Covid-19 : les chiffres de la mortalité de cet été prouvent-ils que « l’épidémie est terminée » ?
De nombreux internautes ont partagé un texte soutenant que le Covid-19 ne représenterait plus aucun danger en France depuis la fin du mois de mai.
Par Assma Maad Publié hier à 11h54, mis à jour hier à 13h21
C’est une petite musique qui se fait entendre sur les réseaux sociaux, et dans l’esprit d’un certain nombre de Français : l’épidémie de Covid-19 serait derrière nous. Ce discours a connu une certaine popularité la fin du mois d’août sur Facebook, avec texte encadré relayé des milliers de fois.
Ce que dit la rumeur
Le message annonce que l’épidémie de Covid-19 « est terminée depuis fin mai »,avec pour « preuve » les chiffres de la mortalité, toutes causes confondues, émanant de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) aux mois de juin et juillet, au cours des trois dernières années :
« Nombre de morts en France toutes causes confondues uniquement pour les mois de juin + mois de juillet : 2018 = 93 358. 2019 = 94 600. 2020 = 92 700. »
Sur cette publication, partagée dans des pages consacrées au professeur Didier Raoult, en soutien aux « gilets jaunes », ou au sein de groupes antimasques, il est précisé qu’« en juin-juillet 2020, il y a 2 000 morts de moins qu’en 2019 ». Ce qui expliquerait qu’il n’y ait pas eu de surmortalité liée au coronavirus cet été, et donc que l’épidémie serait derrière nous.
Les chiffres avancés sur cette image sont vrais, mais la conclusion qui en découle est erronée.

POURQUOI CES CHIFFRES DE DISENT RIEN SUR LA FIN DE L’ÉPIDÉMIE
- Des chiffres provisoires et décontextualisés
Pour suivre l’évolution de la mortalité en France, l’Insee publie des statistiquessur le nombre de morts, toutes causes confondues. Que montrent-elles ?
– aux mois de juin et juillet 2018, il y a bien eu 93 358 décès dans le pays (45 027 en juin, 48 331 en juillet) ;
– sur la même période en 2019, 94 600 décès (46 500 en juin, 48 100 en juillet) ;
– sur la même période en 2020, 92 700 décès (46 100 en juin, 46 600 en juillet).
Ces données attestent qu’il n’y a en effet pas eu de surmortalité au cours de ces deux mois par rapport aux années précédentes. Sur ce point, le texte dit vrai.
Mais ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. L’écart des « 2 000 morts de moins qu’en 2019 », qui sert ici de preuve de l’absence de surmortalité liée au Covid-19, est à mettre au conditionnel. Les statistiques de 2020 sont encore provisoires. Ces chiffres « vont probablement augmenter avec l’enregistrement des décès transmis tardivement », fait savoir l’Insee au Monde.
Autre précision : les données sur les décès publiées par l’institut correspondent au nombre de morts toutes causes confondues, donc sans possibilité de distinguer les décès associés au Covid-19 des autres. Avant de tirer une quelconque conclusion, il faudrait analyser les statistiques par cause de décès pour comprendre quelles catégories ont baissé. Il est tout à fait possible que la mortalité due au coronavirus ait augmenté, et que la mortalité totale ait baissé, que la mortalité liée à d’autres causes, tels que les accidents de la route ait diminué, ou que les changements de comportement imputables aux nouvelles normes sanitaires aient réduit certaines causes de décès. Impossible d’en déduire quoi que ce soit sans recontextualiser ces chiffres. Toutes ces hypothèses appellent donc à la prudence.
De plus, le choix d’isoler la période estivale n’est pas très représentatif pour évoquer cette épidémie sur le plan des chiffres, comme l’affirme Santé publique France (SPF) au Monde :
« La période estivale est la période où la mortalité est la plus basse de l’année en France. La mortalité en été est fortement influencée par les périodes de fortes chaleurs. »
La comparaison d’une année avec les précédentes « doit s’interpréter au regard des événements caniculaires qui surviennent sur le territoire ». Or, en 2019, la France avait connu deux épisodes de canicule particulièrement précoces et intenses en juin et juillet.
- Une épidémie qui progresse en France « de manière exponentielle »
Il est trompeur d’affirmer que l’épidémie est « terminée » depuis la fin du mois de mai. Un rapide retour en arrière s’impose. La majorité des morts du Covid-19 en France (30 706 au 3 septembre) sont survenus au printemps, lors de la première vague meurtrière pour les personnes âgées ou présentant des comorbidités. Une décrue des contaminations s’est amorcée après le confinement.Evolution de la mortalité en France
Nombre de décès quotidiens, toutes causes confondues, du 1er mars au 24 août.2018201920205001 0001 5002 0002 5003 0001er mars15 mars1er avril15 avril1er mai15 mai1er juin15 juin1er juillet15 juillet1er août15 aoûtSource :Insee
Depuis mi-juillet, le nombre de personnes positives est reparti à la hausse. Les indicateurs montrent que les contaminations se développent davantage au sein des tranches d’âge les plus jeunes. Si cette hausse doit être analysée avec prudence, il a été observé que les jeunes développent moins de formes graves. Ce qui ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas transmettre le virus aux plus vulnérables, et qu’une recrudescence de l’épidémie ne risque pas de survenir à l’automne.
Les signaux sont inquiétants. Depuis le mois de juillet, les dépistages ont été multipliés « par un peu plus de deux », et le nombre de cas « a été multiplié par douze », détaille SPF dans son point épidémiologique du 3 septembre : « L’épidémie progresse en France de manière exponentielle et cette progression ne s’explique pas par l’augmentation du dépistage. »
Le taux de positivité continue actuellement sa progression en France, atteignant 4,4 %. Le nombre de patients atteints du Covid-19 en réanimation augmente, avec dix-huit personnes supplémentaires au cours des dernières vingt-quatre heures (elles sont 464 au total).
Autant d’éléments qui attestent que l’épidémie n’est pas « terminée » depuis fin mai. Auprès du Monde, Santé publique France le redit :
« Nos points épidémiologiques montrent bien que le virus circule toujours dans la population et sur tout le territoire. Même si l’impact, en termes de mortalité, est limité depuis le mois de mai, le virus circule de plus en plus depuis plusieurs semaines avec près de 5 000 cas enregistrés par jour en ce moment. »
Enfin, l’impact d’une épidémie ne se mesure pas seulement à l’aune de la mortalité, mais à travers un ensemble d’indicateurs. La mortalité informe de « la sévérité de l’impact de l’épidémie sur la population », souligne SPF. Il faut aussi analyser « les recours aux soins d’urgences, les admissions en hospitalisation, ou les résultats des tests biologiques ».
En résumé, ce texte publié sur les réseaux sociaux s’appuie sur des chiffres exacts, mais décontextualisés, utilisés pour servir un discours dangereux qui va à l’encontre de la situation sanitaire actuelle.
L’affiche fausse d’un médecin sur la mortalité liée au Covid-19 au mois de mars
Un médecin installé dans le Jura a affiché dans son cabinet un message affirmant à tort qu’il n’y avait pas de surmortalité liée au coronavirus au printemps.
Par Adrien Sénécat Publié le 27 août 2020 à 17h15 – Mis à jour le 27 août 2020 à 17h41
Ce que dit la publication
« Chers patients, ne vous angoissez plus. L’épidémie de Covid-19 est une épidémie ordinaire. » C’est ce qu’affirme un message largement partagé sur Facebook ces derniers jours. Ce document, présenté comme ayant été affiché par un « vrai médecin » dans son cabinet, assure qu’« il n’y aura statistiquement pas davantage de décès en mars 2020 qu’en mars 2019 ou mars 2018 » et que le confinement généralisé « n’a pas de justification médicale, c’est juste de la politique ».

POURQUOI C’EST FAUX
Un document réellement rédigé par un médecin du Jura
Cette affiche a commencé à circuler sur les réseaux sociaux dès le printemps. La photographie a d’abord été publiée le 16 avril par un internaute, qui l’attribuait à son médecin. Elle a ensuite été reprise à de nombreuses reprises par des internautes, notamment sur la plate-forme russe VK, sur Twitter, ainsi que dans d’autres publications sur Facebook, où elle circulait encore au mois d’août.
Il s’agit bien d’un document rédigé par un médecin généraliste français, comme l’a confirmé Le Progrès dans un article publié le 18 avril. Il s’agit du docteur Jean-Marc Arquillière, installé à Conliège, à quelques kilomètres de Lons-le-Saulnier (Jura). L’intéressé avait confirmé au quotidien local qu’il avait exposé cette note à destination de ses patients. « Et je vais la laisser ! », avait-il insisté à l’époque.
Une affirmation contredite par les chiffres
Contrairement à ce que prétend le docteur Arquillière, il y a bien eu plus de décès en France en mars 2020 qu’en mars 2019 ou mars 2018. Selon les statistiques de l’Insee, le taux de mortalité en France a commencé à augmenter dès le milieu du mois de mars, pour atteindre un niveau considérablement supérieur à celui des années précédentes. Le 28 mars, par exemple, on dénombrait 2 526 décès en France, contre 1 690 en 2019 et 1 827 en 2018 :Evolution de la mortalité en France
Nombre de décès quotidiens, toutes causes confondues, du 1er mars au 24 août.2018201920205001 0001 5002 0002 5003 0001 mars11 mars21 mars1 avril11 avril21 avril1 mai11 mai21 mai1 juin11 juin21 juin1 juillet11 juillet21 juillet1 août11 août21 aoûtSource : Insee
De fait, le pic de mortalité enregistré en France au printemps est sans équivalent à cette période de l’année depuis le début des années 2000. Et ces chiffres ne sont redevenus comparables à ceux des années précédentes qu’à la fin du mois d’avril.Lire aussi Coronavirus : un pic très net de mortalité en France enregistré en mars et avril
Cette réalité était connue avant même la diffusion de l’argumentaire du docteur Arquillière sur les réseaux sociaux. Interrogée par Le Progrès, en avril, l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté notait que dès le 10 avril les chiffres de l’Insee contredisaient les assertions du médecin. A-t-il révisé sa position depuis ? Contacté par Le Monde, le cabinet médical où il officie a refusé de répondre à nos sollicitations.
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