Trump a saboté les pratiques de la démocratie américaine

« Presque quatre ans durant, Trump a saboté les pratiques de la démocratie américaine »

CHRONIQUE

Alain Frachon

Depuis son entrée à la Maison Blanche, en janvier 2017, le président américain a affaibli les institutions politiques, quand il ne les a pas piétinées, explique, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

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Donald Trump, lors du premier débat télévisé de la campagne présidentiel, mardi 29 septembre, à Cleveland (Ohio).
Donald Trump, lors du premier débat télévisé de la campagne présidentiel, mardi 29 septembre, à Cleveland (Ohio). BRIAN SNYDER / REUTERS

Chronique. Depuis l’Ouest américain, une journaliste amie, qui a ces jours-ci le moral au fond du canyon, tweete : « Je suis inquiète, je me demande si les institutions vont tenir. » Sur la chaîne PBS, le conservateur David Brooks, l’un des éditorialistes les plus posés du New York Times, déclare : « Je n’ai jamais été aussi pessimiste sur l’état du pays. » « Pas un seul jour ne passe sans que le président jette la suspicion » sur le scrutin présidentiel du 3 novembre, ajoute, toujours sur PBS, Mark Shields, politologue chevronné des bords du Potomac.

Que se passe-t-il ? Les élites journalistiques joueraient à se faire peur de l’autre côté de l’Atlantique ? C’était avant le débat télévisé entre Donald Trump et son adversaire démocrate Joe Biden. Le chaotique pugilat du mardi 29 septembre ne les aura pas rassurés. A cinq semaines de l’élection présidentielle, la situation est sans précédent. Le président sortant et candidat à un deuxième mandat refuse toujours de s’engager à reconnaître le résultat du scrutin du 3 novembre – s’il lui est défavorable.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Election américaine : Donald Trump torpille son premier débat avec Joe Biden

Cette attitude d’autocrate ne devrait pas surprendre. Donald Trump imprime sa marque. Depuis son entrée à la Maison Blanche en janvier 2017, il a dégradé, ébranlé, miné la démocratie américaine – comme nul de ses prédécesseurs récents ne l’avait fait. Aucun de ceux-là n’était un saint : la fonction se prête mal à l’angélisme. Mais tous ont respecté les formes, sinon toujours l’esprit, des institutions politiques du pays, aussi imparfaites, incongrues et désuètes soient-elles. Trump a affaibli ces institutions, quand il ne les a pas piétinées. Aujourd’hui, il joue avec la menace d’une violence prête à éclater, insinue-t-il, s’il était battu par Joe Biden.

Discrédit sur le suffrage universel

Comme on lui demandait s’il s’engageait à ce que la « transition » politique se déroule pacifiquement au lendemain du 3 novembre, qu’il soit réélu ou non, Trump s’est refusé à dire oui : « Il va falloir qu’on regarde ce qui se passe. » La majorité républicaine au Sénat, qui jusque-là s’était toujours couchée devant les oukases de Trump, a fini par s’inquiéter. Unanimes, républicains et démocrates, les sénateurs ont voté un texte condamnant les propos du président.

Mais distancé dans les sondages, pas forcément de façon significative, Trump chauffe ses partisans. Une télévision diffuse des images de milices d’ultra-droite en tenue de combat, casquées et fusil à tir rapide AR16 en bandoulière, arrêtant la circulation en plein jour, comme une descente d’intimidation du Hezbollah à Beyrouth-Ouest.Lire aussi  Aux Etats-Unis, les Proud Boys, miliciens d’extrême droite, fiers d’être cités par le président

Ce mardi encore, le président s’est employé à saper la confiance des Américains dans le système électoral. Il a de nouveau délégitimé par avance une éventuelle victoire de Joe Biden : si le démocrate gagne, dit-il depuis des semaines, c’est que le scrutin aura été « truqué ». Le président de la plus puissante démocratie occidentale jette le discrédit sur le suffrage universel : sourires amusés et reconnaissants à Pékin, Moscou, Ankara et Minsk.

Trump s’en prend au vote par correspondance qui, pour cause de Covid-19, devrait être important cette année. « Ce sera une grosse escroquerie », répète-t-il. Totalement faux, corrige le chef du FBI, Christopher Wray, nommé par Trump et qui jure que rien, aucune étude, aucun précédent, ne justifie pareille assertion.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Coronavirus : une pandémie interminable et très politisée aux Etats-Unis

Trump, usant et abusant de la Maison Blanche à des fins électorales, viole la législation Hatch sur le déroulement des campagnes. Presque quatre ans durant, il a saboté les pratiques, sinon les textes, de la démocratie américaine. Interdisant à certains de ses collaborateurs d’aller témoigner devant le Congrès. Refusant de rendre ses impôts publics – jusqu’à ce que le New York Times révèle qu’il s’est arrangé pour ne pas en payer. Démettant les contrôleurs d’administrations centrales qui ne lui plaisaient pas. Recrutant sa fille et son gendre à la Maison Blanche pendant que, par ses fils interposés, il conservait le contrôle de ses affaires. Justifiant la désignation expéditive d’un nouveau juge à la Cour suprême,Amy Coney Barrett, par des raisons électorales : pouvoir compter sur sa voix si la cour devait trancher sur la régularité du 3 novembre…

Charge toxique

Sa pratique du débat public a consisté à insulter ses adversaires, à stigmatiser la presse, à mentir aussi souvent qu’il pratique le golf (beaucoup) – et notamment à mentir sur ce qu’il savait de la dangerosité du Covid. Occupé à diviser les Américains, à jouer en permanence avec la tentation du racisme, il a donné le sentiment de ne gouverner que pour « les siens », le gros noyau d’électeurs qui lui sont toujours aussi fidèles.

Pour rester à la Maison Blanche, il ne vise pas à séduire au-delà de sa base. Il ne cherche pas à emporter une majorité des suffrages populaires. Trump veut gagner dans les quelques Etats qui, passant d’un parti à l’autre, peuvent lui donner la majorité des « grands électeurs ».Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Présidentielle américaine : Trump vante ses promesses tenues en dépit d’échecs cinglants

Dans cette autobiographie heureuse qu’est son dernier livre – J’irais nager dans plus de rivières (Gallimard, 304 pages, 20 euros) –, Philippe Labro, américanophile érudit, consacre un chapitre à sa passion américaine. Amour déçu, celui-là ? Labro cite Churchill : « On peut toujours compter sur l’Amérique pour faire les choses correctement après avoir épuisé toutes les alternatives ». Mais Labro ajoute : « Peut-on encore vraiment compter sur les Américains ? »

Face à la charge toxique que Trump représente pour elles, il n’est pas sûr que les institutions de la démocratie américaine résistent si bien qu’on le pense. Questions inquiètes auxquelles les lendemains du 3 novembre fourniront un début de réponse.

Post-scriptum Cet automne en kiosque, un passionnant hors-série de L’Obs (groupe Le Monde) sur la Chine : L’éternel empire, 2000 ans de puissance chinoise, 98 p., 7,90 euros.Notre sélection d’articles sur l’élection présidentielle aux Etats-Unis

Alain Frachon

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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