Interféromètres à laser qui ont capté, les premiers, des ondes gravitationnelles, en septembre 2015 Ligo et Virgo

Sous terre et jusque sur la Lune… des projets fous pour capter les secousses de l’espace-temps

Par  David Larousserie

Publié le 25 août 2020 à 15h00 – Mis à jour le 27 août 2020 à 09h13

https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/08/25/sous-terre-et-jusque-sur-la-lune-des-projets-fous-pour-capter-les-secousses-de-l-espace-temps_6049888_3451060.html

SÉRIE« La saga des ondes gravitationnelles » (6/6). La quête de ces ondulations imperceptibles remontant aux origines de l’Univers se poursuit tous azimuts. Mais les futures antennes exigent des moyens astronomiques et, parfois, une collaboration inédite entre chercheurs.

« Nous l’avons fait ! » Ce 11 février 2016, à Washington, David Reitze savoure les applaudissements déclenchés par cette exclamation. Ils saluent un exploit attendu depuis un siècle, réalisé par une vaste collaboration internationale de quelque mille physiciens.

Le porte-parole de LIGO comme ses collègues de Virgo – du nom des interféromètres à laser qui ont capté, les premiers, des ondes gravitationnelles, en septembre 2015 –, ont bien l’intention de récidiver. Tout le monde a donc déjà commencé à s’activer pour imaginer les futures antennes qui enregistreront des signaux extraterrestres témoins du passage d’une infime ondulation de l’espace-temps causée par des explosions ou des rotations d’objets excessivement massifs comme des trous noirs ou des étoiles à neutrons. Ou d’autres surprises.Lire aussi Les ondes gravitationnelles détectées un siècle après avoir été prédites

A Bordeaux, à l’Institut d’optique, Philippe Bouyer et Benjamin Canuel sont prêts à assembler leur prototype, MIGA, à 500 mètres de profondeur dans l’ancienne base militaire du plateau d’Albion, en Provence. Là où la France avait installé ses missiles nucléaires de défense.

Depuis 1998, le centre a été récupéré par le CNRS pour devenir le LSBB, laboratoire souterrain à bas bruit, où diverses expériences de géologie, géophysique ou même en électromagnétisme sont menées. Une nouvelle galerie y a été percée dans les premiers mois de 2020 pour installer MIGA, qui veut sentir le souffle d’une onde gravitationnelle par un tout autre procédé que celui, dit de première génération, qui a permis la captation de septembre 2015 par les deux instruments géants LIGO, aux Etats-Unis.

« Nous utilisons des atomes qui représentent la masse de test idéale car ils sont plus faciles à isoler des vibrations », rappelle Benjamin Canuel. S’affranchir de toutes ces vibrations parasites est en effet l’obsession des traqueurs d’ondes gravitationnelles, qui apparaissent comme des clapotis dans une mer déchaînée. Dans LIGO ou Virgo, l’ondulation spatio-temporelle allonge et contracte les distances entre deux miroirs suspendus. Ces variations de longueur sont mesurées par la technique de l’interférométrie optique, qui compare les distances parcourues par deux faisceaux laser empruntant deux chemins distincts.

Fontaine atomique

MIGA entend faire de même mais sur un seul faisceau laser. Sa sonde est une fontaine atomique, une nuée d’une centaine de millions d’atomes de rubidium très froids (quelques millièmes de degrés au-dessus du zéro absolu). Juste après leur lancement en l’air comme des boulets de canon, la population des atomes est divisée en deux groupes légèrement différents, puis mélangée à nouveau lors de la retombée des atomes en parabole.

Si le laser de test se dilate ou se contracte, sous l’effet d’une onde gravitationnelle, le mélange se fera plus ou moins bien. Il suffit de compter combien il reste d’un groupe d’atomes par rapport à l’autre pour estimer la force de la perturbation gravitationnelle. Cette technique dite d’interférométrie atomique sera appliquée en trois points des 150 mètres de long du bras de MIGA, à raison de deux mesures par seconde. Elgar, le successeur espéré par l’équipe bordelaise, possédera 160 interféromètres sur 32 kilomètres de long.

« C’est un pari !, estime Philippe Bouyer. On a déjà démontré le principe en laboratoire et ça marque le début d’une aventure. » Au bout, l’objectif est d’identifier de nouvelles sources d’ondes gravitationnelles, plus lentes que celles « vues » jusqu’alors par LIGO/Virgo, car engendrées par des objets de dix à cent fois plus lourds. A condition que les moyens suivent. Car MIGA est soutenu par les investissements d’avenir de l’Etat, qui arrivent bientôt à échéance.

Philippe Bouyer (Institut d’optique de Bordeaux) installe le prototype MIGA à 500 m de profondeur, sous le plateau d’Albion, en Provence, en 2014.
Philippe Bouyer (Institut d’optique de Bordeaux) installe le prototype MIGA à 500 m de profondeur, sous le plateau d’Albion, en Provence, en 2014. J-F DARS

Un autre projet fou a déjà franchi une première étape : LISA, ou l’interférométrie optique dans l’espace. Trois satellites en configuration triangulaire s’enverraient des faisceaux laser sur plus de 2,5 millions de kilomètres. Historiquement, les pionniers, dans les années 1970, avaient même pensé à l’espace avant la Terre. Puis entre 1997 et 2011, ils relancent le sujet. La NASA s’associe à l’ESA, l’Agence spatiale européenne, avant de quitter le projet, puis de revenir en 2015 comme partenaire « junior » dans cette mission à environ 1,3 milliard d’euros. LISA devrait partir en 2034, si elle est confirmée par les agences. Réponse en 2023.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Physique : nouveau succès autour des ondes gravitationnelles

En 2017, une étape rassurante a été franchie. La mission spatiale LISA Pathfinder a montré qu’il était possible de contrôler la position de deux masses dans l’espace au nanomètre près. Car, même si les satellites sont en apesanteur, le vent solaire ou des particules perturbent les trajectoires qu’il faut corriger.

Attraper des trous noirs

« Il y a beaucoup de travail en ce moment car nous finissons les plans, attendus pour 2021, indique Antoine Petiteau, un des coresponsables de LISA au Laboratoire astroparticules et cosmologie (APC) à Paris. En 2017, nous étions environ 200. Désormais le consortium qui gravite autour de LISA dépasse les 1 200 personnes. » Avec l’espoir d’attraper là aussi des sources lentes et très massives comme des trous noirs faisant jusqu’à 10 millions de masses solaires. « Ou alors les mêmes trous noirs que LIGO/Virgo mais dix secondes avant leur fusion », espère Antoine Petiteau.

« C’est comparable au moment où Galilée a pointé sa lunette vers le ciel, il y a 400 ans. Nous ouvrons une nouvelle fenêtre d’observation sur l’Univers. » David Reitze, directeur de LIGO

Ce dernier est aussi engagé dans une autre expérience de patience, la chronométrie des réseaux de pulsars. Ces derniers sont des étoiles à neutrons, l’équivalent d’un ou deux soleils concentré dans une boule de quelques kilomètres de diamètre, qui émettent des ondes radio de façon très stable toujours selon le même axe. Le passage d’une onde gravitationnelle perturbe cependant la belle régularité de ces phares cosmiques. D’où la collecte par plusieurs équipes de longues séries d’enregistrements de dizaines de pulsars dans l’espoir de voir vaciller une de ces chandelles, preuve du passage d’un vent gravitationnel. Des années d’observation seront encore nécessaires.

De nouveaux instruments permettront de traquer les ondes toujours plus loin. En Europe, c’est l’Einstein Telescope. Aux Etats-Unis, Cosmic explorer. Le premier serait enterré, avec trois bras en triangle de 10 kilomètres et des miroirs « congelés » pour les empêcher de vibrer sous l’effet de la chaleur du laser. Le second se contenterait d’allonger les deux bras de LIGO jusqu’à 40 kilomètres, dix fois plus qu’actuellement…

