoire Roche ont, elles, obtenu des résultats discordants. Dans l’une (Empacta), le tocilizumab a réduit le recours à la ventilation assistée dans des proportions comparables. Dans l’autre, Covacta, il n’est pas associé à une amélioration de l’état clinique des formes graves, ni à un impact sur la mortalité. Le tocilizumab est désormais testé en association avec la dexaméthasone dans un essai nommé Tocidex, mené au sein de Corimuno, une plate-forme d’études cliniques de l’AP-HP.

Les résultats d’essais cliniques disponibles avec un anticorps monoclonal proche du tocilizumab agissant également au niveau du récepteur de l’IL6, le sarilumab (Kevzara, commercialisé par Sanofi Regeneron), sont en revanche négatifs.

Autre anti-inflammatoire, intervenant à un niveau différent de la cascade cytokinique, l’anakinra (anti-interleukine 1) a obtenu des résultats encourageants dans plusieurs petites séries de cas (dont une cohorte française d’une cinquantaine de patients et de témoins historiques), mais les résultats d’essais randomisés sont attendus.

Les interférons, piste active

La piste des interférons (IFN) est également très active. Ces protéines, qui ont une forte activité antivirale naturelle, sont prescrites de longue date, sous une forme synthétique, dans des maladies infectieuses comme les hépatites, mais aussi en cancérologie. Dans des formes graves de Covid, des études ont mis en évidence des profils génétiques et immunologiques particuliers, qui entraînent un défaut d’activité de certains interférons, les IFN de type 1. Des résultats préliminaires, dévoilés en juillet par la société britannique Synairgen, ont montré des résultats encourageants d’un traitement inhalé à base d’interféron bêta, appelé SNG001, mais ils n’ont pas été publiés.

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Un autre interféron de type 1, l’IFN-alpha, va être évalué par la plate-forme de Corimuno, en association avec d’autres immuno-modulateurs. « C’est probablement au début de l’infection que l’interféron aurait un intérêt », tempère le professeur Benjamin Terrier (hôpital Cochin, APHP, université de Paris).

Les chercheurs explorent aussi le blocage de la voie dite « du complément », une organisation complexe d’une trentaine de protéines participant à l’immunité anti-infectieuse. Dans leur viseur, le peptide C5a, dont l’équipe d’Eric Vivier, professeur au centre d’immunologie de Marseille-Luminy, a montré que son taux sanguin est proportionnel à la sévérité du Covid-19. Innate Pharma, la société de biotechnologies dont il est directeur scientifique, a lancé un essai randomisé avec Avdoralimab, un anticorps monoclonal qui bloque le récepteur du C5a, en cours de développement en oncologie. Ce médicament est comparé aux soins standards chez 108 patients avec une forme sévère de la maladie. Parallèlement, une molécule proche a obtenu des résultats encourageants, selon la société allemande InflaRx qui la développe, mais ces essais de phase 2 portent sur un nombre limité de patients.

Communication et finance

On ne peut terminer ce tour d’horizon sans évoquer certaines pistes exotiques – comme celle des petits anticorps des lamas ou des chameaux, dotés de capacités neutralisantes –, voire troublantes, comme celle impliquant la nicotine. Partant du constat que la proportion de fumeurs était plus faible parmi les malades du Covid-19 que dans la population générale, l’équipe de Zahir Amoura, du service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière, a ainsi émis fin avril l’hypothèse d’un effet « protecteur » de la nicotine. Une hypothèse passionnante, mais pas facile à manier en termes de message de santé publique… Dans un document, Santé publique France a rappelé que « parmi les individus infectés, le tabagisme est associé à des formes plus sévères et une aggravation de la maladie ».

Trois études multicentriques nationales devraient être lancées prochainement pour évaluer l’effet de patchs de nicotine contre le Covid-19, coordonnées par des équipes de la Pitié-Salpêtrière. L’une portera sur des soignants exposés à un risque mais non infectés, une autre sur des patients hospitalisés en médecine, et un troisième sur des malades en réanimation.

Autre candidat inattendu : le telmisartan. Ce médicament utilisé de longue date comme antihypertenseur (qui appartient à la famille des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) pourrait limiter les lésions pulmonaires en diminuant l’inflammation. Il est notamment testé en France, dans l’essai Coverage, qui prévoit d’inclure environ 600 patients, âgés de plus de 60 ans. L’originalité de cette étude randomisée, initiée en avril à Bordeaux et désormais nationale, est de concerner des malades suivis en ambulatoire par des équipes mobiles. « C’est un essai adaptatif, qui permet au fil du temps d’ajouter ou de retirer des médicaments », précise Louis Létinier, médecin pharmacologue au CHU de Bordeaux, membre du conseil scientifique de Coverage, et cofondateur de la start-up Synapse.

