Les pionniers des ondes gravitationnelles

Les tâtonnements féconds d’un pionnier des ondes gravitationnelles

Par  David Larousserie

Publié le 28 juillet 2020 à 15h00 – Mis à jour le 17 août 2020 à 14h47

https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/28/les-tatonnements-feconds-d-un-pionnier-des-ondes-gravitationnelles_6047515_3451060.html

RÉCIT« La saga des ondes gravitationnelles » (2/6). Joseph Weber était persuadé d’être le premier physicien à avoir détecté, quarante-cinq ans avant LIGO, les oscillations de l’espace-temps grâce à un système de barres résonnantes. Mais il n’a jamais su totalement convaincre.

« Nous l’avons fait ! » Ce 11 février 2016, à Washington, David Reitze savoure les applaudissements déclenchés par cette exclamation. Ils saluent un exploit attendu depuis un siècle, réalisé par une vaste collaboration internationale de quelque mille physiciens.

Au premier rang, la présence d’une femme fait surgir des fantômes du passé. « Merde, c’est dingue », lâche Virginia Trimble, astronome réputée et professeure à l’université de Californie à Irvine, au journaliste deScience qui l’interviewe. Elle est la veuve de Joseph Weber, un Américain qui a clamé sans discontinuer pendant plus de trente ans et jusqu’à sa mort, en 2000, qu’il avait accompli, le premier, la prouesse de détecter les ondes gravitationnelles.

Le 16 juin 1969, ce physicien de l’université du Maryland publie « Preuve de la découverte de radiation gravitationnelle » dans la revue Physical Review Letters (PRL) – celle où, quarante-cinq ans plus tard, David Reitze et ses collègues de la collaboration LIGO/Virgo (du nom des instruments qui ont capté des ondes gravitationnelles), rédigeront leur article. Il l’avait donc fait le premier !

Sauf qu’au fil des ans, le cercle des convaincus autour de lui s’est rétréci et que personne n’a confirmé sa découverte. Harry Collins, sociologue des sciences à l’université de Cardiff (Royaume-Uni), a consacré un livre, Gravity’s Shadow (University of Chicago Press, 2004, non traduit), à ce domaine ô combien controversé. Pour lui, « sans Weber on n’aurait pas détecté les ondes gravitationnelles ». « Grâce à lui, les gens ont commencé à y croire. Avant, ils débattaient même de l’existence de ces ondes. »

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Deux colliers de perles

Parmi les sceptiques, Albert Einstein lui-même. En 1915, il publie sa théorie de la relativité générale qui transforme notre vision de l’Univers : la gravitation est moins une force qu’une déformation de la géométrie de l’espace-temps. En 1916, il prédit l’existence d’ondes gravitationnelles, mais dans une version simplifiée de sa théorie.

En 1936, avec Nathan Rosen, il reprend ses calculs dans un cadre plus général et soumet un article à la Physical Review (différente de PRL) concluant que ces ondes… n’existent pas. Selon lui, la gravitation « se mord la queue », comme l’expliquent Nathalie Deruelle et Jean-Pierre Lasota dans leur livre, Les Ondes gravitationnelles (Odile Jacob, 2018). Elle empêcherait la propagation de ses propres ondes.https://www.dailymotion.com/embed/video/x28d9c7?api=postMessage&autoplay=false&id=player-x28d9c7&mute=false&origin=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr&queue-autoplay-next=false&queue-enable=false

Mais l’article est refusé car il comporte une erreur. Einstein est choqué. Et s’insurge : « Je ne vous ai pas autorisé à montrer ce manuscrit à un spécialiste avant publication. » Il n’enverra plus d’articles à la Physical Review mais corrige néanmoins l’erreur sans clarifier totalement la question de l’existence ou non de ces ondes. Le débat reste vif entre spécialistes mais, peu à peu, les opinions convergent vers la conclusion que ces ondes existent et qu’elles transportent de l’énergie. Mais comment le prouver ?

