Cas de coronavirus à l’hôpital : les sombres projections du Conseil scientifique
Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique. AFP
Coronavirus – Covid 19, Santé, Hôpital
Publié le 02/10/2020 à 11:58 , mis à jour à 19:40
l’essentiel
Dans une note publiée jeudi soir, mais datant du 22 septembre (avant, donc, les dernières mesures restrictives mises en œuvre par le gouvernement), le Conseil scientifique tire la sonnette d’alarme d’un encombrement des services hospitaliers d’ici quelques semaines si le Covid-19 poursuit la progression qui est actuellement la sienne.
Jeudi soir, le Conseil scientifique, l’organe qui conseille le gouvernement, a rendu publique sa dernière « note d’alerte », rédigée le 22 septembre dernier, avant, donc, la mise en place des dernières mesures restrictives, comme, par exemple, la fermeture des restaurants marseillais.
Dans son rapport d’une quarantaine de pages, l’aréopage présidé par Jean-François Delfraissy alerte notamment sur le risque de saturation des services hospitaliers, réanimation en tête.
En s’appuyant sur les modélisations de l’Institut Pasteur, le Conseil scientifique livre des chiffres qui font froid dans le dos si la progression du virus poursuit la dynamique qui est la sienne actuellement.
Plus de 400 morts dans les hôpitaux d’Occitanie ?
Ainsi, en l’absence de mesures restrictives – ce qui n’est donc pas le cas – il pourrait y avoir d’ici le 1er novembre quelque 20 000 hospitalisations en Ile-de-France, 14 000 en Auvergne-Rhône-Alpe, 7 000 en Nouvelle Aquitaine, 6 000 en Paca ou encore 3 000 en Occitanie. Et avec un taux de mortalité chiffré à 12 % actuellement à l’hôpital, on pourrait compter dans quelques semaines entre 2 000 à 5 000 décès en Ile-de-France ou 400 à 800 en Occitanie. Sans parler de la situation dans les Ehpad, pour lesquels le Conseil scientifique réclame un « plan de protection » avec un « dépistage systématique » des personnels pour éviter la contamination des résidents et « une protection renforcée des personnes à risque de formes graves ».
Pour autant, tient à rassurer le « CS », « le ralentissement de la circulation du virus reste à portée de main », à condition de limiter au maximum les interactions sociales. Le collège d’experts appelle notamment à réduire drastiquement les réunions familiales et amicales, où « la distance physique et le port du masque sont moins respectés ».
Covid-19 : le conseil scientifique craint des hôpitaux débordés « d’ici à quelques semaines »
Si la trajectoire de l’épidémie ne change pas, les modélisations anticipent entre 3 800 et 12 400 décès supplémentaires du Covid-19 au 1er novembre, sans tenir compte des Ehpad ni de la surmortalité en cas de saturation des services hospitaliers.
Par Chloé Hecketsweiler Publié le 01 octobre 2020 à 20h56, mis à jour hier à 08h14

« Il faut apprendre à vivre avec, mais cette vie sera différente. » C’est un horizon de long terme, bien loin de celui auquel les Français pouvaient encore aspirer il y a quelques mois, que le conseil scientifique trace dans son nouvel avis. Remis le 22 septembre aux autorités, mais rendu public seulement le 1er octobre, ce document de 42 pages dresse un constat alarmant de la situation épidémique et souligne « l’urgence d’agir » pour en reprendre le contrôle. Les modélisations sur lesquelles il s’appuie anticipent – si rien n’était fait – un débordement des capacités hospitalières dans plusieurs régions dès le 1er novembre, avec plusieurs milliers de décès à la clé.
« Le virus a commencé à circuler chez les jeunes cet été mais, faute de mesures barrières suffisantes, on observe actuellement un phénomène de propagation à l’ensemble des groupes d’âge », constate le conseil scientifique, qui craint de voir les hôpitaux débordés d’ici « quelques semaines », avec, à la clé, une « augmentation de la mortalité liée au Covid-19, mais aussi d’autres maladies suite à une désorganisation du système de soins ».
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Les scientifiques rappellent que l’immunité de la population – entre 3 % et 10 % selon les régions – « ne permet pas d’envisager la circulation libre du virus ». Selon leurs estimations, mi-septembre, le nombre de nouveaux cas quotidiens s’élevait à 25 000 avec un doublement des cas toutes les deux semaines. La « situation semble moins préoccupante qu’en mars dernier » – avec 100 000 cas quotidiens et un doublement tous les trois jours –, mais « elle peut rapidement conduire, en l’absence de nouvelles interventions, à des situations critiques à court ou moyen terme dans certaines régions », avertissent les auteurs.
Le conseil, qui estime « encore possible » de ralentir la circulation du virus, liste quatre options possibles : s’en tenir aux mesures déjà prises, prendre « des mesures différenciées » en fonction des risques liés à l’âge et à l’état de santé, combiner « des mesures de portée limitée » – comme le télétravail – faisant appel à « l’adhésion volontaire », ou prendre « des mesures fortes et plus contraignantes » – comme le couvre-feu. Mis en œuvre en Guyane à partir du mois de juillet – les habitants n’avaient plus de droit de circuler à partir de 17 heures –, il avait permis de faire baisser le taux de reproduction – le R0 dans le jargon – de 1,7 à 1,1.
« Choix complexes et difficiles »
Dans le second scénario, les personnes à risques – 22 millions de personnes au total – pourraient être amenées à restreindre de façon volontaire ou contraignante leurs activités sociales pour limiter leur exposition sans faire peser d’effort supplémentaire sur le reste de la population. « En mai, nous avions proposé, de maintenir une forme de confinement pour ces personnes-là. Cela avait été très mal vécu », rappelle Franck Chauvin, membre du conseil scientifique, et président du Haut Conseil de la santé publique.
Le troisième scénario repose sur une version atténuée, « laissant [à ces personnes] le soin de décider pour elles-mêmes », mais avec des contraintes plus importantes pour le reste de la population. Les personnes pourraient être« fortement invitées à limiter volontairement le nombre de leurs contacts sociaux au cours d’une période donnée, notamment lors de réunions familiales et amicales, qui sont identifiées comme des moments de contamination car la distance physique et le port du masque y sont moins respectés ».
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« On n’a pas conscience que des gens de sa propre famille peuvent présenter un danger », souligne Franck Chauvin. Pour protéger les plus de 70 ans, « il faudra faire un effort de pédagogie à ce sujet : il ne s’agit pas de réduire les liens sociaux, mais d’avoir des liens sociaux différents. », poursuit le médecin.
Dans ce dixième avis – qualifié de « note d’alerte » – le conseil reconnaît les « choix complexes et difficiles » requis par ces différentes stratégies mais encourage les politiques à se décider sans délai :
« Au regard du délai entre la mise en place de mesures prises et leur impact sur la dynamique de l’épidémie et notamment des hospitalisations, tout retard se traduirait par la nécessité, pour produire les mêmes effets, de mesures ultérieures plus fortes et de plus longue durée que celles qui auraient été prises plus tôt. »
Les scientifiques soulignent aussi que « des mesures fortes et précoces peuvent être difficiles à accepter tant qu’il n’y a pas de crise visible. Inversement, s’il y a une nouvelle crise, ne pas avoir mis en place ces mesures serait sans doute reproché a posteriori ».
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« Une évaluation rigoureuse des coûts et avantages des décisions à prendre reste difficile et n’est en tout état de cause pas disponible », regrette le conseil. Les scientifiques rappellent aussi « la dimension éthique » de certains choix avec des conséquences sur « la mortalité directe ou indirecte induite à court, moyen ou long terme pour différentes catégories de la population ».
« Signal d’alerte »
Plusieurs modélisations donnent une idée de ce qui pourrait se passer selon que le taux de reproduction reste stable, augmente ou diminue, et selon la proportion de malades hospitalisés transférés en réanimation. La durée moyenne de séjour prise en compte est de quatorze jours. « Dans le scénario de référence où la dynamique de croissance des admissions reste inchangée, on s’attend à ce qu’au 1er novembre, les besoins de lits de réanimation soient de 1 650 lits en Auvergne-Rhône-Alpes, 2 250 en Ile-de-France, 780 en Nouvelle-Aquitaine, 340 en Occitanie et 600 en PACA » si la probabilité d’admission en réanimation pour les personnes déjà hospitalisées se maintient à 22 %, indiquent les auteurs. Dans une version plus optimiste, avec un taux de passage en réanimation de 14 %, ces besoins passeraient à « 1 090 lits en Auvergne- Rhône-Alpes, 1 490 en Ile-de-France, 530 en Nouvelle-Aquitaine, 230 en Occitanie et 400 en PACA ».
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Dans la version « pessimiste » jusqu’à 5 620 lits de réanimation pourraient ainsi être occupés par des patients atteints du Covid dans ces régions au 1er novembre et 3 740 dans la version « optimiste ». Lors de la première vague, la barre des 7 000 lits avait été franchie au pic, le 8 avril, dont près de 2 700 en Ile-de-France, au prix de la déprogrammation d’une grande partie des interventions chirurgicales. Selon les chiffres transmis par le DGS au Monde, 6 000 lits de réanimation sont actuellement disponibles, avec la possibilité d’étendre cette capacité à 12 000.
« Il y a beaucoup d’incertitudes autour de ces paramètres », rappelle Simon Cauchemez, membre du conseil scientifique et auteur des modélisations, soulignant que de petites variations dans le nombre de reproduction ont un très grand impact sur ce qui se passe après quelques semaines. « Pour l’heure, la dynamique est inquiétante, mais nous espérons que les changements de comportements et les mesures prises ces derniers jours dans les régions les plus touchées, vont être suffisants pour changer la trajectoire de l’épidémie », indique le chercheur. L’avis souligne que, « sans changement, la dynamique de croissance se poursuivra au-delà du 1er novembre avec un bilan qui continuera à s’alourdir avec le temps ».
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Ces modélisations, qui sont d’abord « un signal d’alerte », anticipent à l’hôpital « entre 1 600-3 500 décès en Auvergne-Rhône-Alpes, 2 000-5 000 décès en Ile-de-France, 700-1 600 décès en Nouvelle-Aquitaine, 400-800 décès en Occitanie et 700-1 500 décès en PACA selon que l’on applique le taux de mortalité hospitalière observé à la fin (12 %) ou au début (25 %) de la première vague ». Soit, au total, entre 3 800 et 12 400 décès, sans tenir compte de la surmortalité qui pourrait survenir en cas de saturation des services hospitaliers ni de la mortalité dans les Ehpad. « Il y a là aussi pas mal d’incertitudes liées à l’âge des patients hospitalisés, à la sévérité des cas admis à l’hôpital, et à l’évolution de la prise en charge », explique Simon Cauchemez, en précisant que le modèle n’est pas applicable aux Ehpad du fait de « dynamiques de transmission différentes ».
« La crise a été très révélatrice » : les établissements de soins privés estiment être mieux associés à la gestion de l’épidémie de Covid-19
Les établissements privés non lucratifs et les cliniques se sont engagés depuis le mois de mars aux côtés des hôpitaux. Alors que les cas de contamination au Covid-19 augmentent à nouveau, ils poursuivent leur lutte contre la propagation du virus.
Par Mailis Rey-Bethbeder Publié hier à 14h30, mis à jour hier à 20h00
« Cette crise a montré que si on reconnaissait nos capacités, nous étions capables d’agir. » Pour Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap), un réseaurassemblant 4 700 établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux non lucratifs (gérés par des mutuelles, des associations…), la deuxième vague de la crise sanitaire a au moins cette vertu.
Alors qu’au mois de mars beaucoup d’acteurs hospitaliers externes à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) regrettaient de ne pas être suffisamment sollicités pour répondre à la crise du Covid-19, leur discours semble avoir changé depuis la rentrée.
Président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui regroupe 1 030 cliniques et hôpitaux privés et soigne 9 millions de patients chaque année, Lamine Gharbi partage le constat de M. Perrin. Après des débuts difficiles, la collaboration privé-public a selon lui permis de mieux faire face au virus. « Avant que le public ne prenne conscience qu’il y avait un secteur complémentaire, il y a eu un temps, raconte-t-il. Il a fallu que nous montions au créneau avec force arguments, que nous montrions que nous étions là, que nous pouvions prendre part à la lutte contre cette pandémie. »Lire le décryptage : Coronavirus : pourquoi les établissements de soins privés sont restés en deuxième ligne
« Nous ne sommes plus en mars dernier »
Entre la première et la deuxième vague, les deux hommes estiment que des leçons ont été tirées, des problèmes corrigés. Les masques ne sont plus distribués aux établissements privés par les groupements hospitaliers de territoire, un fonctionnement qui était jugé « inadapté » et « inefficace ». « Nous ne sommes plus en mars dernier, déclare M. Gharbi. Nous avons des stocks de masques, des surblouses, des respirateurs… Nous avons accès au marché mondial, nous sommes redevenus autonomes. »
La chaîne de prise en charge des malades a fini par intégrer les cliniques et les établissements privés non lucratifs dans son circuit
Le service d’aide médicale urgente (SAMU) orientait d’abord les patients vers les hôpitaux publics, mais la chaîne de prise en charge des malades a fini par intégrer les cliniques et les établissements privés non lucratifs dans son circuit. Désormais, « charge aux ARS [agences régionales de santé] d’appliquer les recommandations gouvernementales en directives régionales, adaptées aux besoins et aux particularités locales, explique M. Perrin. Elles ont été contraintes de faire confiance aux acteurs et de leur donner des marges de manœuvre pour s’organiser au mieux dans la réponse » à la propagation de l’épidémie.
Les ARS, qui ont délivré 99 autorisations dérogatoires de réanimation aux établissements privés, au pic de la crise, ont renouvelé leur confiance : 88 autorisations ont été de nouveau accordées pour six mois, d’autres ont été pérennisées.
Des équipes fatiguées, mais mieux préparées
Les équipes des cliniques et des établissements privés non lucratifs, bien que plus fatiguées, comme l’ensemble du monde sanitaire et hospitalier, se disent mieux préparées et prêtes à affronter cette deuxième vague. Depuis le début de la crise, selon les chiffres de la FHP, elles ont pris en charge 18 % des patients atteints du Covid-19. « Nous ne sommes pas au plus haut de la crise, donc chaque établissement peut gérer en particulier le flux de malades qui lui arrive, affirme le directeur général de la Fehap. C’est le début d’une montée. Ce n’est pas préoccupant pour le moment, mais nos établissements sont tous en lien les uns avec les autres, avec les services publics, de façon à se préparer à une vraisemblable montée plus importante, car nos capacités ne sont pas illimitées. »
Si les établissements de la Fehap ont été selon lui « rapidement mis dans la boucle » dès le début de l’épidémie, M. Perrin regrette un « retard dans le Grand-Est ». Dans cette région, la première touchée, ce n’est que le 18 mars qu’a été mise en place une cellule de coordination des groupements hospitaliers de territoire. Les établissements publics, qui n’avaient pas immédiatement fait appel aux services privés, se sont retrouvés rapidement saturés.Lire aussi Les cliniques et le coronavirus : « Il faut jouer la carte de la solidarité entre privé et public »
« Une confiance est née parmi les acteurs »
Au cœur de la crise, il a fallu rapidement communiquer avec le secteur public, les ARS et le ministère. Des conversations téléphoniques, des visioconférences, des groupes WhatsApp de cinquante à soixante personnes mêlant public et privé ont vu rapidement le jour et sont encore actifs aujourd’hui. Ils permettent de faire circuler l’information entre les territoires, ainsi que les besoins et les demandes.Ils sont aussi un lieu d’échange : « Nous partageons nos peurs, nos stress et nos victoires », précise M. Gharbi.
« Nous avons des réunions hebdomadaires avec le directeur du cabinet, le ministre est très présent et à l’écoute de l’ensemble des fédérations », assure le président de la FHP. « Une confiance est née parmi les acteurs, qui se regardaient parfois, c’est vrai, en chiens de faïence par le passé, avec quelques jalousies réciproques », poursuit-il.