Techniciens au laboratoire entièrement automatisé de Johan Neyts (université de Louvain, Belgique), en mai.
Techniciens au laboratoire entièrement automatisé de Johan Neyts (université de Louvain, Belgique), en mai. LAYLA AERTS / KU LEUVEN

La palme de la piste la plus mystérieuse revient cependant à l’Institut Pasteur de Lille. Depuis quelques jours, de nombreux médias se sont fait l’écho de l’identification, par la fondation privée lilloise, d’un traitement prometteur, voire « miracle ». Le médicament, déjà sur le marché, aurait des effets antiviraux puissants contre le SARS-CoV-2, et pourrait faire rapidement l’objet d’un essai clinique puis d’une mise à disposition dans la foulée pour les malades. L’équipe dit chercher 5 millions d’euros pour poursuivre ses travaux, mais garde le secret sur la nature de la molécule. Tout en lâchant quelques indices. Il s’agit d’un produit ancien, facilement accessible et bien toléré. Repéré par un screening de 2 000 molécules, ses effets antiviraux ont été confirmés sur des cultures de cellules et un modèle d’épithélium respiratoire. L’idée est de le tester dans des phases précoces de l’infection, juste après confirmation du diagnostic.

Pour l’heure, les résultats préliminaires ne sont ni publiés ni même prépubliés dans une revue scientifique. Une stratégie qui fait grincer des dents dans le milieu scientifique, sachant que beaucoup de molécules efficaces in vitro n’arrivent jamais au bout des expérimentations cliniques.

Benoît Deprez, le directeur scientifique de l’Institut Pasteur Lille, assume de ne pas avoir divulgué le nom ni de s’être pressé à publier. Afin de ne pas répéter l’épisode hydroxychloroquine, justifie-t-il. « Comme c’est un médicament qu’il est facile de se procurer, nous avons voulu éviter la ruée. De plus, il y aurait eu un risque de créer une pénurie pour les patients qui en prennent habituellement », précise-t-il. Mais alors, pourquoi communiquer aujourd’hui, avec cet exercice d’équilibriste consistant à vanter des résultats préliminaires d’un produit sans en apporter publiquement la moindre preuve ? « Pour trouver des financements », admet le professeur Deprez. Des fonds, poursuit-il, l’équipe en a cherché depuis l’identification de ce médicament, en juin, se positionnant à la fois sur le secteur académique et industriel (une start-up lilloise, Apteeus, est impliquée). Les Lillois auraient même rencontré plusieurs ministres, sans résultat concret. D’où cette opération de communication maladroite. Depuis, des soutiens financiers arrivent…

*« L’irruption du Covid-19 dynamise le secteur pharmaceutique et donne naissance à des collaborations inédites »

Patrick Biecheler, consultant dans le secteur pharmacie santé, constate que les aides publiques au développement de médicaments sont plus faibles que pour la recherche de vaccins. 

Propos recueillis par Chloé Aeberhardt  Publié le 06 octobre 2020 à 05h00

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/10/06/l-irruption-du-covid-19-dynamise-le-secteur-pharmaceutique-et-donne-naissance-a-des-collaborations-inedites_6054879_1650684.html

Patrick Biecheler est associé du cabinet de conseil Roland Berger, chargé du secteur pharmacie santé. Il connaît l’industrie pharmaceutique de l’intérieur, pour avoir travaillé chez Sanofi et AstraZeneca, dont il a été directeur marketing de 2004 à 2006. Chez Roland Berger, il assiste les entreprises dans l’élaboration de leur stratégie et la gestion de leurs catalogues de produits. A ce titre, il observe de près la façon dont le secteur se mobilise dans la recherche de traitements contre le Covid-19.

Quelles sont les entreprises pharmaceutiques impliquées dans la recherche de traitements contre le SRAS-CoV-2 ?

Elles se comptent par dizaines, et sont de tailles diverses. Tous les poids lourds de l’industrie cherchent des traitements. Même les fabricants de vaccins dont les essais cliniques sont les plus avancés, comme Pfizer et AstraZeneca, explorent en parallèle des pistes thérapeutiques, au cas où le développement de leur vaccin n’aboutisse pas, ou n’ait pas l’efficacité escomptée. Des entreprises de taille plus modeste sont aussi sur les rangs. La société biotech spécialisée en santé féminine Mithra, par exemple, est en train de mener des essais cliniques pour déterminer si un œstrogène (hormone féminine) peut jouer un rôle protecteur contre le Covid-19. Pour les biotechs et les medtechs, dont les axes de recherche privilégiés sont justement les anticorps ou les protéines thérapeutiques, l’irruption du coronavirus offre un terrain d’expérimentation rêvé, qui dynamise le secteur et donne naissance à des collaborations inédites avec de gros laboratoires et des centres de recherche publics.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Covid- 19 : sur la piste des futurs traitements

Quelle est la stratégie de recherche adoptée par les laboratoires ?

La pandémie exige que l’on trouve une solution thérapeutique le plus vite possible. Or, le développement d’un médicament prend généralement entre trois et sept ans. C’est pourquoi les laboratoires font avec les moyens du bord, en pratiquant ce que l’on appelle le repositionnement : ils passent au crible des molécules maison existantes, qui peuvent déjà être commercialisées, ou encore en phase de développement, et tentent de déterminer si elles peuvent avoir une efficacité dans le traitement du Covid-19. Cette méthode permet de réduire la durée des essais cliniques, dans la mesure où la sécurité de ces molécules a déjà été démontrée. Les entreprises épluchent aussi leur « bibliothèque », où reposent des milliers de molécules qui n’ont pas encore forcément trouvé leur utilité. Dans cette course, les laboratoires qui travaillaient déjà sur les antiviraux, ou les anticorps monoclonaux pour des usages en immuno-oncologie, comme Roche ou Merck, partent avec un temps d’avance.

L’industrie investit-elle autant d’argent dans la recherche d’un traitement que dans celle d’un vaccin ?

Il est très difficile d’isoler l’investissement financier réalisé pour les traitements du Covid-19, car la plupart des molécules sur lesquelles portent les recherches ont été initialement développées pour d’autres pathologies. Prenons l’exemple des anticorps monoclonaux, sur lesquels de nombreux laboratoires, comme Sanofi ou Eli Lilly, travaillaient bien avant l’épidémie. Pris en compte de A à Z, le développement d’un traitement de ce type représente environ 1,5 à 2 milliards d’euros. Dans le cas présent, où il n’a pas été développé spécialement pour le Covid-19, et pourra être amorti ultérieurement, sur d’autres maladies, on peut évaluer l’investissement à environ 300 millions d’euros, ce qui, à l’arrivée, est bien inférieur au prix de la recherche pour un vaccin utilisé dans une seule indication (entre 1,5 et 2 milliards d’euros).

Des aides publiques existent-elles ?

Oui. Elles peuvent prendre la forme de financements directs – Regeneron a par exemple reçu 384 millions d’euros de la part de l’agence du département américain de la santé (Barda) pour la production de son duo d’anticorps. Les Etats peuvent aussi passer des précommandes, comme l’ont fait les Etats-Unis pour le remdésivir de Gilead. Les universités participent également : des chercheurs d’Oxford viennent de commencer des essais cliniques sur un anticorps monoclonal développé par Sandoz, avec le soutien financier d’Act-A, une plate-forme internationale pilotée par l’OMS et des organisations, dont le Wellcome Trust et Unitaid. Des aides publiques existent, mais les fonds débloqués sont systématiquement en deçà des sommes allouées dans la recherche pour le vaccin. A titre de comparaison, la Barda a signé un contrat de 1,3 milliard d’euros avec le laboratoire Novavax, pour assurer les essais cliniques de phase 3, la production et la distribution de 100 millions de doses de son candidat vaccin. On est loin des 384 millions donnés à Regeneron.

Les traitements seront-ils financièrement accessibles ?

Un médicament fabriqué à partir d’une ancienne molécule chimique ne devrait pas coûter cher. En revanche, certaines protéines en cours de développement ont un prix bien supérieur – on estime le prix d’une cure d’anticorps monoclonaux contre le cancer entre 30 000 et 100 000 euros. Pour ce type de traitements, l’équation économique risque d’être très compliquée, même sur une durée de traitement plus courte et donc proportionnellement moins coûteuse.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Fixer le prix d’un traitement, « un exercice difficile en pleine pandémie de coronavirus »

Dans un contexte aussi particulier que celui d’aujourd’hui, il serait inentendable que les laboratoires cherchent à faire un coup commercial avec un traitement contre le Covid-19. Ils seront sans doute appelés à proposer un prix qui n’excède pas les coûts de développement, tout en pratiquant des prix moins élevés dans les pays du Sud, comme Gilead le fait pour le remdésivir, dont le traitement de cinq jours coûte 2 083 euros dans les pays développés et quatre fois moins dans les pays pauvres ou émergents. Mais cela ne résoudra pas complètement le problème en Europe, où les prix sont régulés : la Sécurité sociale française n’aura sûrement pas les moyens de rembourser ce type de traitements pour tous les malades. Il y a donc de fortes « chances » qu’il soit réservé à des populations fragiles, ou à un stade critique de la maladie.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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