C’est le génial physicien Richard Feynman, prix Nobel de physique en 1965, qui donna le déclic. En janvier 1957, à Chapel Hill, en Caroline du Nord, il est à la tribune d’une conférence originale, car organisée par un millionnaire de la finance passionné de physique, Roger Babson. Il imagine une expérience pour prouver que les ondes gravitationnelles sont détectables. Deux colliers de perles entourant une barre soumise à une telle onde devraient s’écarter à son passage et échauffer par friction la matière de la barre. Dans la salle, il y a bon nombre de noms prestigieux, John Wheeler, Bryce et Cécile DeWitt, Robert Dicke, André Lichnerowicz, Nathan Rosen et… Joseph Weber.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Richard Feynman : dompteur d’infinis

Ce dernier, né en 1919, radioamateur depuis ses 10 ans, ingénieur et pilote de sous-marin pendant la seconde guerre mondiale, n’est pas un inconnu. Après la guerre, il a réalisé des expériences pionnières pour la réalisation des masers (un précurseur des lasers). « C’est un physicien génial, qui aurait pu avoir le prix Nobel pour ce travail-là [obtenu par trois autres chercheurs en 1964] », estime Massimo Cerdonio, physicien de la collaboration LIGO/Virgo.

Répondre au défi

En 1957, le jeune talent vient de faire la connaissance de John Wheeler et Robert Oppenheimer à Princeton, qui le mettent sur le chemin de la gravitation et l’invitent à cette conférence. Un an plus tard, il veut répondre au défi de Feynman.

De retour à son université, celle du Maryland, près de Washington, il achète six gros cylindres en aluminium de 1,5 mètre de long pour 60 à 90 centimètres de diamètre, pour près de 1,5 tonne. A leur surface, des capteurs piézoélectriques (aux bornes desquels apparaît une tension s’ils sont déformés) guettent les moindres vibrations. En effet, telle une cloche, ces détecteurs résonnent s’ils sont traversés par une onde gravitationnelle.

« Après trois ans, on a arrêté. Ce n’est pas très enrichissant de n’enregistrer que du bruit. » Silvano Bonazzola, de l’observatoire de Paris

L’ensemble est suspendu par un câble d’acier. Joe Weber a l’idée d’installer une de ses « antennes » à 1 000 km plus à l’ouest, au laboratoire Argonne près de Chicago, afin de tester si le passage d’une onde fait sonner simultanément les deux cloches. Joel Sinsky, un de ses étudiants, s’épuisera jour et nuit, selon Harry Collins, à calibrer l’appareil qui vibre en permanence sous l’effet de diverses perturbations acoustiques, mécaniques, électromagnétiques… « Chasser » les bruits sera désormais la tâche de ces nouveaux astronomes pour des décennies.

En 1969, victoire ! Joseph Weber observe des déplacements quasi simultanés entre les deux dispositifs. C’est le début d’une nouvelle ère expérimentale. Une douzaine de groupes dans le monde fabriquent des « antennes » semblables à celles de Weber : aux Etats-Unis chez IBM, en Australie, au Japon, en Russie, en Italie, en France, à l’observatoire de Meudon. Même le célèbre Stephen Hawking proposera, dans sa jeunesse, un design d’expérience.

« Nous avions une sensibilité meilleure que Weber, qui est venu nous rendre visite », se souvient Silvano Bonazzola de l’observatoire de Paris, à Meudon. « Une fois on a vu quelque chose, complète Jean Thierry-Mieg, alors son étudiant. Un éclair avait frappé un arbre à 150 mètres du labo. On a pu dater exactement l’heure de l’événement. » Une façon ironique de dire que, comme tous les autres groupes, ils n’ont perçu aucune onde gravitationnelle.

« Après trois ans, on a arrêté. Ce n’est pas très enrichissant de n’enregistrer que du bruit », confesse Silvano Bonazzola. « C’était tout de même de bons moments », indique Jean Thierry-Mieg, qui se souvient de sa convocation par des militaires qui voulaient savoir si ces ondes, qui traversent la Terre entière, ne pouvaient pas servir pour communiquer avec des sous-marins. La question avait aussi agité leurs homologues américains, qui ont d’ailleurs financé les expériences de Weber.