Pour M. Perrin, « la crise a été très révélatrice. Dans une crise, on ne triche pas, affirme-t-il. On apparaît tel que l’on est. Un des points positifs, c’est qu’elle a permis aux acteurs de mieux se connaître, se comprendre. Il suffit de réactiver ces liens pendant cette nouvelle vague, de façon à ce que l’on puisse donner ensemble une réponse à la population. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi A Toulouse, les hôpitaux activent un premier niveau de réorganisation
Les restaurants sont-ils des lieux plus à risque pour la transmission du Covid-19 ?
Les études actuelles ne permettent pas d’affirmer le caractère superpropagateur de tous les restaurants, mais certains lieux favorisent des situations de transmission accrue du virus.
Par Delphine Roucaute Publié hier à 04h08, mis à jour hier à 16h16

Après Marseille, la menace d’une fermeture totale ou partielle des bars et restaurants s’intensifie pour plusieurs villes dont Paris et la colère ne désenfle pas chez les professionnels du secteur. Parmi ceux qui sont réticents à appliquer ces nouvelles mesures, une interrogation s’impose : les bars et restaurants sont-ils des lieux plus à risque pour la transmission du SARS-CoV-2 ? Si l’état des connaissances actuelles ne permet pas de trancher le débat, un faisceau d’indices met toutefois en lumière les situations dans lesquelles le risque est le plus élevé.
Il est admis que le coronavirus se transmet par le biais des gouttelettes expulsées par la bouche et le nez lorsqu’on parle, tousse et éternue, mais aussi par les aérosols, ces microgouttelettes émises en permanence par la respiration. Les masques, qu’ils soient chirurgicaux ou en tissu, bloquent une très grande proportion de ces gouttelettes et protègent aussi bien son porteur que les gens autour, lorsqu’ils sont portés par le plus grand nombre. En toute logique, ce sont donc les activités pour lesquelles on est amené à enlever son masque et à se rapprocher les uns des autres qui sont les plus sujettes à contamination.
« Le repas en commun, la prise de boissons ou les pauses en général sont un moment à risque, où les conditions d’exposition au virus sont réunies », explique Michèle Legeas, enseignante à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Même scénario dans les lieux où l’ambiance sonore est importante, qui poussent à élever la voix et à se rapprocher de son interlocuteur, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur. « Les indicateurs tendent à montrer que ce type de situation peut servir à la propagation de l’épidémie, donc la fermeture des bars et restaurants peut être considérée comme un compromis sanitaire et économique sur la base des connaissances actuelles, souligne la spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires. Mais toutes les contaminations ne sont pas liées à ce genre de situation. »
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Peu d’études scientifiques illustrent spécifiquement le risque de contamination dans les bars et restaurants. La plus citée dans le débat public a été menée par des épidémiologistes américains et publiée début septembre dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire des Centres de contrôle et de prévention des maladies. C’est à elle que le ministre de la santé, Olivier Véran, a fait référence, lors de son audition le 24 septembre par la commission d’enquête du Sénat, lorsqu’il a évoqué « des études qui montrent qu’il y a quatre fois plus de risque d’être contaminé au Covid quand on a fréquenté un bar dans les jours avant ».
L’étude a été menée en juillet auprès de 314 personnes majeures s’étant fait dépister dans les centres médicaux de onze Etats américains – 154 d’entre elles ont obtenu des résultats positifs. Les participants ont dû répondre à un questionnaire leur demandant s’ils portaient un masque et le type de lieu qu’ils avaient fréquenté les jours précédant les symptômes. L’étude resserrée sur les personnes n’ayant pas déclaré de contact avec une personne atteinte du Covid-19 montre en effet que les personnes infectées étaient 2,8 fois plus nombreuses à déclarer être allées dans un restaurant et 3,9 fois plus nombreuses à avoir fréquenté un bar ou un café que les individus négatifs
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Les auteurs eux-mêmes reconnaissent cependant plusieurs limites à leur travail. Tout d’abord, l’échantillon : les personnes participant à l’étude étaient venues de leur propre chef se faire tester et ne sont pas forcément représentatives de la population américaine. Deuxièmement, et c’est le cas de toutes les études reposant sur des déclarations, les personnes interrogées ont pu mentir ou oublier de mentionner certaines situations à risque. Plus important : « La question évaluant les repas au restaurant ne faisait pas de distinction entre les options à l’intérieur ou à l’extérieur des établissements. De plus, la question de se rendre dans un bar ou un café ne faisait pas de distinction entre les lieux ou les modes de prestation de services », précisent les chercheurs.
