Biodiversité : aucun des vingt objectifs d’Aichi n’est atteint
En 2010, les États membres de la convention sur la diversité biologique se donnaient vingt objectifs à atteindre d’ici 2020. Le bilan final des Nations unies montre qu’aucun d’entre eux n’a été pleinement atteint. Biodiversité | 15 septembre 2020 | Laurent Radisson | Actu-Environnement.com

© JAG IMAGES23,7 % des espèces sont menacées d’extinction si les facteurs de perte de biodiversité ne sont pas réduits de manière drastique.
Alors que le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 doit être adopté lors de la COP 15 à Kunming (Chine) en mai 2021, l’ONU publie le 5e rapport sur les Perspectives mondiales de la diversité biologique (GBO-5). Ce document établit un état mondial de la nature qui doit servir de base scientifique à ce nouveau cadre.
« L’humanité se trouve à la croisée des chemins en ce qui concerne l’héritage que nous souhaitons laisser aux générations futures », avertit Élizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive de la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB). Une façon diplomatique de dire que le bilan final des vingt objectifs mondiaux de 2010 en matière de biodiversité, plus connus sous le nom d’ « objectifs d’Aichi », est catastrophique. Et qu’un changement de cap doit être engagé de toute urgence pour « sauver la planète ».
Un soutien de 500 Md$/an aux activités nuisibles à la biodiversité
Selon les rapports nationaux remis au secrétariat de la CDB et les dernières découvertes scientifiques, seulement sept des 60 critères de réussite des objectifs ont été atteints. Soit moins de 12 %. Globalement, seuls six objectifs sur vingt ont été partiellement atteints.
Quelques points positifs sont mis en avant, mais ils sont très minces. C’est le cas d’actions exemplaires qui ont permis de ralentir l’extinction de certaines espèces. Les quelques « réussites » concernent l’identification des espèces exotiques envahissantes, le pourcentage d’espaces protégés, l’élaboration de stratégies nationales pour la biodiversité, l’amélioration de la connaissance sur la biodiversité, ou encore l’aide publique au développement. Mais ces réussites ne sont que partielles car, dans le même temps, les objectifs associés, liés à la qualité des zones protégées, au partage des connaissances ou à une augmentation homogène des ressources financières, ne sont pas atteints. On est donc très loin d’une reconquête.
Pire, pour quinze critères, aucune amélioration n’a été constatée. Ainsi, les subventions nuisibles à la biodiversité l’emportent de loin sur les incitations positives dans des domaines tels que la pêche ou le contrôle de la déforestation. Le soutien aux activités nuisibles à la biodiversité s’élève à 500 milliards de dollars (Md$) par an alors que les ressources dédiées chaque année à sa protection sont comprises entre 78 et 91 Md$. L’incidence de l’utilisation des ressources naturelles demeure bien au-delà des limites écologiques sûres. Le déclin des zones de nature sauvage et des zones humides se poursuit à travers le monde, la fragmentation des rivières étant qualifiée de « menace grave pour la biodiversité de l’eau douce ». Quant à la pollution par les engrais, les pesticides et les plastiques, elle « continue d’être un facteur important de perte de biodiversité ». Les pressions anthropiques sur les récifs coralliens et d’autres écosystèmes vulnérables continuent de s’exercer via les changements climatiques et l’acidification des océans.
Les espèces se rapprochent de l’extinction
Un tiers des stocks de poissons marins fait l’objet d’une surpêche. Une proportion plus élevée qu’il y a dix ans. Et de nombreuses pêcheries ont des impacts marqués sur des espèces non ciblées et endommagent les habitats marins. « En moyenne, les espèces continuent de se rapprocher de l’extinction », rapporte froidement le résumé du rapport à l’intention des décideurs, corroborant les conclusions du rapport Planète Vivante du WWF publiées le 10 septembre. Les auteurs chiffrent à 23,7 % les espèces menacées d’extinction si les facteurs de perte de biodiversité ne sont pas réduits de manière drastique. Ce qui correspond au million d’espèces menacées identifiées par l’IPBES dans son évaluation de l’état mondial de la biodiversité publié en mai 2019.Les systèmes vivants de la Terre dans leur ensemble sont en danger Élisabeth Maruma Mrema « La diversité génétique des plantes cultivées, des animaux d’élevage et domestiques, et des espèces sauvages apparentées, continue de s’éroder », rapportent les auteurs. La capacité des écosystèmes à fournir les services essentiels dont dépendent les sociétés, qu’il s’agisse de pollinisation, d’alimentation ou de médecine, continue parallèlement de décliner.
« Fixer des objectifs simples »
Face à ce constat pour le moins inquiétant, les Nations unies appellent à un changement de cap de tout urgence. Le rapport décrit les transitions qui s’imposent dans huit domaines : terres et forêts, agriculture durable, systèmes alimentaires durables, pratiques de pêche et océans, villes et infrastructures, eau douce, approche « un monde, une santé ».
« Beaucoup de choses positives se produisent à travers le monde, il faut les souligner et les encourager. Néanmoins, le rythme de la perte de biodiversité est sans précédent dans l’histoire de l’humanité et les pressions sur le monde naturel s’intensifient. Les systèmes vivants de la Terre dans leur ensemble sont en danger », alerte Élisabeth Maruma Mrema. « À mesure que le monde naturel se dégrade , poursuit la secrétaire exécutive de la CDB, de nouveaux risques de propagation de maladies dévastatrices entre les humains et les animaux, comme le coronavirus de cette année, se présentent ».
Reste à découvrir ce qui permettra de réussir aujourd’hui ce qui ne l’a pas été hier. « Il faut fixer des objectifs simples pour réussir la mobilisation », expliquait Yann Wehrling en 2019 à l’orée des grands rendez-vous internationaux sur la biodiversité. « Les objectifs d’Aichi, certes très justes, n’étaient pas très lisibles pour les parties prenantes et encore moins pour l’opinion publique. Il faudra fixer moins d’objectifs mais les rendre plus clairs, plus « appropriables », comme par exemple le nombre d’hectares d’habitats naturels ou d’espèces à préserver, ou le « zéro perte nette de biodiversité » », détaillait l’ambassadeur français délégué à l’environnement.
Cette approche nécessite aussi de mobiliser les acteurs non étatiques et de mettre au point des référentiels partagés de mesure de leur empreinte sur la biodiversité. Du côté des États, et avant même le grand rendez-vous de la COP 15, le sommet des Nations unies sur la nature du 30 septembre prochain permettra de savoir quel accueil ils vont réserver à ces conclusions.
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef délégué aux marchés HSE
Biodiversité : les Nations unies appellent à « une ambition beaucoup plus grande »
Malgré des progrès, aucun des objectifs internationaux de protection de la nature adoptés il y a dix ans n’a été atteint, les efforts de protection étant insuffisants face à l’ampleur des pressions sur le milieu naturel.
Par Perrine Mouterde Publié le 15 septembre 2020 à 15h15 – Mis à jour le 15 septembre 2020 à 16h29
Par Perrine Mouterde Publié le 15 septembre 2020 à 15h15 – Mis à jour le 15 septembre 2020 à 16h29

C’est un constat d’échec, malgré certaines avancées. Alors que les négociations sont en cours pour définir le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, les Nations unies dressent le bilan définitif de la feuille de route adoptée il y a dix ans : aucun des vingt « objectifs d’Aichi » n’a été pleinement atteint. Seuls six sont considérés comme ayant été « partiellement atteints » au niveau mondial.
« Entre 2011 et 2020, les pays se sont efforcés de s’attaquer aux causes de la perte de biodiversité, écrit le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans la cinquième édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique (GBO5), publiée mardi 15 septembre. Cependant, ces efforts n’ont pas été suffisants pour atteindre la plupart des objectifs d’Aichi. Une ambition beaucoup plus grande est nécessaire. »
En 2010, le plan stratégique adopté lors de la Conférence des parties (COP) de la Convention sur la diversité biologique (CDB) à Nagoya, au Japon, est pourtant qualifié d’historique. Il prévoit, d’ici à 2020, que les zones consacrées à l’agriculture, à l’aquaculture et à la sylviculture soient « gérées d’une manière durable », la pollution « ramenée à un niveau n’ayant pas d’effet néfaste sur les fonctions des écosystèmes et la diversité biologique », ou encore que « l’extinction d’espèces menacées connues soit évitée ».
« La dernière réunion plénière à Nagoya s’est terminée aux premières heures du jour ; tout le monde était heureux que les pays se soient mis d’accord, pour la première fois, sur un certain nombre d’objectifs, se souvient Anne Larigauderie, la secrétaire exécutive de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes). Cela a suscité un grand espoir. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les populations de vertébrés ont chuté de 68 % en moins de cinquante ans
Des progrès pour les aires protégées
Depuis, des progrès ont été accomplis. Dans ses Perspectives mondiales, la CDB énumère les avancées : le taux de déforestation a diminué d’environ un tiers par rapport à la décennie précédente à l’échelle mondiale ; là où de bonnes politiques de gestion des pêches ont été introduites, l’abondance des stocks de poissons a été maintenue ou reconstituée ; les ressources disponibles destinées à la biodiversité ont pratiquement doublé – les subventions néfastes, en revanche, n’ont pas diminué.
Parmi les succès les plus notables, la superficie des aires protégées est passée d’environ 10 % à au moins 15 % des terres et de 3 % à 7 % des mers. Le rapport souligne aussi que, sans les mesures de conservation mises en œuvre depuis dix ans, les extinctions d’oiseaux et de mammifères auraient probablement été deux à quatre fois plus élevées. Une étude, publiée mercredi 9 septembre dans la revue Conservation Letters, établit que ces efforts ont permis d’empêcher l’extinction de 9 à 18 espèces d’oiseaux et de 2 à 7 espèces de mammifères depuis 2010. Au total, depuis l’entrée en vigueur de la convention sur la diversité biologique, en 1993, ce sont 48 espèces d’oiseaux et de mammifères qui ont été sauvées.
