Haut-Karabakh : Paris et Moscou s’inquiètent de l’envoi de mercenaires syriens par la Turquie
La France et la Russie appellent à un cessez-le-feu, alors que les combats se poursuivent entre l’Arménie et l’Azebaïdjan.
Par Piotr Smolar le 1er Octobre à 10h44

Après la Libye, la Syrie, la question migratoire et les forages en Méditerranée orientale, le Haut-Karabakh devient le nouveau sujet de tension entre l’Union européenne et la Turquie. En déplacement en Lettonie, Emmanuel Macron a pris la parole, mercredi 30 septembre, au sujet de la crise militaire brûlante qui touche le territoire séparatiste caucasien. S’exprimant à la veille d’un Conseil européen important sur la politique de voisinage de l’UE, le président français a jugé « inconsidérées et dangereuses » les déclarations de la Turquie.
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En revanche, alors que les affrontements entre l’Azerbaïdjan et les forces arméniennes ont fait des dizaines de morts en quatre jours, le chef de l’Etat est resté prudent sur le plan opérationnel. Les deux protagonistes, qui ont décrété la mobilisation des réservistes, lancent des accusations et revendiquent des succès militaires difficiles à vérifier dans cette enclave montagneuse. « A ce stade, nous n’avons pas en propre d’éléments qui nous permettent de parler de régionalisation du conflit et d’attribuer l’ensemble des actes », a précisé M. Macron.
« Préoccupation » franco-russe
Le président français a demandé aux services compétents, en lien avec leurs homologues alliés, de rassembler le maximum d’éléments factuels. Paris se sent conforté dans ses critiques des menées agressives de la Turquie sur plusieurs théâtres d’opération. Ankara a déjà transféré des milliers de combattants, rémunérés, de Syrie vers la Libye, pour soutenir le gouvernement de Tripoli.
Le président français s’est entretenu mercredi soir au sujet du Haut-Karabakh avec son homologue russe, Vladimir Poutine. Selon l’Elysée, les deux dirigeants « sont d’accord pour exercer un effort conjoint pour un cessez-le-feu, dans le cadre du groupe de Minsk [coprésidé par la France, la Russie et les Etats-Unis]. » Ils ont aussi affiché une « préoccupation partagée » au sujet de l’envoi de mercenaires syriens. Plus tôt, le ministère russe des affaires étrangères avait dénoncé le déploiement d’hommes « venant notamment de Syrie et de Libye » dans la région.
Moscou s’est dit « disponible » pour accueillir des pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Mais l’absence d’anticipation par la Russie de cette offensive de Bakou interroge. Les services russes ont-ils failli dans cette zone caucasienne si cruciale, ou bien y a-t-il eu une tolérance initiale à l’égard de l’opération lancée ? Et, à l’inverse, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’est-il pas emporté par son orgueil, en sous-estimant les intérêts de la Russie dans son propre voisinage et son obsession de stabilité ?
Travail de Sisyphe
Selon le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, l’opération militaire de l’Azerbaïdjan serait préméditée et concertée avec la Turquie. De Riga, le président français a lancé un avertissement politique à Ankara : la France « demeure extrêmement préoccupée des messages guerriers que la Turquie a eus ces dernières heures, au fond décomplexant l’Azerbaïdjan dans ce qui serait une reconquête du Haut-Karabakh », a-t-il souligné. Emmanuel Macron comptait échanger jeudi avec Donald Trump à ce sujet, avant d’exposer sa vision de la crise devant ses collègues lors du Conseil européen. L’Arménie et l’Azerbaïdjan font partie des six pays concernés depuis onze ans par le partenariat oriental de l’UE, dont la cohérence géographique et politique pose une nouvelle fois question.
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En avril 2016, une offensive azerbaïdjanaise avait causé près de 180 morts en trois jours, selon le seul bilan officiel. Ce fut la séquence la plus sanglante depuis le cessez-le-feu de 1994. Depuis vingt-six ans, les incidents ont été réguliers, parfois mortels, et la diplomatie internationale a poursuivi ses efforts improductifs.
Le groupe de Minsk, chargé de ce travail de Sisyphe, est coprésidé par la France, la Russie et les Etats-Unis, trois pays membres du Conseil de sécurité, qui comptent tous une importante communauté arménienne, ce qui n’a pas échappé à l’Azerbaïdjan. « Ils nous considèrent parfois comme un club chrétien, peu impartial et peu objectif, favorisant le statu quo arménien et plaidant pour l’annexion, ce qui est évidemment totalement faux », expliquait début janvier le diplomate français Stéphane Visconti, l’un des trois coprésidents, entendu par la commission des affaires étrangères du Sénat.
Emotions nationales sensibles
Le groupe de Minsk a toujours facilité les contacts entre les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais, mais les deux parties de ce conflit gelé ont durci leurs positions. Fort de ses ressources pétrolières, mue par un esprit de revanche après la perte de territoires pendant la guerre, l’Azerbaïdjan a consacré des moyens considérables pour renforcer ses capacités militaires : près de 20 milliards de dollars (soit 17 milliards d’euros) entre 2009 et 2018, selon le Stockholm International and Peace Research Institute, contre 4 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros) du côté arménien. L’un des fournisseurs privilégiés de Bakou est Israël, notamment pour les drones de combat
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Ilham Aliev, le président de l’Azerbaïdjan, a expliqué mercredi que la condition d’un cessez-le-feu était le retrait militaire complet des forces arméniennes des « territoires occupés », soit le Haut-Karabakh et la zone tampon avec l’Arménie. « Nous voulons rétablir notre intégrité territoriale », a-t-il affirmé, assurant que le droit international était « du côté » de l’Azerbaïdjan. L’Arménie, elle, défend le droit à l’autodétermination des Arméniens vivant dans l’enclave, qui ont proclamé leur indépendance − non reconnue sur le plan international − après la chute de l’URSS.
Au-delà des revendications territoriales et des enjeux géopolitiques, le conflit autour du Haut-Karabakh s’enracine dans les émotions nationales les plus sensibles. Stéphane Visconti l’avait bien détaillé devant le Sénat : « Est-ce un conflit territorial ? Oui et non. Pour les Azerbaïdjanais, la perte de leur unité territoriale leur fait un peu penser à celle de l’Alsace-Lorraine. Pour Bakou, le conflit durera jusqu’à ce que les territoires soient libérés et restitués. Il s’agit des suites d’une guerre, mais c’est avant tout un dossier identitaire. Pour les Arméniens, même au-delà des frontières de la République d’Arménie, le Haut-Karabakh est une terre sacrée. »
Piotr Smolar(Riga, envoyé spécial)
Haut-Karabakh : la Turquie souffle sur les braises du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie
Les combats meurtriers entre les deux anciennes républiques soviétiques pour la souveraineté du Haut-Karabakh mettent en porte-à-faux leurs alliés, la Turquie côté azerbaïdjanais et la Russie côté arménien.
Par Marie Jégo et Nicolas Ruisseau Publié le 30 septembre 2020 à 10h49 – Mis à jour le 30 septembre 2020 à 11h26

Au quatrième jour des combats meurtriers dans le Haut-Karabakh, dans le Caucase du Sud, Erevan et Bakou continuent de se rejeter la responsabilité des attaques qui ont fait près d’une centaine de morts dans cette enclave séparatiste d’Azerbaïdjan, peuplée de 150 000 habitants en majorité arméniens. Les deux Etats voisins ont écarté, mardi 29 septembre, la possibilité d’entamer des pourparlers.
Le conflit qui fait rage pour le contrôle de la région disputée du Haut-Karabakh a pris une tournure inquiétante, mardi, quand Erevan a annoncé que l’un de ses avions de combat, un Soukhoï 25, avait été abattu, avec son pilote, dans l’espace aérien arménien, par un chasseur turc F-16 venu d’Azerbaïdjan. Selon le ministère de la défense arménien, le F-16 turc a « décollé d’un aéroport situé dans la ville azerbaïdjanaise de Gandja et soutenait l’aviation et les drones azerbaïdjanais qui bombardaient des villages civils à Vardenis, Mets Masrik et Sotk, en Arménie ».
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La Turquie et l’Azerbaïdjan turcophone, alliés militaires et politiques, ont aussitôt démenti. Fahrettin Altun, le directeur de la communication du président turc, a dénoncé une affirmation « totalement fausse », tandis que Bakou déplorait un effet de « la propagande arménienne ». L’épisode interroge toutefois sur l’implication militaire de la Turquie, membre de l’OTAN, soupçonnée de souffler sur les braises du conflit. Pour les responsables arméniens, il ne fait aucun doute qu’Ankara est impliqué militairement aux côtés de l’Azerbaïdjan.
Son but est de faciliter la reconquête, sinon du Haut-Karabakh − un territoire minuscule, l’équivalent du département des Alpes-Maritimes, enjeu d’un conflit gelé depuis vingt-six ans −, du moins des régions azerbaïdjanaises voisines, prises par les séparatistes arméniens entre 1988 et 1994. Depuis l’effondrement de l’URSS, en 1991, sept districts azerbaïdjanais situés autour de l’enclave sont occupés militairement par les Arméniens. Décidé à reconquérir ces terres par la force, l’Azerbaïdjan est soutenu par son allié turc.
Haine tenace
Après avoir affirmé que l’Arménie était « la plus grande menace à la paix dans la région », le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a promis d’aider, « par tous les moyens », la campagne militaire de l’Azerbaïdjan contre les forces arméniennes. Il a exhorté l’Arménie à se retirer immédiatement de la région séparatiste, fustigeant les négociations internationales qui ont « échoué à résoudre ce problème pendant trente ans ».
Malgré des décennies de médiation américaine, russe et française au sein du Groupe de Minsk, sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, la dispute sur la souveraineté du Haut-Karabakh n’a jamais été résolue. En dépit d’un cessez-le-feu, signé en 1994, après une guerre qui a fait trente mille morts et déplacé plus de un million de personnes, la situation n’a jamais été stable. L’ Arménie, pays chrétien, et l’Azerbaïdjan, terre chiite, se vouent une haine tenace à cause de ce conflit territorial.
Plusieurs indices laissent à penser que l’offensive tout juste lancée par l’armée azerbaïdjanaise contre les positions arméniennes est épaulée militairement par Ankara. Les deux alliés s’entraident. Le mois dernier, l’Azerbaïdjan a accueilli des exercices militaires conjoints avec l’armée turque. De nombreux responsables arméniens assurent que la Turquie fournit à l’Azerbaïdjan des F-16, des drones et des combattants syriens. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme a confirmé, pour sa part, dimanche 27 septembre, que des mercenaires, issus de factions soutenues par Ankara en Syrie, avaient bien été déployés pour combattre aux côtés de l’armée azerbaïdjanaise.
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Le journaliste syrien Hussein Akoush a publié sur son compte twitter la photographie de l’un de ces combattants, Muhammad Shaalan, originaire d’Al-Atarib, dans la région d’Alep. Envoyé par les Turcs en Azerbaïdjan il y a une semaine avec la promesse d’un bon salaire, il a été tué dans les combats entre Arméniens et Azerbaïdjanais. Mardi, une frappe azerbaïdjanaise a atteint un bus dans la région de Vardenis, dans le sud-est de l’Arménie, sur la route qui mène au Haut-Karabakh, tuant un civil. Le ministre des affaires étrangères arménien, Zohrab Mnatsakanian, a déclaré que la frappe avait été menée par un drone de fabrication turque.
Le quotidien progouvernemental turc Yeni Safak s’est vanté, dans son édition de mardi, du fait que des drones de surveillance de l’armée turque survolaient le territoire arménien. « La Turquie, selon nos informations, cherche une excuse pour une implication plus large dans ce conflit », a déclaré le premier ministre arménien, Nikol Pachinian. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a nié la participation de son allié turc, évoquant « un soutien moral ».
Moscou arme les deux camps
Si elle est avérée, l’implication militaire turque risque de donner une dimension régionale au conflit, mettant Ankara, qui soutient l’Azerbaïdjan, en porte-à-faux avec Moscou, le principal allié militaire de l’Arménie. La Russie possède deux bases militaires en Arménie, et les deux pays ont un pacte de défense mutuelle, bien qu’il ne couvre pas les territoires disputés. Vladimir Poutine, qui, dès dimanche, avait rappelé que « l’essentiel est de mettre fin aux hostilités », a répété publiquement, mardi, sa demande.
Le chef du Kremlin a insisté sur « la nécessité urgente d’un cessez-le-feu » pour « désamorcer la crise ». Il venait de s’entretenir avec M. Pachinian. Ce dernier, interrogé sur la télévision publique russe, n’a guère montré sa volonté d’apaisement. « Il y a une guerre, il y a beaucoup de destructions, de victimes, un grand nombre de militaires sont impliqués. Nous percevons cela comme une menace existentielle pour notre peuple », a-t-il insisté, en critiquant l’ingérence « agressive » de la Turquie.
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Dans les faits, la Russie joue toutefois sur les deux tableaux, arménien et azerbaïdjanais. Depuis des années, Moscou arme les deux camps. Le Kremlin n’a pas d’intérêt à un nouvel embrasement, mais est soupçonné d’entretenir le statu quo pour satisfaire son complexe militaro-industriel et conserver son emprise dans la région. Au-delà du commerce d’armes, il entretient d’étroites relations économiques avec les deux ex-républiques soviétiques.
Sur le terrain, le dernier bilan fait état de 97 morts : 80 soldats séparatistes et 17 civils (12 en Azerbaïdjan et 5 côté arménien). Mais le plus grand flou règne sur l’ampleur de ce bilan. Les deux camps affirment avoir infligé des centaines de pertes à l’adversaire. Le ministre de la défense arménien, David Tonoyan, assure avoir détruit 72 drones, 7 hélicoptères, 137 chars, un avion et 82 véhicules militaires azerbaïdjanais. Alors que, dimanche, Bakou annonçait avoir pris le contrôle de plusieurs villages et d’un mont stratégique, les forces arméniennes ont déclaré, mardi, avoir regagné les positions perdues « au sud et au nord du front ». Démentant tout recul, l’armée azerbaïdjanaise a au contraire fait état d’une nouvelle progression de ses troupes.
Marie Jégo(Istanbul, correspondante) et Nicolas Ruisseau(Moscou, correspondance)Contribuer
Pourquoi l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’affrontent dans le Haut-Karabakh
Cette province arménienne rattachée à l’Azerbaïdjan a proclamé son indépendance à la chute de l’URSS, en 1991. Elle est désormais au centre d’un conflit régional.
Publié le 28 septembre 2020 à 16h48 – Mis à jour le 28 septembre 2020 à 19h53

Pour le troisième jour consécutif, des combats meurtriers ont eu lieu, lundi 28 septembre, entre les forces du Haut-Karabakh, soutenues par l’Arménie, et les troupes d’Azerbaïdjan, dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, peuplée de 150 000 habitants, majoritairement arméniens.
Comme lors des flambées de violence de ces dernières années (2008, 2010, 2012, 2014, 2016 et 2018), ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan, qui se disputent ce territoire montagneux enclavé dans la République d’Azerbaïdjan, n’ont donné de détails sur les affrontements.
Malgré les appels à la retenue, aucun signe d’apaisement n’apparaît entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux anciennes républiques soviétiques qui s’opposent depuis des décennies au sujet de cette zone de 4 400 kilomètres carrés, grande comme la Haute-Savoie.

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- Conflit ethnique de la fin de l’URSS
L’Azerbaïdjan et l’Arménie (dans la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie) rejoignent l’URSS au début des années 1920. Staline décide alors du rattachement du Haut-Karabakh, peuplé en majorité d’Arméniens chrétiens, à l’Azerbaïdjan, à majorité musulmane.
A la faveur de la perestroïka, l’« ouverture » entamée par Mikhaïl Gorbatchev en 1985, qui offre plus d’autonomie aux républiques soviétiques, les dirigeants du Karabakh votent, en 1988, l’unification de la région avec l’Arménie. Ils dénoncent notamment la tentative de la part des autorités d’Azerbaïdjan d’augmenter leur influence au Haut-Karabakh. Pendant des mois, les escarmouches se multiplient, forçant la majorité des Arméniens d’Azerbaïdjan à se réfugier en Arménie et la majorité des Azéris d’Arménie à en faire de même en Azerbaïdjan.
A la fin de l’été 1991, la désintégration de l’Union des républiques socialistes soviétiques devient une réalité, et l’Azerbaïdjan déclare son indépendance, le 30 août 1991. Le 2 septembre 1991, la majorité arménienne vote sa séparation de l’Azerbaïdjan et proclame la république du Haut-Karabakh. Indépendance qui n’est reconnue par aucun Etat membre de l’ONU.
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De sporadiques, les incidents entre Arméniens et Azéris s’intensifient. Entre 1992 et 1994, des combats de grande ampleur vont faire près de 30 000 morts. Les forces arméniennes s’approprient des régions à l’extérieur de l’enclave, soulevant des menaces d’intervention d’autres pays de la région.
En mai 1994, un cessez-le-feu est obtenu, des négociations pour la résolution du conflit sont organisées dans le cadre du Groupe de Minsk, une instance créée en 1992 par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), coprésidée par la France, la Russie et les Etats-Unis. Sur le terrain, le gros des violences cesse, excepté quelques accrochages réguliers dans les années 2000, notamment du 2 au 5 avril 2016, lors de la guerre des Quatre Jours, causée par une attaque azerbaïdjanaise.
Mais après plusieurs mois de montée des tensions, ponctuée d’incidents le long de la frontière, des combats éclatent le 27 septembre 2020, provoquant la mobilisation générale et l’instauration de la loi martiale dans ces pays.
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- Affrontements par procuration
Ces affrontements font craindre une déstabilisation de cette région du sud du Caucase, zone traversée par des oléoducs, essentiels à l’approvisionnement des marchés mondiaux du pétrole et du gaz. Parmi les nombreuses réactions diplomatiques, la France, médiatrice dans ce conflit dans le cadre du Groupe de Minsk, a appelé à une cessation immédiate des hostilités. A Washington, Donald Trump a déclaré qu’il regardait la situation de très près. L’escalade des combats au Haut-Karabakh est « très préoccupante », et toute ingérence est « inacceptable », a déclaré le porte-parole du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.
Un conflit majeur impliquant l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait entraîner l’intervention des puissances en concurrence dans la région du Caucase : la Russie et la Turquie. M. Borrell a dit avoir pris connaissance des accusations sur l’implication de « milices syriennes » proches de la Turquie et « d’autres forces » au Haut-Karabakh, prenant soin d’ajouter : « Nous n’avons pas vu des faits pouvant justifier ou soutenir ces allégations. »
Le Kremlin, qui se positionne en arbitre dans la région, livre des armes aux deux pays et, depuis près de trente ans, est jusqu’ici parvenu à éviter une guerre ouverte. Le président russe, Vladimir Poutine, s’est entretenu par téléphone avec le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, tandis que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a parlé avec son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliyev.
La Turquie a annoncé qu’elle soutiendrait l’Azerbaïdjan, son allié traditionnel. L’ambassadeur d’Arménie en Russie, cité lundi par les agences de presse russes, a accusé la Turquie d’avoir déplacé environ 4 000 combattants du nord de la Syrie vers l’Azerbaïdjan pour prendre part aux affrontements dans le Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan a démenti cette affirmation.
Le Monde
Affrontements dans le Haut-Karabakh : l’Arménie et l’Azerbaïdjan au seuil de la guerre
Le conflit gelé depuis près de trente ans dans cette région du Caucase, enclave séparatiste peuplée d’Arméniens mais revendiquée par l’Azerbaïdjan, a viré à l’escalade ce week-end. Avec, en coulisses, les deux arbitres : Ankara et Moscou.
Par Nicolas Ruisseau Publié le 28 septembre 2020 à 06h36 – Mis à jour le 28 septembre 2020 à 15h50

La poudrière du Haut-Karabakh, l’un des plus anciens conflits gelés de l’Europe post-soviétique, menace d’exploser en une nouvelle guerre. Au moins cinquante-huit personnes seraient mortes au cours de combats depuis dimanche 27 septembre, dans cette région séparatiste d’Azerbaïdjan à majorité arménienne, située entre la Turquie et la Russie. Bakou et Erevan se rejettent la responsabilité des heurts, l’armée de l’un affirmant réagir respectivement aux agissements de l’autre. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a dénoncé une « agression » qu’il s’est engagé à « vaincre ». Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, l’a accusé d’avoir « déclaré la guerre à notre peuple ». Sur le terrain, les deux camps échangent, depuis samedi, des tirs d’artillerie. L’Azerbaïdjan a aussi procédé à des bombardements aériens.
Entre provocations de combattants cherchant à saboter tout processus de paix et manœuvres géopolitiques de grandes puissances se servant d’un conflit local, le Haut-Karabakh s’embrase régulièrement. Couverte de grenadiers et de vignes, mais aussi de canons camouflés dans la verdure, cette région montagneuse du Caucase est contrôlée par Erevan et peuplée de 150 000 habitants majoritairement arméniens. République autoproclamée, elle est revendiquée par Bakou depuis qu’elle a fait sécession de l’Azerbaïdjan avec le soutien arménien. Elle vit officiellement sous le régime du cessez-le-feu signé en 1994 après une longue guerre au lourd bilan (30 000 morts).
En juillet dernier, puis à nouveau ce week-end, les incidents se sont multipliés comme jamais en vingt-six ans de paix précaire sur une ligne de front qui s’est peu à peu enterrée. Les lieux rappellent les souvenirs de Verdun, dans une version à peine modernisée cent ans après, avec ces « poilus » du XXIe siècle terrés dans des tranchées à deux mètres de profondeur, entre blocs de béton, vieux pneus et barbelés.

Comme lors des précédentes flambées de violence, ni Bakou ni Erevan n’ont ce week-end donné d’explications détaillées sur l’enchaînement des faits. Le bilan de vingt-quatre morts, le plus lourd depuis 2016, inclut des civils, notamment une femme et un enfant du côté arménien et une famille de cinq personnes du côté azerbaïdjanais. Mais les belligérants restent vagues sur leurs pertes militaires. L’Azerbaïdjan assure avoir conquis des territoires et repris le contrôle de la région. L’Arménie dément et affirme que sa riposte a fait subir des pertes à l’armée azerbaïdjanaise.
