« La réautorisation des néonicotinoïdes en France constituerait un recul démocratique majeur »
TRIBUNE
L’Assemblée nationale doit examiner, le 5 octobre, un projet de loi permettant à la filière betteravière d’avoir de nouveau recours à ce pesticide toxique. Un collectif de plus de 150 personnalités politiques, parmi lesquelles la députée Delphine Batho (Génération Ecologie), le député (EDS) Aurélien Taché ou encore le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, dénonce, dans une tribune au « Monde », une « régression environnementale ».
Publié aujourd’hui à 06h30, mis à jour à 10h19 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. Les néonicotinoïdes sont dévastateurs pour le vivant. Hautement toxiques et persistantes dans l’environnement, ces substances tuent à très faible dose les abeilles et les pollinisateurs sauvages, dont dépendent l’agriculture et notre alimentation. De très nombreuses études scientifiques démontrent la responsabilité de ces produits dans l’effondrement de plus de 80 % des populations d’insectes et d’un tiers des oiseaux des champs en France, en quelques années seulement. C’est toute la chaîne de la biodiversité qui est atteinte, des invertébrés aquatiques aux poissons, batraciens, vers de terre, mammifères jusqu’aux humains… Car oui, les risques pour la santé humaine commencent déjà à apparaître, avec des conséquences sur le développement du cerveau et des effets perturbateurs endocriniens avérés.
La France a été le premier pays au monde à interdire les néonicotinoïdes, par la loi de 2016 sur la biodiversité. Notre pays avait ainsi entraîné l’Europe qui, en 2018, a décidé de mettre fin aux autorisations des substances les plus utilisées.
Difficultés économiques
C’est cette loi pionnière, dont le président de la République lui-même se félicitait lors de son entrée en vigueur, que le gouvernement veut aujourd’hui défaire. Mettant en avant les difficultés rencontrées par la filière de la betterave à sucre, il réautorise l’usage de ces produits toxiques sur des centaines de milliers d’hectares. Là où il aurait été possible d’indemniser les producteurs et d’accompagner cette filière, qui rencontre des difficultés structurelles depuis la suppression des quotas européens, par un plan de transformation agroécologique, c’est le choix de la régression environnementale qui est fait sous la pression et au bénéfice des lobbys de l’agrochimie.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Néonicotinoïdes : la réautorisation annoncée de ces insecticides neurotoxiques sur la betterave ravive la polémique
Des solutions alternatives existent pourtant, plus respectueuses des agricultrices et agriculteurs et de leur santé, du vivant, des terroirs et de l’environnement, basées sur la lutte intégrée et la préservation des écosystèmes. Il eût été plus judicieux de mobiliser la recherche publique pour vulgariser ces techniques.
Le projet de loi qui sera examiné le 5 octobre à l’Assemblée nationale constitue bien plus qu’un reniement. Il crée un précédent : désormais, il suffira d’une difficulté économique dans un secteur pour justifier une annulation des mesures prises précédemment.
Des années de combat mises à bas
Ce projet de loi est basé sur des arguments obscurantistes, niant les conclusions de centaines d’études scientifiques sur la toxicité aiguë des néonicotinoïdes et leur caractère incontrôlable dans l’espace et dans le temps. Il repose sur un mensonge : présenté comme destiné à ne combattre que la jaunisse de la betterave, il sert de cheval de Troie pour une remise en cause bien plus fondamentale de la loi.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les pesticides néonicotinoïdes continuent à menacer les abeilles, même lorsqu’ils ne sont plus utilisés
Ainsi, le texte du gouvernement prévoit qu’un simple décret pourra autoriser des substances néonicotinoïdes jusqu’ici bannies de France et que des dérogations, permettant l’utilisation de produits interdits eux en Europe, pourront être accordées à tous les types de productions, sur tout le territoire national.
S’il est adopté, ce texte mettra à bas des années de combats, portés en particulier par les apicultrices et les apiculteurs et les associations environnementales, qui avaient réussi à convaincre une majorité de parlementaires, par-delà les sensibilités politiques.