« Il y a eu des progrès spectaculaires concernant les aires protégées et beaucoup d’efforts pour la protection des espèces, relève Paul Leadley, contributeur du GBO5, principal auteur du rapport de l’Ipbes de 2019 et professeur en écophysiologie végétale à l’université Paris-Saclay. Si l’on n’avait rien fait, la situation serait bien pire. Mais le problème, c’est que les pressions sur la biodiversité, comme la dégradation des terres ou la pollution, ont considérablement augmenté. Les efforts ont été insuffisants pour y faire face. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi Biodiversité : une espèce sur huit, animale et végétale, risque de disparaître à brève échéance
Le rapport de la CDB s’appuie aussi sur les rapports nationaux. A l’échelle des Etats, un peu plus d’un tiers des objectifs sont en voie d’être atteints ou dépassés. Pour la moitié d’entre eux, des progrès sont réalisés mais à un rythme insuffisant. L’ONU rappelle toutefois que les objectifs nationaux sont généralement moins ambitieux que ceux d’Aichi.
« Ce qui a manqué depuis 2010, c’est un grand élan, regrette Anne Larigauderie. Nous n’avons pas encore réussi à faire comprendre combien les enjeux liés à la nature sont au cœur de toutes les problématiques mondiales. Ce n’est pas seulement une histoire de décor ou d’espèces charismatiques dans des pays lointains. Toutes les questions liées à l’alimentation, à l’eau, au développement ou à la santé sont dépendantes d’un environnement sain. S’il n’y a pas de prise de conscience et d’ambition politique, le reste ne suit pas. »
Alors que la nouvelle feuille de route pour les dix prochaines années doit être adoptée lors de la COP15 prévue en 2021 à Kunming, en Chine, les responsables onusiens appellent à tirer les leçons de ces Perspectives mondiales. « Ce rapport est une étape importante sur le parcours vers la COP », insiste Elizabeth Maruma Mrema, la secrétaire exécutive de la CDB. En s’appuyant sur les différents rapports sur la biodiversité, et notamment sur celui de l’Ipbes de 2019 ou sur celui du Fonds mondial pour la nature (WWF), le GBO5 réaffirme l’ampleur du déclin et l’urgence à agir.
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« Pas de solution miracle »
Surtout, les auteurs du rapport insistent sur le fait qu’il existe bien des options pour, simultanément, inverser la perte de biodiversité, limiter le dérèglement climatique et atteindre d’autres objectifs, comme l’amélioration de la sécurité alimentaire. Les solutions pour y parvenir sont connues, assurent-ils, mais elles exigent des actions « audacieuses et menées de front » dans un certain nombre de domaines. Il faut tout à la fois intensifier considérablement les efforts de conservation et de restauration de la nature, lutter contre le changement climatique de manière à limiter l’élévation de la température mondiale sans imposer de pressions supplémentaires sur la biodiversité, et transformer la façon dont nous produisons, consommons et échangeons des biens et services – notamment notre système alimentaire.
« Ce rapport envoie un message très clair aux dirigeants : il est possible d’infléchir la courbe de la perte de biodiversité avec beaucoup d’ambitions, mais il n’y a pas de solution miracle, insiste Paul Leadley. S’ils disent, à l’issue de la COP15 : “Nous nous sommes engagés à protéger 30 % de la planète, le problème est réglé”, ça n’ira pas. D’autres changements en profondeur sont nécessaires. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’ONU propose de protéger 30 % de la planète d’ici à 2030
L’ONU identifie huit domaines en particulier dans lesquels une véritable « transition », en vue notamment d’une gestion plus durable, doit être menée : les terres et les forêts, l’eau douce, les pêcheries et les océans, l’agriculture, le système alimentaire, les villes et infrastructures, le changement climatique et la mise en œuvre de l’approche One Health (Une seule santé) pour une approche intégrée des santés humaine, animale et environnementale.
Basile van Havre, l’un des coprésidents de la COP15, assure que l’élaboration du futur cadre mondial pour la biodiversité prend en compte les leçons de la décennie d’Aichi. « Nous cherchons à établir des objectifs réalistes, atteignables et, espérons-le, associés à des moyens financiers suffisants, avec un système d’ajustement rapide des actions et, surtout, un engagement de tous les acteurs – pas seulement des ministères de l’environnement mais aussi de l’ensemble des gouvernements et des autres acteurs socio-économiques », explique-t-il.
« Nous savons ce qui doit être fait, ce qui fonctionne et comment nous pouvons obtenir de bons résultats, insiste Inger Andersen, directrice exécutive du programme des Nations unies pour l’environnement. Si nous n’agissons pas, la biodiversité continuera de fléchir sous le poids du changement d’utilisation des terres et de la mer, de la surexploitation, du changement climatique, de la pollution et des espèces exotiques envahissantes. Cela nuira davantage à la santé humaine, aux économies et aux sociétés. »Lire aussi notre éditorial : Urgence sur la disparition des vertébrés