Or, le risque n’est pas le même entre des restaurants accueillant leurs clients à l’intérieur sans espacement des tables, et ceux proposant des terrasses extérieures aérées. Idem si les serveurs portent des masques ou non. « Pour chaque situation, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte (durée du contact, intensité d’émission de la voix, intérieur ou extérieur, ventilation, densité, port du masque, etc.), donc il est difficile de dire que pour telle activité il y a tel risque associé », insiste Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie.
Par ailleurs, « ce qui est observé aux Etats-Unis n’est pas tout à fait transposable en France », objecte Michèle Legeas. Par exemple, les Américains fréquentent beaucoup plus assidûment les centres commerciaux que les Européens. Ces grands complexes sont en général munis de systèmes de climatisation qui peuvent participer à une circulation accrue du virus, comme en témoigne une étude menée dans un restaurant de Guangzhou, en Chine, en février. Des chercheurs chinois ont démontré que plusieurs tables avaient été contaminées par le virus à cause de la recirculation de l’air permise par la climatisation, sous laquelle se tenait une personne malade. Un travail qui illustre l’enjeu primordial du renouvellement de l’air dans les lieux clos.
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Enfin, l’analyse de différents clusters à Hongkong, publiée dans Nature Medicine,montre que les bars peuvent être des lieux de très forte contamination. Parmi les 1 038 cas de Covid-19 étudiés dans cette enclave chinoise entre le 23 janvier et le 28 avril, 106 sont reliés à la fréquentation de quatre bars à orchestre. Mais cette étude souligne également le caractère superpropagateur de deux autres types de regroupement en lieu clos : un mariage et un temple dans lequel un moine était malade
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En France, selon les données de Santé publique France, les types de collectivité présentant le plus de clusters sont d’abord les entreprises hors établissements de santé (26 %), puis le milieu familial élargi, les événements publics et privés (20 %), et le milieu scolaire et universitaire (16 %). Concernant les entreprises, la restauration n’arrive qu’à la troisième place (20 %) des secteurs les plus à risque, après l’industrie alimentaire (57 %) et les transports (27 %). Des chiffres toutefois difficiles à lire. « La notion de cluster n’est pas homogène, cela recouvre des réalités différentes. Par exemple, dans les transports, il y a 4 cas identifiés par cluster, tandis qu’il y en a 18 dans les établissements pénitentiaires. Il y a plus de difficultés à identifier les cas contacts dans l’un que dans l’autre, et ce n’est pas forcément parce qu’il y a plus de transmission du virus en prison », explique Mircea Sofonea.
De plus, dans les conditions actuelles en France, retracer les chaînes de contamination dans les restaurants relève de la gageure. Pour faciliter ce traçage de contacts, certains pays ont fait le choix d’imposer aux clients de ces établissements de remplir un questionnaire précisant les coordonnées soit de toutes les personnes autour d’une même table, soit d’une personne référente par table. C’est le cas par exemple de seize Länder allemands, où les personnes communiquant de fausses coordonnées risquent désormais une amende d’au moins 50 euros.