Tout comme les autorités « autonomes » du Haut-Karabakh, financées par Erevan, Nikol Pachinian a décrété « la mobilisation générale », instauré « la loi martiale » et souhaité « longue vie à la glorieuse armée arménienne ! ». Le premier ministre arménien a déclaré que Bakou et Erevan sont au bord d’une « guerre d’envergure ». Il a dénoncé l’ingérence « agressive » de la Turquie, fidèle soutien de Bakou.Lire aussi Combats meurtriers au Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie au bord de la guerre, au moins 24 morts
« L’armée azerbaïdjanaise combat aujourd’hui sur son territoire, défend son intégrité territoriale, porte des coups dévastateurs à l’ennemi. Notre cause est juste et nous allons vaincre », lui a indirectement répliqué Ilham Aliev. Le président azerbaïdjanais a pareillement déclaré la loi martiale dans son pays, mais aussi le couvre-feu à Bakou, dans d’autres grandes villes et près de la ligne de front. Son armée aurait notamment repris le contrôle de plusieurs villages, mais surtout du mont Mourovdag, site stratégique pour les communications entre l’Arménie et les autorités séparatistes du Haut-Karabakh. Erevan a démenti, mais Araïk Haroutiounian, le président de la République autoproclamée, a reconnu que « des positions ont été perdues ».
Le regain de tension ruine les efforts d’accord de paix
Formellement, les négociations de paix se poursuivent, orchestrées par le groupe dit de Minsk autour de la Russie, des Etats-Unis et de la France. Dans les faits, le Haut-Karabakh s’enfonce dans la logique de guerre depuis que, en avril 2016, la « guerre des quatre jours » avait déjà failli dégénérer. Le regain de tensions entre combattants sur le terrain ruine un peu plus les efforts d’accord sur le statut de ce territoire qui, sous l’époque soviétique, avait été rattaché à l’Azerbaïdjan, mais dont les habitants, après la chute de l’URSS, avaient massivement voté pour l’indépendance. L’Etat séparatiste, reconnu par aucun autre Etat, pas même Erevan, est entièrement soutenu militairement et financièrement par l’Arménie.
En face, Bakou bénéficie d’un soutien turc d’autant plus fort qu’Ankara n’a toujours pas de relations diplomatiques avec Erevan, en raison du différend historique sur le génocide des Arméniens par l’Empire ottoman, à partir de 1915. Le ministre de la défense turc a affirmé dimanche qu’Ankara allait soutenir l’Azerbaïdjan « avec tous ses moyens ». Bakou, dont les dépenses militaires dépassent certaines années le budget total de l’Arménie, a aussi profité de ses réserves de pétrole pour dépenser largement en matière d’armement. Erevan est au contraire plus pauvre, mais compte sur le soutien de la Russie, tant économique que politique, car l’Arménie appartient à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), alliance politico-militaire dirigée par Moscou.
Le Kremlin joue toutefois un jeu ambivalent avec ses deux ex-Républiques soviétiques. Vendant abondamment des armes à l’Azerbaïdjan. Et entretenant deux bases militaires en Arménie, pour défendre ses frontières face à la menace de Bakou. Cette situation tout en paradoxes fait les affaires du complexe militaro-industriel russe.
A distance, Moscou dispose donc a priori de l’influence suffisante pour apaiser ou amplifier le conflit. Le président russe, Vladimir Poutine, a d’ailleurs appelé dimanche à la fin des combats meurtriers. « Il est important de mettre en œuvre tous les efforts nécessaires pour éviter une escalade de la confrontation, mais l’essentiel est qu’il faut mettre fin aux hostilités », a affirmé le chef du Kremlin, cité dans un communiqué après un entretien téléphonique avec Nikol Pachinian.
Alors qu’Emmanuel Macron a confié sa « vive préoccupation » et appelé « fermement à la cessation immédiate des hostilités », la clé, aujourd’hui comme en 2016, dépendra du dialogue entre Moscou et Ankara. Le chef du Kremlin entretient une amitié complexe avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Leur relation est en fait un jeu d’intérêts où la géopolitique se mêle au militaire (achat par Ankara du S-400, dernier-né des systèmes russes antimissiles) et à l’économie (renforcement des échanges commerciaux, construction par les Russes de la première centrale nucléaire en Turquie, nouveau gazoduc TurkStream). L’axe Moscou-Ankara se tend régulièrement sur la Syrie, où ils soutiennent des camps opposés. Le Haut-Karabakh constitue un autre terrain d’affrontement indirect entre les deux capitales.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, « le danger est toujours là »