L’insuffisance du budget européen pour la science, l’éducation et l’innovation, bien éloigné des promesses politiques ronflantes et des enjeux internationaux

« Les Etats membres sont les fossoyeurs de la politique de recherche européenne »

TRIBUNE

Kurt Deketelaere

Professeur de droit à l’Université catholique de Louvain, président du Sustainability College Bruges, secrétaire général de la League of European Research Universities/LERU

Kurt Deketelaere, secrétaire général de la Ligue des universités de recherche européennes, dénonce dans une tribune au « Monde » l’insuffisance du budget européen pour la science, l’éducation et l’innovation, bien éloigné des promesses politiques ronflantes et des enjeux internationaux

Publié aujourd’hui à 18h01    Temps de Lecture 3 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/29/les-etats-membres-sont-les-fossoyeurs-de-la-politique-de-recherche-europeenne_6054102_3232.html

Tribune La Ligue des universités de recherche européennes (LERU) a pris connaissance, fin juillet, avec consternation de l’accord du Conseil européen sur le budget pluriannuel 2021-2027 et sur le fonds de relance Covid-19. Cet accord est un véritable coup de massue pour la politique européenne en matière de recherche, d’innovation et d’éducation.

Il ne traduit pas les belles paroles politiques, européennes comme nationales, sur un budget ambitieux pour la période 2021-2027 : à peine environ 80 milliards d’euros pour la recherche et l’innovation, et à peine environ 20 milliards d’euros pour l’éducation. Il est à chaque fois inférieur de plusieurs milliards d’euros à ce qui avait été proposé par la Commission européenne, et demandé par le Parlement européen.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Union européenne : « Une fois de plus, la recherche est une variable d’ajustement »

Des budgets ambitieux sont pourtant indispensables pour être à la hauteur des problèmes actuels, comme le Covid-19 et le changement climatique. L’accord a provoqué une déception particulièrement importante dans la communauté de recherche et d’éducation européenne, et a véritablement rompu la confiance entre les mondes académique et politique.

Un mauvais accord pour la recherche

Cet accord n’est absolument pas « historique », comme l’ont pourtant affirmé tous les chefs d’Etat et les chefs de gouvernement ces dernières semaines. Pour la LERU, le seul fait historique est que les budgets proposés et demandés pour la recherche, l’éducation, l’innovation, mais aussi pour la santé, ont été massacrés de manière sans précédent par le Conseil européen.

Il est manifeste que, en dehors de celles qui concernaient le Covid-19 ou le changement climatique, n’importe quelle ligne budgétaire aurait pu être supprimée si cela avait été le prix du ralliement de tous les Etats membre au projet de budget présenté par la Commission.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « La Loi de programmation pluriannuelle permettra à la France de rester  un phare de la recherche européenne »

Cet accord doit dès lors être rejeté par le Parlement européen : il est en complète contradiction avec les exigences préconisées l’an dernier par ce dernier. Le Parlement européen doit maintenant prouver qu’il a réellement son mot à dire dans les décisions relatives au budget et au fonds de relance. Bien que le Parlement ait toujours été un grand défenseur de la recherche et de l’éducation, il va devoir maintenant monter au front pour être et rester crédible dans les années à venir.

Un budget décevant

L’accord va également à l’encontre de l’ambitieux ordre du jour de la présidence allemande de l’Union européenne, lancé début juillet. La question se pose maintenant de savoir quelle sera la crédibilité de cette présidence pour pontifier encore sur un « nouvel espace européen de la recherche et de l’éducation ».

La LERU était convaincue que l’Allemagne et qu’une présidence allemande ambitieuse étaient la meilleure garantie pour un budget ambitieux, mais l’erreur est manifeste : aucun Etat membre, aucun chef de gouvernement, aucun chef d’Etat ne s’est érigé comme un défenseur de la recherche, de l’éducation et de l’innovation. Les intérêts nationaux et les ordres du jour personnels ont de nouveau pris le dessus. C’est particulièrement décevant, mais en même temps éclairant : cela confirme ce que nous voyons et savons depuis plusieurs années, à savoir que les Etats membres sont, tant au niveau du contenu que du budget, les fossoyeurs de la politique de recherche européenne.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Recherche : comment  de grands groupes privés tirent parti de fonds publics européens

Bien que cela n’ait pas été dit publiquement, cet accord est également problématique pour la Commission européenne et la présidente, Ursula von der Leyen : le programme de la Commission sur le climat et la numérisation est très fortement basé sur les nouvelles connaissances scientifiques, les produits et processus innovants. Il est maintenant difficile de savoir comment cet ordre du jour pourra être réalisé avec un budget décimé.

Trouver un équilibre sur les projets

Cet accord est également problématique pour la commissaire européenne à la recherche, à l’innovation et à l’éducation, Mariya Gabriel : comment parviendra-t-elle à une répartition équilibrée des 80 milliards d’euros concernant le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe, et des 20 milliards concernant le programme d’éducation Erasmus ?Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Géopolitique de l’intelligence artificielle

Ces programmes ont pris forme dans la perspective de budgets plus élevés. Concernant Horizon Europe, il est évident pour la LERU que les bourses Marie-Curie et les bourses du Conseil européen de la recherche doivent être considérablement augmentées : ces programmes ont prouvé leur nécessité, leur succès et leur valeur ajoutée, ils doivent évidemment avoir la préférence sur tous les nouveaux programmes ou initiatives qui ont encore tout à prouver.

En résumé, on peut affirmer que cet accord manque particulièrement de vision en matière de recherche, d’éducation et d’innovation, ce qui implique que l’Union européenne sera encore davantage distancée par les autres joueurs mondiaux dans ce domaine. La LERU appelle les membres du Parlement européen à rejeter cet accord des fossoyeurs de la recherche.

La League of European Research Universities (LERU) regroupe 23 universités de recherche intensive dans 12 pays européens, dont, en France, Sorbonne Université, l’université Paris-Saclay et l’université de Strasbourg.

Kurt Deketelaere(Professeur de droit à l’Université catholique de Louvain, président du Sustainability College Bruges, secrétaire général de la League of European Research Universities/LERU)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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