L’HÔPITAL VU D’EN HAUT PAR SES PENSEURS… ET VU D’EN BAS PAR SES ACTEURS
Compte rendu du SNPHARE
Le 28/02/2022, s’est tenue, au Sénat, une réunion de rencontre et d’échanges entre chercheurs et acteurs, à l’initiative de M. Frédéric PIERRU (Docteur en Science Politique, Sociologue, Chargé de Recherche – CNRS- Lise, Arènes) et d’Ivan SAINSAULIEU (Professeur des Universités en Sociologie – Centre Lillois d’Etudes et de Recherches Sociologiques et Economiques : CLERSE et collaborateur scientifique à l’IEPHI, Lausanne), intitulée « L’hôpital… Par en Haut ou par en Bas », à laquelle ont pu participer trois de vos représentants du SNPHARE.
La qualité et le niveau des échanges furent véritablement passionnants, à la mesure des intervenants, laissant une large place à la parole de chacun, dans le respect de la diversité des points de vue.
L’hôpital vu d’en haut par ses penseurs… et vu d’en bas par ses acteurs
Le 28/02/2022, s’est tenue, au Sénat, une réunion de rencontre et d’échanges entre chercheurs et acteurs, à l’initiative de M. Frédéric PIERRU (Docteur en Science Politique, Sociologue, Chargé de Recherche – CNRS- Lise, Arènes) et d’Ivan SAINSAULIEU (Professeur des Universités en Sociologie – Centre Lillois d’Etudes et de Recherches Sociologiques et Economiques : CLERSE et collaborateur scientifique à l’IEPHI, Lausanne), intitulée « L’hôpital… Par en Haut ou par en Bas », à laquelle ont pu participer trois de vos représentants du SNPHARE
DÉROULEMENT DE LA JOURNÉE
Outre le côté symbolique de ce haut lieu d’exercice de la démocratie parlementaire (nous remercions chaleureuse- ment ici les Sénateurs qui nous y ont accueillis), la qualité et le niveau des échanges furent véritablement passionnants, à la mesure des intervenants, laissant une large place à la parole de chacun, dans le respect de la diversité des points de vue.
Un programme très riche
La matinée a été consacrée à « l’Hôpital d’en Bas», celui où nous vivons et où nous exerçons quotidiennement, avec un focus sur les perspectives restreintes d’évolution de car- rière des infirmières, un retour sur les EPHAD à l’heure du COVID dans la région Grand-Est qui fut, comme on le sait, particulièrement touchée lors de la première vague, puis une présentation sur les indicateurs de qualité à l’hôpital. S’en est suivie une table ronde sur l’évolution inquiétante de l’hôpital, la lassitude et la fuite des soignants, les fermetures des petits hôpitaux ou d’une partie de ceux-ci (urgences, urgences la nuit…), la difficulté à poursuivre correctement notre exercice quotidien dans un contexte budgétaire dont les contraintes n’ont cessé de s’accroitre depuis plusieurs décennies, en totale contradiction avec des soins de plus en plus techniques et de plus en plus couteux. L’après-midi a concerné l’Hôpital d’en Haut, avec plusieurs intervenants participant ou ayant participé à l’organisation
de ce dernier, de l’évolution de la maîtrise des dépenses de Santé depuis les années 1970, à comment s’est mis en placelePMSI,puislaT2A,etenfinunecomparaison, mais qui reste assez délicate concrètement, avec les autres pays de l’OCDE.
Enfin, la journée s’est terminée par une nouvelle table ronde, avec d’autres intervenants de l’Hôpital d’en Haut : économiste, Directeur de l’Ecole des Hautes Etudes de la Sante Publique (EHESP,), Conseiller au Ministère et nos organisateurs.
DISCUSSIONS
L’intitulé n’est pas sans rappeler, bien sûr, la phrase bien connue car largement reprise par la suite de J.P. Raffarin, alors qu’il était premier Ministre, sur « la France d’en Haut et la France d’en Bas », la première étant supposée tech- nocratique, loin du peuple et la seconde constituée par le peuple en question (« dèmos » de la démocratie…).
Pour ce qui concerne l’hôpital, ces deux mondes, appa- raissant évidemment aux antipodes l’un de l’autre ne pour- raient-ils pas constituer plutôt, les deux faces d’une même réalité hospitalière, éventuellement même réconciliables…
Économie de la santé au travers des 40 dernières années : l’hôpital d’en bas en subit les contraintes
Il fut, bien sûr, beaucoup question d’économie de la santé, de l’évolution du budget de l’Hôpital Public depuis les années soixante-dix, de l’ancien budget global, modèle inadapté et inéquitable, du budget alloué en fonction du nombre et de la durée des séjours (prix de journée), infla- tionniste, de l’ancien budget global, modèle inadapté et révolu, puis des systèmes supposés plus adaptés à la réa- lité du terrain : mise en place du Programme de Médicalisa- tion des Systèmes d’Information (PMSI), avec les groupes homogènes de malades (GHM), les groupes homogènes de séjours (GHS), la comptabilité analytique et l’échelle nationale de coût et, enfin, la déjà tristement célèbre tarifi- cation à l’activité (T2A ou TAA), issue du plan hôpital 2007. Il semble assez clair en effet que l’Hôpital d’en Bas subit ces contraintes économiques croissantes venues d’en haut, ce qui se traduit in fine par des dilemmes éthiques, liés à la dégradation perçue de la qualité des soins (plus particulièrement encore peut-être dans certains secteurs, comme les urgences, la psychiatrie ou la gériatrie ?).
La souffrance des soignants est tangible : c’est une réalité qui ne peut désormais plus être ignorée.
Les métaphores, violentes, d’un char d’assaut ou bien d’un rouleau compresseur ont été utilisées.
L’hôpital d’en haut n’est pas mieux loti
Toutefois, et ce n’est en rien rassurant, il semble bien que l’Hôpital d’en Haut ne soit guère plus confiant, ni maître de la situation, malgré les outils qu’il a pourtant contribué à mettre en place, mais qui parfois semblent échapper à leur contrôle sur le terrain.
Derrière la T2A, il y a aussi l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM).
Il y a une contradiction intrinsèque entre la T2A, conçue pour s’adapter au volume d’activité et l’ONDAM, qui est une enveloppe fermée. D’où une sorte de dévaluation annuelle des tarifs alloués par activité (système du point flottant), pour s’adapter à l’enveloppe : pour maintenir un même niveau de recettes, il faut donc augmenter l’activité et la productivité. Réciproquement, une activité en hausse ne suffit pas à assurer l’équilibre budgétaire : l’activité aug- mente, mais la dette parallèlement. Un tel système n’est gratifiant ni pour les soignants, ni pour les directeurs-ges- tionnaires.
L’ONDAM : une hydre bicéphale
Alors qu’on entend répéter à l’envi que les dépenses hospi- talières ne cessent d’augmenter, mettant à mal les finances de la caisse, cette assertion est devenue fausse, et ce depuis plusieurs années. En effet, les dépenses annuelles hospitalières sont inférieures à l’ONDAM hospitalier.Le sys- tème des vases communiquant profite ainsi, depuis plu- sieurs années déjà, à la médecine de ville.
Ainsi, la France dépense davantage pour sa santé publique que les autres pays européens, mais moins pour son hôpi- tal public que les autres pays européens !
La démarche qualité suppose des indicateurs perti- nents, en lien avec le terrain
La démarche qualité, souvent présentée comme un moyen de s’assurer de la pertinence des soins, suppose des indi- cateurs ; encore faut-il que ces derniers soient pertinents et en lien avec le terrain.
Un autre écueil, qui a été souligné, est un risque de dévoie- ment de la démarche qualité : car autant il est louable d’éta- blir des référentiels pour promouvoir les bonnes pratiques, autant il peut devenir risqué que la démarche qualité ne se transforme en une recherche effrénée de satisfaction d’objectifs (alors qu’elle devrait s’intéresser davantage aux processus). Prenons garde aussi, à ce que la qualité ne se résume pas uniquement au suivi aveugle et sourd de proto
coles, avec une démarche qualité qui ne viserait alors plus, à l’extrême, qu’au seul contrôle du respect desdits proto- coles et de la standardisation des pratiques.
On pourrait en outre voir se profiler ici, en filigrane, der- rière les protocoles, des algorithmes. Et l’irruption à moyen terme de l’intelligence artificielle qui, si elle a sans doute sa place, ne remplacera jamais la dimension humaine de la relation de soins.
En effet, aujourd’hui, les indicateurs dont on dispose n’évaluent que peu ou pas les aspects relationnels (certes chronophages, mais le remplissage des questionnaires ne l’est-il pas aussi ?).
Le terme de « mascarade » a même été employé, pour décrire l’agitation frénétique qui règne à hôpital au moment où approche la certification, mais qui retombe presque aussitôt une fois les expert partis ; alors qu’une démarche qualité se devait d’être, par essence, continue.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
L’idée d’un Hôpital d’en Haut et d’un Hôpital d’en Bas pourrait suggérer, pour l’un comme pour l’autre, des enti- tés homogènes. Or évidemment il n’en est rien et une telle dichotomie reflète mal en réalité la diversité des acteurs. L’organisation et la gestion de l’Hôpital Public semblent aujourd’hui comme une sorte de gratte-ciel aux multi- ples étages, où chaque étage est intrinsèquement lié à -et dépendant de- celui qui est en haut et celui qui est en bas, mais pratiquement sans capacité d’action à un autre niveau que le sien et même sans visibilité plus globale sur les effets de ses propres actions.
Il semble crucial de favoriser la communication, à tous les niveaux, entre les acteurs de terrain et les décideurs, une communication fluide et qui ne soit ni trop tronquée, ni pré- alablement filtrée.
Les penseurs de l’Hôpital d’en Haut travaillent avec des modèles : pour leur remonter des informations, mieux vaut le faire avec des données chiffrées, mais on sait que tout ne peut pas se chiffrer surtout dans le soin: pour se com- prendre, il faut savoir parler le même langage.
Peut-être faudrait-il aussi que les candidats à l’EHESP soient issus d’horizons plus divers (soignants, ingénieurs, sciences sociales…).
Le SNPHARE est, et restera, partie prenante et toujours force de propositions. Pourvu qu’on veuille bien lui prêter voix au chapitre, dans un esprit démocratique.
Francis Vuillemet, Secrétaire Général Adjoint du SNPHARE

L’hôpital… vu d’en haut ou vu d’en bas ?
Des échos de la journée de rencontre du 28 février 2022

Le 28 février se tenait une journée de rencontre organisée autour de l’hôpital public, partant du clivage des univers de travail entre l’hôpital vu d’en haut… et l’hôpital vu d’en bas. Les échanges ont largement fait écho aux récits de travail engagés par la Compagnie avec les Ateliers pour la refondation du service public hospitalier. Que ce soit par leur contenu, voir notamment le récit « Vu d’en haut, du moment qu’on opère les gens, tout va bien« , ou par la diversité des acteurs impliqués dans ce projet. François participait à cette journée pour la Compagnie. Il nous la raconte.
L’irruption de la crise sanitaire en mars-avril 2020 a fait découvrir à chacun la réalité du travail des soignants mais surtout la dimension cruciale d’un hôpital public inconditionnellement au service de chaque citoyen. Personne n’a oublié les applaudissements et les concerts de casseroles chaque soir à vingt heures. Si les médias ont souligné l’engagement total des soignants, ils ont aussi pointé l’impréparation des pouvoirs publics en charge de la santé, les vacances chroniques de personnels, la gestion hasardeuse des dispositifs de protection et de soins. L’hôpital public piloté sans références concrètes n’aurait-il assuré ses missions que grâce à la sur implication de ses personnels ?
Les organisateurs de cette journée ont fait l’hypothèse que cette vision méritait d’être mise à l’épreuve en sollicitant un large panel d’intervenants. Ainsi, au côté de représentants des soignants réunis dans différents collectifs (Collectif Inter Urgences, Coordination Santé Proximité,…), d’experts médicaux, de responsables de politiques publiques de santé et d’établissements de formation, des sociologues, des politistes, des économistes ainsi que des spécialistes en gestion ont apporté témoignages et analyses que le public a pu, par ses questions, prolonger.
Limiter les dépenses hospitalières est, depuis les années 80′, le leitmotiv de tous les gouvernements français. L’introduction en 2007 de la tarification à l’acte (T2A), la création des Agences Régionales de Santé ainsi que la réforme de la gouvernance des hôpitaux… matérialisent notamment cette orientation. En 2011, les directives européennes ont conforté cette direction en incluant les budgets de santé publique dans une stratégie globale et pérenne de maîtrise des dépenses des États.
Pour les soignants de l’hôpital public, les réformes portées par les ministres, épaulés par des cabinets de conseil privés, conduisent inexorablement à l’attrition de l’hôpital public au bénéficie des secteurs marchands : médecine de ville, cliniques privées… Aussi, durant plus de quatre décennies, les personnels ont manifesté leurs désaccords sur ces choix en alertant le grand public sur la dégradation récurrente des soins. Cependant, si des manifestations furent parfois très médiatiques, elles furent plutôt épisodiques, portées par telle ou telle catégorie professionnelle, mais rarement coordonnées.