« On a des hypothèses sur les conditions dans lesquelles se font les contaminations, mais on n’a pas de certitude », conclut Michèle Legeas, qui déplore le manque actuel d’enquêtes de terrain. Sans elles, difficile de tirer des conclusions définitives sur les situations les plus à risque. Pour autant, « il fallait prendre des mesures générales, c’est le principe de précaution », souligne Mircea Sofonea. Et agir avant que tous les indicateurs ne soient au rouge au niveau national.https://www.youtube.com/embed/_2MT1r-Cmsw?autoplay=0&enablejsapi=1&origin=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr&widgetid=1
*Covid-19 : selon une étude, la fréquentation des restaurants et bars est une situation à risque d’infection

Des épidémiologistes américains ont cherché à déterminer chez des individus présentant des symptômes évocateurs de Covid-19, et qui pour cette raison avaient passé un test de dépistage du coronavirus dans un centre médical, quelles avaient été les activités auxquelles ils avaient participé au cours des deux dernières semaines précédant le début des symptômes.
Réalisée entre le 1er et le 29 juillet dernier, cette enquête a été conduite auprès de personnes symptomatiques âgées de plus de 18 ans qui se sont rendues dans un centre médical pour y passer un test PCR de détection de l’ARN du coronavirus SARS-CoV-2 sur un prélèvement respiratoire. Cette étude a été menée dans 11 sites différents situés dans le Massachusetts, le Colorado, le Minnesota, l’Utah, l’Ohio, la Caroline du Nord, le Tennessee, l’État de Washington, le Maryland et la Californie.
Publiée en ligne le 1er septembre 2020 dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire (MMWR) des Centres de contrôle et de prévention des maladies d’Atlanta (CDC, Atlanta, Géorgie), l’étude a porté sur 314 individus dont 154 se sont avérés être infectés par le SARS-CoV-2 et 160 autres dont le test est revenu négatif.
Son originalité tient au fait qu’elle a comparé la fréquence des expositions potentiellement contaminantes dans un groupe de patients trouvés positifs pour le SARS-CoV-2 au test PCR et dans un groupe de sujets témoins dans la mesure où ils avaient été testés négatifs pour le coronavirus.
Retracer l’itinéraire des participants 14 jours avant le début des symptômes
Les enquêteurs ont demandé à l’ensemble des participants s’ils portaient un masque et d’indiquer quelles avaient été, durant les 14 jours précédant les symptômes, leurs éventuelles expositions communautaires, qu’il s’agisse de rassemblements de plus de 10 personnes dans la sphère privée, d’achats en magasins, de déplacements dans une salle de sport, un bar, un café, un salon de coiffure, de la présence à un office religieux, ou encore de l’utilisation des transports en commun. Pour chacune de ces activités, les participants devaient préciser leur degré d’adhésion (de « pas du tout » à « presque toujours ») aux gestes barrière, tels que le port d’un masque ou le respect de la distanciation physique entre les personnes rencontrées dans ces circonstances.
Une première analyse a porté sur l’ensemble des participants, tandis qu’une seconde, plus restreinte, n’a concerné que les participants n’ayant pas rapporté de contact étroit avec une personne atteinte de Covid-19.
L’analyse statistique sur la totalité des participants montre que les personnes infectées ont rapporté 2,4 fois plus souvent que les autres avoir diné dans un restaurant (à l’intérieur, dans un patio ou à l’extérieur) au cours des 14 jours précédant le début des symptômes. Et les auteurs de rappeler que des cas de contamination, associés à la recirculation de l’air ambiant dans un espace clos, ont été rapportés après exposition au SARS-CoV-2 dans un restaurant.
Une seconde analyse a été réalisée auprès des participants n’ayant pas eu de contact étroit avec une personne ayant une infection Covid-19 confirmée (89 individus parmi les cas positifs et 136 parmi les sujets témoins). Il est alors apparu que les personnes contaminées par le SARS-CoV-2 étaient cette fois 2,8 fois plus nombreuses à déclarer être allé dans un restaurant que chez les individus testés négatifs. En outre, les cas positifs ont déclaré 3,9 fois plus souvent que les individus non infectés par le coronavirus être allé dans un bar ou un café.

Lors des 14 jours précédant le début des symptômes, 71 % des participants infectés par le coronavirus et 74 % de ceux qui étaient négatifs ont indiqué qu’ils avaient utilisé en public un masque en tissu ou un autre type de masque.
Un contact étroit avec une ou plusieurs personnes ayant la Covid-19 a été mentionné par 42 % des cas positifs contre seulement 14 % parmi les personnes dont le test était revenu négatif. La plupart (51 %) de ces contacts étaient survenus dans le cadre familial.
Enfin, environ la moitié de l’ensemble des participants a déclaré avoir fait des courses et s’être rendu au domicile d’autres personnes (participation à des groupes de moins de 10 personnes) au moins un jour au cours des deux semaines ayant précédé le début des symptômes.
Respecter la distanciation physique
« Pour aider à ralentir la diffusion du SARS-CoV-2, des précautions devraient être prises, comme rester à la maison après avoir été exposé à une personne atteinte de COVID-19, en plus d’adhérer aux recommandations consistant à se laver souvent les mains, porter un masque et respecter la distanciation sociale », déclarent les épidémiologistes de la COVID-19 Response Team et de l’Epidemic Intelligence Service des CDC d’Atlanta.
En conclusion de leur étude, Kiva A. Fisher et ses collègues déclarent que « les expositions et activités lors desquelles le port du masque et la distanciation physique sont difficiles à maintenir, notamment dans des endroits où l’on mange et l’on boit sur place [moments durant lesquels le masque n’est évidemment pas porté], pourraient constituer d’importants facteurs de risque pour contracter une infection par le SARS-CoV-2 ».
En France, en attendant la présentation d’un « plan d’action » suite aux déclarations du Premier ministre Jean Castex, le préfet de la région de Guadeloupe, où l’on enregistre une évolution préoccupante des contaminations**, a annoncé vendredi dernier de nouvelles mesures. Celles-ci prévoient notamment que les bars et les restaurants ne pourront plus « accueillir de public à compter de 22 heures en semaine (du dimanche soir au mercredi soir) et à compter de minuit du jeudi soir au samedi soir inclus ». A suivre pour savoir ce qu’il en sera dans d’autres régions, territoires et villes dans les prochains jours et prochaines semaines.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
* Bien que l’objectif initial des chercheurs était d’apparier les cas (patients avec un test PCR positif) et les sujets témoins (testés négatifs) sur la base d’un ratio 1:2, tous les participants potentiels à l’étude ne remplissaient pas les conditions pour être éligibles ou n’ont pas répondu à la totalité des questions. Ceci explique que l’étude a finalement consisté en une approche analytique (analyse de participants non appariés sur le sexe et l’âge).
** En Guadeloupe, le taux d’incidence est 232,7 pour 100 000 habitants. A titre de comparaison, la moyenne en France métropolitaine est actuellement de 74,7 cas positifs pour 100 000 habitants
Pour en savoir plus :
Fisher K1, Tenforde MW, Feldstein LR, et al. Community and Close Contact Exposures Associated with COVID-19 Among Symptomatic Adults ≥18 Years in 11 Outpatient Health Care Facilities — United States, July 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020;69(36):1258–64. doi: 10.15585/mmwr.mm6936a5
Lu J, Gu J, Li K, et al. COVID-19 Outbreak Associated with Air Conditioning in Restaurant, Guangzhou, China, 2020. Emerg Infect Dis. 2020;26(7):1628-1631. doi:10.3201/eid2607.200764 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7323555/
Lei H, Xu X, Xiao S, Wu X, Shu Y. Household transmission of COVID-19-a systematic review and meta-analysis. J Infect. [published online ahead of print, 2020 Aug 25];S0163-4453(20)30571-5. doi:10.1016/j.jinf.2020.08.033
Sur le web (ventilation et climatisation des locaux) :
How to operate HVAC and other building service systems to prevent the spread of the coronavirus (SARS-CoV-2) disease (COVID-19) in workplaces (Heating, Ventilation and Air Conditioning, REHVA COVID-19 guidance document, August 3, 2020)
Q&A: Ventilation and air conditioning and COVID-19 (WHO, 29 July 2020)
Heating, ventilation and air-conditioning systems in the context of COVID-19 (ECDC, 22 Jun 2020)
LIRE AUSSI : Covid-19 : contamination en chaîne dans un restaurant chinois climatisé
Risque de transmission aéroportée du coronavirus SARS-CoV-2 : de l’importance du port du masque et de locaux bien ventilés
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