Volte-face sans précédent
Plus grave encore, il constitue un contresens historique. En pleine pandémie mondiale dont les origines sont probablement liées à la destruction des écosystèmes, et alors que le rythme d’effondrement de la biodiversité est sidérant (68 % des vertébrés sauvages ont disparu depuis 1970, selon WWF), la protection du vivant devrait au contraire être au centre de toutes les attentions. A l’heure de l’extinction de masse du vivant, nous ne pouvons cautionner cette volte-face sans précédent.
Dans ce contexte d’urgence écologique, la réautorisation des néonicotinoïdes en France constituerait un recul démocratique majeur, totalement contraire à la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, et au principe de non-régression [présent dans la loi biodiversité de 2016], selon lequel les dispositions réglementaires et législatives en matière de protection de l’environnement ne peuvent faire l’objet « que d’une amélioration constante ».
Il est encore temps d’empêcher un écocide. Parce que nous n’avons pas de planète B, nous, organisations signataires de cette tribune, appelons toutes les citoyennes et tous les citoyens à se mobiliser et à interpeller les parlementaires, pour qu’ils s’opposent à cette loi indigne.
Liste complète des signataires de la tribune néonicotinoïdes by Christine Rousseau on Scribdhttps://fr.scribd.com/embeds/476983001/content?start_page=1&view_mode=scroll&access_key=key-qaxtnshePRauAOl8jYzU
Néonicotinoïdes : la filière de la betterave présente un plan pour s’en passer d’ici 2024
L’Inrae et l’Institut technique de la betterave présentent leurs recherches pour trouver, d’ici trois ans, des alternatives aux néonicotinoïdes. La filière pourrait bénéficier d’une dérogation jusqu’en 2024 au grand dam des défenseurs de l’environnement.
Agroécologie | 22 septembre 2020 | Sophie Fabrégat | Actu-Environnement.com

Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à discuter du projet de loi ouvrant la voie à des dérogations sur l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et l’Institut technique de la betterave (ITB) ont présenté, le 22 septembre, le plan de recherche visant à trouver des solutions contre la jaunisse pour la filière des betteraves à sucre. « L’objectif n’est pas de trouver une solution équivalente aux néonicotinoïdes en trois ans. Il s’agit, en mobilisant différents leviers, de proposer des solutions qui permettront de réduire les risques de manière sensible », a expliqué Philippe Mauguin, le PDG de l’Inrae. Pas de dérogation mais des indemnisations ?Les députés du groupe Écologie Démocratie Solidarité ont annoncé qu’ils voteront contre le projet de loi permettant des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes. Ils s’opposent à un retour des néonicotinoïdes dans les champs, alors que ces substances ont des impacts avérés sur les abeilles, les insectes et les oiseaux des champs. « Le Gouvernement veut faire payer à la biodiversité le manque d’action politique depuis quatre ans », dénonce Matthieu Orphelin.
Plutôt que des dérogations, ils proposent de mettre en place des indemnisations pour les agriculteurs qui subiraient des pertes importantes, le temps de la mise en place d’alternatives. Ils demandent la création d’un mécanisme d’indemnisation basé sur le renforcement du Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Il s’agirait de doter ce fond de 100 M€ sur trois ans et d’indemniser les agriculteurs ayant des pertes supérieures à 30 %.
Par ailleurs, ils proposent la création d’un dispositif d’assurance récolte publique, auquel les agriculteurs cotiseraient « à un coût inférieur à celui des traitements chimiques », indique Delphine Batho. « Il ne faut pas chercher la sécurité dans la chimie », a ajouté l’ancienne ministre de l’Écologie, soulignant que l’année 2020 était exceptionnelle en termes d’attaques et qu’il était absurde de généraliser le recours aux néonicotinoïdes en prévention pour les trois prochaines années.
Pour rappel, en 2020, les cultures de betteraves à sucre ont été infestées par des pucerons verts, porteurs de la jaunisse. Les parcelles les plus touchées pourraient afficher des pertes de rendement de 40 %. Au total, la filière prévoit des pertes de l’ordre de 15 %, contre 0,5 à 0,8 % l’année précédente. Pointant l’absence de solutions opérationnelles contre ces pucerons, elle a donc demandé une dérogation pour utiliser, au cours des trois prochaines saisons culturales, des semences enrobées de néonicotinoïdes. Un appel entendu par le Gouvernement qui a demandé, en contrepartie, à la filière de se mobiliser autour d’un plan pour identifier les solutions alternatives d’ici 2024, date de fin de la dérogation envisagée. Ce plan bénéficiera d’un financement public de 7 millions d’euros sur trois ans.
Pas d’alternative chimique ou non chimique opérationnelle
Depuis deux ans, la filière des betteraves doit se passer des néonicotinoïdes. Si 2019 n’a pas connu de fortes attaques de pucerons, les températures élevées du printemps 2020 ont provoqué de fortes infestations. Les alternatives chimiques à l’imidaclopride, fabriquées à base de lambda-cyhalothrine et de pirimicarbe, se sont révélées inefficaces : « Les pucerons sont devenus résistants », explique Vincent Laudinat, directeur général de l’ITB.
« D’autres produits commerciaux, plus efficaces et surtout plus sélectifs des pucerons sont aujourd’hui utilisés, et notamment le Teppeki (flonicamide) et le Movento (spirotétramate) sur dérogation. Néanmoins, l’utilisation de ces deux substances actives en 2020 n’a pas permis de contrôler suffisamment les populations de pucerons sur l’ensemble du territoire, et elles ne constituent pas une solution durable », indiquent l’Inrae et l’ITB.
D’où une demande de dérogation pour les prochaines saisons culturales, le temps de trouver et de diffuser des solutions alternatives auprès des agriculteurs. « Il y a des voies prometteuses mais, aujourd’hui, il n’y a pas de voie opérationnelle à grande échelle pour une année comme 2020 », souligne Philippe Mauguin.
Agronomie, bioagresseurs et variétés résistantes
Trois pistes sont envisagées par l’Inrae et l’ITB pour lutter contre les pucerons : les variétés résistantes, la régulation biologique et l’agronomie.
Les catalogues de variétés vont être étudiés pour trouver des variétés présentant des caractères de résistance intéressants. Si c’est le cas, l’information pourra être diffusée massivement pour une utilisation à grande échelle d’ici 2023, estime Philippe Mauguin. En parallèle, des recherches de croisement entre variétés sauvages et cultivées sont menées, avec des résultats prometteurs. Ces variétés hybrides pourraient être mises sur le marché, au plus tôt, en 2023.
La filière mise également sur le biocontrôle, et sur une espèce en particulier : l’hyménoptère parasitoïde. Cette micro guêpe pond des œufs à l’intérieur de ses proies. La larve, en se nourrissant des organes de son hôte, entraîne sa mort. Cela permettrait de réduire les populations de pucerons. En parallèle, les recherches porteront sur des plantes compagnes qui émettent des substances répulsives.
Enfin, l’agronomie pourrait avoir un rôle à jouer dans la protection des abeilles et des pollinisateurs, particulièrement touchés par les traitements à base de néonicotinoïdes. L’idée est d’insérer, à proximité des cultures de betteraves, des bandes de plantes mellifères afin d’y attirer les pollinisateurs et de les détourner des parcelles de betteraves. « Nous avons un travail à mener sur le calibrage de ces bandes. Leur superficie est importante, mais leur répartition au sein des cultures l’est aussi », explique Philippe Mauguin de l’Inrae.
Pour tester ces solutions, 500 à 1 000 hectares de cultures betteravières seront mises à disposition de la recherche dans différentes régions.
Sophie Fabrégat, journaliste
Rédactrice spécialisée
Réintroduction temporaire des néonicotinoïdes : des députés autorisent sous conditions
Malgré l’opposition des écologistes, les députés ont validé le texte en lui apportant certains garde-fous pour encadrer les dérogations dispensées aux producteurs de betteraves.
Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 02h24, mis à jour à 09h12

La ferme opposition des écologistes n’aura pas suffi. Les députés ont donné, mercredi 23 septembre, leur accord, mais sous conditions, au projet de loi permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes afin de sauver la filière betteraves.
Les députés, qui examinaient le projet de loi controversé en commission des affaires économiques, ont validé le texte en lui apportant certains garde-fous, conformes aux attentes du groupe La République en marche (LRM), mais loin de satisfaire les opposants, qui réclament son abandon pur et simple.
Une partie d’entre eux avaient en milieu de journée manifesté leur colère à quelques encablures du Palais-Bourbon, en organisant un happening de « 577 abeilles », soit le nombre de députés à l’Assemblée nationale, sur l’esplanade des Invalides, au milieu de la fumée soufflée par des enfumoirs d’apiculteurs.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La réautorisation des néonicotinoïdes en France constituerait un recul démocratique majeur »
Dans une tribune publiée sur le site du Monde, quelque 150 personnalités de gauche et écologistes ont par ailleurs alerté sur le « recul démocratique majeur »et le « contresens historique » que constitue le projet de loi, conçu, selon eux, « sous la pression des lobbys de l’agriculture ».
La défense de la filière sucrière française comme argument
« Personne n’est “pronéonicotinoïdes” », a défendu en commission des affaires économiques le rapporteur LRM du texte, Grégory Besson-Moreau (Aube), selon qui la mesure n’est pas « un chèque en blanc » à la filière betteravière et programme « la fin des néonicotinoïdes » à l’horizon 2023.
Face au danger de la « jaunisse de la betterave », transmise par un puceron vert vecteur du virus qui se développe sur les cultures dont les semences n’ont pas été enrobées au préalable de cet insecticide néfaste pour les abeilles, la France prévoit des dérogations temporaires pour permettre à ses agriculteurs de le réutiliser.Lire aussi La filière de la betterave et du sucre présente un plan de transition pour les néonicotinoïdes
Le gouvernement s’appuie sur l’article 53 du règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l’interdiction de certains produits lorsqu’il existe un « danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».
La baisse des rendements induite menace la pérennité de la filière sucrière française, qui emploie 46 000 personnes, dont une bonne partie dans des usines de transformation, argue la profession.
Des dérogations encadrées par un conseil de surveillance
« C’est une question de souveraineté », a mis en avant le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, alors que onze pays producteurs européens ont autorisé les dérogations pour les néonicotinoïdes. Le ministre regrette l’absence d’« alternatives », mais, selon lui, le projet de loi prépare la « transition ».
Soutenu par Les Républicains (LR), mais pilonné à gauche et par le groupe Ecologie démocratie solidarité (EDS) emmené par l’ex-ministre de l’environnement Delphine Batho, le projet de loi arrive au mauvais moment pour le gouvernement et LRM, qui souhaitaient engager un virage écologique symbolisé par la convention citoyenne pour le climat.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les néonicotinoïdes sont des substances trop efficaces et trop persistantes pour que leur usage puisse être contrôlé »
La commission a adopté six amendements dont quatre sur le fond bordant davantage la mesure controversée à laquelle certains « marcheurs », comme le député de Loire-Atlantique Yves Daniel, sont opposés. Ceux-ci visent à encadrer les dérogations par la création d’un conseil de surveillance où figureront quatre parlementaires. Il devra se réunir tous les trois mois et surveillera notamment « l’état d’avancement du plan de prévention mis en œuvre par la filière de production betteravière ».
Les députés ont, en outre, précisé que les dérogations visaient explicitement les betteraves sucrières, ce que le gouvernement avait certifié, sans vouloir l’inscrire dans le texte craignant une censure du Conseil constitutionnel.
En commission, les députés ont aussi voté pour interdire, après l’usage de néonicotinoïdes, les cultures attirant les pollinisateurs, durant un temps encore à déterminer. Le but est d’éviter l’exposition immédiate des insectes pollinisateurs aux résidus de produits chimiques. Les députés doivent désormais débattre du texte en séance, le 5 octobre.
Le Monde avec AFP