Progressivement, mais de manière constante, s’est installée une logique duale clivant les univers de travail. Aux procédures de rationalisation portées par le « Haut », répondaient les demandes de reconnaissance professionnelle symbolique et matérielle exprimées par le « Bas ». Quant aux citoyens, ils formulaient une demande contradictoire : s’ils souhaitaient mieux et plus de soins notamment en proximité, ils réclamaient en même temps une réduction des prélèvements fiscaux et sociaux.
L’introduction de la tarification à l’acte à été au cœur de nombreuses prises de parole. Un historique de sa mise en œuvre a permis de repérer plus finement les causes des dommages qu’elle a générés dans l’univers de l’hôpital public. Celui-ci est en effet dominé par un ethos du métier où l’inconditionnalité du soin et sa personnalisation sont des valeurs absolues. A cette rupture déontologique s’ajoutent les conséquences de l’encadrement des dépenses de santé (Ondam) votées annuellement par le Parlement depuis 1997. L’introduction du « point flottant » a été identifié comme un processus qui désavantage systématiquement l’hôpital public, il génère des incitations puissantes à multiplier et à intensifier les actes, sans générer de ressources supplémentaires. En outre, régulièrement les pouvoirs publics n’ont pas attribués à l’hôpital public la totalité des budgets néanmoins votés. Les réserves ainsi constituées ont systématiquement permis de combler les dépassements des dépenses engagées par la médecine de ville. En effet, à la différence du secteur public dont les budgets sont strictement suivis par les pouvoirs publics, ceux du secteur privé ne le sont pas. En outre, cette extrême rigueur budgétaire s’est accompagnée du gel des rémunérations des soignants. La dégradation progressive mais néanmoins continue des conditions de travail érode l’attractivité des emplois. Dès lors, faute de disposer des personnels qualifiés, les responsables d’hôpitaux publics sont contraints régulièrement de fermer des lits. Ces décisions ont accru le désenchantement des soignants puis alimentés leurs revendications tant en terme de reconnaissance symbolique que de rémunération. Elles ont été relayées ici et là par des associations de patients et de citoyens ainsi que par des d’élus locaux déterminés dans la sauvegarde de soins de qualité assurés en proximité.
Chacune des prises de paroles mais aussi les deux tables rondes qui ont ponctué la séquence du matin centrée sur « l’hôpital par en bas » et celle de l’après midi consacrée à « L’hôpital par en haut » ont mis en avant des pistes pour redonner à l’hôpital public les moyens d’assurer ses missions de manière pérenne. Parmi celles-ci :
* La refondation de la tarification à l’acte est considérée comme impérative pour assurer un développement conjoint et équilibré des différentes dépenses de santé. Le législateur français est donc placé devant ses responsabilités.
* La création de « Maisons de santé » et la mise en œuvre des coopérations « médecine libérale – hôpitaux publics » sont des alternatives aux dysfonctionnements récurrents vécus par les soignants et leurs patients notamment dans les territoires ruraux. Ces initiatives dont le bilan actuel demeure à consolider sont identifiées comme une réponse à la crise que vit depuis plus d’une décennie la médecine libérale. La multiplication des « déserts médicaux » se poursuit malgré la multiplication d’incitations destinées à favoriser l’installation de jeunes praticiens.
* La promotion d’hospitalisations ambulatoires et le déploiement de la télémédecine méritent d’être promues. Cependant, elles suscitent de réelles réserves chez nombre de patients et notamment parmi les plus âgés.
* L’impératif de démocratisation, largement évoqué, implique que les équipes de soignants mais aussi des collectifs de patients retrouvent un authentique pouvoir. Aujourd’hui, la verticalité des prises de décision produit d’incontestables de dommages : épuisements, arrêts maladie, démissions, chute des recrutements…
* La « débureaucratisation » de la gestion de l’hôpital public appelle à une diversification plus résolue du recrutement et de la formation des directeurs.
Sans méconnaître les risques d’implosion de l’hôpital public, intervenants et public ont validés des analyses finement documentées qui ouvrent à des alternatives. Celles-ci prendront tout leur sens non dans une succession de mi-réformes mais dans une refondation systémique des politiques de soins et de santé.
François
Journée de rencontre entre chercheurs et acteurs. Paris, lundi 2 8 février 2022 – Palais du Luxembourg.
Coordination : Frédéric Pierru (Cnrs, Arènes) et Ivan Sainsaulieu (Université de Lille, Clersé)
L’intégralité des échanges sera prochainement disponible