« Empêtré dans ses courants et ses contradictions, EELV louvoie, recule devant l’obstacle de la présidentielle »
CHRONIQUE
Françoise FressozEditorialiste
Relancés après leurs bons scores aux élections européennes et municipales, les responsables d’EELV peinent à se mettre en ordre de bataille pour 2022. Dans sa chronique, Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », analyse les causes de ces difficultés.
Publié hier à 00h42, mis à jour hier à 08h09 Temps de Lecture 4 min.

Chronique. Incendies, inondations… chaque jour qui passe renforce leur discours et pourtant, un doute subsiste. Ont-ils vraiment envie de gagner ? Sont-ils prêts à présider ? De tous les prétendants à l’élection présidentielle de 2022, les Verts sont, sur le papier, les mieux placés pour disputer le trône à Emmanuel Macron. Ils ont la dynamique. Les manifestations de plus en plus visibles du réchauffement climatique servent leur cause, notamment chez les jeunes en quête d’un autre monde.
Loin d’être un feu de paille, le score à deux chiffres réalisé par la liste Jadot aux élections européennes de 2019 (13,5 % des suffrages exprimés) a été suivi par une spectaculaire poussée aux élections municipales de 2020. Les Verts ont conquis neuf villes de plus de 30 000 habitants et six de plus de 100 000 habitants. Ils ont mis fin, à Lyon, au long règne de Gérard Collomb et vaincu, à Bordeaux, l’héritier d’Alain Juppé. En dépit de l’effet grossissant qu’a eu sur leur score le niveau record de l’abstention (58,4 % au niveau national, en hausse de 20 points par rapport à 2014), la séquence électorale les a non seulement portés mais transportés dans une autre sphère.
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En 2017, ils étaient donnés pour morts, victimes des multiples sabordages que le quinquennat Hollande avait provoqués au sein de la gauche, et chez eux en particulier. Eux qui ont toujours eu de la réticence à se salir les mains dans l’exercice du pouvoir. Agir ou protester. Le débat est endémique dans ce petit parti protestataire qui se méfie comme de la peste de la verticalité de la Ve République et n’a jamais brillé à l’élection présidentielle. Absents du rendez-vous de 2017, les Verts n’ont réussi à dépasser qu’une seule fois le seuil des 5 %. C’était en 2002, l’élection maudite pour la gauche, celle qui avait entraîné la disqualification de Lionel Jospin au soir du premier tour.
Le lièvre Yannick Jadot et l’option tortue
Ce détour n’est pas fortuit pour toucher du doigt la responsabilité qui pèse aujourd’hui sur leurs épaules. Dans son livre Rouge carbone (L’Observatoire, 256 pages, 19 €), dont il faut saluer le didactisme, Laurent Fabius, qui a présidé la COP21, explique très précisément en quoi le retard pris par l’Accord de Paris est dramatique. Il rappelle qu’avec le réchauffement climatique, « ce sont la place et les conditions de vie de l’humanité qui sont en jeu ». Longtemps, les Verts ont défendu la révolution écologique comme des lanceurs d’alerte ou des opposants radicaux. Leur ambition aujourd’hui est de la piloter, ce qui suppose deux mutations profondes : accepter la personnalisation du pouvoir induite par l’élection présidentielle et surmonter quelques-unes des grandes contradictions sur lesquelles ils butent. Leur rapport au marché, par exemple, ou encore la difficulté qu’ils ont à entraîner derrière eux l’électorat populaire qui s’est révolté contre la taxe carbone.Article réservé à nos abonnés
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EELV n’y est pas encore prêt. Empêtré dans ses courants et ses contradictions, le parti louvoie, recule devant l’obstacle ; se donne du temps pour voir. Par un vote qui s’est déroulé dans la nuit de dimanche à lundi, son conseil fédéral a décidé de repousser au lendemain des élections régionales de mars prochain le processus de désignation de son candidat. L’argument avancé est que la gauche, pour peu qu’elle soit unie, a des chances d’emporter plusieurs régions, et que cette nouvelle dynamique créera un irrésistible élan en vue de la présidentielle prévue un an plus tard. L’option tortue a, de fait, sa logique. Mais le vote était aussi guidé par une raison moins avouable : mettre en minorité le lièvre Yannick Jadot, qui plaidait, lui, pour une désignation rapide afin que les Verts occupent sans tarder l’espace présidentiel, comme ont déjà choisi de le faire dans leurs camps respectifs Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Réflexe identitaire
Le désaveu en interne de Yannick Jadot n’est pas neutre. Le député européen est celui qui, chez les Verts, prône l’alliance la plus large possible, de la gauche jusqu’au centre. Il est l’élu qui clame qu’il n’a pas peur du « compromis » et dit se méfier de « la radicalité ». Il est celui qui ose assister à l’université d’été du Medef et reconnaître que « le modèle social européen est le plus protecteur du monde ». Il est le Picard qui déclare « adorer le Tour » de France quand le maire de Lyon, Grégory Doucet, juge l’événement « machiste et polluant ».Article réservé à nos abonnés
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Plus les élus Verts s’ingénient à donner des gages au noyau dur de leur électorat – jusqu’à promettre des cours d’école « dégenrées » –, plus l’ancien de Greenpeace courtise l’électorat écologiste de centre gauche et de centre droit, celui qui veut bien adapter son mode de vie, mais sans faire sienne l’idéologie décroissante. Celui que cherche aussi à retenir Emmanuel Macron lorsqu’il fustige la tentation du retour à « la lampe à huile ». En un mot, Yannick Jadot dérange le microcosme vert, qui le lui fait vertement savoir.
Le réflexe identitaire est un classique du genre. C’est lui qui, en 2012, avait conduit les Verts à choisir comme candidate à la présidentielle Eva Joly plutôt que Nicolas Hulot. Lui qui fait aujourd’hui bouillir Isabelle Saporta, la compagne de Yannick Jadot, lorsqu’elle s’exclame, en réaction aux initiatives pas forcément populaires des nouveaux maires verts : « On voudrait passer pour des ayatollahs, on ne ferait pas autre chose ! »
Il est fort possible, en réalité, que les Verts soient eux-mêmes dépassés par l’urgence climatique. Autrement dit qu’ils ne soient toujours pas murs pour la présidentielle et que, renforcés dans les territoires, ils s’en satisfassent, laissant à d’autres le soin de concourir à une élection qu’ils n’ont jamais aimée. Mélenchon est déjà installé, Hidalgo pointe son nez. Les deux affichent la couleur verte, alors à quoi bon ?
Françoise Fressoz(Editorialiste)Contribuer
Dans l’opinion, l’émergence de plus en plus forte d’un bloc « social-écologiste »
L’enquête 2020 sur les « Fractures françaises », réalisée pour Le Monde par Ipsos-Sopra Steria, souligne les nombreuses proximités idéologiques entre les sympathisants écologistes et socialistes. De quoi interroger EELV et le PS sur leur stratégie d’union pour la présidentielle de 2022.
Par Gilles Finchelstein Publié le 14 septembre 2020 à 07h00 – Mis à jour le 14 septembre 2020 à 15h04
L’enquête 2020 sur les « Fractures françaises » permet de mesurer si une union entre les partis et mouvements de l’arc s’étirant du Parti socialiste (PS) à Europe Ecologie-Les Verts (EELV) est possible. En tout cas du point de vue de l’opinion. Cette question ne doit pas seulement intéresser la gauche tant elle est potentiellement susceptible de changer la donne de l’élection présidentielle de 2022 dont le premier tour peut être une nouvelle fois décisif.
Certes, il y a loin de l’affirmation d’une sympathie partisane à l’expression d’un vote incarné, mais voici quand même le premier enseignement de l’enquête : les sympathisants d’EELV (11,7 %) et du PS (7,4 %) sont plus nombreux si on les additionne (19,1 %) que les sympathisants de La République en marche (LRM) (12,3 %), de La France insoumise (LFI) et du Parti communiste (PC) (9 %), du parti Les Républicains (LR) (11,5 %) ou du Rassemblement national (RN) (13,9 %).
Sympathisants très proches
Le passage en revue systématique des 94 principales questions offre un deuxième enseignement : les sympathisants d’EELV et du PS sont incroyablement proches.L’écart entre les uns et les autres est inférieur à dix points, et même généralement à cinq points, sur 85 % des questions. Il n’est à l’inverse jamais supérieur à 20 points quand il peut y avoir 40 points d’écart avec La France insoumise sur la confiance en l’Union européenne, avec La République en marche sur les violences policières, avec Les Républicains sur les mouvements féministes.
Comment, plus concrètement, caractériser les sympathisants de ce bloc social-écologiste ? Premier trait, ils sont mobilisés par le changement climatique et quasi unanimes à être prêts à « modifier en profondeur leur mode de vie » pour faire face à l’urgence environnementale.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à un monde en crises multiples, les Français sont en quête de protections
Deuxième trait. Ils sont préoccupés par la question sociale : à plus de 60 %, ils souhaitent qu’il y ait davantage de redistribution des plus riches vers les plus pauvres et davantage de protection envers les salariés. Dans les mêmes proportions, ils récusent la théorie du « ruissellement » selon laquelle « plus il y a de riches, plus cela profite à toute la société ». Sur tous ces points, ils se distinguent nettement des sympathisants de LRM.
Troisième trait. Ils sont à la pointe sur les questions de société : par rapport à la moyenne des Français, ils sont plus favorables à la procréation médicalement assistée (PMA) et plus opposés au rétablissement de la peine de mort ; surtout, ils sont plus sensibles aux combats féministes – aux alentours de 20 % d’entre eux estiment que les mouvements féministes vont « trop loin » contre 32 % des sympathisants LFI, 46 % des sympathisants LRM et 58 % des sympathisants LR.
Quatrième trait. Ils sont exigeants envers le régime démocratique dont ils soutiennent le principe plus que la moyenne mais qu’ils souhaitent aussi davantage que les autres plus participatif. Ils sont par ailleurs plus soucieux du respect des droits et libertés – aux alentours de 70 % d’entre eux considèrent par exemple que la police fait preuve d’un « usage excessif de la violence » contre un peu plus de 30 % pour les sympathisants LRM ou LR – mais, à 80 %, déclarent également que « l’autorité est une valeur qui est trop souvent critiquée ».
Divergences environnementales
Cinquième trait. Ils sont européens : près de 70 % considèrent l’appartenance à l’Union européenne comme une bonne chose. Mais prudemment : ils sont près de deux fois plus nombreux à souhaiter renforcer les pouvoirs de décision nationaux plutôt qu’européens et, ce qui n’était pas le cas ces dernières années, ils estiment désormais majoritairement que la mondialisation est « une menace pour la France » et qu’il faut « aller vers plus de protectionnisme ».
Cette forte identité commune ne doit cependant pas masquer une limite – les sympathisants socialistes ne sont que 38 % à juger EELV « capable de gouverner le pays », ce qui n’est guère plus que la moyenne des Français (32 %) – et une différence : l’intensité de la préoccupation environnementale. C’est vrai de la hiérarchie des préoccupations : pour les écologistes, la protection de l’environnement devance de 25 points l’avenir du système social et de 30 points la montée des inégalités sociales ; pour les socialistes, ces trois préoccupations se situent à peu près au même niveau.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les électeurs de LR en voie de poujadisation
C’est vrai aussi de l’arbitrage entre « fin du monde » et « fin du mois » : les trois quarts des écologistes sont prêts, au nom de l’urgence environnementale, à « demander aux Français et aux entreprises des sacrifices financiers » ; les socialistes sont plus réticents et se partagent sur cette question en deux parts à peu près égales.L’enquête annuelle « Fractures françaises »
La 8e vague du sondage « Fractures françaises » pour Le Monde par Ipsos-Sopra Steria, en partenariat avec le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, a été réalisée aupès 1 030 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’étude a été effectuée par Internet du 1er au 3 septembre 2020, selon la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée, catégorie d’agglomération, région).
Gilles Finchelstein(Directeur général de la Fondation Jean Jaurès)
José Bové et Noël Mamère : « Les écologistes doivent prendre la tête d’un rassemblement en mesure de transformer la société »
TRIBUNE
José Bové
Noël Mamère
Les deux figures du mouvement écologiste appellent leurs amis politiques à « se mettre en ordre de marche » en vue des prochains enjeux électoraux.
Publié le 11 septembre 2020 à 01h13 – Mis à jour le 11 septembre 2020 à 19h00 Temps de Lecture 4 min.

Tribune. Face à l’urgence climatique et au délitement social et démocratique, les écologistes sont aujourd’hui devant une responsabilité historique : répondre à la demande d’une société mobilisée qui attend toujours la formalisation politique de ses exigences écologiques et sociales. C’est vers elle qu’ils doivent, d’abord, se tourner plutôt que de gaspiller leur énergie à des discussions sans fin avec des appareils politiques « condamnés » de toute façon à s’écologiser, ou avec des formations qui ont décidé de creuser seules leur sillon.
Après avoir été les partenaires obligés de la social-démocratie pour exister politiquement, les écologistes doivent prendre la tête d’un rassemblement en mesure de transformer la société sur la base des questions qu’ils posent pour apporter des solutions en commun.
Repenser la géopolitique
En effet, après un long hiver politique, les questions que pose l’écologie sont devenues centrales et majoritaires dans la société. Elles ne sont plus le privilège des « élites » instruites mais concernent toutes les catégories sociales, de façon transversale : les familles précaires victimes des effets de la malbouffe avec le diabète et l’obésité, les « gilets jaunes », condamnés à la relégation territoriale, les travailleurs précaires et les chômeurs à la santé dégradée faute de pouvoir se soigner, les jeunes marcheurs pour le climat…
Les questions que pose l’écologie – longtemps le chaînon manquant des grandes idéologies politiques – et les réponses qu’elle propose sont aujourd’hui le lien qui associe « mécaniquement » les problématiques sociales, sanitaires et environnementales, économiques et démocratiques.
Ce faisceau de questionnements redéfinit le périmètre de la justice, avec les notions d’écocide et de justice environnementale, promeut l’égalité des droits et l’écoféminisme, nous oblige à repenser la géopolitique ; il rompt avec l’idée cartésienne, toujours dominante, selon laquelle l’homme serait « maître et possesseur de la nature », alors qu’il n’en est qu’une composante, dont l’avenir sur cette terre dépend de son respect du monde vivant…
L’écologie est bien une pensée globale et une révolution dans notre conception du monde et dans notre manière d’habiter la Terre. Elle s’impose aujourd’hui comme le meilleur outil d’analyse d’un monde abîmé où le futur a cédé la place à l’incertain.
« La question est : voulons-nous nous donner toutes les chances de l’emporter pour faire entrer la France dans la “société écologique” ?»
Dans un pays frappé par une crise sanitaire si violente pour les plus vulnérables, où les inégalités sociales et territoriales se creusent, où le poison du populisme mine chaque jour un peu plus notre démocratie fragile, les écologistes doivent promouvoir un pacte républicain qui ne peut se résumer à l’opposition entre « laïcité », « identité » et « séparatisme », spirale dangereuse que l’actuel président de la République a choisi d’emprunter, au risque d’y perdre son âme.
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Pour y parvenir, ils doivent affronter deux ennemis qu’ils connaissent bien. Au dehors, ceux qui les combattent depuis toujours : les conservateurs, les libéraux, les technocrates, les lobbys de l’agro-industrie et de l’agriculture productiviste, du nucléaire, des semenciers, de la chimie, des pétroliers, etc. Ces groupes de plus en plus puissants dictent leur loi, comme vient de le prouver le projet d’extraction de gaz en Arctique de la société Total, totalement contraire aux engagements de la France lors de la COP21, en 2015.
Ces ennemis-là, sentant le danger que représentent les écologistes, deviennent de plus en plus proactifs et déterminés à défendre leurs intérêts contre ce qui nous est commun. Preuve que, contrairement à ce que voudraient faire croire les libéraux qui tentent de l’annexer, l’écologie est un combat : contre eux et ce qu’ils représentent, et dont les jeunes générations ne veulent plus.
L’ennemi de l’intérieur
Le second ennemi auquel les écologistes doivent faire face n’est autre qu’eux-mêmes, avec leur art consommé de fomenter des guerres internes à partir de « détails » qui masquent le consensus quasi total sur leur projet de société.
Nous voyons avec inquiétude se profiler un tel scénario. Pour avoir été candidats à une élection présidentielle, nous savons à quel point cet engrenage peut être destructeur pour le parti et les idées qu’il est censé représenter. Un parti qui, par ailleurs, n’est plus à la dimension de ce que représentent les écologistes dans la société.
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Voilà pourquoi nous demandons à nos amis de régler au plus vite cette question qui préempte toutes les autres. Qu’ils se mettent en ordre de marche avant d’aborder les prochaines séquences électorales devant confirmer leur enracinement politique local. Elles doivent ponctuer le parcours vers la présidentielle et les législatives, élections majeures dans l’actuel système institutionnel à la verticalité pernicieuse.
La question est : voulons-nous y participer une fois encore comme simples figurants, ou nous donner toutes les chances de l’emporter pour faire entrer la France dans la « société écologique » ?
Au nom de celles et ceux qui vous ont ouvert le chemin et qui fondent de grands espoirs dans votre juste combat, faites preuve d’intelligence politique, parce qu’il n’y aura pas de deuxième chance !
José Bové et Noël Mamère, écologistes.
José Bové et Noël Mamère