Face à la sécheresse, les retenues d’eau artificielles, une solution de très court terme
Stocker en surface les pluies d’hiver en prévision de l’été est une idée dénoncée par les hydrologues qui défendent au contraire une recharge des nappes souterraines.
Par Martine Valo Publié le 08 août 2020 à 12h40 – Mis à jour le 10 août 2020 à 10h29

Les uns après les autres, quand arrivent les mois chauds qui assèchent les sols et les rivières en France, les ministres de l’agriculture avancent la même réponse comme frappée du sceau de l’évidence : si l’eau manque en été, il n’y a qu’à la stocker en hiver. C’est d’ailleurs la demande récurrente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Pour affronter le réchauffement climatique, il faudrait, selon le syndicat majoritaire des exploitants agricoles, multiplier les retenues sur des rivières et des bassines – au nom trompeur puisqu’elles occupent en général plusieurs hectares chacune –, alimentées par pompage dans les cours d’eau et les nappes souterraines, les pluies et les ruisseaux étant loin de suffire à remplir ces installations conséquentes largement subventionnées.
En août 2019, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’alors, Didier Guillaume, déclarait vouloir une soixantaine de retenues de ce genre pour soutenir l’agriculture irriguée. Un an plus tard, son successeur nouvellement nommé, Julien Denormandie, ingénieur agronome de formation, avance à son tour cette idée. « Pour permettre d’avoir l’eau l’été [il faut] capter l’eau de l’hiver. C’est aussi simple que cela, c’est le bon sens qui nous anime, a-t-il déclaré au micro d’Europe 1, le 31 juillet. Il faut parfois, sur des territoires, faire des retenues d’eau un peu plus massives et ça, dans notre pays, ça prend huit à dix ans parce qu’on a toujours une palanquée de recours. »
Il s’interrogeait déjà la veille devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : « Comment peut-on simplifier les choses de façon réglementaire pour aller plus vite, sachant qu’une loi prendrait trop de temps et ne simplifierait peut-être pas grand-chose ? Je veux vraiment travailler là-dessus. » Le ministre glissait au passage en avoir « déjà parlé avec Barbara Pompili », son homologue de la transition écologique. La question est sensible car elle est source de discorde depuis des années entre les deux ministères, qui n’ont ni l’un ni l’autre répondu aux sollicitations du Monde.
Dégradation des milieux naturels
Sivens, Caussade, la vingtaine de retenues d’eau de la Sèvre niortaise, pour ne citer que quelques projets qui ont cristallisé les tensions : les associations de défense de l’environnement tirent fréquemment à boulets rouges sur ces nouvelles infrastructures. Elles les combattent devant la justice et en manifestant sur place, au nom du nécessaire partage d’une ressource hydrique qui devient plus rare et de moins en moins bonne qualité, et de la sauvegarde de la biodiversité. Le Comité français de l’union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’histoire naturelle ont ainsi fait savoir, en juillet 2019, que 15 des 80 espèces de poissons d’eau douce présentes en France métropolitaine sont menacées de disparition en raison de la dégradation, voire de la destruction, des milieux naturels.Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Cette année, le sol est sec comme de la pierre, c’est à faire mourir les prairies naturelles »
Or les nappes souterraines qui alimentent les sources, permettant aux rivières de couler l’été, ont besoin de se recharger durant les saisons arrosées grâce aux pluies qui s’infiltrent par les sols des espaces naturels, des zones humides en particulier. Celles-ci filtrent d’ailleurs au passage une part des contaminations. Mais certaines régions, le Massif central par exemple, connaissent aujourd’hui leur quatrième été de sécheresse consécutif. Alors même si l’automne et l’hiver 2019-2020 se sont montrés généreux en précipitations, la question de la recharge des nappes va se poser si l’eau est de plus stockée en surface.
L’Observatoire national des étiages (ONDE) constate qu’au moins 17 % des 3 200 cours d’eau qu’il surveille sont déjà à sec. Ce dispositif est l’un des outils à la disposition des pouvoirs publics pour décider des arrêtés sécheresse qui restreignent l’arrosage des jardins, le lavage des voitures, le remplissage des piscines et autres usages domestiques. Dans certains départements, le secteur agricole, qui consomme la majorité de la ressource, est aussi contraint de limiter ses prélèvements.
Les barrages assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides
« Bien sûr qu’il faut retenir l’eau, mais dans les sols, pas en surface où une bonne part va s’évaporer par fortes chaleurs, affirme l’hydrogéologue Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et vice-président du Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne). Des études récentesont conclu que les pertes sur les lacs de l’Ouest américain peuvent atteindre 20 % à 60 % des flux entrants, c’est considérable. D’autres, réalisées en Espagne, ont conclu que dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues. »
Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. La problématique est la même pour les grandes bassines, explique-t-il en substance. « C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées », conclut-il.
Son point de vue est partagé par nombre d’hydrologues. Ainsi Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie (directrice de recherche CNRS et professeure attachée à l’Ecole normale supérieure) déclarait-elle au Monde, à l’été 2019 : « Le moyen le plus efficace de garder la ressource hydrique, ce sont les nappes et les sols qui se gorgent de volumes conséquents et les transfèrent vers le sous-sol. Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre (…). En outre, le remplissage de ces infrastructures en automne peut contribuer à augmenter la durée des pénuries. »

