L’Europe et l’acceuil des migrants: renoncements de taille – Les mineurs étrangers aspirent à l’intégration

L’EUROPE ET L’ACCEUIL DES MIGRANTS: RENONCEMENTS DE TAILLE – LES MINEURS ÉTRANGERS ASPIRENT À L’INTÉGRATION

jscheffer81Modifier

« FAUTE DE CONVAINCRE LES PAYS RÉTIFS À L’ACCUEIL DES MIGRANTS, L’EUROPE CÈDE À LEURS EXIGENCES »

TRIBUNE

François Gemenne – Directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège et enseignant à Sciences Po

Katarina Csefalvayova – Ancienne présidente de la Commission des affaires étrangères au Conseil national slovaque

5 Octobre 2020 Le Monde

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/05/faute-de-convaincre-les-pays-retifs-a-l-accueil-des-migrants-l-europe-cede-a-leurs-exigences_6054763_3232.html

Tribune. La Commission européenne a présenté, le 23 septembre, son « pacte sur la migration et l’asile », qui est censé proposer une nouvelle approche équilibrée entre responsabilité et solidarité. En réalité, il s’agit surtout d’une nouvelle fuite en avant : faute de parvenir à convaincre les pays rétifs à l’accueil, elle a cédé à leurs exigences.

Depuis la signature du premier règlement de Dublin en 1990, l’Europe peine à se doter d’une politique commune en matière d’asile et de migrations. En l’absence d’une telle politique, ce sont 27 régimes d’asile très différents qui cohabitent au sein d’un même espace, et la fermeture des frontières extérieures est devenue le seul horizon commun. Trente ans plus tard, le bilan est effroyable : plus de 35 000 morts aux frontières, dont déjà 621 en Méditerranée pour la seule année 2020. L’Europe est devenue la destination la plus dangereuse du monde pour les migrants et les réfugiés.

Lire aussi  Immigration : comprendre le règlement de Dublin en 3 questions

Le bilan politique est également catastrophique : depuis la crise des réfugiés de 2015-2016, les débats entre Etats membres sur cette question sont devenus toxiques, et le dossier est explosif – au point que la campagne du Brexit s’est largement appuyée sur cette débâcle européenne, en promettant aux Britanniques de « retrouver le contrôle de leurs frontières ». Le récent incendie du camp de Moria, qui abritait 13 000 personnes abandonnées à leur sort sur l’île de Lesbos, a souligné à nouveau l’urgence de sortir de cette impasse politique et humanitaire.

ON ATTEND DEPUIS TRENTE ANS UNE STRATÉGIE COMMUNE

On attendait donc beaucoup du pacte sur la migration et l’asile, dont la présentation avait été avancée d’une semaine suite à l’incendie du camp de Moria. Dans son discours sur l’état de l’Union, le 16 septembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait annoncé une nouvelle approche, « humaine et compassionnelle », et la fin du règlement de Dublin, qui serait remplacé par un nouveau « mécanisme de solidarité ». Il était en effet indispensable que la Commission reprenne l’initiative sur ce dossier, où chaque crise humanitaire, chaque camp, chaque naufrage, chaque bateau en attente d’un port de débarquement, écornait davantage le projet politique européen. Il était donc salutaire que la Commission reprenne la main : on attend depuis trente ans une stratégie commune en matière d’asile et d’immigration.

 Lire aussi  Le « Pacte pour la migration », un dossier explosif pour la future présidence allemande de l’UE

Las ! Les propositions présentées mercredi 23 septembre ne constituent en rien un compromis entre solidarité et responsabilité, mais plutôt entre lâcheté et cynisme. Faute de parvenir à convaincre les pays rétifs à l’accueil des migrants et demandeurs d’asile, la Commission européenne s’est laissée dicter leur volonté. En cela, le pacte constitue un double piège pour le projet politique européen.

D’abord, plusieurs dispositions du pacte vont directement à l’encontre du droit d’asile. A l’heure où de plus en plus de démocraties n’hésitent plus à institutionnaliser des violations des droits de l’homme, il est particulièrement inquiétant de voir l’Union européenne s’engager sur la voie d’un renoncement de plus en plus marqué au droit d’asile sur son sol, qui l’a pourtant vu naître. Cette disposition contrevient directement à la convention de Genève, qui constitue la pierre angulaire du droit d’asile dans le monde.

 Lire aussi  Avec son projet de « pacte pour la migration », l’Union européenne relance les débats sur les réfugiés

RENONCEMENT DE TAILLE

Ensuite, le principe de solidarité « flexible », qui permettra aux pays de choisir entre l’accueil de demandeurs d’asile sur leur sol et le parrainage des expulsions pour les déboutés, constitue à la fois un renoncement de taille aux valeurs de solidarité qui devraient fonder le projet européen, mais aussi un cadeau politique majeur aux leaders nationalistes. Nul doute que le premier ministre hongrois, Viktor Orban, aura à cœur de se porter lui-même volontaire pour aider directement aux reconduites à la frontière barbelée, suivi d’une nuée de journalistes.

Et qu’importe que ces reconduites à la frontière coûtent une fortune aux contribuables : en France, le coût par expulsion s’établit en moyenne autour de 14 000 euros. Ceci risque, par ailleurs, de devenir un argument de choix pour les nationalistes : il sera évidemment tentant de comparer le coût des reconduites au montant moyen des retraites, par exemple : dans les pays de l’Europe centrale et orientale, celui-ci est bien au-dessous de 500 euros par mois. Nul doute que Viktor Orban et consorts pourront arguer que la Commission de Bruxelles leur fait payer pour les demandeurs d’asile déboutés, alors que leurs propres citoyens n’ont souvent pas assez de moyens pour vivre dignement.

Lire aussi  Europe et migrants : la nécessité d’un compromis

COMPROMIS BOITEUX

Il existe pourtant une autre voie, qui consiste à s’appuyer sur les forces progressistes et libérales au sein de ces pays. Ces forces proeuropéennes existent, mais sont affaiblies à chaque fois que l’Europe cède du terrain aux nationalistes. Or, c’est sur ces forces que devrait s’appuyer une vraie politique commune en matière d’asile et d’immigration, qui permettrait à la fois de rapprocher les Etats membres et de faire vivre les valeurs européennes aux frontières de l’Europe. Sans un régime d’asile commun, avec des critères de protection harmonisés, un pacte sur la migration et l’asile sera voué à l’échec.

Il est encore temps : les négociations avec les Etats membres vont maintenant s’ouvrir. Mais si la Commission persiste à utiliser des recettes qui ont fait la preuve de leur échec depuis plus de vingt ans, le fossé politique se creusera davantage, et les naufrages en Méditerranée continueront. Pour l’heure, ce compromis boiteux affaiblit doublement l’Europe : il met à mal sa position de championne des droits humains, et il renforce les gouvernements nationalistes.

Katarina Csefalvayova est fondatrice et directrice du think tank Institute for Central Europe, ancienne présidente de la Commission des affaires étrangères au Conseil national slovaque. 
François Gemenne est directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège et enseignant à Sciences Po. Auteur d’On a tous un ami noir(Fayard, 200 p., 17 €).

François Gemenne(Directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège et enseignant à Sciences Po) et  Katarina Csefalvayova(Ancienne présidente de la Commission des affaires étrangères au Conseil national slovaque)

« LES MINEURS ÉTRANGERS ONT LE SENTIMENT D’ÊTRE DES MIRACULÉS ET ASPIRENT À L’INTÉGRATION »

TRIBUNE

Manuel Boucher

5 Octobre- Le Monde

Professeur des universités en sociologie à l’université de Perpignan Via Domitia

C’est quand ils voient leur rêve d’insertion s’échapper et cessent d’être suivis par l’Aide sociale à l’enfance que certains mineurs étrangers peuvent se radicaliser, souligne, dans une tribune au « Monde », le sociologue Manuel Boucher, auteur d’une enquête sur la prévention des radicalités musulmanes.

Tribune. L’attaque au hachoir survenue le vendredi 25 septembre rue Nicolas-Appert (dernière adresse connue de Charlie Heddo), dans le 11arrondissement de Paris, a été perpétrée par un jeune ressortissant pakistanais. Se déclarant mineur à son arrivée en France en 2018, l’auteur de l’attentat, âgé de 25 ans, avait bénéficié de la prise en charge du conseil départemental du Val-d’Oise, jusqu’en août 2020, en tant que mineur non accompagné (MNA), catégorie suivie par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et dont le nombre a explosé ces dernières années. Dans ce contexte, les résultats d’une enquête récente sur la prévention des radicalités musulmanes par les travailleurs sociaux de la protection de l’enfance, conduite sous ma direction, apportent des éclairages quant au risque de radicalisation d’une minorité de mineurs étrangers non accompagnés vivant sur le sol français.

« VIVRE UNE VIE MEILLEURE »

En France, les MNA viennent de plusieurs endroits du monde, mais principalement de pays d’Afrique subsaharienne. Néanmoins, quelques-uns sont également issus d’Asie du Sud, en provenance du Bengladesh ou du Pakistan. Ces jeunes se déclarent mineurs même si certains savent qu’ils ne le sont pas, tandis que d’autres ne connaissent pas réellement leur âge. Généralement, les travailleurs sociaux qui les accompagnent notent que les MNA ont migré pour des raisons économiques. Ils migrent parce qu’ils ont été missionnés par leur famille ou leur communauté villageoise et ont le projet de « vivre une vie meilleure » que dans leur pays d’origine.

Lire aussi  L’attaque près des anciens locaux de « Charlie Hebdo » relance les critiques sur la prise en charge des mineurs étrangers isolés

Les jeunes musulmans représentent la très grande la majorité des MNA. Venant de pays où la religion a une place importante dans la vie quotidienne, la plupart d’entre eux sont assez conservateurs sur le plan des mœurs et mettent un certain temps à comprendre la société laïque dans laquelle ils vivent désormais. Néanmoins, à l’épreuve du processus d’acculturation, ils changent les représentations du monde qu’ils avaient intériorisées avant leur migration. Si des jeunes sont radicalisés lorsqu’ils arrivent en France, cette radicalisation est sourde car ce n’est pas ce qui saute aux yeux des travailleurs sociaux. En revanche, ce qui les interpelle est plutôt l’état de fragilité dans lequel se trouvent de nombreux jeunes qui ont vécu un parcours migratoire difficile et vivent un fort décalage entre l’environnement social et culturel dans lequel ils évoluaient (pays en état de guerre, scolarité dans des écoles coraniques…) et celui du pays d’accueil fortement sécularisé.

« FORCE D’INTÉGRATION »

Plutôt que de montrer des signes de dangerosité, les MNA expriment, en effet, leurs aspirations à mieux vivre et ont le sentiment d’être des miraculés. Après les épreuves endurées durant leur parcours migratoire, ils se trouvent engagés généralement dans le processus d’insertion sociale et professionnelle qui correspond à leurs attentes : autrement dit, vite accéder à un emploi et une rémunération. Les MNA ont une véritable « force d’intégration » bien visible lorsqu’ils sont scolarisés ou qu’ils signent des contrats d’apprentissage pour accéder à des papiers en règle nécessaires à leur insertion socioprofessionnelle.

 Lire aussi  L’Etat et les départements se renvoient la balle sur la prise en charge des mineurs isolés

Lorsqu’ils bénéficient d’une action éducative, ces jeunes sont dans une sorte de « cocon ». Durant ce temps d’accompagnement, ils sont relativement peu impactés par le processus d’acculturation pouvant entraîner des bouleversements psychiques. Tant qu’ils sont accompagnés socialement et ne sont pas en échec dans leur projet d’ascension sociale, le risque est faible qu’ils se radicalisent.

La réussite de la prévention des phénomènes de radicalisation est liée aux moyens que les pouvoirs publics se donnent

Cependant, dès lors qu’ils ne relèvent plus de l’ASE, la rencontre avec la société d’accueil, dans certains cas, peut être difficile et entraîner un mal-être important, décuplé pour une minorité d’entre eux sortis du dispositif à leur majorité sans un réel projet d’insertion sociale et professionnelle. Ces derniers sont alors confrontés à une rupture entre leur aspiration à vivre en France, pour eux une sorte d’eldorado, et leur incapacité à réaliser pleinement ce rêve. Les travailleurs sociaux ont dès lors bien conscience que, devant l’échec du projet migratoire porté à la fois par les mineurs, leurs familles et leur communauté d’origine, devant la décomposition du mythe de la France comme terre promise, certains jeunes peuvent se replier sur leur communauté, se radicaliser et être tentés d’utiliser la violence pour sauver la face.

Face à l’éventualité du passage à l’acte violent de certains d’entre eux, en échec d’insertion et radicalisés, la République n’a donc pas le choix : au regard de leur socialisation primaire fortement marquée par des valeurs et règles religieuses (et quelquefois politico-religieuses) au sein de leurs pays d’origine, un travail d’éducation laïque aux valeurs égalitaristes de la République est nécessaire pendant et après leur suivi socio-éducatif afin que le processus d’intégration de ces jeunes soit pleinement accompli.

 Lire aussi  Pourquoi les enfants de l’immigration sont surreprésentés en prison

La réussite de la prévention des phénomènes de radicalisation et de séparatisme ethnoculturel et religieux est liée aux moyens que les pouvoirs publics se donnent pour permettre aux jeunes migrants isolés de bénéficier d’un accompagnement social et éducatif pérenne. La prévention – contre la radicalisation et le repli identitaire – passe par un important et long accompagnement social nécessaire à leur intégration. Cela signifie que l’accompagnement des MNA ne doit pas s’arrêter à leur majorité mais qu’un suivi de ces jeunes doit s’établir jusqu’à leur intégration pleine et entière dans la société française.

Manuel Boucher(Professeur des universités en sociologie à l’université de Perpignan Via Domitia)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire