5G : les clés pour dépasser la polémique
« Amish » ou « innovateur », impact économique fantasmé ou réel, craintes sanitaires justifiées ou exagérées ? Le déploiement de la nouvelle norme de téléphonie mobile fait l’objet d’âpres débats, parfois caricaturaux à outrance.
Par Stéphane Mandard, Rémi Barroux, Marie Charrel, Abel Mestre, Nicolas Six et Vincent Fagot Publié aujourd’hui à 02h59, mis à jour à 07h52

L’arrivée de la 5G en France n’est plus qu’une question de semaines. A partir du 29 septembre, les opérateurs télécoms vont livrer bataille, dans le cadre d’enchères, pour acquérir les fréquences qui leur permettront de déployer cette nouvelle technologie de téléphonie mobile d’ici à fin 2020.
A l’approche de cette échéance, le débat est vif entre partisans de la sobriété numérique et promoteurs du progrès technologique, entre « amish » et « innovateurs », pour reprendre les mots polémiques d’Emmanuel Macron. Quelle est l’utilité de cette technologie pour les particuliers et pour l’économie française ? Faut-il craindre son impact sanitaire et environnemental ? Demander un moratoire sur son déploiement, comme l’a fait la convention citoyenne pour le climat, ou accélérer pour ne pas être distancé par des pays comme la Corée du Sud, la Chine ou les Etats-Unis ?
- Qu’est-ce que la 5G ?
Cette nouvelle génération de communication mobile utilise une partie du spectre des ondes radio, celle située entre 3,4 et 3,8 gigahertz (GHz). Elle offre une bande passante plus importante que la 4G et permet donc un meilleur débit dans la transmission des données, de l’ordre de dix fois supérieur. Et ce n’est qu’un début : la bande des 26 GHz, qui va être mise à disposition, probablement en 2023, doit permettre à la 5G de délivrer toute sa puissance.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La 5G, quoi qu’il en coûte ! »
L’arrivée de la 5G ne signe pas la fin de la 4G, elle s’y ajoutera, et permettra avant tout d’éviter la saturation du réseau actuel, qui pourrait intervenir d’ici « un ou deux ans », selon le patron d’Orange, Stéphane Richard. D’après les données de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, la consommation des données des utilisateurs croît au rythme de 40 % par an.
- S’apprête-t-elle à bouleverser le quotidien ?
A en croire Eric Piolle, le maire écologiste de Grenoble, la 5G servirait à « regarder des films porno en haute définition dans l’ascenseur » ou à « vérifier [à distance] si on a encore des yaourts dans son frigo ». Quoique provocateur et caricatural, M. Piolle ne trahit pourtant pas complètement la réalité. Contrairement à ce qu’ont pu apporter les précédentes générations de téléphonie, qui ont permis de profiter pleinement de l’Internet mobile, la 5G ne sera pas porteuse, à son lancement, de nouveaux usages à destination du grand public.
Elle permettra « juste » une amélioration du service existant : téléchargement plus rapide des contenus, meilleure expérience pour les adeptes de jeux vidéo. Certains gagent aussi qu’elle pourrait enfin donner sa pleine puissance à la réalité virtuelle, grande consommatrice de données.
Reste que le déploiement de cette nouvelle technologie sera très progressif. Il faudra compter une dizaine d’années pour que tout le territoire soit couvert. Les opérateurs devraient toutefois proposer leurs premières offres commerciales avant fin décembre.
- Va-t-elle révolutionner l’industrie et les services ?
La 5G renferme la promesse d’une révolution industrielle : celle de l’Internet des objets. Un monde du tout-connecté qui permet, par l’analyse en temps réel des données fournies par une kyrielle de capteurs, de bâtir des usines ou des plates-formes logistiques toujours plus automatisées, d’améliorer la maintenance des équipements, d’optimiser les productions agricoles, d’imaginer des villes « intelligentes » capables de maximiser leurs infrastructures (eau, électricité, trafic routier… Lire aussi Les nombreux défis des opérateurs pour le déploiement de la 5G
Une perspective rendue possible en raison de sa capacité à gérer ces flux massifs d’information (une seule antenne permet d’absorber les données d’un million d’objets connectés au kilomètre carré), mais aussi à les traiter quasiment en temps réel. Un facteur indispensable pour toutes les technologies critiques, comme la voiture autonome. Ces progrès ne seront cependant possibles que lorsque la bande des 26 GHz sera rendue disponible.
- Peut-elle doper la croissance ?
La question fait l’objet de débats sans fin entre économistes : les nouvelles technologies permettent-elles vraiment d’engranger les gains de productivité indispensables au dynamisme de la croissance ? Pas toutes, et pas toujours. « Dans les pays industrialisés, la dernière période de croissance relativement dynamique fut celle où, entre 1995 et 2005, Internet a progressivement transformé la façon de produire et de travailler des entreprises », rappelle Alexandre Delaigue, économiste à l’université de Lille.
Adieu fax, courriers, commandes par téléphone et formulaires papier : en moins d’une décennie, elles ont dématérialisé leurs échanges et procédures. Si les innovations qui ont suivi (tablettes, smartphones, 3G…) ont modifié les usages des consommateurs, elles n’ont, en revanche, pas offert aux entreprises des gains de productivité aussi importants. De fait, ces derniers stagnent depuis quinze ans. « Toute la question est donc de savoir si la 5G améliorera surtout l’expérience des consommateurs ou si elle révolutionnera la façon de produire des entreprises comme le fit Internet », résume M. Delaigue.Lire aussi SFR, Bouygues, Orange et Free rêvent de monétiser la 5G
Dans un rapport particulièrement optimiste sur le sujet, daté de novembre 2019, le cabinet IHS Markit, supposant que tous les pays la déploient progressivement, estime que la 5G et la chaîne de ses fournisseurs en composants, sous-traitants et autres opérateurs mobiles, représenteraient 3 600 milliards de dollars (environ 3 068 milliards d’euros, au cours actuel) de chiffre d’affaires et 22,3 millions d’emplois dans le monde en 2035.
En tenant compte des gains générés dans tous les secteurs – communications, transport, santé, finance, culture… –, sa contribution totale à la croissance dépasserait les 13 000 milliards de dollars en 2035, avec un apport de 0,2 point de produit intérieur brut par an entre 2020 et 2025. En Europe, un rapport de la Commission publié en 2016 estimait que 2,3 millions d’emplois seraient créés grâce à la 5G d’ici à 2025.
- L’Hexagone sera-t-il dépassé s’il ne s’y met pas ?
Pour le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, la 5G est « indispensable à la compétitivité de la France ». Impossible de nous en passer « si nous souhaitons relocaliser des activités stratégiques et réarmer l’économie », assurait, de son côté, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, dans Le Journal du dimanche du 16 août.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Cédric O : « La France doit accélérer sur la 5G »
Selon lui, le retard déjà pris par la France, s’il n’est pas comblé, aura pour conséquence de voir se creuser l’écart avec les pays mieux équipés en matière de croissance et d’attractivité. Au risque que certaines usines aillent s’installer ailleurs pour profiter du bond technique permis par la 5G, assure une partie du patronat – surtout s’il s’agit de filiales de groupes souhaitant connecter l’ensemble de leurs unités de production avec la même technologie. Pour l’institut spécialisé Idate, la France doit accélérer si elle ne veut pas devenir « un dominion des Etats-Unis ou de la Chine ».Article réservé à nos abonnés Lire aussi Chine – Etats-Unis : avec Huawei, la guerre de la 5G est déclarée
Une telle menace n’est sans doute pas à prendre à la légère. Reste que cela n’a pas de sens de poser le problème uniquement en termes nationaux au sein de l’Union européenne, souligne M. Delaigue : « Les pays membres en profiteront-ils pour s’entendre et monter une infrastructure 5G européenne intégrée, bâtie par des groupes européens ? »
Plutôt que combattre (ou non) le groupe chinois Huawei en ordre dispersé, les Européens ont intérêt à joindre leurs forces s’ils souhaitent assurer leur souveraineté industrielle, et faire de leurs équipementiers (Ericsson et Nokia) des champions suffisamment armés pour ne pas perdre la bataille face à l’Asie – un peu comme ils tentent désormais de le faire dans le secteur automobile, en montant une filière européenne de la batterie électrique.
- Est-ce une bonne affaire pour l’Etat ?
La vente des fréquences va rapporter au moins 2,17 milliards d’euros à l’Etat. Une partie des lots a été cédée à un prix fixe : les quatre opérateurs télécoms ont chacun pu acquérir un bloc de 50 mégahertz (MHz) dans la bande des 3,5 GHz pour un montant unitaire de 350 millions d’euros. Restent onze lots de 10 MHz que les groupes se départageront aux enchères, au prix minimum de 70 millions d’euros par bloc.
De l’avis des observateurs, les enchères ne devraient pas s’envoler comme cela a été le cas en Italie – plus de 6 milliards d’euros – en raison des investissements massifs auxquels les opérateurs sont aussi tenus dans la 4G et la fibre. A titre de comparaison, au Royaume-Uni, le coût estimé pour chaque opérateur pour couvrir l’ensemble du territoire est estimé à 46 milliards d’euros.Article réservé à nos abonnés Lire aussi 5G : le lancement des enchères en France fixé à la fin septembre
- Sera-t-elle plus chère que la 4G pour les consommateurs ?
Jusque-là, aucun opérateur français ne s’est risqué à avancer le moindre tarif. De l’avis de plusieurs observateurs, le lancement de cette nouvelle technologie ne devrait pas justifier une augmentation sensible des prix (les Français dépensent en moyenne 14,30 euros par mois pour leur forfait mobile). D’autant que le bénéfice perçu par les consommateurs pourrait se révéler bien maigre, au moins au début.
Pour Marc Bourreau, professeur d’économie à Télécom Paris, il s’agira davantage pour les opérateurs d’orienter les consommateurs vers des abonnements premium. Il rappelle qu’à l’époque du lancement de la 4G, la facture des Français avait plutôt eu tendance à baisser en raison de l’arrivée concomitante d’offres à bas prix. Nul doute que les mêmes acteurs poursuivront cette politique agressive sur la 5G afin de conquérir des parts de marché.
- Représente-t-elle un danger pour la santé ?
« Il n’y a pas de risque sanitaire si on respecte les normes », assure, à l’unisson du gouvernement, la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. Pourtant, il y a trois mois, sa prédécesseure, Elisabeth Borne, et son collègue à la santé, Olivier Véran, demandaient au premier ministre d’alors, Edouard Philippe, d’attendre le rapport d’évaluation des risques que l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) doit remettre à la fin du premier trimestre 2021 avant de donner son feu vert au déploiement de la 5 G.
Dans un rapport préliminaire publié fin janvier, l’Anses concluait à l’impossibilité d’évaluer les risques inhérents à la 5G en raison d’« un manque important, voire à une absence, de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés aux fréquences autour de 3,5 GHz ».
En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer a classé les radiofréquences comprises entre 30 kilohertz et 300 GHz comme cancérogène possible pour l’homme. « Aujourd’hui, il y a des incertitudes sur les effets à long terme d’une utilisation intensive du téléphone portable. Certaines études montrent des excès de risques pour les cancers ou les tumeurs du cerveau », relève Olivier Merckel, chef d’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques à l’Anses. Les effets sont-ils les mêmes à 3,5 GHz ? C’est l’une des questions auxquelles l’agence doit tenter de répondre.
- Pourquoi le gouvernement a-t-il rejeté l’idée d’un moratoire ?
Les 150 personnes de la convention citoyenne pour le climat ont beau avoir demandé un moratoire sur la mise en œuvre de la 5G en France (proposition relayée par l’appel de 70 élus de gauche et écologistes), l’exécutif est passé outre. Il a, par la voix du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, mis en avant « l’enjeu de compétitivité et de souveraineté technologique » et vanté « un formidable levier pour la transition écologique » – selon les mots de Cédric O, le secrétaire d’Etat au numérique.
Ce qui ne convainc guère les opposants, telle Delphine Batho, députée (Ecologie, Démocratie, Solidarité) des Deux-Sèvres, qui voit dans la décision du gouvernement une « faute grave ». « La décision sur la 5G concentre tous les éléments du débat sur la croissance, sans limite ou sobriété. De plus, la 5G présente un grave problème de souveraineté et de cybersécurité. »
Le gouvernement s’appuie sur le rapport réalisé notamment par l’Inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances, demandé en juillet et remis le 14 septembre, concluant à « une augmentation modérée des expositions aux ondes » pour les bandes autour de 3,5 MHz.
- Est-ce une technologie énergivore ?
« Il est erroné d’affirmer que la 5G permettra des efforts en matière d’énergie. Après la première année de déploiement, la consommation énergétique de tous les opérateurs affichera une augmentation importante. » Cette affirmation ne vient ni d’un édile écologiste ni d’un membre de la convention citoyenne. L’aveu émane du président de Bouygues Telecom, Olivier Roussat, lors de son audition, en juin, devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La révolution de la 5G nous réserve une hyperconsommation numérique énergivore »
Les gains d’efficacité énergétique attendus par le passage à la 5G – antennes plus « intelligentes » qui n’émettront plus en continu dans toutes les directions, meilleure maîtrise de la consommation, développement d’utilisations moins énergivores, comme les visioconférences… – risquent d’être annihilés par l’accroissement des usages qui en découlera. Le groupe de réflexion The Shift Project, qui étudie les impacts environnementaux du numérique, estime que la consommation d’énergie des opérateurs mobiles sera multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans, soit une augmentation de 2 % de la consommation en électricité du pays.
- Va-t-elle pousser à la (sur) consommation ?
C’est l’une des autres critiques émises par les opposants à la 5G : elle va entraîner une hyperconsommation numérique, à rebours des objectifs de modération suivis pour atténuer le dérèglement climatique.
Le passage à cette nouvelle norme impliquera, pour les consommateurs, de changer de smartphone. Or, le rythme de renouvellement des téléphones est déjà très rapide, de l’ordre de dix-huit à vingt-quatre mois. Les constructeurs espèrent d’ailleurs que la 5G dopera des ventes en berne ces derniers temps. Son déploiement va donc à l’encontre de la stratégie qui consiste à limiter l’obsolescence (programmée ou désirée) des smartphones. Son développement devrait par ailleurs stimuler fortement la croissance des objets connectés dont le traitement des données, réalisé dans le cloud (l’informatique dématérialisée), va mécaniquement alourdir l’empreinte carbone du numérique.
- A l’étranger, les consommateurs sont-ils conquis ?
En Allemagne, au Royaume-Uni, en Irlande ou en Corée du Sud, où les réseaux 5G sont bâtis sur des choix techniques proches des nôtres, les médias semblent pour le moins dubitatifs.
Si le téléchargement de documents très lourds est plus rapide, les bénéfices de cette technologie sont rarement perceptibles au quotidien lors d’un usage ordinaire, soulignent-ils. D’autant que la couverture de la 5G est inférieure à celle de la 4G, et particulièrement mauvaise en intérieur. L’amélioration du temps de réponse – point-clé pour nombre d’applications –, n’est « pas perceptible pour le moment », constate Ian Fogg, analyste chez OpenSignal. Selon lui, la 5G mettra « des années » à atteindre son plein potentiel.Lire aussi Tour du monde des réseaux mobiles 5G : les particuliers ne sont pas conquis
- Le mouvement anti-5G est-il propre à la France ?
C’est une fronde qui a émergé au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, qui s’est implantée en Suisse, et qui gagne désormais la France. De plus en plus de citoyens, organisés au sein de collectifs, d’associations ou de partis politiques, s’opposent au déploiement de la 5G. Un mécontentement pouvant prendre diverses formes : mobilisations citoyennes, demande de moratoire, débats, mais aussi destruction d’antennes-relais.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Visées par des incendies, les antennes-relais captent toutes les colères
Dans l’Hexagone, ce qui fut longtemps l’apanage de collectifs radicaux se réclamant du luddisme (un mouvement opposé au machinisme, au début de la révolution industrielle) et du courant « technocritique » est aujourd’hui repris par des partis et des mouvements politiques à vocation majoritaire comme Europe Ecologie-Les Verts et La France insoumise. Sans aller jusqu’à vouloir renverser « le monde-machine », ces formations mettent en avant les risques sanitaires, l’impact environnemental et énergétique, mais aussi l’inanité de cette technologie, alors même que la France compte encore de nombreuses zones blanches. Elles s’alignent sur la proposition de la convention citoyenne pour le climat, qui réclamait un « moratoire » sur la 5G.
Stéphane Mandard, Rémi Barroux, Marie Charrel, Abel Mestre, Nicolas Six et Vincent Fagot
« La 5G n’est ni une révolution ni un choix de société »
CHRONIQUE
La cinquième génération de téléphonie mobile suscite une levée de boucliers. Car l’innovation est un continuum qui avance et fonde le progrès, en apportant à la fois des solutions inédites et de nouveaux problèmes, observe Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
Publié aujourd’hui à 10h12 Temps de Lecture 2 min.

Pertes et profits. Que se passe-t-il ? Tout à coup, un acronyme obscur devient le réceptacle de toutes les peurs, les rancœurs et de tous les espoirs du monde. Elle est, ici, l’arme d’un combat géopolitique entre les titans américain et chinois, ailleurs, la figure d’un cavalier de l’Apocalypse apportant la mort et la désolation. Il conviendrait peut-être de revenir sur Terre pour relativiser le phénomène : la 5G n’est ni une révolution ni un choix de société.
Tous les cinq à dix ans, les chercheurs font émerger une nouvelle génération de téléphones mobiles. L’histoire commence le 6 mars 1983 à New York, quand Motorola présente le premier téléphone mobile. Une invention jugée sans grand avenir commercial, visant les professionnels et les PDG dans leur voiture. Quelques années plus tard, les Européens inventent la norme GSM (la 2G) qui démocratise l’outil et constitue la brique élémentaire de toutes les innovations suivantes dans ce domaine, y compris la 5G.
S’il fallait encenser ou vouer aux gémonies une découverte, ce serait cette innovation fin de siècle qui a libéré l’individu en mettant un téléphone dans sa poche, et non plus dans le salon familial. Evénement considérable, comparable à l’essor de l’automobile avant et après la seconde guerre mondiale.
Univers saturé de signaux électromagnétiques
En 2000, le GSM cède la place à la 3G, qui permet de transmettre des images et des logiciels. Pour quoi faire ?, s’est-on interrogé. Apple, en lançant l’iPhone et son magasin d’applications en 2008, a fourni la réponse : mettre un ordinateur et l’accès au monde entier dans la main des utilisateurs. La 4G, en 2014, accélère le phénomène en multipliant la rapidité de transmission. Aujourd’hui, 95 % des Français sont dotés d’un téléphone mobile, en majorité un smartphone.
La 5G, à côté de ces mutations profondes, ne changera pas nos habitudes. Tout juste promet-elle encore plus de débit. Et, comme pour la 3G, son usage est encore incertain. On imagine que le coût faible de la transmission permettra de relier entre elles toutes les machines, industrielles ou domestiques, ainsi que les automobiles. Mais l’innovation et le marché décideront des applications qui changeront la vie des gens. Comme dans le cas du smartphone qui, aujourd’hui, ne sert presque plus à téléphoner. Car ce sont les usages qui transforment la société, pas les infrastructures.
Restent les questions sécuritaire, sanitaire, environnementale et politique. La peur des ondes invisibles est plus ancienne que celle de l’atome. Téléphone, télévision, micro-ondes, Internet : nous vivons dans un univers saturé de signaux électromagnétiques dont on connaît mal les effets à long terme sur la santé. Aucune technologie n’est neutre. Chacune, en apportant une solution, crée un nouveau problème.
Comme Dédale, l’architecte de la mythologie grecque dont chaque invention géniale, tel le labyrinthe, se retourne contre lui et le condamne à innover davantage pour sortir du piège qu’il a lui même créé. A l’image de Dédale, notre société ne peut arrêter le cours du temps et prendre le risque de sortir de l’Histoire en devenant spectatrice et victime des changements du monde.
Décroissance ou progrès : la classe politique divisée sur la 5G
Partis et personnalités politiques prennent position sur la technologie et ses usages pour en faire un débat de société.
Par Mariama Darame Publié aujourd’hui à 10h05, mis à jour à 10h33

Depuis plusieurs mois, le déploiement de la 5G en France agite les mairies écologistes et les groupes politiques de tout bord. Le 12 septembre, une tribune dans Le Journal du dimanche a relancé le débat. Signée par une soixantaine d’élus de gauche et écologistes, dont Jean-Luc Mélenchon, président de La France insoumise (LFI), Yannick Jadot député européen Europe Ecologie-Les Verts (EELV), ou encore la maire de Marseille, Michèle Rubirola, tous demandent un moratoire « au moins jusqu’à l’été 2021 » sur le déploiement de la 5G, rappelant qu’elle est « l’une des [146] propositions de la convention citoyenne pour le climat, que le président de la République s’est engagé à étudier ».Lire notre enquête : 5G : les clés pour dépasser la polémique
Le 14 septembre, deux jours après cet appel, la réponse du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, est cinglante. « La France va prendre le tournant de la 5G », a t-il assuré devant des dizaines d’entrepreneurs de la French Tech avant d’ironiser sur les partisans du « modèle amish » et du « retour à la lampe à huile ». Levée de boucliers chez EELV et LFI. Julien Bayou, le secrétaire national des Verts, dénonce « un passage en force », là où Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, accuse M. Macron « d’avoir fermé le débat avec arrogance et mépris ». Partisan de la décroissance ou du progrès ? La fracture est ouverte entre Emmanuel Macron et une partie des écologistes. Et depuis, c’est l’ensemble de la classe politique qui semble s’y engouffrer.
« Spirale consumériste »
A gauche, les conséquences environnementales et sociétales du passage à la 5G sont davantage mises en avant que le débat sur les éventuels dangers sanitaires des ondes qui inquiètent d’autres contempteurs. « Il faut stopper cette spirale consumériste. C’est l’inconséquence du gouvernement : nous pousser à consommer toujours plus d’énergie, des produits connectés inutiles et à l’obsolescence toujours plus rapide », argue Loïc Prud’homme, député LFI de Gironde.
Opposés au déploiement de la 5G, beaucoup s’interrogent sur la notion de progrès et l’utilité d’une telle innovation face à l’urgence climatique et à la diminution des ressources naturelles. « Les obscurantistes sont ceux qui croient en la technologie quoiqu’il en coûte, sans jamais questionner son usage et ses finalités », a ainsi lancé, dimanche, M. Bayou lors d’un discours adressé aux militants EELV.
Lire l’analyse : La critique du progrès n’est pas toujours obscurantiste
Face à ces arguments, les élus de la majorité cherchent à convaincre du bien-fondé de cette nouvelle génération de réseau mobile. « On ne pourra pas avoir de transition écologique rapide et efficace ni rester compétitif sans utiliser les technologies et notamment les objets connectés qui s’appuient sur la 5G », défend la députée d’Eure-et-Loir Laure de La Raudiere (Agir ensemble), auteure de rapports sur la couverture mobile et numérique en France. « On ne met pas assez dans la balance ce que la 5G va représenter en termes d’économies au-delà de l’amélioration des services », ajoute Eric Bothorel, député la République en marche (LRM) des Côtes-d’Armor citant des avancées en matière de télémédecine, de transports ou pour le télétravail.
La droite favorable
Au Parti socialiste (PS), la position se veut plus nuancée. En principe, pas d’opposition frontale à la 5G mais le débat public doit s’imposer. « La question des usages est centrale. Est-ce que la 5G a réellement vocation à être une technologie grand public ou à n’être seulement réservé qu’à certains domaines ? », interroge le porte-parole du PS et député des Landes, Boris Vallaud. La députée Ecologie, Solidarité, Démocratie Paula Forteza souhaite aller plus loin : « Un changement sociétal d’une telle envergure ne peut pas se faire sans consulter le Parlement. Il faut une réforme pour instaurer une gouvernance des infrastructures numériques. »
« Si la 5G accentue les inégalités entre les territoires alors cela sera un échec » – Damien Abad, LR
Du coté de la droite, les élus se disent « favorable[s] » au déploiement de la 5G, mais souhaitent, en échange, garanties et contreparties du gouvernement ainsi que des opérateurs. « La question de la fracture territoriale et numérique doit être la priorité absolue. Si la 5G accentue les inégalités entre les territoires alors cela sera un échec », prévient Damien Abad, chef de file des députés Les Républicains qui souhaite comme d’autres que le gouvernement accélère l’installation de la couverture numérique et notamment de la fibre dans les zones rurales. « On doit contraindre les opérateurs à investir dans nos réseaux en contrepartie de la signature des contrats », suggère Jean-Christophe Lagarde, président de l’Union des démocrates et des indépendants.
Autre question soulevée : celle de la souveraineté. Face aux géants chinois et américains lancés dans la course à la 5G voire la 6G, la France et l’Europe jouent leur indépendance numérique à long terme. « Toutes ces données qui vont être utilisées, par qui seront-elles utilisées ? Quel est le contrôle que nous avons dessus ? (…) Là, encore une fois, l’Union européenne a été défaillante », fustigeait Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, sur BFM-TV tout en se disant « plutôt pour » cette nouvelle norme de téléphonie mobile.
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Les demandes en faveur d’un débat public se multiplient. Mais les avis divergent sur sa forme : moratoire, référendum ou encore débat parlementaire. « On voit pour la première fois des partis, des personnalités politiques qui prennent position sur la technologie elle-même et, ça, c’est nouveau », constatait, le 16 septembre, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, le régulateur des télécoms, bien conscient que le sujet est devenu politique. Une seule certitude : le calendrier du gouvernement. Les premières enchères pour l’attribution des fréquences débutent dès le 29 septembre avant l’apparition des premières offres commerciales d’ici fin 2021.
Lire la chronique : « La 5G n’est ni une révolution ni un choix de société »
5G : la critique du progrès n’est pas forcément obscurantiste
Les écologistes sont souvent accusés d’être des gauchistes masqués ou des obscurantistes prônant le retour en arrière. Or de nombreux penseurs alertent sur les dégâts du progrès et la possibilité de changer de voie
Par Nicolas Truong Publié aujourd’hui à 10h42
En France, le tournant écologique fait souffler un petit vent de panique sur la vie intellectuelle et politique. L’essor de la sensibilité pour la nature heurte l’ancienne cléricature et entraîne une cascade de railleries et d’injures. On ne compte plus, en effet, les élus et les éditorialistes qui s’en prennent à la « Terreur verte », à « l’écologie punitive », aux « Khmers verts » ou aux « ayatollahs de l’écologie ». Emmanuel Macron vient d’ajouter un sobriquet de plus à cette litanie, en ironisant sur ceux qui préféreraient « le modèle amish » et le « retour à la lampe à huile » au modèle français incarné par « les Lumières » et « l’innovation ».
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La rhétorique anti-écologique la plus sommaire et disqualifiante repose tout d’abord sur l’idée que les Verts seraient des « rouges » masqués et les suppôts d’un gauchisme déguisé. D’où la métaphore de la pastèque, récurrente, notamment à l’extrême droite : les écologistes seraient verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur. Mais l’idée d’un « totalitarisme vert » s’est répandue bien au-delà de la fachosphère. « Je me suis toujours battu contre les Khmers rouges, je ne plierai pas aujourd’hui devant les Khmers verts ! », disait, en 2011, l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb, avant d’être battu en 2020 par Grégory Doucet, membre d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Le résultat électoral des élections municipales est sans doute l’une des raisons de cette surenchère polémique. Et la charge du président de la République est en partie stratégique : Emmanuel Macron a compris qu’en 2022, il aurait au moins deux adversaires sur sa route, le Rassemblement national et les Verts, porteurs de deux récits concurrents, l’un axé sur l’affirmation nationaliste et identitaire, l’autre sur la transition écologique et le souci planétaire.
Une écologie totalisante
Mais ce « haro sur les écolos » révèle une crainte plus profonde que ne laissent entendre ces petites piques. Ce que réalise le personnel politique, c’est que la transition écologique ne pourra être ni parcellaire ni cosmétique, assure le philosophe Dominique Bourg, mais qu’« elle signifie un véritable changement de civilisation et de modèle économique ». L’écologie est un projet global qui pose, dans tous les domaines, les questions de production et d’utilité sociale. L’écologie n’est pas intrinsèquement totalitaire, mais essentiellement totalisante : elle repense la totalité de l’existence, mettant au jour nos multiples interdépendances (avec le vivant, le territoire et les écosystèmes).Lire la chronique : « La 5G n’est ni une révolution ni un choix de société »
C’est ce qui explique, en partie, la rhétorique antitotalitaire qui lui est opposée, lorsqu’elle ne cherche pas plus prosaïquement à la discréditer. Sans compter que les risques de dérives existent, comme le rappellent les débats autour du malthusianisme ou la tentation primitiviste de certains survivalistes. D’où la crainte que l’écologie ne devienne une nouvelle religion. Signe des temps : après avoir été accusée d’être brune (écofasciste), voici qu’on lui reproche plutôt d’être rouge (néogauchiste). Un comble, car si une partie des écologistes est bien issue du gauchisme de Mai 68, l’écologie est une alternative au récit productiviste et progressiste qui a structuré aussi bien le libéralisme que le socialisme, le capitalisme que le communisme.
Emmanuel Macron reproche, quant à lui, à certains écologistes d’être obscurantistes, anti-Lumières et de prôner un retour en arrière. Une critique paradoxale puisque les alertes sur le réchauffement climatique et les luttes environnementales s’appuient sur les rapports des chercheurs : « Vous avez le devoir d’écouter les scientifiques », lançait Greta Thunberg aux députés français, le 29 juillet 2019. Or, qu’est-ce que les Lumières, sinon la définition qu’en donnait Emmanuel Kant en 1784 : « Ose savoir ! » Sans compter qu’il est assez réducteur de ranger tous les philosophes du XVIIIe siècle du côté des partisans du progrès. C’est d’ailleurs pourquoi Voltaire écrivit à Rousseau, après la parution de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) où l’on peut en conclure que l’homme n’aurait pas dû quitter l’état de nature : « Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. »
Modernisme technophile
La lampe à huile et les amish ne sont pas si loin. La philosophie du progrès, notamment portée par Condorcet, s’est transformée en progressisme. Et parfois même en un modernisme technophile : il ne faudrait pas être en retard, ni d’un train ni d’une guerre. Toute hésitation sur une avancée technologique relèverait d’une tentation nostalgique, toute interrogation sur une technique, d’une possible régression.
Or, depuis la seconde guerre mondiale, les Lumières se sont tamisées. Et le progrès ne cesse d’être questionné. Des penseurs éclairés par les sombres temps du XXe siècle et les catastrophes du XXIe, ont mis en garde contre « le progrès [qui] sépare littéralement les hommes » (Horkheimer et Adorno), insisté sur la nécessité de « rompre avec l’idéologie de la croissance » (André Gorz), invité à critiquer le « mythe de la machine » (Lewis Mumford) et le « système technicien »(Jacques Ellul). D’autres ont récemment proposé d’imaginer une autre relation au monde afin de résister à cette « accélération » du temps qui caractérise nos sociétés (Hartmut Rosa) et même d’opérer une « bifurcation », comme le disait le philosophe Bernard Stiegler, notamment afin d’échapper à l’économie de la disruption numérique qui, selon lui, façonne nos émotions, capte et détruit notre attention. Sans oublier les organisations syndicales qui, comme la CFDT, se sont penchées sur « les dégâts du progrès » (Le Seuil, 1977).Lire l’enquête : 5G : les clés pour dépasser la polémique
Questionner la pertinence d’une technique, c’est aussi s’inscrire dans l’héritage des Lumières qui prônaient un usage de la raison critique.. C’est pourquoi la 5G n’est pas qu’une question sanitaire, mais aussi un choix de société. « Une technologie est un pharmakon, terme grec qui désigne ce qui est à la fois poison et remède », aimait dire Bernard Stiegler. A quel genre de remède et de poison appartient la 5G ? Le président semble avoir tranché, alors que progrès aurait peut-être paradoxalement consisté à soumettre cette question à l’ensemble de la société.
5 G : « Le progrès financier aveugle invente des objets technologiques qui ne contribuent guère à l’épanouissement de l’espèce humaine »
TRIBUNE
Marc Hatzfeld
Sociologue et anthropologue
L’anthropologue Marc Hatzfeld rappelle, dans une tribune au « Monde », que Robert Musil mettait en garde contre « la bêtise intelligente », « apanage de ceux qui se croient tellement malins qu’ils s’épargnent l’embarras de douter de ce qu’ils ont appris et cru comprendre ».
Publié aujourd’hui à 05h45 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. J’ai été agacé lorsque j’ai lu dans la presse que le président de mon pays avait épinglé quelques élus écologistes pour une prétendue inclination vers la lampe à huile qui lui faisait penser aux amish d’Amérique du Nord.
L’agacement tient, entre autres, à ce que cela fait près d’un demi-siècle que j’entends cette sottise, souvent prolongée d’une blague finaude où écolo rime avec rigolo, assortie d’une petite leçon d’économie qui embrouille la croissance du produit intérieur brut (PIB) dans un progrès civilisationnel.Lire aussi Qu’est-ce que la 5G va changer pour les particuliers ?
J’ai l’impression, à l’inverse, que le progrès financier aveugle, fondé sur la concurrence et la croissance frénétiques, invente pour les humains des métiers qui n’ont ni sens pour ceux qui les exercent ni générosité pour leurs semblables. Et des objets technologiques qui ne contribuent guère à l’épanouissement de l’espèce humaine en ne lui apportant ni rire ni tranquillité et, mis à part l’allongement considérable de la vie humaine, bien peu de plaisir à profiter du monde et de ses habitants.
Pesticides, tourisme, nucléaire
Je me souviens de la remarque d’un économiste, il y a une vingtaine d’années, signalant qu’aucun de ses collègues n’avait jamais prouvé que l’irruption de l’informatique dans l’existence humaine avait engendré de la richesse. J’ajouterai : et pas plus de paix, de joie ou de lucidité.
Et voici qu’on nous impose, sans débat et dans une urgence que rien ne justifie, une 5G dont personne ne présume quelque avantage que ce soit pour les humains. Il en a été de même pour les pesticides, les avions supersoniques, le tourisme de masse, l’énergie nucléaire et d’autres inventions tout aussi géniales.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Entre lampe à huile et chemins de fer, une histoire des techniques falsifiée a la cote au gouvernement »
L’écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942) qui s’est amusé à parler de la bêtise à une époque particulièrement inventive, en distingue deux sortes. Il en est une charmante et poétique, dit-il, la vraie bêtise, celle qui épargne à son adepte l’encombrement des logiques explicatives et la fatigue des nœuds dans le cerveau. Je dirais volontiers de cette bêtise qu’elle nous en apprend pourtant sur le paradoxe du monde.
L’autre bêtise, Musil l’appelle la bêtise intelligente. Elle est l’apanage de ceux qui se croient tellement malins qu’ils s’épargnent l’embarras de douter de ce qu’ils ont appris et cru comprendre. De ceux qui ont perdu l’attention vivace du regard. Cette bêtise intelligente est doublement stupide par sa foi dans des croyances qui deviennent obsolètes dès lors que grandit l’incertitude.
Hébétude
Les gestionnaires performants de systèmes grippés sont dangereux par leur affolement face à des questions qui leur échappent totalement. Or, personne ne sait dire comment, dans huit ou dix siècles, les humains feront face aux effets résurgents des déchets nucléaires accumulés.
Près de soixante ans après les alertes de la biologiste américaine Rachel Carson(1907-1964), personne ne peut dire les conséquences des transformations des dérivés chlorés qu’utilise encore l’agriculture productiviste. Personne n’a la moindre idée de ce que l’épidémie de covid-19 nous réserve dans trois semaines. Personne n’a le soupçon d’un indice sur les effets d’un réchauffement de trois degrés Celsius pour la cohabitation des humains entre eux, entre eux et les autres vivants. Les croyances vacillent face à la fragilité du vivant.
Mettons les choses au clair : nous croyons tous à une infinité d’horizons, d’attitudes, de langages et de méthodes qui nous permettent de vivre dans un monde dont le sens est assez mystérieux. Mais dans l’état d’hébétude dans lequel nous nous trouvons ces jours-ci, on pourrait éviter de se gausser des amish, des chasseurs-cueilleurs ou des écolos qui se posent peut-être quelques questions opportunes.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Capacités restreintes
Loin de moi l’idée de débiner un président que nous avons eu la chance de choisir selon un procédé plutôt décent. Mais je ne crois pas inutile que ce monsieur qu’on dit talentueux opère une bifurcation discrète vers l’humilité qui lui permettrait peut-être d’y voir plus clair. La conférence de Musil a été délivrée en 1937 [« De la bêtise »], époque fertile en grosses embûches. « La bêtise dont il s’agit là, y disait-il à propos de celle qu’il nomme intelligente, la bêtise n’est pas une maladie mentale ; ce n’en est pas moins la plus dangereuse des maladies de l’esprit, parce que c’est la vie même qu’elle menace. »
Marc Hatzfeld est l’auteur de « The Poetics of Land » (Black Apollo Press, Grande-Bretagne, 2016, et Sampark Press, Inde, 2018).
Marc Hatzfeld(Sociologue et anthropologue)
Déploiement de la 5G : « Le train du progrès n’a pas qu’une seule voie »
TRIBUNE
Le philosophe Bruno Latour considère, dans une tribune au « Monde », que reprendre aujourd’hui le cliché d’une « voie unique » vers le progrès, c’est refuser de tirer les leçons de la crise climatique et de voir les ruines qu’elle laisse derrière elle.
Publié aujourd’hui à 05h00 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Le train du progrès a-t-il des aiguillages ? Apparemment, pour notre président, il s’agit d’une voie unique. Si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire « régresser », et, comme il l’a récemment affirmé, s’éclairer à « la lampe à huile » [il réagissait à la demande de moratoire sur le déploiement de la 5G de 70 élus de gauche et écologistes]. Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant.
Jusqu’à quand va-t-on faire passer pour un mouvement irrésistible les décisions prises par quelques centaines de personnes en lieu et place des millions d’autres directement concernées ? Le président ferait bien de se renseigner un peu sur « le modèle amish » qu’il a cru bon de ridiculiser, car il a au moins l’avantage de faire discuter la communauté concernée sur l’ajout ou non de telle ou telle innovation. Mais la lecture du livre Agir dans un monde incertain, de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (Seuil, 2001), lui aurait montré que l’une des règles pour survivre – et non pas seulement progresser –, c’est de faire buissonner les innovations au maximum et de les discuter toutes avec soin. C’est à cela que se juge la qualité d’une civilisation.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les citoyens de la convention climat amers après la sortie d’Emmanuel Macron sur la 5G et les Amish
Il est d’autant plus extraordinaire de voir ressusciter ce vieux cliché d’avant la crise du Covid-19, alors que, depuis six mois, tous les Français se demandent au contraire s’ils ne pourraient pas se désintriquer de l’irréversible train du progrès. Au moment même où chacun d’entre eux se met à comprendre que chaque médicament, chaque aliment, chaque habit, chaque moyen de transport fait l’objet d’une vive controverse et offre des marges de manœuvre qui permettent de bel et bien « renverser » ce qui paraissait inévitable. Si le confinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner tout à fait de cette idée d’une voie unique vers le progrès. Progresser oui, mais dans toutes les directions à la fois. Pas dans une seule.
Suspicion générale
Le plus étonnant, c’est que ce cliché sur la voie unique prouve à quel point le président et les siens ont bien mal saisi la crise climatique, tout en prétendant s’en occuper jour et nuit. Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, l’écologie ne porte pas seulement sur l’agriculture, les forêts, les espèces menacées, elle est exactement aussi pertinente pour parler des villes, des industries, des circuits commerciaux, des innovations les plus pointues.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le déploiement de la 5G en France se heurte de plus en plus à des préoccupations écologiques
Ce n’est pas un domaine particulier qu’il faudrait mettre en balance avec le développement économique, en courant le danger que ce panier de « trucs verts » ne pèse jamais beaucoup. L’écologie, c’est la suspicion générale portée sur toutes les décisions prétendument irréversibles pour permettre justement de reculer devant leurs conséquences délétères. Pouvoir revenir en arrière est donc essentiel pour profiter de l’expérience et changer de trajectoire. Comment le faire si ne plus foncer en avant est aussitôt compris comme une insupportable régression ? Faudrait-il cesser de vouloir apprendre ? Faudrait-il s’aveugler volontairement ?
Il y a dans cette panique devant le risque de régression une vraie dimension psychosociale qu’il faut essayer de cerner. Tout se passe comme si les tenants de ce cliché progressiste ne voyaient derrière eux que le vide. Et c’est vrai qu’ils ont fait le vide en imitant ces conquérants qui ont brûlé leurs vaisseaux derrière eux pour ne plus être tentés de revenir en arrière. Courageux, héroïque même, mais stupide quand ils se privent ainsi de pouvoir changer de trajectoire en cas d’échec patent. S’ils sont obligés de reprendre ce cliché de l’inévitable régression chaque fois qu’on les conteste, c’est parce qu’ils ont décidé d’ignorer les conséquences de leurs actions.
Inusable cliché
Le vide n’est donc pas chez ceux qu’ils accusent de « retourner à la bougie », mais il est en eux : quand ils se tournent vers le passé, ils n’y voient rien que des ruines – avec peut-être, dans une caisse défoncée laissée sur le rivage, des bougies et une lampe à huile ! Mais ceux qu’ils croient ainsi flétrir et paralyser ne sont pas aussi démunis qu’ils le pensent. Ils s’éclairent à toutes les lumières possibles, en particulier à celles de l’histoire des techniques, à toutes les promesses d’innovation, tous ces « monstres prometteurs » que les chercheurs et les ingénieurs aiment à chérir et à faire proliférer, du moins quand on ne les force pas à monter dans le train du progrès « sous peine de rester sur le quai »
On peut encore comprendre que cet inusable cliché ait pu servir avant la crise climatique, au cours du XXe siècle, pour donner du courage à ceux qui allaient malgré tout de l’avant, mais comment le répéter en septembre de l’année la plus chaude jamais enregistrée, quand tout indique qu’il faut justement apprendre à revenir sur une multitude de décisions toutes jugées en leur temps aussi « irréversibles » que « profitables » ? Surtout, comment le répéter quand tous les ennemis géopolitiques de l’Europe se servent exactement de cet argument pour limiter l’éventail des possibles à quelques choix supposés « décisifs » et « irréversibles » qui leur permettront de dominer par un effet de cliquet qui rendra impossible de revenir dessus ? Ceux qui aujourd’hui peuvent vibrer à ce cri d’« En avant ou la mort ! » ne sont sûrement pas des gens recommandables.
A force de continuer comme si le train du progrès n’avait qu’une seule voie, ces gens-là vont finir par nous faire vivre pour de vrai dans des caves éclairées à la bougie – et c’est alors que nous regretterons « le modèle amish » autant que « la lampe à huile ».
Bruno Latour est philosophe et anthropologue des sciences. Il a notamment écrit « Les Microbes. Guerre et paix », suivi de « Irréductions » (Métailié, 1984) et « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique » (La Découverte, 2017).
Déploiement de la 5G : « Il faut se réapproprier les usages de la technologie »
TRIBUNE
Marceau Coupechoux
Informaticien
Le professeur d’informatique Marceau Coupechoux observe, dans une tribune au « Monde », que, derrière les questions techniques autour de la 5G, il y a un défi à relever : reprendre le contrôle démocratique de technologies laissées à la merci du marché et des rivalités géopolitiques.
Publié aujourd’hui à 03h00, mis à jour à 10h50 Temps de Lecture 5 min.
Tribune. En avril, des attaques contre des pylônes de téléphonie mobile se sont multipliées au Royaume-Uni, des antennes ont été dégradées ou incendiées. Selon certains, le Covid-19 se propage grâce aux ondes 5G, dont les premiers déploiements ont commencé outre-Manche. Cette opinion n’est à ce jour fondée sur aucune étude scientifique un tant soit peu sérieuse. Ce qui n’a pas empêché le très légitime Institut national de la santé et de la recherche médicale de publier un communiqué de presse démentant tout lien connu à ce jour entre Covid-19 et ondes électromagnétiques. C’est dire à quel point ces éruptions anti-5G sont prises au sérieux par les organismes officiels et les gouvernements.
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Si on ignore encore si le Covid-19 nous a été transmis par la chauve-souris ou le pangolin, il ne fait en revanche pas de doute que la 5G est d’origine humaine. Cela fait bien une dizaine d’années qu’ingénieurs et chercheurs s’activent à définir ce que sera la prochaine génération de téléphonie mobile. L’enjeu est de taille. Le consommateur sera gâté : il pourra télécharger un film HD en quelques secondes ; les films qu’il regardait en une qualité somme toute médiocre, il les visionnera en 8K ; il fera l’expérience du « temps réel » pour ses jeux vidéo ou ses immersions dans la réalité virtuelle.
Mais ce n’est pas l’essentiel. La 5G doit irriguer toute l’économie. Contrairement aux générations précédentes, la 5G a été conçue dès le départ pour répondre aux attentes de secteurs aussi divers que la santé, les transports ou l’énergie.
Partout, des terminaux, des capteurs, des robots, des véhicules, des drones communiqueront par ondes radio pour améliorer la productivité, développer de nouveaux marchés et recueillir à des fins de publicité et de marketing les traces numériques laissées par les consommateurs. Pas étonnant que M. Macron puisse affirmer sans barguigner, après avoir pris les précautions d’usage sur la nécessaire pédagogie à adopter, que « la France va prendre le tournant de la 5G ». Circulez, il n’y a rien à voir.Lire aussi Emmanuel Macron défend « le tournant de la 5G » face au « retour à la lampe à huile »
Dans cette logique de compétition internationale, il y a un pays qui a déjà pris ce tournant, c’est la Chine. A la charnière des années 2000, chez Alcatel, on raillait encore le nouveau venu des constructeurs de télécom, le chinois Huawei. On moquait son retard, on le soupçonnait à demi-mot de copier les technologies occidentales. Pourtant, le fleuron de l’industrie française, lui, souffre déjà. Il n’a pas su anticiper le tournant de l’Internet, même s’il a encore de bonnes positions en téléphonie mobile. Il a surtout pris de plein fouet le mouvement de libéralisation du secteur.
Dérégulation des télécoms
La naissance de la téléphonie mobile est en effet concomitante de l’abandon pas à pas, depuis la fin des années 1980, de l’idée que les télécoms sont un service public, un bien commun. Sous l’impulsion de l’Union européenne, la France a privatisé son opérateur historique et ouvert le marché à des concurrents. Les télécoms devaient devenir un service commercial comme les autres et toute la régulation du secteur être refondue pour assurer une concurrence « libre et non faussée ». Dans ce contexte, les consommateurs bénéficient d’offres alléchantes et de smartphones dernier cri, mais des salariés souffrent et se suicident sur leur lieu de travail.
A ce petit jeu, Huawei finit par avoir une longueur d’avance grâce au soutien de l’Etat chinois et à une main-d’œuvre bien formée, en apparence docile et peu coûteuse. L’ouverture des frontières commerciales aidant, l’entreprise de Shenzhen est devenue un mastodonte. Elle fait la course en tête dans l’infrastructure 5G et vient titiller le géant américain Cisco sur le marché des routeurs Internet. Alcatel, lui, a été racheté et est en train d’être petit à petit démantelé par Nokia ; il a rejoint la liste des « champions » sacrifiés sur l’autel de la théorie des avantages comparatifs.
Lire aussi Déploiements de la 5G : Huawei, l’éternel dilemme européen
Alors, Huawei nous espionne-t-il ? A-t-il installé dans ses antennes ces fameuses backdoors, des portes logicielles cachées qui lui permettraient d’observer les données à distance et à l’insu de l’opérateur ? Mais n’y a-t-il pas aussi des backdoors dans les routeurs Cisco qui aiguillent le trafic Internet mondial ?
Au-delà des aspects techniques, il convient de s’interroger sur les conséquences de la libéralisation du marché des télécoms sur la sécurité et la souveraineté nationales. Comment ne pas affirmer l’impérieuse nécessité de reprendre le contrôle démocratique et souverain de ces infrastructures essentielles pour nos vies ?
Construire un avenir désirable
Mais il n’y a pas que dans le domaine de la souveraineté que le marché a failli. La 5G est devenue le symbole de ces nouvelles technologies dont on ne sait plus très bien si elles nous sont réellement utiles, si elles ne causent pas plus de dégâts qu’elles n’en réparent.
D’après le think tank The Shift Project, expert de la transition, l’empreinte énergétique des technologies de l’information s’accroît de 9 % par an. L’explosion du trafic vidéo nécessite un accroissement de la capacité des réseaux et de la production de serveurs. Pour bénéficier des avantages de la 5G, il faudra bien changer son téléphone, même si celui-ci contient des métaux rares extraits dans des conditions sociales et environnementales déplorables à l’autre bout du monde.
La 5G inclut certes des avancées technologiques permettant de consommer moins d’énergie par unité d’information transportée. Pourtant, c’est un effet rebond de grande ampleur qui se prépare. Car les nouveaux usages seront bien plus gourmands en débit, de telle sorte que la consommation énergétique totale risque fortement de s’accroître.
Pour tenir les promesses, il est prévu de déployer de nombreuses petites antennes dans les lieux publics, dans les bâtiments, pour servir les utilisateurs au plus près. L’utilisation de fréquences bien plus élevées qui se propagent moins loin, mais offrent de très haut débit, nécessite des puissances de transmission et un nombre d’antennes accru par site. La 5G viendra en outre se superposer aux réseaux existants, de la 2G à la 4G, toujours en activité. A contrario, ce que la 5G pourrait apporter à la réduction de la consommation énergétique d’autres secteurs reste à évaluer.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les nombreux défis des opérateurs pour le déploiement de la 5G
On a en tout cas du mal à imaginer comment le marché, soutenu par la publicité, pourrait nous inciter à une nécessaire sobriété numérique, comment la course au profit pourrait nous aider à distinguer collectivement les usages socialement utiles.
Il faut au contraire se réapproprier les usages de la technologie, peut-être en réinventant un service public d’un type nouveau, plus démocratique, associant citoyens tirés au sort, chercheurs, syndicats, associations environnementales et de consommateurs, afin que les enjeux environnementaux et sociaux puissent être pris en compte.
L’enjeu n’est pas d’opposer la croissance et la compétitivité à tout prix au mode de vie amish, mais de construire démocratiquement un avenir désirable et soutenable. Le défi est immense, mais, pour le coup, la 5G représenterait un véritable « tournant » par rapport à notre façon d’appréhender les nouvelles technologies.
Marceau Coupechoux est professeur d’informatique à Telecom Paris et à l’Ecole polytechnique
Déploiement de la 5G : « L’Europe doit commencer à investir dans l’avenir »
TRIBUNE
Philip Meissner
Stratégiste
Le professeur de stratégie Philip Meissner estime, dans une tribune au « Monde », que l’Europe ne peut qu’être distancée par la Chine et les Etats-Unis si elle n’adhère plus à l’idée de progrès technique.
Publié aujourd’hui à 10h52 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. Trop souvent, l’Union européenne se contente de séances nocturnes qui aboutissent à un compromis minimal. L’Europe est perçue comme stagnante à une époque où les gens veulent progresser. Quel est l’idéal européen, la vision en laquelle nous pouvons croire ? Comment l’Europe offrira-t-elle des opportunités, de la liberté, du progrès et un meilleur avenir à ses citoyens ? Il est temps de renouer avec le rêve européen.
« Net City » est le nom d’un projet du géant chinois de l’Internet Tencent. A Shenzhen, Tencent veut construire un nouveau campus technologique pour ses employés. Il aura la taille de Manhattan. L’envergure du projet et son ambition surprennent, tout comme ce qu’il représente : le progrès et une vie meilleure. C’est un parfait exemple du « rêve chinois » que le président Xi Jinping a présenté à la Chine en 2012. Le rêve chinois porte la vision d’une nation revitalisée et une promesse de progrès. Tout comme le rêve américain, il s’agit d’une éthique nationale. L’Amérique s’est épanouie et a attiré les meilleurs et les plus brillants éléments du monde entier sur la base de ce rêve : une vision de liberté, de mobilité sociale ascendante et la promesse que chacun peut y arriver s’il travaille dur.Lire aussi Emmanuel Macron défend « le tournant de la 5G » face au « retour à la lampe à huile »
Qu’en est-il de l’Europe ? L’ouverture des frontières ne semble plus suffire aux citoyens. Sur tout le continent, nous assistons à une montée du populisme et de l’euroscepticisme. Mais pourquoi ? Quand on regarde les faits, nous avons tous les ingrédients pour construire un grand avenir. L’Europe est le foyer d’entrepreneurs et de scientifiques passionnés, la Banque centrale européenne a élargi sa politique monétaire bazooka et, cette fois-ci, elle est soutenue par des investissements budgétaires massifs sur tout le continent. En outre, l’Europe est guidée par des valeurs fortes de liberté, de démocratie, de durabilité et d’Etat de droit. Alors pourquoi est-il si difficile pour de nombreux Européens de croire en l’Europe ?
La promesse d’un avenir meilleur
Je répondrai à cette question en citant le conseiller de campagne de Bill Clinton, James Carville : « It’s the economy, stupid ! » J’entends par là la promesse d’un avenir meilleur, la promesse du progrès, d’un rêve européen. Nous devons arrêter de gonfler les prix de l’immobilier et commencer à investir dans l’avenir. Où est la grande idée pour l’avenir de l’Europe et la stratégie pour la mettre en œuvre ?
Aux Etats-Unis et en Chine, la voie à suivre semble claire. Elle est centrée sur la technologie et son potentiel pour améliorer la vie et la richesse de ses citoyens. D’anciennes start-up, comme Alibaba, Tencent, Google et Tesla, sont devenues les plus grandes entreprises et l’épine dorsale des économies du pays. Mais l’Europe ne semble pas en mesure de tenir le rythme. Toutes les entreprises de l’Euro Stoxx 50 réunies valent à peu près autant qu’Apple et Amazon. En Allemagne, l’âge moyen des cinq plus grandes entreprises est de 114 ans, en Chine de 34 ans et aux Etats-Unis de 30 ans. L’Europe ne semble pas se renouveler à la même vitesse que d’autres pays ou régions.
Lire aussi Déploiements de la 5G : Huawei, l’éternel dilemme européen
Dans le cadre d’un récent projet du Centre européen pour la compétitivité numérique, nous avons analysé les stratégies et projets numériques lancés par les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement européens. Les résultats ont montré qu’il n’y avait pas de stratégie unifiée autour des technologies numériques en Europe. Au contraire, chaque chef d’Etat ou de gouvernement avait ses propres motivations et projets. Certains, comme la chancelière Angela Merkel, se sont concentrés sur la 5G, tandis que le président Emmanuel Macron a mis l’accent sur l’intelligence artificielle et l’entrepreneuriat.
Le problème de cette approche disparate est que l’absence de vision unique empêchera la création et la mise en œuvre de projets d’avenir. Sans vision, comment susciter l’émotion et l’adhésion que demandent les grands projets communs ? Personne ne regardera le lancement en livestream du cloud européen Gaia-X, quand des millions de personnes ont assisté au lancement de la première mission habitée de Space X vers la station spatiale internationale. 325 000 personnes ont précommandé la nouvelle Tesla Model 3 lors de son annonce en 2016. Quel est le rapport avec le rêve européen ? Les gens aiment le progrès. Les gens aiment les idées audacieuses. Les gens aiment voir les idées devenir réalité. Les gens aiment être inspirés et se sentir partie intégrante de quelque chose de plus grand qu’eux. Ce sont les ingrédients du rêve européen.
Ce dont l’Europe a besoin, c’est une vision à laquelle tout le monde peut croire, qui mobilise et motive les gens, qui libère l’énergie de 450 millions de personnes et l’oriente vers une promesse simple : le progrès.
Philip Meissner est professeur de stratégie et directeur du Centre européen pour la compétitivité numérique à l’ESCP
La 5G, quoi qu’il en coûte ! »
TRIBUNE
Sophie Pelletier – Présidente de l’association Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques/Priartem
Stéphen Kerckhove – Délégué général de l’association Agir pour l’environnement
Stéphen Kerckhove et Sophie Pelletier, dirigeants d’associations environnementales, s’élèvent contre le lancement par le gouvernement, mardi 8 septembre, des concertations préalables à l’attribution des fréquences 5G malgré les mises en garde de la société civile et des agences de régulation
Publié le 07 septembre 2020 à 15h22, mis à jour à 10h59 Temps de Lecture 3 min.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/07/la-5g-quoi-qu-il-en-coute_6051309_3232.html
Tribune. Mobilisations citoyennes, prises de parole d’élus locaux, auditions parlementaires, procédures contentieuses devant le Conseil d’Etat, saisines du Haut Conseil au climat, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale, de l’Agence nationale des fréquences, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie… rien n’y fait : le gouvernement a décidé d’attribuer les fréquences permettant de développer la 5G en France et entend se tenir à son calendrier initial.
Peu importe qu’une quantité jamais atteinte d’agences étatiques se penchent sur l’impact de cette 5G sur le climat, sur la consommation d’énergie, sur l’exposition des riverains d’antennes. L’enjeu, pour ce gouvernement, est de simuler une bonne gouvernance en arborant une concertation de façade et en instrumentalisant au passage ses agences, pour faire oublier une décision unilatérale dictée par des impératifs purement industriels. La 5G, quoi qu’il en coûte !Article réservé à nos abonnés Lire aussi Protection de la santé, lutte contre le consumérisme… Pourquoi une partie de la gauche s’oppose à la 5G
De fait, la saisine de ces multiples agences repose sur des inquiétudes bien légitimes. Le développement de la 5G en Chine et en Corée du Sud se traduit par une explosion de la demande de data et influe fortement sur la consommation d’énergie des réseaux, qui a triplé depuis l’arrivée de la 5G. Le secteur du numérique pourrait ainsi voir sa part du total mondial des émissions de gaz à effet de serre passer de 3,7 % à 7,5 %, soit autant que l’ensemble du parc automobile mondial !
Les effets psychosociaux de l’environnement numérique
Selon Ericsson, les vidéos, qui représentent déjà 60 % du trafic mondial, pourraient atteindre 74 % d’ici à 2024 ! Les émissions de ce secteur augmentent de 8 % par an là où elles devraient baisser de 5 % si nous voulions respecter l’accord de Paris sur le climat. Parallèlement, le nombre d’objets connectés dépasserait les 22 milliards d’unités, augmentant l’extraction de matières non renouvelables, tout en multipliant les sources d’exposition aux champs électromagnétiques.Lire aussi L’intelligence artificielle, enjeu majeur pour l’UE
En effet, selon l’Agence nationale des fréquences, l’arrivée de la 5G, ajoutée à la 4G, pourrait accroître l’exposition moyenne de 30 % et augmenter le nombre de points où l’exposition est considérée comme atypique de 50 %. De la brosse à dents aux couches connectées, de la serrure « intelligente » aux réfrigérateurs communicants, nos sociétés s’apprêtent à évoluer dans un monde où des acteurs privés pourront aisément surveiller et monétiser nos moindres faits et gestes.Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’Europe ne se laisse plus séduire par Pékin
Et ce ne sont pas les quelques usages régulièrement mis en avant par les promoteurs de la 5G (télémédecine ou applications industrielles) qui peuvent durablement faire illusion. Pour l’essentiel, le développement de la 5G est justifié par l’explosion du streaming et des formats numériques toujours plus lourds et par l’arrivée imminente des objets connectés. Alors même qu’un adolescent âgé de 13 ans à 18 ans passe déjà 6 h 40 en moyenne devant un écran, soit 40 % de son temps de vie éveillée, aucune évaluation sérieuse n’est envisagée pour cerner les effets psychosociaux de cet environnement numérique constitué d’échanges virtuels, d’intelligence artificielle et de réalité augmentée.
Le gouvernement tente un passage en force
L’hyperactivité croît à mesure que le temps d’attention chute ; le temps de sommeil s’est réduit d’une heure trente en un demi-siècle et 59 % des ados âgés de 15 ans à 19 ans ont lu au moins un livre au cours de l’année, contre 70 % dix ans plus tôt. Mais le gouvernement ne souhaite nullement entendre ces données factuelles, qui sont autant de signaux d’alerte tangibles sur les effets du numérique, que la 5G va amplifier.Article réservé à nos abonnés Lire aussi La fracture numérique au révélateur du Covid-19
Malgré la mobilisation citoyenne, les menaces de moratoires locaux ou les conclusions des 150 citoyens de la convention citoyenne pour le climat, le gouvernement est tenté par un passage en force, sans débat ni évaluations sérieuses.
Sans attendre les conclusions des agences qu’il a pourtant saisies, le gouvernement pourrait attribuer les fréquences 5G d’ici à la fin septembre. Si ce scénario se confirme, ce serait une nouvelle preuve du mépris du gouvernement à l’égard des corps intermédiaires et des agences étatiques officielles, réduites à faire de la figuration dans une pantomime qui ne dupe plus personne.
[ L’association Agir pour l’environnement et l’association Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques (Priartem) ont engagé devant le Conseil d’Etat un contentieux contre l’attribution des fréquences 5G .]
Yves Gassot : « Déployer la 5G sans équipements chinois est une ambition complexe et coûteuse »
TRIBUNE
Yves Gassot
Ingénieur, ancien directeur général de l’IDATE DigiWorld
L’ingénieur spécialiste des télécoms Yves Gassot analyse le dilemme européen entre affirmation de sa souveraineté numérique et nécessité de développer l’innovation technologique.
Publié le 21 mai 2020 à 06h00 – Mis à jour le 24 septembre 2020 à 11h00
Tribune. Beaucoup ont découvert en 2019 à l’occasion d’un décret du président Trump bannissant l’usage de la technologie chinoise par les opérateurs américains que Huawei était devenu le premier fournisseur mondial des équipements de télécommunications. Malgré des exemptions ou des autorisations temporaires, l’administration américaine n’a cessé d’étendre ses interdictions et son contrôle jusqu’à bloquer le 15 mai l’accès direct, mais également indirect via des entreprises étrangères, des entreprises chinoises à la technologie américaine, notamment dans les composants.
Face aux pressions américaines, à ses ambiguïtés (l’application potentielle de cette politique à la tech européenne) mais aussi à la légitimité de la problématique sécuritaire des réseaux télécoms, les pays européens ont eu du mal à trouver un positionnement. Au-delà des sensibilités des pays, le dilemme auquel sont confrontés pouvoirs publics et opérateurs européens revient à la question suivante : peut-on éjecter un fournisseur essentiel, au risque de remettre en cause la concurrence qui s’est installée sur le marché des services télécoms dans nos pays ?
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Polarisé sur la 5G, le débat laisse entendre que l’avènement de cette nouvelle norme est la bonne occasion d’abandonner cette dépendance. Sans doute, même si, contrairement à la situation qui prévaut aux Etats-Unis, les opérateurs européens ont assez largement ouvert leurs réseaux à Huawei. Or, déployer la 5G sans équipements chinois est une ambition qui s’avère vite complexe et coûteuse quand on a opté pour la technologie chinoise sur certaines parties de son réseau mobile 4G, qui va demeurer pendant de nombreuses années le soubassement de la 5G. De plus, les réseaux mobiles à haut débit sont amenés à être de plus en plus largement imbriqués avec les réseaux fixes, dans lesquels on retrouve aussi très souvent en Europe les équipements du champion chinois…
Que faire pour compartimenter et réduire les risques ?
Rappelons d’abord qu’il n’y a pas de barrières étanches entre l’écosystème des opérateurs et celui de l’industrie des équipements. Autrement dit, il y a sans doute un rapport entre la disparition de Siemens, d’Alcatel et d’autres fournisseurs, et l’intensité de la concurrence entre opérateurs en Europe, qui a pour conséquence l’émiettement du secteur, surtout par comparaison avec la taille et le pouvoir de marché des acteurs américains et chinois.
Depuis des années, l’écart d’investissement des opérateurs dans les infrastructures mobiles, mesuré en dépense totale par marché national sur le nombre d’habitants, est très significatif entre les deux rives de l’Atlantique. Il ne peut pas être expliqué uniquement par les caractéristiques oligopolistiques du marché américain ou les particularités géographiques comparées des marchés américain et européens
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Certes, Ericsson et Nokia sont encore des sociétés européennes, et demeurent même les n° 2 et n° 3 dans leur activité. Mais leurs difficultés sont pour partie liées aux contraintes qui pèsent sur les capacités d’investissement des opérateurs européens, alors que leur salut ces dernières années a été largement assuré par la place qu’ils ont trouvée sur les marchés nord-américain et chinois.
Une montée en puissance du cloud
Cette situation apparemment paradoxale n’est d’ailleurs pas stable, quand on voit la mobilisation des sénateurs à Washington pour rechercher des modalités de prise de contrôle des deux sociétés européennes. Si l’on peut s’attendre à ce que nos champions européens trouvent dans le contexte de suspicion vis-à-vis de Huawei des conditions plus favorables en Europe, l’avenir du secteur ne peut cependant pas se résumer aux redistributions de parts de marché entre les trois leaders du secteur.A
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Bien que les équipements de réseaux soient fondés depuis plusieurs décennies sur les technologies numériques, ils se composent encore largement de normes, d’équipements spécialisés intégrant matériels et logiciels fournis par des entreprises distinctes des grands acteurs de l’informatique. Cela fait plusieurs années que les opérateurs ont entrepris de dépasser cette situation en virtualisant leurs réseaux par un découplage entre logiciels, contrôle, pilotage et équipements matériels des réseaux.
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Cette approche a conduit à adopter progressivement dans le cœur du réseau, puis dans sa périphérie, des interfaces ouvertes et des architectures informatiques en cloud. Avec pour double objectif de sortir de la dépendance aux solutions intégrées de leurs principaux fournisseurs, et de bénéficier d’une plus grande flexibilité dans la gestion de leurs réseaux et l’offre de nouveaux services. Le mouvement ne fait que s’amorcer mais la 5G devrait l’accélérer.
L’Europe doit renforcer sa place
Une évolution qui n’a pas échappé à l’administration Trump : elle y voit l’occasion, en s’appuyant sur la puissance de l’industrie américaine du logiciel et sur les budgets dégagés par le Congrès, la perspective de retrouver une place de premier plan sur le marché des télécoms. D’ores et déjà, des firmes telles que Dell et sa filiale VMware, Cisco, Intel ou Facebook – qui ont su mobiliser de grands opérateurs pour définir les nouvelles architectures de leurs réseaux, ou encore les champions du cloud tels qu’Amazon et Microsoft – sont sur les rangs.
On y découvre aussi de nouveaux entrants tels que Mavenir, Altiostar ou Parallel Wireless. En lien avec le soutien légitime apporté à la recherche-développement d’Ericsson et de Nokia, les Européens devraient aussi renforcer la place de l’innovation de réseaux dans leurs programmes dédiés aux start-up, sous peine de subir et non de profiter de ce nouveau paradigme des télécoms.Article r
Enfin, tandis que certains voudraient faire de la 5G le symbole des technologies tournant le dos à la transition énergétique, nous avons vu, face au Covid-19, l’importance de pouvoir compter sur des services numériques résilients et performants. L’action de l’Europe, longtemps concentrée sur une politique de concurrence, doit aujourd’hui se construire sur une ligne de crête prenant en compte les objectifs d’investissement, de recherche, d’innovation, d’aménagement du territoire et de décarbonation.
5G : la position paradoxale des opérateurs européens vis-à-vis de Huawei
Les groupes télécoms ne ferment pas la porte au fabricant chinois mais doivent composer avec des considérations politiques.
Par Charles de Laubier Publié le 19 avril 2020 à 16h00

SFR et Bouygues Telecom, qui équipent déjà en Huawei une partie de leurs réseaux mobiles 3G/4G, sont depuis des mois dans l’incertitude face au « en même temps » du gouvernement vis-à-vis du fabricant chinois. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) doit préciser les parties des réseaux mobiles français sur lesquelles seront acceptés les équipements 5G du fabricant chinois, qui devrait cependant être exclu du cœur de réseau.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la 5G joue son avenir en pleine pandémie de Covid-19
Martin Bouygues a déclaré le 20 février qu’interdire Huawei créerait « des distorsions de concurrence entre les opérateurs ». Trois mois plus tôt, le 18 novembre 2019, il avait lancé devant le Medef que si Bouygues Telecom ne pouvait pas aussi se fournir auprès du chinois, cela reviendrait à « rétrofiter » (simplement remettre en état) son réseau mobile ! Quant à Stéphane Richard, PDG d’Orange, peu disposé lui aussi à écarter Huawei, il avait estimé l’approche des pouvoirs publics « méprisante à l’égard des opérateurs », dans la mesure où le gouvernement laissait entendre que ces derniers étaient incapables de se préoccuper de la sécurité de leurs réseaux.
« Choix européen » et « flexibilité »
En attendant, les opérateurs télécoms ne savent pas sur quel pied danser. Si l’opérateur historique français est équipé par les européens Nokia et Ericsson pour son réseau mobile en France, il ne prive pas ses filiales de Huawei dans d’autres pays – pour sa 5G en Roumanie, par exemple. Cette diversité de décisions vis-à-vis du chinois – numéro un mondial des équipementiers 5G – se retrouve chez Xavier Niel, propriétaire du groupe Iliad (Free) et par ailleurs actionnaire majoritaire de Monaco Telecom. Free a fait le choix en septembre 2019 de renouveler pour la 5G son contrat avec le finlandais Nokia – un « choix européen »assumé, même si le directeur général de Free, Thomas Reynaud, a expliqué en février vouloir conserver « la flexibilité de travailler » avec d’autres, comme Huawei. De son côté, Monaco Telecom a pleinement misé sur la firme de Shenzhen pour s’imposer comme un pionnier de la 5G, déployée depuis l’été 2019 dans la principauté.
Autre exemple de divergence dans le choix des équipementiers 5G : Deutsche Telekom et SoftBank, eux, n’ont pas fermé leur porte à Huawei, qui leur fournit des éléments de réseau 5G. Mais l’opérateur télécom allemand et le groupe japonais sont tous deux copropriétaires du nouvel ensemble constitué par la fusion en cours du troisième opérateur mobile américain, T-Mobile, avec le quatrième, Sprint. Or, afin d’obtenir le feu vert des autorités antitrust, l’ancien PDG de T-Mobile, John Legere, a assuré devant le Congrès américain en février 2019 qu’il n’était pas question pour le « nouveau T-Mobile US » de s’équiper en Huawei pour ses réseaux 5G. Et ce, conformément au décret « anti-Huawei » de l’administration Trump.
La 5G arrive en France, mais les autorités notent « un manque important de données sur ses effets sanitaires »
« L’usager sera a priori plus exposé puisque soumis à plus de puissance et plus de débit à travers son smartphone«
L’Agence de sécurité sanitaire remet un premier rapport sur les risques liés à la nouvelle technologie de téléphonie mobile.
Par Stéphane Mandard Publié le 27 janvier 2020 à 06h00 – Mis à jour le 27 janvier 2020 à 10h06

La 5G arrive en France avec ses promesses de révolutionner les usages liés à la téléphonie mobile, de la voiture autonome à la chirurgie à distance. Les premières offres sont attendues à la fin de l’année. L’autorité de régulation des télécoms a lancé le 30 décembre 2019 la procédure d’attribution de fréquences dans la nouvelle bande 3,5 GHz. Son déploiement s’accompagne cependant de nombreuses interrogations sur ses effets sanitaires et environnementaux.
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Pour y répondre, les ministères de la santé, de l’écologie et de l’économie ont saisi en juillet 2018 l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) afin d’évaluer les risques liés à l’exposition de la population aux champs électromagnétiques découlant de cette technologie qui permettra de transférer des données mobiles en plus grande quantité et à plus grande vitesse.
Dans un rapport préliminaire publié lundi 27 janvier, l’Anses conclut à « un manque important voire à une absence de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés aux fréquences autour de 3,5 GHz ». En d’autres termes, à ce stade, il lui est impossible d’évaluer les risques liés à la 5G. Elle demande donc aux opérateurs de fournir toutes les informations techniques afin de pouvoir caractériser les niveaux d’exposition.
« Aujourd’hui, on ne peut pas encore dire si les Français seront davantage exposés aux champs électromagnétiques. Le niveau d’exposition va beaucoup dépendre de l’usage qui sera fait de la 5G, commente Olivier Merckel, chef d’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques à l’Anses. Tant que le déploiement n’est pas fait, nous pouvons seulement faire des simulations à partir de différents scénarios d’exposition. »
C’est le travail auquel va désormais s’atteler l’Anses, dont le rapport définitif n’est pas attendu avant le premier trimestre 2021. « Pour estimer l’exposition, nous avons besoin de savoir quel type d’antennes sera déployé, avec quelle puissance, dans quelle direction, détaille le chercheur. Selon les données des opérateurs, les niveaux seront limités dans l’espace par rapport au réseau actuel mais l’usager sera a priori plus exposé puisque soumis à plus de puissance et plus de débit à travers son smartphone. »
En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer a classé les radiofréquences comprises entre 30 kHz et 300 GHz comme cancérogène possible pour l’homme. « Aujourd’hui, il y a des incertitudes sur les effets à long terme d’une utilisation intensive du téléphone portable. Certaines études montrent des excès de risques pour les cancers ou les tumeurs du cerveau, note Olivier Merckel. Les effets sont-ils les mêmes à 3,5 GHz ? C’est l’une des questions auxquelles nous allons essayer de répondre. »
Demande de moratoire
Ce rapport devrait donner des arguments supplémentaires à ceux qui réclament un moratoire sur le déploiement de la 5G. Les associations Agir pour l’environnement et Priartem-Electrosensibles préparent un recours devant le Conseil d’Etat afin de faire annuler l’arrêté du 30 décembre 2019 relatif aux modalités d’attribution de fréquences dans la bande 3,5 GHz. Elles ont lancé une pétition « Stop à la 5G », vendredi 24 janvier. « Une fois de plus, la France fait les choses à l’envers : on déploie d’abord la 5G et après on regarde s’il y aura des impacts, déplore François Lafforgue, l’avocat des associations. Au nom du principe de précaution, une évaluation environnementale et sanitaire aurait dû être lancée. »
Une hyperconsommation numérique et énergivore
Dans une analyse publiée le 22 janvier dans la revue Molecular and Clinical Oncology, le professeur d’oncologie Lennart Hardell et son collègue Rainer Nyberg réclament également un moratoire. Depuis un appel lancé en septembre 2017 avec plus de 260 chercheurs et médecins, ils exhortent l’Union européenne (UE) à geler le déploiement de cette technologie tant que des études indépendantes n’auront pas été menées sur les risques sanitaires. Deux ans et demi plus tard, les chercheurs estiment que « les réponses de l’UE ont jusqu’ici privilégié les profits de l’industrie au détriment de la santé humaine et de l’environnement ».
La présidente de Priartem-Electrosensibles de France, Sophie Pelletier, relaie une autre critique, sociétale : le déploiement de la 5G va entraîner une hyperconsommation numérique et énergivore, à rebours des objectifs de modération pour atténuer le changement climatique. « Alors que la sobriété énergétique est inscrite dans la loi, on sait déjà que ce déploiement augmentera la consommation électrique de l’ordre de 10 TWH, soit l’équivalent d’une centrale comme Fessenheim », déplore-t-elle. Le think tank The Shift Project, qui travaille sur les impacts environnementaux du numérique, estime qu’avec la 5G, la consommation d’énergie des opérateurs mobiles sera multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans à venir, soit une augmentation de 2 % de la consommation d’électricité du pays.
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Hypothèses avancées comme des certitudes, conclusions exagérées, images détournées… les arguments douteux des opposants au déploiement du réseau.
Par Mathilde Damgé Publié le 13 septembre 2019 à 11h09 – Mis à jour le 13 septembre 2019 à 12h18
Alors qu’approche son déploiement, la téléphonie 5G (pour « 5e génération ») nourrit déjà de nombreuses interrogations. Certaines sont fondées ; d’autres, en revanche, s’appuient sur des approximations ou des affirmations erronées. Ainsi, des villes ou des pays auraient interdit la 5G pour des raisons de santé (c’est faux) ; il existerait un « drone insecte espion » contrôlé en 5G dont on nous cacherait l’existence (faux, également), ou encore que son déploiement nécessiterait l’abattage d’arbres par milliers (toujours faux)…
Par ailleurs, sur les réseaux sociaux, les messages alarmistes sur les dégâts présumés du déploiement du réseau de téléphonie mobile 5e génération sur l’environnement se multiplient, incluant de prétendues conséquences pour les animaux. Problème : il s’agit souvent d’hypothèses avancées comme des certitudes, de conclusions très exagérées ou encore d’images détournées.
1. Des oiseaux morts… d’une cause inconnue
Un texte prétendant que « des centaines d’oiseaux [sont] morts lors d’une expérimentation de la téléphonie mobile 5G » a connu un large succès, bien au-delà des frontières du pays où milite son auteur, le Néerlandais John Kuhles. Bien que fausse, l’histoire a été reprise dans des publications francophones, anglophones, hispanophones et même en langue tamoule.
Vérifié par de nombreux médias, le phénomène – 337 étourneaux retrouvés morts entre le 19 octobre et le 23 novembre 2018 dans un parc de La Haye, aux Pays-Bas – serait en réalité lié à un empoisonnement.
A la demande de la municipalité, des équipes de recherche biovétérinaire ont travaillé sur la question : « Les oiseaux ont montré des traces de poison d’arbustes (ifs) et les chercheurs ont trouvé des produits de décomposition dans les oiseaux. Les baies rouges de l’if sont souvent consommées par les oiseaux, qui ne meurent généralement pas en les mangeant », explique la mairie sur son site Internet. Des recherches complémentaires sur l’origine de l’intoxication des oiseaux doivent être menées.
La mairie précise qu’aucun test 5G n’a été effectué sur un nouveau réseau de téléphones mobiles autour du parc. Contacté par nos confrères de Libération, John Kuhles a reconnu qu’il s’agissait plutôt d’une « hypothèse » de sa part que d’une certitude. Responsable de publications à la tonalité complotiste, le militant avait aussi assuré par le passé que les incendies dévastateurs en Californie étaient une punition de l’« élite » pour se venger de l’opposition au déploiement de la 5Gdans cet Etat américain.
2. L’impact exagéré de la 5G sur les insectes
Autre infox largement relayée : la 5G provoquerait une hausse de la température des insectes. Elle a été propagée par le journal suisse Le Matin : « Des études ont montré que les fréquences utilisées par la 5G font grimper la température corporelle des insectes », écrit le quotidien. Reprise et déformée par d’autres médias, elle est devenue : « Avec la 5G, poussée de fièvre chez les insectes ».
Ces messages alarmistes ont pour origine l’interprétation d’une étude publiée dans Nature, prestigieuse revue scientifique. Selon cette dernière, « la puissance absorbée par les insectes [exposés à des champs électromagnétiques comme ceux de la 5G] devrait augmenter par rapport à celles des systèmes de communication sans fil actuels (3G et 4G) ».
Actuellement, la 5G est déployée surtout dans les bandes de fréquence entre 700 MHz et 3 800 MHz, mais elle pourrait utiliser des bandes beaucoup plus élevées. Or, plus on monte dans les fréquences, plus la longueur de l’onde se réduit. « Certaines fréquences 5G auront des longueurs d’ondes comparables à [la taille] des insectes », explique l’auteur de l’étude, Arno Thielens, chercheur de l’université belge de Gand.
Le physicien prend comme hypothèse de travail une fréquence maximale de 120 GHz (c’est-à-dire supérieure à la fréquence la plus haute envisagée pour la 5G, qui est de 86 GHz). L’onde est tellement courte qu’elle atteint la taille d’un insecte. L’animal pourrait alors être « chauffé » par l’onde électromagnétique, selon Arno Thielens. Des résultats à prendre avec précaution, puisque l’auteur précise ne pas avoir « effectué de simulations complètes en raison d’incertitudes concernant les capacités thermiques spécifiques des insectes et les mécanismes de dissipation de la chaleur ».
LE CONTEXTE
L’encadrement des effets thermiques sur la santé humaine
Les effets thermiques des ondes électromagnétiques, concrètement une augmentation de la température des tissus de la peau, sont indéniables ; ils sont même calculés par les autorités sanitaires afin qu’ils respectent des seuils maximaux. En France, le débit d’absorption spécifique (ou DAS) représente la quantité d’énergie d’un équipement, par exemple un téléphone mobile, absorbée par l’organisme sous forme de chaleur par unité de temps.
Il est « mesuré sur l’ensemble du corps ou sur une de ses parties et s’exprime en watts par kilogramme (W/kg) », explique le ministère de la santé. Les normes sont revues régulièrement et adaptées aux différents usages, par exemple, l’apparition du kit mains libres ou la disparition de l’étui permettant de porter le téléphone à la ceinture.
« Pour l’instant, nous n’avons repéré aucun effet des ondes millimétriques sur les cellules. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en l’état actuel de la recherche, nous ne connaissons qu’un seul effet possible des ondes sur leur environnement. C’est l’effet thermique, celui qui permet à votre eau de bouillir au four à micro-ondes. Et les puissances utilisées en télécommunications, quel que soit le type d’ondes, sont trop faibles pour générer un tel échauffement », précise le biologiste Yves Le Dréan, enseignant-chercheur à Rennes-I.
3. Un effet cancérigène très faible chez des rongeurs
Un rapport du Programme national de toxicologie (NTP) – un programme fédéral piloté par le département de la santé et des services sociaux des Etats-Unis – a mis récemment en lumière une augmentation des risques de tumeurs cardiaques chez des rats mâles exposés à des niveaux élevés d’ondes électromagnétiques utilisées en téléphonie 2G et 3G. Mais les conclusions de ce rapport, estime l’auteur principal John Bucher, ne permettent pas d’établir de lien concret et définitif entre l’exposition aux ondes et un cancer.
Le chercheur en santé environnementale, interrogé par l’agence de presse AP, affirme ainsi qu’au pire « il pourrait y avoir un faible effet cancérigène… s’il y en a bien un ». « Nous avons constaté que l’ADN avait pu être endommagé sur certains animaux, mais nous ne pouvons pas déduire quoi que ce soit de cet effet biologique », explique John Bucher.
Surtout, au-delà des nuances qu’imposent les conclusions de ce rapport, il serait hasardeux de vouloir transposer ces résultats à l’homme. « Les expositions utilisées dans les études ne peuvent pas être comparées directement à l’exposition que subissent les humains lorsqu’ils utilisent un téléphone », insiste le chercheur. D’une part, les niveaux et les durées d’exposition étaient bien supérieurs à ce que les gens vivent au quotidien. D’autre part, les rongeurs ont reçu des radiations de radiofréquences sur tout leur corps, alors que les humains sont principalement exposés sur des tissus locaux, à l’endroit où ils tiennent leur téléphone.
« Dans le cas de l’humain, (…) l’absorption se fait effectivement de façon très superficielle et a beaucoup plus de mal à atteindre le cerveau, par exemple », assure Alain Sibille, professeur de physique à Télécom ParisTech. C’est d’ailleurs ce que concluait l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), en 2010, lors de la publication d’une évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation d’un scanner corporel à ondes millimétriques (24 à 30 GHz), « en raison notamment de leur faible longueur d’ondes, celles-ci ne pénètrent pratiquement pas dans l’organisme ». Le prochain rapport de l’Anses sur la 5G est attendu d’ici à la fin de l’année
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LA 5G, PACTOLE OU FANTASME ÉCONOMIQUE?
Durée de lecture : 8 minutes
19 juin 2019 / Laury-Anne Cholez (Reporterre)
https://reporterre.net/La-5G-pactole-ou-fantasme-economique
Les promesses économiques de la 5G affolent les opérateurs du secteur, qui ne savent pas encore qui payera pour son déploiement. L’État s’intéresse aussi de près à cette technologie : une question de recettes autant que d’image, le président Macron rêvant d’une France «leader dans les combats de demain».
Cet article est le troisième volet d’une enquête que Reporterre consacre à la technologie du réseau sans fil de cinquième génération, ou 5G. Le premier volet : «Plongée dans l’univers de la 5G : merveille ou cauchemar?». Le second : «La 5G, des fréquences, des antennes et des craintes».
C’est la valse des milliards. La 5G, vantée comme la révolution technologique du XXIesiècle, devrait selon ses promoteurs avoir des conséquences gigantesques sur l’économie. La Commission européenne estime que les recettes produites par ce nouveau standard pourraient représenter l’équivalent de 225 milliards d’euros en 2025 dans le monde, créer 2,4 millions de nouveaux emplois en Europe et générer des bénéfices de plus de 113 milliards d’euros en 2025. Convaincue du retour sur investissement, la Commission a engagé 700 millions d’euros dans un partenariat public-privé pour accélérer son déploiement [1]
La 5G va aussi rapporter un pactole à l’État. Le gouvernement doit en effet céder les droits d’usages des fréquences aux opérateurs de téléphonie mobile d’ici à l’automne. En Italie, la recette s’est élevée à 6,55 milliards d’euros, alors que le gouvernement en attendait «seulement» 2,5 milliards. En Allemagne, on s’approche du seuil des 6 milliards d’euros.
«CHAQUE OPÉRATEUR EST LIBRE DE SA POLITIQUE COMMERCIALE EN FONCTION DES SERVICES QU’IL VA PROPOSER»
Ces enchères faramineuses inquiètent les opérateurs français. «Il ne faut pas que les fréquences coûtent trop cher, sans quoi nous ne pourrons pas investir par la suite», a déclaré à Reporterre Arnaud Vamparys, directeur du programme 5G chez Orange. «Le gouvernement ne peut pas avoir des objectifs contradictoires. S’il veut remplir ses caisses, comme en Italie ou en Allemagne, cela limitera la capacité d’investissement des opérateurs», enchérit Michel Combot, directeur général de la Fédération française des télécoms. En 2018, Orange, Free, SFR et Bouygues Télécom ont déjà dépensé 9,8 milliards d’euros dans le déploiement de leurs réseaux, hors rémunération des fréquences. Un montant record, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Or, la facture n’est pas près de s’alléger, car les opérateurs doivent continuer à installer la 4G, ainsi que de la fibre. «Les investissements pour la 5G vont prendre le relais de la 4G lorsque tout le réseau sera déployé. Il n’y aura pas de révolution subite des investissements, mais une continuité à la hausse», précise Michel Combot.
Où trouver ces milliards d’euros? Dans le portefeuille des consommateurs? «Chaque opérateur est libre de sa politique commerciale en fonction des services qu’il va proposer. C’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui. Les forfaits qui ont plus de gigas sont plus chers. Demain, si les entreprises souhaitent par exemple des temps de latence limités, cela aura un coût. Mais, à service égal, les prix ne vont pas augmenter», assure Michel Combot, de la Fédération française des télécoms.
Les entreprises clientes pourraient donc devoir mettre la main à la poche. D’où une certaine réticence de leur part, notamment au sein l’Association des grands utilisateurs de réseaux radio d’exploitation (Agurre), qui regroupe Aéroports de Paris, Air France, EDF, la RAPT, la SNCF, etc. «Les cas d’usages métiers [les situations où les entreprises auront besoin de la 5G] qui exigent les performances accrues de la technologie 5G restent à inventer», analyse Florence Erpelding, représentante déléguée de l’Agurre. Ses membres n’ont pas exprimé jusqu’à présent d’attente spécifique liée aux performances techniques de la 5G. D’autant qu’ils vont pouvoir faire évoluer leurs réseaux privatifs actuels vers la 4G, grâce à l’ouverture récente de la bande de fréquences 2,6 GHz.
«LA FRANCE DOIT DEVENIR LE LEADER DANS LES COMBATS DE DEMAIN»
«Orange dit avoir besoin des acteurs verticaux [les grandes entreprises] pour contribuer à monétiser le déploiement de la 5G. Quand les membres de l’Agurre entendent cela, ils peuvent être méfiants, faute de visibilité sur les coûts que les opérateurs mobile commerciaux pourraient répercuter sur eux», poursuit Florence Erpelding.
Des incertitudes que comprend Michel Combot : «Il est difficile aujourd’hui d’estimer en amont cette rentabilité du service. Il faut d’abord convaincre les gens et adapter le déploiement au regard de leur appétence et du succès commercial.»
Pour convaincre les groupes industriels de l’intérêt de la 5G, Orange ne lésine sur les moyens. Le 16 avril dernier, l’opérateur a organisé un grand évènement au palais Brongniart, à Paris, consacré aux «enjeux de transformation numérique».
«Identifier les usages de demain et imaginer tous les possibles d’après-demain. Accélérer, déployer, intégrer, opérer, sécuriser. Voilà en synthèse ce qui nous attend, vous et nous, avec la 5G», s’est enthousiasmé Stéphane Richard, le PDG d’Orange. Il fut question de performance, d’innovation, de réactivité, de flexibilité, de fiabilité. Comme si d’un coup de baguette magique, le nouveau standard allait résoudre tous les problèmes des entreprises. Pourtant, les usages concrets demeurent encore flous. «Il y a des enjeux de compétitivité et d’innovation. À nous d’imaginer comment la 5G va faciliter cette transition vers le numérique», dit Christel Heydemann, la présidente de Schneider Electric, dans une vidéo visible sur le site de l’évènement. Dans une autre interview, Jean-Philippe Bahuaud, vice-président stratégie du groupe Renault, est un peu plus précis, évoquant la voiture autonome à qui la 5G permettra «d’affiner le trajet du véhicule, d’anticiper et de fiabiliser l’expérience». Même si, en définitive, «l’automatisation des véhicules est une tendance indépendante de la 5G. L’infrastructure va être “designée” en fonction de ces cas d’usages, qu’il faut créer».
L’enjeu du réseau 5G n’est pas seulement une meilleure connectivité pour les entreprises ou une puissance décuplée pour les utilisateurs. Il s’agirait avant tout de l’attractivité de la France à l’échelle internationale. De son image de chef de file dans le secteur des nouvelles technologies. En un mot : de la French Tech, de l’écosystème des start-up françaises. Emmanuel Macron l’a souligné dans son discours d’ouverture du salon Vivatech, consacré à l’innovation technologique, qui s’est tenu à Paris du 16 au 18 mai dernier. «La France doit devenir le leader dans les combats de demain : l’internet des objets, l’intelligence artificielle, la convergence entre le numérique et lescleantech et toutes les technologies du greentech, la convergence entre le numérique et le healthcare.»
«TOUT LE MONDE EST BIENVENU POUR FAIRE DES AFFAIRES ET CRÉER DES EMPLOIS EN FRANCE»
Interrogé à cette occasion sur la loi surnommée «anti-Huawei», adoptée par l’Assemblée nationale le 10 avril dernier pour contrôler la manière dont les futurs équipements 5G seront installés sur le territoire, le président de la République a mis les choses au clair. «Tout le monde est bienvenu pour faire des affaires et créer des emplois en France (…) Notre perspective n’est pas de bloquer Huawei ou toute autre entreprise mais de préserver notre sécurité nationale et la souveraineté européenne.»
Ce texte de loi inquiète aussi les opérateurs des télécoms. Car, pour déployer les infrastructures nécessaires à la 5G, ils n’ont que trois possibilités : l’équipementier suédois Ericsson, le finlandais Nokia ou le chinois Huawei, l’un des plus avancés dans ce domaine. Ce dernier est pourtant accusé d’utiliser la 5G pour installer des portes numériques dérobées (ou backdoors) en vue d’espionner l’Europe. Fin janvier, les autorités étasuniennes ont décidé d’exclure le groupe chinois de leur marché. L’Australie leur a emboîté le pas. L’Angleterre, l’Allemagne et la Belgique ont préféré donner leurs autorisations.
«En France, il n’y a pas de loi anti-Huawei, comme on peut le lire partout. Ce texte concerne la sécurisation des réseaux mobiles. Nous sommes ravis d’avoir un cahier des charges technique et non pas politique», explique à Reporterre Steve Bourdon, responsable communication de Huawei en France. L’homme assure que plusieurs autorités de contrôle gouvernementales, notamment en Allemagne, ont mené des tests et constaté l’absence de portes dérobées. «Il n’y a aucun danger en matière de cybersécurité», insiste-t-il. Au salon Vivatech, l’équipementier chinois faisait face au stand d’Orange. «On travaille beaucoup avec eux. Ils marchent bien et ne sont pas forcément moins sécurisés que les autres. Tout cela n’est qu’une histoire politique», dit Jean-Pierre Casana, responsable de l’innovation chez l’opérateur français.
Dans tous les cas, le gouvernement et les autorités européennes veulent aller vite et ne prendre aucun retard dans cette «révolution» technologique, que certains n’hésitent pas à comparer à l’arrivée de l’électricité. Au vu des milliards d’euros en jeu, les questions d’éthique et de sécurité des réseaux passent parfois au second plan, comme nous le verrons dans notre prochain volet.
AVEC LA 5G, DEMAIN, TOUS SURVEILLÉS
Durée de lecture : 7 minutes
24 juin 2019 / Laury-Anne Cholez (Reporterre)
https://reporterre.net/Avec-la-5G-demain-tous-surveilles
Sous ses atours attrayants, la 5G pose des problèmes de sécurité du réseau, de confidentialité des conversations, de neutralité d’internet et de surveillance des populations. Sans débat démocratique autour de son déploiement, ces questions demeurent sans réponse.
Cet article est le quatrième volet d’une enquête que Reporterre consacre à la technologie du réseau sans fil de cinquième génération, ou 5G. Le premier volet : «Plongée dans l’univers de la 5G : merveille ou cauchemar?». Le deuxième : «La 5G, des fréquences, des antennes et des craintes». Le troisième :«La 5G, pactole ou fantasme économique?»
Des appels en Australie, en Afrique, en Asie. Une goutte de sueur vient de traverser votre front à la lecture de votre dernière facture téléphonique, dix fois plus chère que d’ordinaire. Qui a bien pu pirater votre ligne? C’est le genre de mésaventure qui pourrait arriver avec le nouveau réseau 5G. Des chercheurs ont en effet découvert des failles dans son protocole : un problème d’identification au réseau permettant plusieurs connexions en même temps, et donc la facturation d’appels que vous n’avez jamais passés. Autre souci concernant la clé de session, qui chiffre vos communications : sa confirmation n’étant pas obligatoire, cela peut entraîner des erreurs et permettre à quelqu’un d’écouter vos conversations. «C’est un risque pour la sécurité de la ligne et le respect de la vie privée», explique Jannik Dreier, maître de conférences au Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria), qui a mené ces recherches en partenariat avec l’École polytechnique fédérale de Zurich et l’université de Dundee, en Écosse.
Or, la protection des données personnelles est considérée par 40% de la population comme le principal frein à l’utilisation d’internet, selon le dernier baromètre du numérique.
«ON LAISSE SOUVENT DE CÔTÉ CET ASPECT SÉCURITÉ, CAR IL COÛTE CHER»
Ces résultats inquiétants ont été présentés aux industriels ainsi qu’à l’organisme 3GPP, qui définit la norme mondiale de la 5G. Sans recevoir le moindre écho. «J’ai l’impression que les industriels estiment ce risque moins coûteux que le temps qu’il faudrait passer à analyser et vérifier leurs protocoles. On laisse souvent de côté cet aspect sécurité, car il coûte cher. Nos résultats pourraient pourtant leur permettre d’éviter les problèmes par la suite», dit le chercheur Jannik Dreier.
La question de la sécurité du réseau est pourtant prise très au sérieux par le gouvernement, qui a promulgué une loi renforçant le contrôle des équipements de réseau mobile par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi). Un texte surnommé loi «anti-Huawei».
Au-delà de l’aspect sécuritaire, la 5G pose également la question de la neutralité du net. Aujourd’hui, il est interdit de favoriser un site selon son contenu, sa source, son message ou son destinataire. En clair, votre fournisseur d’accès à internet (FAI) doit vous offrir le même débit, que vous regardiez une vidéo de chatons ou de violences policières, qu’elle soit sur YouTube ou sur Dailymotion. Cette neutralité du net est remise en question par les grands opérateurs sous prétexte d’offrir une meilleure qualité de service aux utilisateurs. «Traiter tout le monde de façon homogène n’a pas de sens. Il va falloir compartimenter et découper le réseau en tranches avec des caractéristiques différentes. Une couche de service pour le grand public, couche qui pourra supporter une latence légèrement plus longue que les objets connectés, par exemple. Une autre couche de service où l’ultra haut débit sera garanti pour les opérations sensibles», dit Michel Combot, le directeur général de la Fédération française des télécoms.
«ILS AIMERAIENT PROPOSER UNE CONNEXION INTERNET DE BASE ET FAIRE PAYER PLUS CHER L’ACCÈS À CERTAINS SERVICES»
Pour la Quadrature du Net, une association de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, il ne s’agit que de considérations commerciales. «Les opérateurs estiment que certains sites, comme Netflix ou YouTube, se font de l’argent sur leur dos en utilisant leurs infrastructures. Ils aimeraient proposer une connexion internet de base et faire payer plus cher l’accès à certains services. Dans ce cas, qui va décider des choses à prioriser? Ce n’est pas aux fournisseurs d’accès à internet de dire qui peut s’exprimer en ligne, d’estimer le volume de données raisonnables. Vous vous rendez compte du pouvoir que cela leur donnerait? Il y a ici un fort enjeu de liberté», explique Alexis O Cobhthaigh, avocat et membre de la Quadrature du Net. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) rejette également l’argument de la qualité de service : «On ne comprend pas pourquoi les opérateurs estiment que la neutralité du net est un frein au déploiement de la 5G. Lorsqu’on leur demande de nous fournir des exemples précis pour étudier le problème, ils ne nous en donnent pas», explique Cécile Dubarry, la directrice générale de l’Arcep
Parmi les avantages supposés de la 5G mis en avant par ses promoteurs, la vidéosurveillance «intelligente» est souvent évoquée. Elle permettrait de réduire la délinquance urbaine et de mieux protéger nos domiciles. Des effets nuancés par Élodie Lemaire, sociologue et maîtresse de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne, dans son livre L’œil sécuritaire : Mythes et réalités de la vidéosurveillance, publié en mars dernier. «Les études se contredisent sur l’efficacité du système ainsi que sur la baisse du sentiment de sécurité», dit la chercheuse à Reporterre. Pour elle, ce sont avant tout les modalités de la surveillance qui changent. Aujourd’hui, on identifie ou on saisit le flagrant délit. Dans le futur, on tentera de dépister et d’anticiper une anomalie.
«IL EST IMPÉRATIF DE POSER LA QUESTION DU CONSENTEMENT DE LA POPULATION À CE NOUVEL ORDRE URBAIN»
Se pose alors une question éthique : qui va déterminer ces comportements dits «anormaux»? À partir de combien de minutes assis sur un banc à regarder flâner les passants deviendra-t-on suspect? Les programmateurs de ces futurs algorithmes disposeront d’un immense pouvoir, qui passera pour de la neutralité : on arguera que le tri est opéré par une machine. La justice risque également d’en faire les frais. «Si les faits ne sont plus établis, car on a détecté l’anomalie avant qu’elle n’advienne, à quoi serviront les magistrats, qui jugent justement sur le fondement de faits établis»,s’interroge Élodie Lemaire. Face aux menaces que la vidéosurveillance dite «intelligente» fait peser sur les libertés publiques, la chercheuse appelle à une discussion démocratique. «Il est impératif de poser la question du consentement de la population à ce nouvel ordre urbain et de faire en sorte qu’il soit éclairé par les bonnes questions. Aujourd’hui, les termes du débat public opacifient la controverse plus qu’ils ne l’éclairent en fantasmant les prouesses de cette technologie. Il serait salutaire d’avoir un regard plus raisonné sur ces modalités de fonctionnement qui permette d’anticiper les dérives possibles.»
Dominique Boullier, sociologue et spécialiste des usages du numérique et des technologies cognitives, aimerait lui aussi l’instauration d’une arène d’échanges en présence de toutes les parties prenantes de la 5G : «Il faut dépasser l’opposition manichéenne progrès-antiprogrès. Les objets connectés vont permettre de faire plein de choses. Mais il faut réfléchir à leurs usages. Est-ce que nous voulons des frigos connectés? Si oui, jusqu’où? Il y a de bonnes idées, mais il faut réguler pour éviter les dérives. Faire que ces objets œuvrent pour le bien commun. Et, surtout, prendre le temps d’un vrai débat sur son déploiement.» Ces discussions devraient également prendre en compte les enjeux écologiques de la 5G. Un aspect dont nous vous parlerons demain dans le dernier volet de notre enquête.
Articles antérieurs sur ondes électro-magnétqiues et santé:
louvoyer entre thèses conspirationnistes et chercheurs trop proches des lobbys des télécoms
https://albivd.wordpress.com/2020/03/03/effets-de-la-5g-sur-la-sante-mission-impossible-pour-lanses/
Fertilité
https://albivd.wordpress.com/2016/06/10/ondes-electromagnetiques-et-fertilite/
Les ondes électromagnétiques impactent la santé humaine par effet thermique, stress oxydatif et altération de l’ADN. Leur effet délétère sur les paramètres spermatiques et la réserve ovarienne est démontré in vitro et chez l’animal. Le niveau de preuve chez l’homme est insuffisant pour démontrer un impact sur l’infertilité, mais il y a un effet possible sur le risque de fausse couche. La pollution électromagnétique est ubiquitaire et de plus en plus importante dans notre environnement. À l’échelle individuelle, nous pouvons déjà agir sur notre utilisation domestique du téléphone mobile, du WIFI. L’impact des ondes électromagnétiques est lié au temps d’utilisation, à la distance de l’émetteur et au DAS (débit d’absorption spécifique). Les recommandations de l’ANSES se limitent à préconiser l’utilisation d’un kit mains libres filaire, et à préférer les téléphones mobiles de DAS faible chez les personnes vulnérables (enfants de moins de 15 ans). En tant que professionnels de santé, nous avons le devoir d’élargir ces principes de précaution aux femmes enceintes (vulnérabilité de l’embryon) et de sensibiliser l’homme infertile.
Cancers
Téléphone portable : l’OMS le classe comme « cancérogène possible »
L’OMS a relevé le risque de cancer associé aux téléphones portables et le considère maintenant comme « possible ». Une décision qui conforte l’Anses et fait vivement réagir les industriels du secteur.
Hygiene / Securite / Sante | 01 juin 2011 | Philippe Collet
http://www.actu-environnement.com/ae/news/gsm-cancerogene-possible-reactions-industriels-12694.php4
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé, à l’issue d’une réunion tenue à Lyon (Rhône) du 24 au 31 mai 2011 et réunissant 31 scientifiques issus de 14 pays, qu’il considère les champs électromagnétiques des téléphones portables comme des « cancérogènes possibles pour l’homme »classés en catégorie 2B au côté de 266 éléments.
Ce classement est le plus bas des trois catégories de l’OMS pour les agents potentiellement cancérogènes : l’échelon 2A correspond aux « cancérogènes probables » (59 agents) et la classe 1 aux « cancérogènes avérés » (107 agents).
L’usage intensif du portable pointé du doigt
Cette réévaluation du risque potentiel associé aux champs électromagnétiques concerne en particulier les gliomes, des tumeurs cérébrales cancéreuses « associées à l’usage des téléphones sans fil », précise le CIRC.
Concrètement, les chercheurs ont jugé qu’il y a des « preuves limitées » de lien entre l’usage des téléphones portables et l’occurrence de gliomes ou de neurinomes acoustiques, une tumeur nerveuse non cancéreuse. Pour l’OMS, le terme « preuves limitées » signifie qu’« une association positive a été observée entre l’exposition à l’agent et l’occurrence du cancer dont [est évaluée] la crédibilité du lien causal, mais le hasard, un biais ou une confusion ne peuvent être écartés avec une certitude raisonnable. » Si le CIRC ne chiffre pas le risque, il fait néanmoins explicitement référence à « une étude, sur l’usage passé du téléphone portable jusqu’en 2004, qui montre une hausse de 40% du risque de gliomes dans la catégorie des utilisateurs fréquents (en moyenne 30 minutes par jour sur 10 ans). »
Quant au lien entre l’usage des mobiles et d’autres types de cancers, le CIRC le juge actuellement « inadéquat », ce qui signifie que les études disponibles ne permettent pas encore de trancher.
L’Anses estime que sa position est confirmée
Sans surprise, cette nouvelle évaluation suscite de nombreuses réactions alors que le précédent classement de l’OMS, critiqué par les opposants au portable, était la base de l’argumentaire des opérateurs.
Pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), « les conclusions et les recommandations émises par le CIRC rejoignent les avis et recommandations déjà émises par l’Agence, notamment dans son rapport de 2009. » En octobre 2009, elle avait formulé des recommandations pour réduire l’exposition du public et développer la recherche. Des mesures prise en compte par la loi Grenelle 2, estime l’Anses, qui cite l’affichage du Débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones, l’obligation de fournir un kit oreillette lors de la vente d’un mobile et les mesures concernant les populations plus sensibles comme les enfants.
L’Anses rappelle par ailleurs qu’elle poursuit ses travaux sur le sujet et qu’elle a lancé un groupe de travail permanent sur le sujet, un appel à projets de recherche financé grâce au produit d’une taxe sur les émetteurs radiofréquences dont 2 millions d’euros lui sont directement affectés et un comité de dialogue « radiofréquences et santé » réunissant les parties prenantes afin d’éclairer l’Agence sur les attentes de la société dans ce domaine.
Les opérateurs pointent les biais possibles
Du côté des opérateurs, la première réaction est venu d’outre-atlantique et de l’Association internationale pour les communications sans fil (CTIA). La CTIA pointe le terme « preuves limités » et la définition donnée par l’OMS. Si l’Association rappelle que la définition fait état de possibles biais, elle passe sous silence le fait qu’une association positive ait été observée entre l’exposition à l’agent et l’occurrence du cancer étudié.
Par ailleurs, la CTIA indique que « le CIRC mène de nombreuses études et a classé par le passé les légumes vinaigrés et le café dans la même catégorie. » Ils rappellent enfin que « la Commission fédérale américaine sur les communications (FCC) a conclu qu’ ‘il n’y a pas de preuves scientifiques démontrant que l’usage des téléphones sans fil puisse causer un cancer’ [et que] l’Agence américaine des aliments et des médicaments (FDA) a aussi établi que ‘le poids des preuves scientifiques ne relit pas les téléphones portables à un quelconque problème de santé’. »
La Fédération française des télécoms (FFT), pour sa part, « prend acte que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classifié l’ensemble des ondes radio comme ‘peut-être cancérogènes pour l’homme’ (catégorie 2B) […] comme il l’a déjà fait pour 900 agents et substances présents dans des produits de consommation courante. »
Comme son homologue internationale elle pointe la classification du café et des légumes vinaigrés et indique que « le lien entre cancer et ondes radio n’est pas démontré en l’état des données scientifiques acquises. »
Il revient aux autorités sanitaires de faire évoluer leur position
Par ailleurs, la Fédération revient sur la situation française et précise que « le ministère de la Santé applique déjà une approche de précaution au téléphone mobile parce qu’il considère qu’aucun danger n’est établi, que des incertitudes demeurent et donc que les recherches doivent se poursuivre. » Contrairement à la CTIA qui cite les conclusions des organismes américains, la FFT s’appuie sur le commentaire publié par l’Anses et souligne que l’OMS rejoint la position française.
Rappelant que les opérateurs français « appliquent, depuis plusieurs années, cette approche de précaution, par exemple en incluant un kit oreillette dans chaque coffret », la FFT estime qu' »il revient maintenant à ces autorités sanitaires d’indiquer si elles font évoluer leur position pour chaque appareil et service émettant des ondes radio, compte tenu des niveaux d’exposition constatés et au regard de la classification qui vient d’être annoncée. »
Le lien entre téléphonie mobile et cancer n’est pas avéré
L’étude internationale Interphone, publiée mardi, ne permet pas non plus d’écarter les risques de tumeurs dus aux radiofréquences.
Par Paul Benkimoun Publié le 18 mai 2010 à 11h59 – Mis à jour le 18 mai 2010 à 16h19
Longtemps différés, les résultats de l’étude internationale Interphone sur les risques de tumeurs pouvant être liés à la téléphonie mobile ont été publiés, mardi 18 mai, dans l’International Journal of Epidemiology. Les chercheurs ont trouvé chez les participants ayant le plus fort taux d’utilisation de leur téléphone mobile une association entre cet usage et la survenue de certains cancers cérébraux (gliomes et méningiomes), sans qu’il leur soit possible d’affirmer un lien de causalité.
L’équipe coordonnée par le docteur Elisabeth Cardis, du Centre de recherche en épidémiologie environnementale de Barcelone, estime en effet que « les possibles effets à long terme de l’usage intensif des téléphones mobiles nécessitent de nouvelles investigations ».
Lancée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Interphone rassemble des études menées à partir de 2000, sur quatre ou cinq ans, dans treize pays : Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, Norvège, Royaume-Uni et Suède.
TUMEUR BÉNIGNE DU NERF ACOUSTIQUE
L’étude compare des individus indemnes à des sujets porteurs de l’un des quatre types de tumeurs possiblement favorisés : deux cancers du cerveau (gliome et méningiome), la tumeur bénigne du nerf acoustique et celle de la glande parotide. Les résultats publiés mardi concernent les deux cancers du cerveau, avec un total de 2 708 cas de gliome et 2 409 cas de méningiome, et sont fondés uniquement sur des déclarations d’usage du mobile recueillies lors d’entretiens.
La seule majoration du risque a été constatée pour le dixième de l’ensemble des utilisateurs de mobiles ayant déclaré le plus grand temps cumulé (supérieur ou égal à 1 640 heures) : la force de l’association est accrue de 40 % pour les gliomes et de 15 % pour les méningiomes. Cependant, les chercheurs remarquent qu’« il y a dans ce groupe des valeurs non plausibles d’utilisation déclarée ».
« Les données de l’étude ne permettent pas de mettre en évidence un risque accru de tumeurs cérébrales. Mais elles ne permettent pas non plus de conclure qu’il n’y a pas de risque », met en garde le docteur Cardis. Un avis partagé par le professeur Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l’Agence de sécurité sanitaire environnement et travail (Afsset).
Mme Cardis souligne qu’« un risque accru de gliomes – et dans une bien moindre mesure de méningiomes – a été observé chez les plus gros utilisateurs, particulièrement pour les sujets qui ont déclaré une utilisation habituelle du même côté de la tête que celui de la tumeur et, pour les gliomes dans le lobe temporal [la partie du cerveau la plus proche de l’oreille]« .
BIAIS ET ERREURS
Directeur de l’U954 de l’Inserm (Nancy) et directeur du département environnement, santé et travail à l’Ecole des hautes études en santé publique, le Pr Denis Zmirou constate que « les signaux concernant le risque de cancers cérébraux sont extrêmement discrets et si ces effets existent, ils sont très faibles ».
Les biais et les erreurs limitent la force des conclusions, estime le docteur Cardis, pour qui ces résultats sont cependant « préoccupants dans la mesure où la majorité des sujets de l’étude étaient de faibles utilisateurs comparés aux utilisateurs d’aujourd’hui, en particulier quand on pense à l’utilisation des jeunes ».
Le docteur Cardis indique que des dispositions sont prises pour limiter le même type de biais dans l’étude Mobi-Kids sur les risques éventuels liés à l’utilisation du téléphone mobile chez les jeunes, non représentés dans Interphone, qui démarre en Europe.
Les associations Priartém et Agir pour l’environnement insistent sur ce qui leur apparaît le résultat essentiel : « L’utilisation durable et intensive du portable accroît très significativement les risques de gliome et, dans une moindre mesure, du méningiome. »
Pour elles, le retard à la publication des résultats signifie qu’« il s’agit toujours pour les représentants du lobby des opérateurs de minimiser des résultats qui gênent ». De leur côté, par la voix de l’Association GSM, les opérateurs se réjouissent de l’« absence d’accroissement du risque démontré, en accord avec un vaste ensemble d’études existantes ».
Si elle juge les résultats non concluants, le docteur Cardis rappelle qu’il « existe des moyens de réduire les expositions : textos, kits main libre, haut-parleurs. Leur utilisation est raisonnable tant que nous ne pouvons pas conclure de manière plus définitive ».
Paul Benkimoun
Le téléphone portable pourrait augmenter le risque de cancer après dix ans
L’étude internationale Interphone, dont les résultats sont attendus depuis longtemps, pourrait confirmer la possibilité d’un accroissement du risque de cancer chez les utilisateurs depuis plus de dix ans.
Le Monde avec AFP Publié le 10 juin 2009 à 20h39 – Mis à jour le 10 juin 2009 à 20h39
L’étude internationale Interphone sur l’usage du téléphone portable, dont les résultats sont attendus depuis longtemps, pourrait confirmer la possibilité d’un léger accroissement du risque de certains cancers chez les utilisateurs depuis plus de dix ans.
A l’occasion d’une audition publique à l’Assemblée nationale, organisée par le député Alain Gest (UMP, Somme), Martine Hours, épidémiologiste et responsable d’Interphone pour la France, a évoqué les études menées dans cinq pays (la totalité de l’étude en couvre treize). Selon elle, ces enquêtes ne font pas apparaître d’effet notable quand l’exposition est inférieure à une durée de dix ans, mais au-delà « il pourrait y avoir quelque chose au niveau neurinome (tumeur d’un nerf), gliome (tumeur du système nerveux central) et dans une moindre mesure glande parotide (la plus importante des glandes salivaires)« .
Vis-à-vis des effets du téléphone portable, on est « dans l’incertitude », « sans éléments probants pour conclure », a-t-elle précisé. Selon elle, l’étude est « un peu trop précoce », du fait de la faible durée d’usage du téléphone portable, alors même qu’un cancer peut mettre dix à vingt ans à se développer.
Le neuro-oncologue François Berger, de l’Inserm, a estimé pour sa part qu’il y a « un impact biologique indiscutable des ondes électromagnétiques », qui sont d’ailleurs utilisées pour des thérapies. « Mais effet biologique ne veut pas dire obligatoirement risque », a-t-il déclaré, même si le risque est « possible ».
Le Monde avec AFP
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