Bévues et bouderies

En 1974, c’est la désillusion pour la majorité des groupes, sauf celui de Weber, qui continue d’enregistrer de bons signaux. Plusieurs articles constatent les échecs à détecter ces ondes.

En réalité, de nombreux doutes étaient vite apparus. L’énergie du premier événement repéré par Weber, provenant du centre de la Voie lactée, était telle que notre galaxie aurait dû disparaître depuis bien longtemps… « Weber s’est aussi tué lui-même », estime Harry Collins qui, dans son livre, détaille plusieurs bévues du chercheur. Il aurait confondu l’heure solaire et l’heure sidérale ; ses programmes informatiques comportent des erreurs. Weber explique que si les autres ne voient rien, c’est que le signal qu’il avait détecté a considérablement baissé…

« J’ai démonté moi-même sa théorie. Pendant deux heures j’en ai discuté avec lui mais il n’était plus possible de lui parler. » Massimo Cerdonio, physicien

Face à l’adversité, il se défend comme un beau diable, écrivant aux directeurs de ses « concurrents » pour empêcher des publications. Le ton monte jusqu’aux insultes et aux bouderies dans les conférences. Un de ses détracteurs les plus farouches, Richard Garwin, lui envoie un célèbre article sur la « science pathologique » et l’enjoint de retirer un de ses articles erronés. Même Freeman Dyson, qui l’avait poussé à aller à Princeton pour rencontrer Wheeler, lui conseille d’admettre ses erreurs. Peu à peu, les financements baissent. Ses articles sont moins cités ou discutés.

Mais il n’abandonne pas. En 1984, il publie même une théorie révolutionnaire : pour que les ondes gravitationnelles secouent les barres, il faut moins d’énergie qu’initialement prévu. Une manière pour lui d’avancer que ses détracteurs, qui suggéraient que la galaxie aurait dû être pulvérisée par la puissance de ces rayonnements, avaient tort. « J’ai démonté moi-même sa théorie. Pendant deux heures j’en ai discuté avec lui mais il n’était plus possible de lui parler », rappelle Massimo Cerdonio. D’autres publications feront un sort à cette dernière hérésie. En outre, avec sa théorie, Joseph Weber prétend fabriquer des détecteurs de neutrinos – particules très légères et mystérieuses – bien plus efficaces que ceux en construction alors… Ce qui augmente son isolement.

Une explosion d’étoile en 1987, la supernova 1987A, donne à nouveau l’occasion à Weber de publier, annonçant détecter une coïncidence entre ses antennes, ses détecteurs de neutrinos (émis lors de l’explosion) et une antenne en Italie. Puis, six ans plus tard, une simultanéité entre une bouffée de rayons gamma et une vibration de ses barres amène la NASA à lui accorder à nouveau quelque crédit.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les neutrinos, témoins de nos origines cosmiques

« Sans doute que Joe Weber s’est autopersuadé qu’il voyait quelque chose », estime Jean Thierry-Mieg. « Il y avait sans doute de l’amertume et de la frustration avec le prix Nobel raté sur le maser mais, peut-être aussi, avec celui sur la détection du rayonnement fossile de l’Univers », rappelle Silvano Bonazzola.

En effet, Joseph Weber, en spécialiste des micro-ondes, avait proposé dès 1955, et en vain, à son directeur de faire une expérience, la même qu’ont menée Arno Penzias et Robert Wilson dix ans plus tard, et qui leur a valu le prix Nobel en 1978.

Weber meurt en 2000, à 81 ans, ses barres toujours en fonctionnement dans son labo et un dernier article sur les radiations gravitationnelles en attente de publication, comme le raconte en 2017 Virginia Trimble, dans The European Physical Journal. Cette dernière répond au journaliste de Science qu’elle ignore si son mari a vu ou non les premières ondes gravitationnelles sur Terre. Mais, avant de capituler devant la technologie rivale de LIGO/Virgo, les « barristes » ont lutté jusqu’au bout.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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