Revue personnelle sur l'actualité en santé, environnement et politique , en vue d'aider tous les militants qui luttent pour l'accès aux soins, pour défendre notre environnement. mais aussi pour acquérir une culture politique indispensable, bien encrée à gauche
Quand les managers se cognent au réel: « Exercer un métier mis au ban depuis plusieurs mois au profit des emplois dont on ne peut pas se passer (infirmière, conducteur de métro, éboueur, boulanger,…), ça crispe, ça rend nerveux »
Article initialement publié par AOC le 4 septembre 2020.
Ce qu’on ne sait pas des manageurs est qu’ils n’aiment ni la peinture ni l’Histoire. Du moins n’apprécient-ils pas qu’on y fasse allusion, que ce soit par humour ou par désir de transmettre un savoir – humour et savoir tous deux pourtant constitutifs de cet esprit critique qui fait le sel et les délices du genre humain. À moins que, se sentant récemment mis sur la sellette à la faveur d’une crise sanitaire qui aura eu au moins cette vertu, des manageurs pensent plus avec leur épiderme qu’ils ne répliquent avec leur cerveau et ne dérapent sans réfléchir. C’est fâcheux pour tout le monde, autant pour eux – que cela discrédite –, que pour cet attribut précieux qui distingue la France de la Corée du Nord : la liberté d’expression.
Ne les blâmons pas trop non plus : en attendant d’inventer un nouveau new management, les directions se défoulent, c’est de bonne guerre. Comprenons-les. Exercer un métier mis au ban depuis plusieurs mois au profit des emplois dont on ne peut pas se passer (infirmière, conducteur de métro, éboueur, boulanger,…), ça crispe, ça rend nerveux, ça donne envie de gifler dans le vide. C’est d’ailleurs ce que fit l’un des directeurs d’un hôpital public qui, suite à la publication dans le Canard Enchaîné le 27 mai dernier d’un magnifique organigramme orientant les patients mais parfaitement incompréhensible, ne put s’empêcher d’exprimer par courriel son « mépris » envers un chirurgien de ce même hôpital.
Pourquoi donc ce mépris ? Parce que ce praticien se risqua à comparer ce bijou d’art moderne, dans les colonnes du journal satirique, à un « Miró qui [aurait] rencontré la Harvard Business School ». Si cette vétille n’éclairait que sur l’ouverture d’esprit de certains manageurs – ouverture que le sens de l’humour mesure avec justesse –, elle serait sans intérêt.
Les mots de ce courriel plein d’aigreur ne sauraient dépasser le cap de l’insignifiance si ce praticien ne s’y voyait, plus loin, qualifié de « Houellebecq hospitalier ». Compliment dans la bouche d’un fougueux directeur, à l’évidence nenni. Mais symptôme éloquent, c’est sûr. Qu’on aime Houellebecq ou pas, la question n’est pas là. S’il est un écrivain vivant qui fore avec le plus d’audace nos vies contemporaines, c’est bien Michel Houellebecq, dont l’acuité souvent confine au désespoir. S’il est un écrivain que le réel travaille, c’est lui. Or c’est bien le réel de nos vies que dissout le discours pléthorique du nouveau management où les mots performance, efficience, excellence, gouvernance, leadership, engagement, projets, innovation, process, peuvent être intervertis sans en combler le creux.
En fait, ce que n’aime pas le manageur, c’est la littérature quand elle charrie et éclaire trop bien le réel de nos vies. Aussi comprend-on aisément qu’il n’aime pas plus l’Histoire. Un exemple édifiant le montrait récemment. Aux agents qui ne voient jamais le jour dans les rames du métro parisien, les oreilles assourdies toute l’année par le bruit des moteurs, des alarmes et des freins, il est bon de rappeler – tout nécessaires qu’ils sont – que lire certains ouvrages peut être répréhensible. Qu’un conducteur de RER ose afficher sur un panneau réservé à son syndicat les première et quatrième de couverture de Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui (J. Chapoutot, Gallimard), et voilà notre agent assigné en référé ; avant que la RATP ne se rétracte, sans avoir au demeurant tiqué sur la page de titre épinglée à côté : celle du Discours de la servitude volontaire de La Boétie (1576).
Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur
Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire
Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi
Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007
Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020
Membre du Collectif Citoyen Albi
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