« Soyons honnêtes, le coût est un vrai problème », rappelle Marie-Anne Bizouard, de l’Observatoire de la Côte d’Azur. On parle de plus d’un milliard et demi d’euros pour une mise en route après 2030. Les prochaines semaines risquent d’être décisives pour l’avenir du projet. « L’Einstein Telescope aidera à cartographier l’ensemble des systèmes binaires, avec notamment des trous noirs de plusieurs centaines de masses solaires. Leur formation pose des questions importantes dans l’évolution de nos galaxies », insiste Marie-Anne Bizouard, qui voudrait bien aussi sentir l’arrivée des ondes gravitationnelles en provenance directe du Big Bang. « Avec les photons, nous ne pouvons pas remonter au-delà de 300 000 ans après le Big Bang. Avec les ondes gravitationnelles, cette barrière disparaît. Tout le monde rêve de les voir. C’est une science très risquée mais à haut gain. »

Consolider la communauté scientifique

A la tête de l’European Gravitational Observatory (observatoire gravitationnel européen), dans son bureau avec vue sur les tunnels de Virgo qu’il chapeaute, Stavros Katsanevas garde la tête froide. Il a d’autres idées à l’esprit, moins prestigieuses peut-être, mais vitales. Il s’attache à construire des « églises » et des « ponts », c’est-à-dire qu’il tente de consolider la communauté autour de ce nouveau domaine de recherche. Fini les rivalités initiales entre astronomes et physiciens des ondes. Ou entre opticiens et physiciens des particules. Le défi technique, motivation première, a été relevé et les astrophysiciens sont maintenant convaincus de l’intérêt de tels instruments.Lire aussi La science, révolutionnaire par essence, exige l’humilité

« C’est comparable au moment où Galilée a pointé sa lunette vers le ciel, il y a quatre cents ans. Nous ouvrons une nouvelle fenêtre d’observation sur l’Univers », a indiqué David Reitze lors de sa conférence du 11 février 2016. Ces ondes font voir des phénomènes jusqu’ici invisibles, et apportent des compléments à d’autres observations dans le visible, les ondes radio, ultraviolettes ou infrarouges…

Mieux, les cosmologistes, les physiciens des particules, les relativistes et même les physiciens quantiques y trouvent de nouveaux terrains de jeux. « Les systèmes binaires très asymétriques avec un petit objet tournant autour d’un très gros sont des situations parfaites de test de la relativité. Le petit cartographie l’environnement gravitationnel du plus gros », apprécie Antoine Petiteau.

Le 1er juillet, dans Nature, une équipe du MIT a mesuré que le gros miroir de LIGO de plus de 40 kilos bouge imperceptiblement à cause des fluctuations quantiques du laser qui le frappe… La relativité générale et la mécanique quantique, les deux théories fondamentales – et pour l’instant irréconciliables – qui décrivent la matière et l’Univers se rapprochent donc de façon inattendue.

A l’inverse, d’autres rêvent de renverser la table. « Nous découvrons un nouveau monde, estime Nathalie Deruelle, chercheuse émérite rattachée à l’APC. Il devient intéressant de bâtir des théories concurrentes de la relativité générale et voir si elles expliquent les données. »

Outre ces grandes théories, Stavros Katsanevas veut rapprocher des domaines plus inattendus. « Ce qui me tient à cœur, c’est d’attirer tout spécialiste de l’environnement. Pour fonctionner, Virgo doit parfaitement connaître son environnement en le mesurant par divers capteurs ou en y étant sensible grâce à notre instrument très précis. Nous sentons les marées, les vagues, les orages, les gros nuages… J’aime à dire que nous démontrons ici que, pour comprendre l’Univers, il faut d’abord comprendre la Terre. » Adepte des rapprochements en tous genres, il a aussi imaginé une exposition mêlant art et science, rêve d’un centre d’accueil sur le site associant les deux domaines, promeut les sciences collaboratives…

Et comme on ne se refait pas, il vient de rédiger un brouillon de proposition de détecteur d’ondes gravitationnelles… sur la Lune. Il s’agirait de poser des fibres optiques sur le satellite naturel de la Terre que des ondes gravitationnelles viendraient pincer imperceptiblement. Mais suffisamment pour que la propagation de la lumière à l’intérieur soit affectée et mesurée. Après tout, des géologues repèrent ainsi déjà des tremblements de terre sous nos océans. « En plus je viens de voir que d’autres avaient la même idée. C’est donc prometteur ! », s’amuse le physicien.

Idées folles. Petites équipes qui veulent grandir. Incertitudes sur les financements. Rêve de Nobel. L’histoire des ondes gravitationnelles se répète.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire